1 L’accompagnement des nouveaux entrepreneurs fait l’actualité. En 2013, le soutien à la création d’entreprise a constitué le thème des Assises de l’entrepreneuriat et fait l’objet d’un rapport de la Cour des Comptes [1] qui préconise un meilleur ciblage des dispositifs et une professionnalisation des équipes d’accompagnement. Au Québec, la Stratégie québécoise de l’entrepreneuriat, déposée en novembre 2011, place l’accompagnement au cœur des actions du gouvernement, via des structures éducatives, un meilleur soutien aux différentes étapes de vie de l’entreprise et pour certaines clientèles particulières, ainsi que la mise sur pied de plans d’action régionaux.
2 Parallèlement, la littérature académique sur l’accompagnement s’est fortement développée ces dernières années, au point que certains auteurs évoquent « l’émergence d’un nouveau champ de recherche ». [2]
3 En 2009, notre revue avait déjà consacré un dossier aux « Enjeux et illusions de l’accompagnement ». Cinq ans plus tard, nous proposons à nos lecteurs une panoplie de points de vue très enrichie sur les évolutions et questionnements en cours en France comme au Québec. Ils émanent de trente contributeurs, dix-huit chercheurs et douze praticiens. Cinq articles proviennent de chercheurs, quatre de praticiens réflexifs et six ont été coproduits par des praticiens et des académiques. Cinq problématiques se dégagent de ces contributions, chacune étant développée par plusieurs articles et chaque article pouvant se rapporter à plusieurs d’entre elles. Le schéma de la page 9 représente sous forme de carte heuristique les cinq axes en question.
4 Le premier axe est l’analyse du métier de l’accompagnant en entrepreneuriat. On estime qu’au moins 4 000 à 5 000 acteurs en France l’exercent, sans pour autant avoir reçu de formation spécifique, puisqu’il n’existe ni référentiel partagé ni diplôme reconnu. Les chercheurs et praticiens utilisent plusieurs concepts pour décrire les postures que ces pratiques recouvrent. Christophe Schmitt et Julien Husson proposent de passer de la posture du réparateur, axé sur la résolution d’un problème, à celle du facilitateur, qui contribue à la problématisation. Miruna Radu-Lefebvre, Vincent Lefebvre et Renaud Redien-Collot ont observé quant à eux les stratégies de communication mises en œuvre dans cinquante dyades mentor/mentoré d’un incubateur parisien. Damien Richard, Fabienne Bornard et Nathalie Goujon proposent de leur côté une méthode d’intervention basée sur l’approche de Palo Alto, en s’appuyant sur deux dialogues entre un accompagnateur et un porteur de projet. Sébastien Geindre, Bérangère Deschamps et Pauline Fatien-Diochon reprennent le tryptique proposé par la philosophe de l’éducation Maela Paul (escorter/ guider/conduire) pour décrire les trois types d’accompagnement des repreneurs d’entreprise : mentorat, coaching et counselling.
5 La revue de l’ouvrage de Michel Vial et Nicole Casparros-Mencacci « L’accompagnement professionnel ? Méthode à l’usage des praticiens exerçant une fonction éducative », apporte un éclairage complémentaire, opposant l’accompagnement aux pratiques de guidage et se rapprochant ainsi de l’opposition entre facilitation et réparation. Le débat est donc nourri sur la nature des pratiques, qui ne sont pas indépendantes des besoins des différentes populations.
6 Le deuxième axe concerne les besoins des entrepreneurs, en différenciant trois types de cibles (créateurs d’entreprises innovantes, repreneurs et TPE). L’article de Sébastien Geindre, Bérangère Deschamps et Paulien Fatien-Diochon, déjà mentionné, se penche sur ceux des repreneurs, dont les spécificités sont encore assez mal traitées. Véronique Bessiere, Marie Gomez-Breysse, Sophie Gonnard, Karim Messeghem et Sylvie Sammut s’intéressent aux entreprises issues de la recherche publique en région Languedoc-Roussillon. Ils mettent en évidence trois besoins fondamentaux : le développement des compétences commerciales et entrepreneuriales des dirigeants originellement chercheurs, l’accompagnement financier et l’accès au capital-risque. Martin Cloutier, Sandrine Cueille et Gilles Recasens comparent les besoins des TPE perçus par leurs accompagnants dans deux contextes différents : un centre de développement local au Québec et une pépinière d’entreprises dans un bassin industriel en reconversion en France. Ces deux articles abordent la gouvernance de l’accompagnement sur un territoire, qui correspond au troisième thème du dossier.
7 Le troisième axe porte sur la gouvernance des écosystèmes territoriaux d’accompagnement. Luc Duquenne analyse les facteurs inter-reliés qui font de l’accompagnement un marché concurrentiel complexe, peu lisible par les entrepreneurs et délicat à gouverner par les instances publiques. Dans ce contexte, la démarche qualité déployée dans la région Nord Pas de Calais et exposée par Dominique Frugier donne quelques clés importantes. L’auteur montre que l’enjeu perçu par la Région est de passer du volume à la qualité et de pérenniser les structures créées. En s’appuyant sur les acquis de la recherche académique, il suggère que la construction normée de business plans peut être dépassée par des approches plus effectuales et par l’adoption de postures différenciées d’accompagnement. La politique régionale doit favoriser la structuration des réseaux partenaires, la formation des acteurs, la définition d’un référentiel partagé et des partages de pratiques entre les acteurs.
8 Déjà citées, les contributions de Véronique Bessière et al. d’une part et de Martin Cloutier et al. d’autre part analysent l’accompagnement à l’échelle du territoire. Le premier article porte sur dix ans d’expérience d’incubation d’entreprises issues de la recherche en Languedoc-Roussillon et montre que l’enjeu principal porte sur la croissance de ces entreprises, qui suppose une coordination de différents acteurs de l’accompagnement au sein de l’incubateur : formateurs/sensibilisateurs sur la culture entrepreneuriale, mentors et développeurs des compétences managériales, recruteurs de commerciaux, accompagnateurs experts sur le plan financier et capital-risqueurs. Le second article montre à travers deux cas analysés en France et au Québec, que le développement est facilité si les six domaines d’actions d’accompagnement (politique, financier, culturel, soutiens, capital humain et marchés) sont cohérents et perçus comme inter-reliés plutôt qu’indépendants. L’accompagnant est un acteur clé de cette mise en cohérence, laquelle contribue en retour au renforcement de la cohésion d’ensemble de l’écosystème.
9 Le quatrième axe est celui de la coopération entre les entrepreneurs, les experts et les réseaux d’accompagnement. Deux formes spécifiques d’expertise mobilisées dans l’accompagnement sont présentées, qui ne sont pas spontanément reconnues en tant que telles, alors qu’elles se trouvent au cœur des enjeux de développement et de croissance d’activités nouvelles. Elles sont évoquées via deux contributions. L’article de Pascale Rey-Martin et Fabienne Bornard porte sur la relation difficile entre juristes et entrepreneurs. Il apporte un éclairage de terrain sur les raisons des réticences et suggère des pistes de dépassement. L’interview iconoclaste de Philippe Méré, dirigeant d’un fonds de capital risque, dévoile sans fard les modes de raisonnement des financeurs avec lesquels entrepreneurs et accompagnateurs devraient aussi davantage composer.
10 Vincent Lefebvre examine quant à lui les activités d’accompagnement de neuf réseaux formels axées sur la mise en place conjointe d’une communauté de pratique, de liens faibles et mimétique. L’article d’Ulrich Schmidt et Alain Fayolle analyse la philosophie et la dynamique communautaire du Réseau Entreprendre.
11 L’interview, en tant qu’abonné de soutien de la revue, de Nathalie Carré, animatrice des réseaux création-transmission-reprise des Chambres de Commerce et de l’Industrie évoque de son côté l’évolution de l’approche des CCI en matière d’accompagnement et le business model associé à cette évolution.
12 Le dernier axe envisage l’articulation entre conceptualisation et pratique professionnelle, autrement dit les conditions-clé d’une collaboration efficace entre praticiens et chercheurs. L’évolution du métier d’accompagnateur répond à un enjeu collectif de développement économique mais aussi de construction de sens partagé entre acteurs. C’est par rapport à cet enjeu du sens que toutes les formes d’articulation entre concepts et pratiques trouvent leur place. Trois formes d’articulation sont évoquées à travers quatre articles du dossier : la pratique réflexive, la formation ou la coopération de recherche.
13 L’interview de Dominique Frugier met en avant l’effort de réflexivité d’un praticien de l’accompagnement à partir d’un vocabulaire conceptuel fourni par la recherche. Pour lui, 25 ans d’apports de la recherche en entrepreneuriat à la frontière de plusieurs disciplines académiques peuvent contribuer directement au parcours et à la pratique quotidienne d’un accompagnant. Il soutient que les concepts de dialogique porteur/projet, d’effectuation et de postures contribuent à faire émerger de nouvelles pratiques et méthodes d’accompagnement.
14 L’article d’Ulrich Schmidt et Alain Fayolle revient sur deux thèses en sciences de gestion réalisées en convention CIFRE au sein de Réseau Entreprendre. Il démontre leurs enseignements à la fois sous l’angle des connaissances produites sur les bénéfices de l’accompagnement pour les entrepreneurs et leurs mentors au sein du réseau, mais aussi sous l’angle des conditions d’une coopération entre chercheurs et praticiens. Comprendre l’autre dans ce qu’il est et ce qu’il fait est essentiel, il y est question de partage du sens mais aussi des activités.
15 Les propos de Nathalie Carré du réseau des CCI mettent en évidence l’effort d’appropriation des concepts de dialogique, d’effectuation et de postures pour nourrir une démarche de refonte du métier et de formation des praticiens de l’accompagnement.
16 L’ouvrage de Michel Vial et Nicole Casparros-Mencacci chroniqué par François Fourcade et Marlis Krichewsky propose un cadre théorique fondamental pour nourrir l’effort de formation et le travail réflexif des praticiens. Il invite à méditer sur le dosage toujours à construire entre l’engagement pour atteindre des objectifs convenus au départ et la rencontre permettant d’accueillir le sens inattendu. Accompagner est une pratique inventive et agile, qui exige toujours un travail sur soi de la part de l’accompagnateur comme de l’accompagné. Ce travail fait appel à la fois à l’activité productive mais aussi à l’activité constructive qui passe par les erreurs, les errances et les détours signifiants, constructeurs de sens, avant d’être directement productifs.
Cinq axes de problématisation des quinze contributions du numéro
