
1Coproduction de Michel Vial, professeur en Sciences de l’Éducation à Aix-Marseille et de Nicole Caparros-Mencacci, maître de Conférences à Nice, cet ouvrage très riche s’adresse aux praticiens et se propose de les aider à conscientiser leurs postures et à se distancier de leurs pratiques en les situant dans un ensemble de possibles. Le succès rencontré par ce livre a nécessité, en 2009 et en 2011, de nouveaux tirages.
2Les auteurs se centrent sur les processus à l’œuvre dans l’accompagnement sans pour autant fixer un catalogue de « bonnes pratiques » passe-partout. Ils se situent clairement dans une recherche qualitative qui a « fait le deuil de la vérité objective » (p. 309).
Accompagnement et guidage : démêler les confusions
3L’accompagnement professionnel n’est qu’une des nombreuses pratiques d’étayage identifiables. Le premier chapitre est consacré à la clarification d’un langage souvent confus autour de ces pratiques. Les chapitres ultérieurs apportent des éclairages supplémentaires à partir de cas. La psychanalyse et l’ergologie (Yves Schwartz) fournissent les principaux cadres de référence. Il s’agit de mieux comprendre les pratiques professionnelles d’accompagnement et de suggérer des pistes pour s’y former.
4En différenciant l’accompagnement de pratiques voisines comme la direction, le pilotage et le suivi, les auteurs construisent l’objet de leur étude en un premier temps à partir du mot « accompagner ». Accompagner veut dire « être avec » en tant que compagnon, dans un mouvement, un processus dont le but est choisi au début et chemin faisant par l’accompagné et non pas par l’accompagnateur. L’accompagnement doit donc être distingué du guidage. L’accompagnateur et l’accompagné partagent le pain (les situations qu’ils rencontrent en chemin), mais s’ils deviennent co-pains, ce n’est pas comme on devient naturellement copains : l’accompagnateur devient « l’ami critique » (p. 243). Ses critiques constructives ne comportent pas de jugements de valeur. Personne-ressource, l’accompagnateur ne détient pas pour autant les solutions pour des situations toujours singulières et inédites.
5Maëla Paul, auteure d’un autre ouvrage très connu sur l’accompagnement [1], s’appuie sur le triptyque conduire-guider-escorter pour asseoir son concept d’accompagnement. Vial et Caparros-Mencacci s’y opposent en dévoilant les aspects de contrôle contenus dans ces termes qui, d’après eux, désignent la plupart du temps des pratiques de guidage derrière lesquelles on trouve un imaginaire de la maîtrise, voire de la toute-puissance absente de la relation d’accompagnement (p. 27).
6Les auteurs opposent la « reliance »? qui laisse libre, à la « mise en liens » qui crée de la dépendance, caractéristique des pratiques de guidage : « […] avec l’accompagnement, on s’éloigne délibérément de toute attitude de maîtrise de l’un sur ce que fait l’autre. » (p. 34).
7En rangeant l’accompagnement sous le terme « étayage », les auteurs se trouvent dans une relative difficulté pour le distinguer de la facilitation. Dans celle-ci « l’aidant se légitime par un a priori sur l’incapacité de l’aidé ». (p. 46) Or, l’aide doit être distinguée de l’accompagnement. Le personnage du passeur et le motif du passage se situeraient également dans le guidage : « Charon sait où il va ». (p. 48) Il fait partie des « psychopompes » (conducteurs des âmes des morts).
8Les dérives du guidage sont décrites par des termes comme la « suture avec l’autre », la « fascination », la « sidération », la « séduction » et la « place assignée » : il s’agit – consciemment ou inconsciemment – de dominer l’autre et de le priver de sa liberté, de s’assurer qu’il aille là où il doit aller. Étayer, en revanche, « c’est faire en sorte que l’accompagné construise des trajets et se relie à sa culture » (p. 49) : une posture caractérisée par la retenue et le respect de la volonté de l’accompagné même là où on sait qu’il fait des erreurs. L’accompagnateur problématise par le questionnement et cherche à émanciper l’autre (p. 49), car il s’agit d’une relation éducative?
9On peut contester l’usage de cette métaphore de l’étayage par les auteurs. Le « faire en sorte que » constitue déjà une volonté sur l’autre, même si on ne cherche pas à déterminer la direction vers laquelle il chemine. On a décidé qu’il doit cheminer, peut-être pour ne pas perdre le sens de sa fonction d’accompagnateur. Mais est-ce qu’on peut réduire la relation d’accompagnement vraiment à celle entre un actif qui décide de tout et un passif sur lequel on prend appui, mais sans volonté propre aucune ? Nous nous trouvons devant le même paradoxe que tous les éducateurs qui souhaitent éduquer pour que l’autre devienne l’auteur de sa vie et de ses actes. Or, on ne peut s’autoriser que par soi-même.
10Selon les auteurs, « l’accompagnement s’enracine dans le sens du sacré […] une quête (inachevable) du sens » à distinguer du religieux. (p. 50) La confiance se développe en cherchant à préserver la face d’un autre dont l’accompagnateur ne prétend pas avoir les clés. Il joue un rôle de garant de cadre, d’organisateur de situations propices pour aller de l’avant. « L’accompagnement ne crée pas le changement, il le ‘met en scène’, il le travaille. » (p. 65) « Dans l’accompagnement se met en jeu une problématique initiatique avec trois thèmes : le déplacement (le changement, la renaissance) ; le dépassement (le détachement, la sagesse) ; le travail de reliance (l’allier/délier). Ce sont trois entrées pour le travail initiatique et le travail sur soi ou de soi, ce travail sur les limites qui permet l’ouverture symbolique du sujet au monde. » (p. 65)
Pratiques d’accompagnement
11C’est l’analyse des postures jouées en situation qui permet le plus sûrement de distinguer le guidage de l’accompagnement. La posture doit être distinguée de la position et de la pose. « La posture renvoie au projet, la pose à une mécanique de la duplication, la position à un choix cru irrémédiable, au thème de la place prise. » (p. 91)
12Vial et Caparros-Mencacci distinguent l’accompagnement d’un individu de celui d’un groupe, mais n’évoquent que brièvement le phénomène énigmatique de l’accompagnement de processus dans un groupe par ce même groupe, ce qui deviendrait possible grâce à l’émergence d’une compétence collective. (p. 87)
13Une comparaison de l’accompagnement et du guidage dans les trois phases de l’intervention permet de résumer les différences.
Synthèse comparative des trois phases du guidage et de l’accompagnement

Synthèse comparative des trois phases du guidage et de l’accompagnement
14Les particularités de l’accompagnement sont donc la rencontre dans un espace commun et un cheminement accompagné de problématisations, de réflexivité, de questionnement du sens émergent : un mouvement ouvert à tout moment qui ne se réduit pas au déroulement d’un programme.
Aspects relationnels
15La « présence attentive » de l’accompagnateur accueille le vécu de l’accompagné (p. 94). Encouragement, mise en confiance, bienveillance et plaisir (p. 95) ouvrent un « espace » où le « travail de l’imaginaire » [2] peut se faire et aboutir à la construction de soi.
16À l’occasion d’un long développement sur l’accompagnement en fin de vie, Vial explique ce qu’il entend par la dramaturgie de l’accompagnement, avec son double processus d’implication et de distanciation (p. 128). L’inévitable jeu des transferts et des contre-transferts, la dynamique des projections sur l’autre deviennent des objets de travail et les moteurs du remaniement identitaire.
17Vial et Caparros-Mencacci, rejetant le fonctionnalisme et l’engagement sur « l’atteinte des objectifs », préconisent plutôt le cheminement parsemé de rencontres et de trouvailles imprévues, les moments réflexifs, l’aventure dans le sens d’accueil de ce qui émerge et la référence à des valeurs et des repères parfois découverts seulement en cours de route (p. 202). À tout moment, l’accompagné et l’accompagnateur doivent déployer les forces de leur intelligence dans des situations toujours changeantes et rarement prévisibles. (p. 161) Il s’agit de puiser de la valeur dans ces situations : de les é-valuer ! Dans des exemples concrets – le cas d’Éric par exemple – les auteurs montrent les trésors d’inventivité et l’agilité du jeu des accompagnateurs pour assurer ce travail sur soi en situation afin d’ouvrir à de nouveaux possibles : « Tout n’est pas ‘activité productive’ il existe aussi une ‘activité constructive’. L’agir est plus large que le travail : les errances et les détours y sont signifiants avant d’être seulement productifs ou non. » (p. 195) Cette attitude, en rupture avec la civilisation dominante, est consistante avec la définition par les auteurs de l’accompagnement en opposition au guidage.
Les outils de l’accompagnement : l’orientation par l’action et entretien d’accompagnement
« Le cœur de l’accompagnement professionnel est constitué d’un processus d’orientation par l’action qui est aussi le temps d’investissements symboliques participant à la dynamique identitaire, en situation. »
19Pour l’intervenant – guide ou accompagnateur – le choix de ses postures dépend :
- d’une part des registres de pensée dans lesquels il se sent à l’aise (plutôt déterministe, managérial ou plutôt humaniste et pragmatique) ;
- d’autre part des valeurs et de l’éthique (éthique principielle et conséquentialiste pour le guidage et « éthique de la relation comme articulation de l’éthique de l’action et de l’éthique du sujet » pour l’accompagnement, p. 212). [3]
20Suit une explicitation de ce qu’est problématiser, dialectiser et questionner comme outils de prédilection dans l’accompagnement. Les différences, selon la posture du guidage et celle de l’accompagnement, sont mises en relief. Si, dans le guidage, on cherche à résoudre les problèmes? dans l’accompagnement, on cherche à les rendre habitables (p. 217), à les faire fructifier en les élucidant (p. 232).
21Un chapitre entier est consacré à l’entretien d’accompagnement, car « l’entretien est l’un des temps forts de l’accompagnement ». (p. 247) [4] Treize « opérateurs » tels que la reformulation, sont des ressources importantes dans l’entretien d’accompagnement. Le schéma suivant en propose la synthèse.
22L’entretien d’accompagnement, on peut s’y former et y être formé. Mais soyons clair : on ne peut pas s’y former juste par la lecture d’un livre ou en apprenant une liste d’outils. Nous avons tous des habitudes semi – ou inconscientes qui nous jouent des tours lors d’entretiens. Accéder à ses propres jeux de posture exige bien entendu de les penser, mais aussi que quelqu’un d’autre nous aide à en prendre conscience. Pour devenir un accompagnateur professionnel, il faut faire un travail sur soi et, si possible, se faire accompagner dans son processus de professionnalisation. À partir de leurs recherches, les auteurs cherchent à répondre à la question des « incontournables méthodologiques » (p. 283) par un référentiel d’activités de l’accompagnateur (p. 292) traduit en un référentiel de compétences qui fonde leurs offres de formation et de supervision.
Habiletés mobilisables dans un entretien d’accompagnement

Habiletés mobilisables dans un entretien d’accompagnement
Quelle utilité pour les accompagnateurs de créateurs d’entreprises ?
23La lecture de l’ouvrage permet d’acquérir les mots pour parler de ses pratiques d’accompagnement, mais aussi de les penser pour en prendre de la distance et les faire évoluer. Les postures, les transferts et contre-transferts, au lieu de rester implicites, affleurent à la surface de la conscience, deviennent accessibles. On peut les évoquer ensemble quand on fait le point avec l’accompagné. Car celui-ci est co-responsable de ce qui se passe : les postures de l’accompagnateur et celles de l’accompagné se correspondent ou bien sont en conflit. C’est là que les processus – les freinages, blocages, accélérations et emballements se jouent.
24Pour des groupes d’accompagnateurs, clubs de business angels et autres personnes ressources pour les créateurs d’entreprise, voire pour des managers de recherche-développement, ce livre peut devenir un objet autour duquel ils se forment ensemble pour créer une culture partagée et une déontologie de l’accompagnement.
Notes
-
[1]
Paul M., L’accompagnement, une posture professionnelle spécifique, Paris, L’Harmattan, 2004.
-
[2]
Giust-Desprairies (Florence), L’imaginaire collectif, Paris, ÉRÈS, 2003.
-
[3]
Contrairement à la morale, sociale et convenue, l’éthique du sujet en situation rejette l’homme sur lui-même et les valeurs qu’il a faites siennes. Vial défend des positions libertaires proches de celles de Max Stirner.
-
[4]
Les principales sources de ce type d’entretien sont, pour les auteurs, l’entretien compréhensif (Jean-Claude Kaufmann), l’entretien clinique classique et l’entretien d’explicitation (Pierre Vermersch).