Points-clé
- En contexte d’accompagnement, les mentors poursuivent des objectifs d’influence implicites ou explicites sur leurs protégés et ils utilisent quatre stratégies de communication pour agir sur le projet d’affaires (persuasion et critique) et sur la posture entrepreneuriale (engagement et provocation).
- La persuasion conduit à des réactions de conformité et l’engagement à des réactions d’internalisation ; la critique et la provocation suscitent plus de résistance que les deux autres stratégies mais elles peuvent être utilisées avec succès lorsque le protégé est fortement impliqué dans le projet d’affaires et lorsqu’il a confiance dans son mentor.
- La stratégie d’engagement est déterminante pour préparer le lancement de l’entreprise et la provocation est très utile pour préparer à la levée de fonds.
1 Les professionnels de l’accompagnement ainsi que les mentors entrepreneurs sont confrontés à différentes situations et problématiques d’entreprise et à différentes personnalités d’entrepreneurs. Comment communiquer afin de maximiser les bénéfices de la relation d’accompagnement aussi bien pour les individus que pour leurs entreprises ? Cet article part du constat qu’en phase d’amorçage et de lancement d’une entreprise, les entrepreneurs sont souvent sous pression. Chahutés par des émotions positives et négatives, exposés à de nombreux enjeux qui demandent des décisions rapides, les entrepreneurs attendent de l’accompagnateur une aide à la décision (apporter des informations, des conseils pour pouvoir faire progresser le projet entrepreneurial), certes, mais aussi un guidage quant aux postures entrepreneuriales à adopter selon le contexte (rencontre avec des Business Angels, négociation d’un prêt bancaire, recrutement d’un salarié, etc.).
2 « Comment faire passer le message ? » est une question au cœur des préoccupations des accompagnateurs qui ont face à eux des personnes en pleine mutation. Il n’est pas question ici de dresser le profil des différents types ou rôles d’accompagnement ni même d’identifier les connaissances et compétences requises pour être performant dans ce métier. Cet article met en avant les stratégies de communication qui peuvent être adoptées par l’accompagnateur dans sa relation avec l’entrepreneur. Notre objectif est de permettre aux accompagnateurs d’identifier ces stratégies et de pouvoir adopter celle qui serait la plus efficace, selon la situation concrète d’accompagnement.
3 À partir d’une recherche empirique longitudinale effectuée dans le cadre de l’Incubateur d’une grande école de commerce parisienne, Radu Lefebvre et Redien-Collot [1] ont identité quatre stratégies de communication utilisées par des mentors en situation d’accompagnement entrepreneurial : la persuasion, l’engagement, la critique et la provocation. Ces stratégies ont à la fois des fondements théoriques en linguistique, psychologie sociale et sciences de la communication [2], et elles ont fait l’objet d’observations dans le cadre de l’incubateur étudié pendant une durée de cinq ans. La recherche empirique a été réalisée sur 50 dyades mentor-entrepreneur, avec une première phase de repérage des stratégies de communication et des contextes d’occurrence, suivie par une deuxième phase de mesure de l’impact des stratégies sur les entrepreneurs et leurs entreprises. Il s’agit de la première tentative d’étude des stratégies de communication et d’évaluation de leurs impacts dans un contexte de mentorat entrepreneurial.
Mentorat entrepreneurial et communication
4 Selon Kalbfleisch [3], « la communication est au cœur de l’initiation, du maintien et du développement des relations de mentorat ». Pourtant, on connaît peu les stratégies de communication que les mentors utilisent pour déclencher un changement chez les individus et leurs entreprises. Le mentorat peut être conceptualisé comme une « relation de communication » dyadique [4] consistant en « des comportements verbaux et non verbaux () destinés à fournir ou à demander de l’aide » [5]. Dans cette perspective, les mentors ont besoin d’ajuster en permanence leurs communications afin de répondre aux besoins des protégés, ce qui exige une véritable compréhension de leurs propres styles de communication et une volonté d’observer de manière fine le comportement du protégé. Plus qu’un simple échange d’informations, les relations de mentorat consistent donc en la rencontre entre deux individus réunis dans un engagement commun pour la réussite. Le mentorat entrepreneurial est conçu comme un déclencheur de réflexivité et de transformation identitaire chez le protégé à travers ce que l’on appelle la « réflexion dans l’action » [6], dans le cadre d’une relation dyadique où les mentors emploient différentes stratégies de communication pour influencer les protégés et leurs entreprises.
5 Les résultats du mentorat entrepreneurial diffèrent selon le contexte, la façon dont la relation a été engagée, ainsi que sa structure et son fonctionnement. Dans le monde économique, les relations de mentorat informel peuvent être initiées spontanément, avec des objectifs et des attentes mutuelles qui évoluent et s’adaptent au fil du temps aux besoins des mentors et des protégés. À l’opposé, le mentorat formel se déroule dans le cadre de dispositifs d’accompagnement privés ou publics est une relation structurée, organisée et planifiée par un troisième acteur institutionnel. L’incubateur que nous avons étudié définit ainsi des objectifs relationnels, sélectionne les candidats entrepreneurs et mentors, définit des critères d’admission, et prédéfinit des rôles et des responsabilités pour les deux protagonistes. Le contexte institutionnel tend à orienter la communication mentorale vers un objectif spécifique, dans notre cas il s’agit du lancement d’entreprise et de la levée de fonds.
Les objectifs de la communication mentorale
6 La communication dyadique entre un mentor et un protégé est une catégorie distincte de communication interpersonnelle qui concerne l’interaction entre deux individus en relation. La notion d’influence dyadique est utilisée pour décrire des situations où une personne avec un objectif d’influence emploie des stratégies « visant à modifier les cognitions et/ou les comportements » [7] d’un autre individu. Dans un contexte de mentorat entrepreneurial, les mentors visent tout d’abord à aider leurs protégés à élaborer un projet d’entreprise réalisable et viable, ce qui consiste à mettre le projet d’entreprise en adéquation avec les attentes et les pratiques du marché. Le deuxième objectif des mentors consiste à aider leurs protégés à démontrer que leur projet d’entreprise créera de la valeur pour les futurs clients, ce qui consiste à élaborer et à démontrer l’existence d’une différentiation du produit/service par rapport à l’offre existante déjà sur le marché.
7 Concrètement, les mentors effectuent des diagnostics et proposent des recommandations quant à la viabilité, la faisabilité et la création de valeur des nouvelles entreprises. Car le succès d’une entreprise va au-delà de son ajustement à l’environnement extérieur, la nouvelle structure doit également être en mesure de critiquer son environnement et de le transformer à son avantage [8]. Les deux objectifs complémentaires de la conformité du projet d’entreprise et de sa différenciation orientent donc le fonctionnement des dyades de mentorat entrepreneurial [9]?
Les stratégies de communication mentorale
8 St-Jean [10] a identifié neuf fonctions des mentors dans un contexte entrepreneurial : des fonctions psychologiques (réflecteur, sécurisation, motivation, confident), des fonctions liés à la carrière (intégration, soutien informationnel, confrontation, guide) et la fonction de modèle. Ces fonctions peuvent déclencher des interactions consensuelles ou bien conflictuelles. Chaque fonction peut être assumée à travers des actions de communication spécifiques, telles que la proposition de conseils et d’orientations dans les interactions consensuelles ou, à l’opposé, la formulation de critiques afin de provoquer la surprise ou pousser à agir dans le cadre d’interactions conflictuelles.
9 Fournir des conseils et des orientations renvoie à une stratégie de persuasion. L’intégration et la motivation sont les stratégies d’engagement classiques. Formuler des critiques, contester, provoquer des chocs et de la surprise consistent à aborder une stratégie de provocation visant à modifier la représentation de soi et de son projet. Les mentors font appel à ces stratégies selon le contexte d’accompagnement. Par exemple, au tout début de la relation mentorale, lorsqu’il s’agit d’aider les protégés à développer leur concept et leur modèle d’affaires, les mentors vont plutôt remplir les fonctions de support d’information, d’orientation et de rassurance que la fonction de confrontation. À l’opposé, vers la fin de la relation mentorale, lorsqu’il s’agit d’aider les protégés à préparer leur plan d’affaires et leur stratégie de levée de fonds, les mentors peuvent utiliser plus fréquemment la confrontation et la fonction de réflecteur. D’un point de vue communicationnel, l’emploi de la persuasion et de l’engagement favorise l’ajustement à l’environnement économique, culturel et social. À l’inverse, l’emploi de la critique et de la provocation permet aux mentors de remettre en question le projet d’entreprise et d’inviter le protégé à développer une offre originale. En somme, si les stratégies de persuasion et d’engagement peuvent être efficaces pour aider les protégés dans leur relation d’adaptation au marché, la critique et la provocation peuvent aider les protégés à renforcer leur motivation à agir d’une manière critique vis-à-vis du marché afin d’innover.
L’impact des stratégies de communication mentorale
10 Au niveau des entreprises des protégés, les recherches existantes indiquent que la relation mentorale peut renforcer sa croissance et son développement, augmenter le chiffre d’affaires et la rentabilité, ou encore améliorer la stratégie commerciale et la planification financière [11]?
11 Au niveau des protégés, les stratégies de communication dans les dyades peuvent provoquer de la conformité, de l’internalisation ou de la résistance [12]. Kelman [13] avait souligné que la conformité se produit quand un individu accepte de faire une action demandée sans pourtant modifier ses attitudes et ses croyances sous-jacentes ; alors que l’internalisation consiste à s’engager personnellement dans une action demandée, en raison d’un changement dans ses attitudes et ses croyances. Quant à la résistance, elle se produit quand un individu rejette une action demandée. Si la persuasion et l’engagement sont plutôt susceptibles de déclencher la conformité ou l’internalisation, la critique et la provocation risquent de déclencher une réaction de résistance chez les protégés. Toutefois, la critique et la provocation peuvent être employées au travers de tactiques discursives diverses, telles l’agression verbale, l’humour ou l’ironie, ce qui peut générer aussi bien des réactions positives ou négatives chez les protégés. Bien sûr, le niveau d’implication personnelle et la personnalité des protégés, de même que leur genre peuvent modérer l’impact des stratégies de communication des mentors. Une autre variable qui peut jouer un rôle important est la confiance interpersonnelle, car les individus sont susceptibles de fausser leurs attitudes et leurs comportements lors de l’interaction avec des gens dont ils se méfient.
Recherche empirique
12 Pendant cinq ans (2005-2010), nous avons effectué une recherche empirique dans le cadre d’un incubateur d’une grande école de commerce parisienne. Cinquante dyades ont été étudiées pour repérer les stratégies de communication employées par les mentors, leurs contextes d’occurrence et leurs impacts sur les protégés et le lancement de leur entreprise, ainsi que la levée de fonds.
Recueil et analyse des données
13 Nous avons mis en place un dispositif méthodologique qui articule des techniques qualitatives et quantitatives dans le cadre de deux phases de recherche. Dans un premier temps (2005-2008), nous avons effectué de l’observation participante de l’ensemble des dyades et dix entretiens semi-directifs afin d’identifier les stratégies de communication des mentors. Dans un deuxième temps (2008-2010), nous avons réalisé une enquête quantitative avec des questionnaires auto-administrés auprès des mentors et des protégés pour évaluer l’impact des stratégies de communication sur les protégés (conformité, internalisation, résistance) et leur entreprise (lancement de l’entreprise, levée de fonds). Cinquante dyades ont participé aux deux phases de recherche, ce qui représente un nombre total de 100 personnes, dont 35 femmes et 65 hommes. Les données d’observation ont été codées sur la base de la littérature académique consacrée aux tactiques d’influence afin d’aboutir à des classes de stratégies de communication. Les données de l’enquête ont été analysées avec le logiciel STATA.
Principaux résultats
14 Nous avons identifié quatre stratégies de communication utilisées par les mentors : la persuasion, l’engagement, la critique et la provocation, mobilisées afin d’améliorer la faisabilité, la viabilité et la création de valeur ajoutée des projets d’entreprise.
15 La persuasion est une stratégie de communication qui met l’accent sur la modification du projet d’entreprise de manière à renforcer son adéquation au marché et aux attentes des consommateurs, des partenaires et des investisseurs.
16 L’engagement est une stratégie de communication qui met l’accent sur le renforcement de l’investissement personnel de l’entrepreneur dans son projet d’entreprise et contribue à la construction de l’identité sociale de l’entrepreneur.
17 La critique est une stratégie de communication qui met l’accent sur l’identification et la mise en lumière des erreurs et des omissions du projet d’entreprise, tout en proposant des solutions pour y remédier.
18 La provocation est une stratégie de communication qui met l’accent sur la mise en question de l’entrepreneur quant à ses objectifs personnels et professionnels, ou à son image de soi.
19 La fréquence des stratégies de communication varie en fonction des situations d’accompagnement. La persuasion a surtout été employée lors des séances d’élaboration du modèle d’affaires et lors de la formation à la levée de fonds. L’engagement a été mobilisé lors des séances d’élaboration du concept d’affaires, dans les réunions de simulation de rencontres d’affaires, et lors de la préparation des plans d’affaires. La critique a principalement été utilisée lors de l’élaboration du modèle d’affaires et du plan d’affaires, ainsi que dans la formation à la levée de fonds. La provocation est intervenue notamment lors des simulations aux réunions d’affaires (voir Tableau 1).
Les stratégies de communication des mentors [14]

Les stratégies de communication des mentors [14]
20 En termes d’impact sur les protégés, la persuasion a généralement provoqué de la conformité, l’engagement a conduit à des réponses d’internalisation, alors que la critique et la provocation ont généré des résultats mitigés, car elles ont produit tout à la fois de la conformité, de l’engagement et de la résistance. De manière plus détaillée, la critique et la provocation ont suscité des réactions de conformité notamment lorsque le protégé avait une implication personnelle importante par rapport au projet d’affaires et une confiance élevée dans le mentor. Au contraire, lorsque le protégé avait un faible niveau d’implication personnelle et une confiance plutôt réduite dans le mentor, la critique et la provocation ont généralement conduit à des réactions de résistance. Les femmes ont réagi plus massivement par de la résistance face à la provocation par rapport aux protégés hommes. Quant aux impacts sur les entreprises, l’engagement a renforcé la performance des protégés en matière de lancement d’entreprise et la provocation a été très utile pour préparer les entrepreneurs à la levée de fonds.
21 En somme, la persuasion et l’engagement ont un impact positif sur les attitudes des protégés, la persuasion conduisant principalement à des réponses de conformité et l’engagement produisant des réponses d’internalisation. Les résultats indiquent que les mentors peuvent utiliser efficacement la critique et la provocation si le niveau de confiance dans le mentor est important et si l’implication personnelle du protégé est forte. Au niveau de l’entreprise, l’engagement est une stratégie utile pour préparer le lancement de l’entreprise, alors que la provocation est précieuse pour rendre le protégé plus performant lors de la levée de fonds.
Les implications pratiques
22 La situation d’accompagnement répond à de multiples enjeux relatifs notamment à la prise de décision entrepreneuriale et à la construction d’une identité et d’une posture entrepreneuriale. La relation de mentorat entrepreneurial se déroule dans le cas que nous avons étudié dans un contexte où les protégés ont comme objectif de lancer leur entreprise et de lever des fonds auprès de Business Angels. Ces entrepreneurs novices travaillent sous la pression des délais, ce qui produit chez eux des émotions intenses, aussi bien de stress que d’enthousiasme. Les mentors doivent faire face à la double pression des délais et aux changements émotionnels de leurs protégés afin d’accompagner efficacement à la fois le développement personnel des entrepreneurs novices et le développement des projets d’entreprise. Opter pour une stratégie de communication suppose de prendre en considération ces facteurs afin que le choix produise un résultat optimal.
23 Partons d’un grand classique afin de penser les implications pratiques de notre cas pour la relation d’accompagnement : la matrice d’Eisenhower, qui permet de classer les décisions à prendre en fonction de leur importance et de leur urgence. Sur cette matrice, nous pouvons ajouter les émotions de l’entrepreneur novice en situation d’accompagnement : positives ou négatives (voir Tableau 2). Ceci nous conduit à identifier dix-huit types de situations et, pour chacune, nous indiquons la stratégie de communication qui serait la plus efficace. Il faut également prendre en considération le fait qu’il est possible d’enchaîner des stratégies de communication afin d’atteindre son objectif d’accompagnement. Les enchaînements de deux stratégies de communication sont plutôt à mobiliser lorsque les émotions de l’entrepreneur novice sont négatives. L’enchaînement des stratégies de communication permettrait à l’accompagnateur de maintenir la relation tout en poursuivant son objectif d’accompagnement.
Choix des stratégies de communication selon l’urgence et l’importance de l’enjeu, et les émotions de l’entrepreneur novice

Choix des stratégies de communication selon l’urgence et l’importance de l’enjeu, et les émotions de l’entrepreneur novice
24 Par ailleurs, il faut également prendre en considération le travail de l’accompagnateur dans le réagencement de la matrice. En effet, il est courant que le problème à résoudre par l’entrepreneur novice soit mal classé par ce dernier (penser urgent un problème qui ne l’est pas et, à l’opposé, penser comme peu urgent un problème à résoudre très rapidement). Il faut alors utiliser des stratégies de communication adaptées afin de changer de registre (voir Tableau 3).
Choix des stratégies de communication en fonction du glissement du statut de l’enjeu

Choix des stratégies de communication en fonction du glissement du statut de l’enjeu
25 Plus le changement à opérer est important, plus la stratégie employée doit être celle fournissant des résultats rapides. Ainsi, nous avons par ordre d’importance : la provocation, la critique, la persuasion et l’engagement. Par exemple, pour tout changement devant amener vers une action répondant à un enjeu important et urgent, la provocation sera de rigueur. Comme souligné auparavant, une modération en fonction des émotions de l’entrepreneur novice peut être nécessaire.
26 1. Pour un entrepreneur qui entame un processus de levée de fonds nécessaire à court terme afin de pérenniser et de développer son activité, les stratégies de communication de type provocation et critique peuvent être employées en priorité.
27 2. Pour un entrepreneur qui est en train d’élaborer son modèle d’affaires et qui a connu des refus auprès d’organismes de soutien, les stratégies d’engagement seront plus efficaces afin de l’aider à renforcer son sentiment d’auto-efficacité. La persuasion permettra de l’amener vers une démarche active et d’écoute.
28 La complexité de l’accompagnement entrepreneurial ne relève pas tant de la technicité relative aux connaissances liées à l’entrepreneuriat (droit, fiscalité, comptabilité, etc.). Elle relève d’abord de la relation entre accompagnateur et entrepreneur, ou entre mentor et protégé. Afin d’obtenir des résultats efficaces en situation d’accompagnement, il faut, certes, maîtriser le contenu mais surtout le « contenant » de l’échange, à savoir les stratégies de communication, afin de pouvoir gagner en efficacité tout en préservant la relation. L’accompagnateur dispose d’un ensemble de stratégies de communication qu’il peut mobiliser en fonction de la situation. Les messages à délivrer peuvent ainsi être renforcés par la manière de les transmettre. Utiliser intuitivement toute la gamme des stratégies est plutôt rare. En général, on utilise deux des quatre stratégies (persuasion et engagement ou critique et provocation). Changer son registre est un travail contraignant mais qui peut offrir une réelle perspective d’amélioration professionnelle.
29 Il est également important de souligner ici que si en fonction des contextes certaines stratégies offrent de meilleurs résultats, il faut également prendre en compte qu’un choix erroné peut détériorer la relation et ceci de manière définitive. Par exemple, provoquer un entrepreneur qui est émotionnellement dans une situation fragile peut détruire la relation durablement. L’accompagnateur est, certes, un « bricoleur », mais rien ne l’empêche d’avoir une boîte à outils mieux remplie et rangée.
30 Ces stratégies de communication pourraient également être mises en application en salle de classe. Un cours sur l’effectuation ne comporte-t-il pas une part de provocation ou de critique ? Un cours sur le business plan ne fait-il pas appel à une certaine démarche d’engagement ou de persuasion ? Des recherches supplémentaires nous semblent nécessaires afin de mieux connaître les stratégies de communication mobilisées en situation d’accompagnement et de formation à l’entrepreneuriat et leurs impacts sur les cognitions, les émotions et les actions des entrepreneurs novices.
Notes
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[1]
Radu-Lefebvre, M. et Redien-Collot, R. (2013), « ‘How to Do Things with Words’: The Discursive Dimension of Experiential Learning in Entrepreneurial Mentoring Dyads », Journal of Small Business Management, Vol. 51, No. 3, p. 370-393. En ligne
-
[2]
Notre travail s’inscrit dans l’approche pragmatique de la communication interpersonnelle conceptualisée par Austin (Austin, J.L., How to Do Things With Words, Oxford, Oxford University Press, 1962) qui envisageait la communication comme une forme d’action sur autrui permettant d’accomplir certains objectifs comme par exemple le fait de convaincre, d’inspirer, ou d’alarmer. La psychologie sociale, la sociologie critique et les sciences du langage ont identifié quatre stratégies de communication permettant d’influencer un interlocuteur : la persuasion et l’engagement ont été théorisés par l’Ecole de Yale (Hovland, C., « Psychology of the communicative process », in Communications in Modern Society, Ed. W. Schramm, Urbana, University of Illinois Press, 1948, p. 59-65 ; Katz, E. & Lazarsfeld, P., Influence personnelle, Paris, Armand Colin, 2008) et en France par Joule et Beauvois (Joule, R.V. & Beauvois, J.-L., La soumission librement consentie, Paris, PUF, 1998) ; la communication critique a fait l’objet de plusieurs travaux de Habermas (Habermas, J., Théorie de l’agir communicationnel, Paris, PUF, 1987) ; la provocation avec ses deux formes majeures – l’ironie et l’humour a été étudiée notamment par Bakhtine (Bakhtine, M.M., The Dialogic Imagination, Austin, University of Texas Press, 1981), Ducrot et Carel (Ducrot, O. & Carel, M., Le problème du paradoxe dans une sémantique argumentative, Langue française, 1999, Vol. 123, No. 1, p. 6-26.) et Jankélévitch (Jankélévitch, V., L’ironie, Paris, Flammarion, 1964).
-
[3]
Kalbfleisch, P.J. (2002), « Communication in mentoring relationships: A theory for enactment », Communication Theory, Vol. 12, p. 63-69. [63] En ligne
-
[4]
Hill, S.E.K., Bahniuk, M H. & Dobos, J. (1989), « The impact of mentoring and collegial support on faculty success. An analysis of support behavior, information, adequacy, and communication apprehension », Communication Education, Vol. 38, p. 15-33. [15] En ligne
-
[5]
Burleson, B.R. & MacGeorge, E.L. (2002), « Communication Supportive communication », in Handbook of interpersonal communication, Eds. M.L. Knapp & J.A. Daly, Thousand Oaks, CA, Sage, p. 374-424. [384]
-
[6]
Schön, D. (1983), The Reflective Practitioner: How professionals think in action, London, Temple Smith.
-
[7]
Pitts, M.J. et Gilles, H. (2010), « Social psychology and personal relationships: accommodation and relational influence across time and contexts », in Ed. D.R. Matsumoto, APA Handbook of interpersonal communication, Washington, DC, APA, p. 3-16. [273]
-
[8]
Sarason, Y., Dean, T. et Dillard, J.F. (2006), « Entrepreneurship as the Nexus of Individual and Opportunity: A Structuration View », Journal of Business Venturing, Vol. 21, No. 3, p. 286-305. En ligne
-
[9]
Influencer quelqu’un pose des enjeux éthiques y compris dans la relation mentorale. Ceci suppose de la part du mentor une capacité à manier en connaissance de cause les différentes stratégies de communication dans le respect de la volonté et de la personne du protégé. Une conduite éthique dans la relation mentorale requiert ainsi de la part du mentor une rigueur constante quant aux limites qu’il doit se fixer par rapport à toute tentative de manipulation.
-
[10]
St-Jean, E. (2011), « Mentor functions for novice entrepreneurs », Academy of Entrepreneurship Journal, Vol. 17, No. 1, 65-84.
-
[11]
Voir Gravells, J. (2006), « Mentoring start-up entrepreneurs in the East Midlands – Troubleshooters and Trusted Friends », The International Journal of Mentoring and Coaching, Vol. 4, No. 2; Priyanto, S.H. & Sandjojo, I. (2005), « Relationship between entrepreneurial learning, entrepreneurial competencies and venture success: empirical study on SMEs », International Journal of Entrepreneurship and Innovation Management, Vol. 5, No. 5/6, p. 454-468. En ligne
-
[12]
Yukl, G. & Tracey, B. (1992), « Consequences of Influence Tactics used with Subordinates, Peers and the Boss », Journal of Applied psychology, Vol. 77, p. 525-535.
-
[13]
Kelman, H. (1958), « Compliance, identification, and internalization: Three processes of attitude change », Journal of Conflict Resolution, Vol. 1, p. 51-60. En ligne
-
[14]
Tableau repris et adapté de Radu-Lefebvre, M. & Redien-Collot, R. (2013), « How to Do Things with Words : The Discursive Dimension of Experiential Learning in Entrepreneurial Mentoring Dyads », Journal of Small Business Management, Vol. 51, No. 3, p. 370-393. En ligne