CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Les points forts

  • La création d’une entreprise technologique n’est pas une démarche linéaire, mais suit plutôt un processus tourbillonnaire et itératif.
  • La dynamique de construction du réseau social de l’entrepreneur joue un grand rôle dans la compréhension de ce processus.
  • À chaque type d’épreuve que rencontre l’entrepreneur correspond un type de réseau utile pour la surmonter.

1De par ses enjeux économiques et sociaux, la création d’entreprise technologique représente une priorité des pouvoirs publics. Elle constitue une source d’intérêt majeure qui s’inscrit au centre de la stratégie européenne de 2020 et qui vise à positionner les économies des pays membres de la Communauté parmi les plus compétitives au monde. Plus particulièrement en France, la création de ce type d’entreprises a bénéficié ces dernières années d’une attention soutenue de la part du gouvernement, des milieux universitaires et des organismes de soutien. On recense aujourd’hui toute une panoplie de programmes et de mesures en sa faveur (Loi de 1999 sur l’innovation et la recherche, Crédit Impôt Recherche (CIR), statuts de jeune entreprise innovante et universitaire, etc.)

2En dépit de toutes les mesures prises depuis 1999, nombreuses sont les entreprises qui n’arrivent pas à décoller ou à assurer leur survie pendant les premières années. L’échec et l’abandon du processus entrepreneurial peuvent trouver leurs origines dans de multiples difficultés et obstacles imprévus initialement par le porteur de projet. Ces obstacles vont consommer beaucoup plus de temps et de ressources que ce que l’entrepreneur a pu anticiper initialement dans son plan d’affaires. D’autre part, l’acquisition des ressources clés peut s’avérer beaucoup plus difficile, coûter plus cher et consommer plus de temps que prévu.

3La création d’une entreprise technologique ne suit pas un processus linéaire, il est plutôt tourbillonnaire et itératif. En passant par une série d’essais-erreurs, liés à la nature expérimentale de l’activité entrepreneuriale, le créateur est contraint de se confronter à un ensemble d’épreuves dont la nature change selon l’état d’avancement dans le processus.

4Afin de surmonter ces différents obstacles, l’entrepreneur naissant doit activer et/ou construire un réseau social qui facilite ou donne l’accès à des ressources vitales pour la survie et le développement de sa nouvelle entreprise. Les compétences de l’entrepreneur, et notamment ses compétences sociales, jouent ici un rôle déterminant dans la constitution de ce réseau et impactent directement le résultat final du processus entrepreneurial [1].

5De notre point de vue, mieux appréhender le rôle des compétences sociales de l’entrepreneur dans les dynamiques de constitution du réseau social et sa cristallisation autour du projet, doit pouvoir contribuer à une meilleure compréhension des dynamiques entrepreneuriales et améliorer du même coup les conditions de la réussite. En outre, le réseau social n’influence pas que le créateur, mais également la manière dont la nouvelle entreprise émerge, se développe et se maintient dans le temps.

6Partant de ces constats, cet article s’intéresse à l’étude de la dynamique de survie et développement du processus entrepreneurial [2]. Il vise, en particulier, à répondre à la question suivante : Quelles sont les compétences sociales nécessaires à la construction du réseau de l’entrepreneur naissant ? Pour y répondre, nous nous appuyons sur l’analyse longitudinale de six cas de création d’entreprise.

Construction de réseaux et compétences sociales

7En suivant l’évolution des interactions entre l’entrepreneur et les acteurs existants ou potentiels, il est possible d’identifier comment les compétences sociales sont activées et développées pour constituer les liens au sein d’un réseau entrepreneurial. Les compétences sociales sont définies comme la capacité individuelle à développer, maintenir et utiliser un capital social [3].

8Malgré une littérature abondante sur le réseau social de l’entrepreneur, on a recensé peu de travaux consacrés à l’étude de la dynamique de construction des liens sociaux pendant la phase ante création. Les résultats des rares travaux empiriques disponibles sur le sujet montrent l’importance de l’influence des compétences sociales sur la performance du processus entrepreneurial. Plus particulièrement, Hoehn-Weiss, Brush et Baron [4] confirment que ce type de compétences joue un rôle crucial pendant les premières phases du processus de création d’entreprise. Cependant, malgré leur impact sur la survie et le développement des projets entrepreneuriaux, peu de chercheurs se sont intéressés à l’étude du rôle que peuvent jouer ces compétences dans la dynamique de construction des liens sociaux au sein du réseau entrepreneurial.

Comment étudier la dynamique de construction de réseaux

9Dans cet article nous adoptons une approche par les réseaux sociaux centrée sur les compétences sociales de l’entrepreneur, afin d’étudier les dynamiques de survie - développement des projets de création d’entreprise technologique. Ainsi, de notre point de vue, étudier cette phase du processus entrepreneurial, revient à donner une description de la dynamique de construction d’un réseau émergent dans un contexte historique, culturel, social et matériel donné. L’émergence de ce réseau résulte d’une succession de défis et d’un mouvement de résistance face à une série de problèmes et d’obstacles. Une dynamique qui permet de connecter l’entrepreneur à un ensemble d’acteurs, grâce à une transformation sociale et matérielle du projet entrepreneurial.

10Par ailleurs, compte tenu du caractère technologique des projets de création d’entreprise étudiés, nous sommes persuadés que, dans une situation entrepreneuriale complexe, la dimension matérielle est très importante dans le mouvement de construction des liens au sein d’un réseau social [5]. En effet, des objets matériels tels qu’un prototype, un plan d’affaires, ou des présentations technologiques, jouent un rôle important d’intermédiation entre les membres du réseau. Cependant, malgré son importance cette dimension reste encore peu étudiée dans le contexte d’une création d’entreprise technologique. Dans ce travail, visant à étudier, pour mieux le comprendre, le processus de formation d’un réseau, nous accordons donc une place particulière à la dimension matérielle. Cela revient à dire que parallèlement à la prise en compte des compétences sociales, nous accordons une grande attention au rôle joué par des objets matériels dans la dynamique de construction de liens.

Un cadre théorique : la théorie de l’acteur-réseau

11De nombreux cadres théoriques permettent d’étudier les réseaux sociaux et leur formation. En ce qui nous concerne, nous avons privilégié la théorie de l’acteur-réseau [6], qui nous semble pertinente et bien adaptée à notre objet d’étude. Elle nous offre une grille conceptuelle qui nous permet une lecture dynamique de la construction du réseau à savoir, la chaîne de la traduction. Il s’agit d’une séquence d’étapes : d’identification, d’intéressement, de mobilisation et d’enrôlement d’acteurs, qui se conclut provisoirement par l’établissement d’un réseau stable qui, dans notre cas, aurait pour finalité de soutenir l’entrepreneur naissant dans ses activités entrepreneuriales. En outre, la mobilisation de cet outil permet de lire en même temps l’ensemble des mouvements de création et de disparition de liens sociaux réalisés à l’intérieur du réseau entrepreneurial ainsi que les différentes compétences sociales mobilisées par l’entrepreneur lors de ces mouvements. Enfin, cette théorie nous permet aussi de suivre le rôle des objets matériels grâce à l’application de son principe de symétrie généralisée qui supprime toute distinction entre les objets humains et non-humains dans les dynamiques de construction du réseau.

Six créations d’entreprise technologique à la loupe

12Nous avons mené une recherche qualitative longitudinale, sur une période de deux ans, entre mars 2008 et mars 2010. Chacun des cas qui nous ont intéressés porte sur la trajectoire d’un projet de création d’entreprise technologique ayant bénéficié d’un accompagnement au sein d’un incubateur français. Chacun des entrepreneurs a travaillé en collaboration avec un laboratoire de recherche publique identifié par l’incubation afin de l’aider dans le développement technologique de son projet.

Tableau 1

Description des projets étudiés

Tableau 1
Projet 1 2 3 4 5 6 Concept Concevoir, lancer et exploiter des femto satellites communicants en orbite. Développer un test rapide de dosage de la progestérone dans le lait. Concevoir, créer et exploiter une plateforme d’évaluation de perception implicite d’un nouveau produit. Utiliser les potentialités du poisson transgénique, dans le processus de développement des molécules candidats au médicament. Concevoir et développer un outil d’aide d’implantation des commerces Évaluation des zones de chalandise Fabrication et commercialisation d’olfactomètre : un instrument de mesures et de caractérisation de la capacité olfactive de l’Homme. Domaine d’activité Nanotechnologie de l’espace Biologie animale Psychologie cognitive Biologie médicale Logiciels d’aide à la décision Olfactif sensoriel

Description des projets étudiés

Les leçons retirées : le succès entrepreneurial est un processus de mise à l’épreuve

13En suivant les activités de l’ensemble des porteurs de projet, nous avons analysé les traces laissées par leurs trajectoires entrepreneuriales. Les résultats obtenus montrent, malgré l’hétérogénéité des profils individuels et des projets, l’existence de plusieurs similitudes entre les six processus entrepreneuriaux. L’analyse de ces résultats montre que le couple individu-projet est constamment mis à l’épreuve. Dès son engagement dans les premières activités entrepreneuriales, le porteur de projet se trouve confronté à des épreuves diverses et variées. Ces épreuves changent de nature et d’intensité en fonction de l’état d’avancement dans le processus entrepreneurial (Figure 1).

Figure 1

La création d’entreprise technologique : un processus de mise à l’épreuve

Figure 1

La création d’entreprise technologique : un processus de mise à l’épreuve

14En comparant l’ensemble des cas étudiés, nous avons observé que tout au long du processus, l’entrepreneur cherche à mettre en exergue des preuves de :

  • Admissibilité pour son projet et pour lui-même par les communautés, scientifiques, d’affaires et d’accompagnement ;
  • Validation technico-économique de l’innovation et du business model ;
  • Mise en application de l’innovation technologique sous la forme d’un prototype de produit finalisé et prêt à être commercialisé ;
  • Validation commerciale du nouveau produit et/ou service sur le marché.

Les dynamiques de construction de réseaux

15Pour pouvoir franchir les différentes épreuves, les résultats de nos analyses montrent que l’entrepreneur doit s’entourer à chaque fois d’un réseau spécifique, dont les origines sont déterminées par la nature de l’épreuve et des obstacles rencontrés. Chaque collectif d’acteurs apporte une valeur ajoutée spécifique au couple individu-projet, en intégrant des nouvelles ressources et des compétences externes pour surmonter les obstacles rencontrés.

Les épreuves entrepreneuriales

Entrepreneur 2 « Si on a un prototype qui fonctionne, on est solide. Si au contraire, on n’a pas la preuve d’une faisabilité technique, notamment en montrant un prototype, on est en position de faiblesse, face à nos interlocuteurs. »
Entrepreneur 4 « On a monté le projet et on l’a présenté à l’incubateur. Il a été accepté par le comité d’engagement et puis là on est sur la phase de relation avec l’université … Dans l’état actuel des choses, nous sommes dans une phase critique du projet qui intègre les relations entre le porteur de projet et l’infrastructure universitaire et les autres parties prenantes(…) Pendant les deux mois qui arrivent on est obligé de beaucoup travailler pour appréhender toutes les facettes du projet et le mettre vraiment sur des rails. Il faut donner un vrai coup de collier mais avec un point crucial, le prototypage. On est vraiment sur un nœud gordien, il faut absolument que cette technologie soit validée. »
Entrepreneur 5 « Pour moi il y a quatre phases dans tout ça : premièrement c’est la conception. Ensuite il y a une phase de transition, c’est la phase de validation technico-économique. Après il y a la phase de mise en application ou la phase de production et enfin, il y a la phase de la commercialisation. Voilà, pour moi c’est dans cet ordre que je vois les étapes de la création de mon entreprise. »

L’importance du réseau

Entrepreneur 1 « (…) Pour nous, des personnes qui partent de zéro au niveau contact, il est important de pouvoir avoir des contacts partout, de l’appui partout, pour pouvoir réussir… »
Entrepreneur 3 « Je n’ai pas de réseau qui me supporte (…) Je n’ai pas un carnet d’adresses, pas de connaissance que je peux appeler, qui pourrait être intéressée par ce que je fais (…). Le réseau c’est le point faible de mon projet qui a accéléré mon échec. »
Entrepreneur 5 « Je rame, je souffle dans les bois. En même temps j’essaye de tenir la barre … Psychologiquement, je me sens dans une traversée de désert, je suis seul dans ce que je suis en train de faire. La solitude, c’est ce que j’entends par une traversée de désert. »

Les obstacles sources d’échec et d’abandon

16Les obstacles que nous avons identifiés en analysant les différentes situations entrepreneuriales peuvent être résumés en trois points :

17Le couple individu-projet. Ces problèmes sont liés d’un côté à l’âge de l’entrepreneur, à son manque d’expérience et de légitimité et à l’absence d’une représentation juridique du créateur d’entreprise, et de l’autre côté à la nature même du projet : la technologie utilisée, la taille du projet et l’ambiguïté due à la nature et à l’intensité de l’innovation.

18L’activité entrepreneuriale. Un des principaux problèmes engendrés par l’activité entrepreneuriale est de nature technique. En effet, l’entrepreneur n’arrive pas à valider la technologie ou à la transformer en un produit/service commercialisable.

19La complexité du dispositif d’accompagnement. Cette complexité est due en premier lieu à la conception tripartite de l’incubation (incubateur- entrepreneur-laboratoire). Elle est intensifiée par la lenteur administrative, le manque de confiance entre l’entrepreneur et certains membres du laboratoire, la faiblesse de la culture entrepreneuriale dans la recherche publique, la perception décalée du temps entre le milieu universitaire et le créateur d’entreprise, ainsi que le désengagement prématuré de l’incubateur en aval du processus d’accompagnement, une fois l’entreprise créée.

Les problèmes rencontrés

Entrepreneur 2 : « En France, il existe un frein culturel. Les gens n’ont pas la culture de l’entreprise. J’ai trouvé des gens qui peuvent remplir un rôle dans le projet, je leur ai proposé une participation au capital mais ça ne les intéresse pas, ça ne les motive pas. Ils préfèrent un emploi stable. Ils n’ont pas cette mentalité entrepreneuriale, ils n’ont jamais été éduqués pour être entrepreneur (…). Le problème c’est que je travaille avec des chercheurs dans des laboratoires publics, je n’ai pas de levier, je n’ai pas de moyen de pression, je ne peux pas les obliger à avancer avec mon timing, c’est impossible »
Entrepreneur 3 « Les arguments avancés par les chercheurs opposés au projet sont les suivants : Les structures de recherche publique avec des fonds publics ne doivent pas aider des entreprises privées. L’argent du laboratoire, c’est pour faire progresser la recherche, point ! Et non pas pour valoriser et exploiter les résultats de ces recherches. Aujourd’hui, je vis une pression sociale de la part de mes collègues dans le laboratoire. Une pression sociale qui devient aujourd’hui une pression matérielle. »
Entrepreneur 4 « Ce sont deux mondes qui ont deux visions différentes. Quand on a besoin d’un coup de collier pendant la période de vacances, Il n’y a personne… ! Et quand est entrepreneur dans l’âme ou quand on ne compte ni ses heures ni ses efforts, on se trouve dans une situation de blocage. Après, il y a des moments où il faut gérer les priorités, mais on ne les gère pas de la même manière. Et je pense que je ne suis pas le seul dans cette situation (…). Il y a aussi le problème de brevetabilité, il existe un blocage au niveau du l’unité de valorisation de la recherche, par manque de temps, de disponibilité, en raison de la lenteur des démarches administratives (…). On est en phase de négociation avec l’université et comme c’est un laboratoire qui est multi-tutelle, c’est un petit peu compliqué. Il est à la fois sur la tutelle de l’université Claude Bernard Lyon1, de l’ENS, de l’INRA et du CNRS. Il ne manque que l’INSERM dans le panel ! »
Entrepreneur 5 « Simplement, dans le fonctionnement du dispositif d’accompagne- ment, il manque une instance juridique, un organe de contrôle pour s’assurer que le labo a effectué réellement ce qui était prévu dans la convention d’incubation (…). Il faut qu’il y ait une seule personne qui ait la responsabilité hiérarchique, sinon on sera en présence de plusieurs directeurs et institutions, ce qui va accentuer la complexité. C’est l’argent qui est en jeu dans ce jeu d’acteurs. Il faut que le porteur de projet coordonne ce collectif. Sinon, on perd beaucoup de temps et d’énergies (…). En ce qui me concerne, il s’agit du projet de ma vie. J’ai tout quitté, je n’ai pas de salaire et je me trouve à ne même pas pouvoir arbitrer les décisions ou diriger les équipes. Pendant l’incubation, il faut valoriser le rôle du porteur de projet, et il ne faut pas qu’il subisse l’emploi du temps universitaire et attendre le mois de mai pour avoir des stagiaires ou ne pas travailler pendant les vacances d’été. »
Entrepreneur 6 « Mais on perd énormément de temps. Au départ, tout est simple mais quand on veut le mettre en place, ça prend plus de temps que prévu, administratif, accord de partenariat, trouver avec qui travailler, développement technique, etc. Tout cela prend beaucoup de temps, et c’est difficile. (…). Je ne dénigre pas tout ce qui est recherche publique, mais malheureusement bien souvent les impératifs ne sont pas les mêmes, liés à des activités qui sont complétement différentes »
Entrepreneur (x) « … Le laboratoire m’a accueilli comme chercheur mais pas comme un entrepreneur. Au final, la moitié de l’enveloppe offerte par la région au laboratoire a été utilisée pour autre chose, pas pour le projet, mais je ne sais pas pourquoi ! »

20Sur l’ensemble des cas étudiés, nous avons constaté une cohérence générale au niveau de la classification, des origines et de la valeur ajoutée des réseaux correspondant à chaque épreuve. Les résultats montrent que les entrepreneurs ont mobilisé des acteurs appartenant à cinq catégories différentes.

Catégorie 1 : Le réseau de support

21Il désigne l’ensemble des acteurs qui soutiennent et accompagnent les projets de création d’entreprise. On y trouve par exemple, l’incubateur, le Réseau Entreprendre, la pépinière, des enseignants, le Conseil Régional et le Département.

Catégorie 2 : Le réseau amis-famille

22Il regroupe l’ensemble des contacts personnels en dehors des activités universitaires, tels que les frères, les sœurs, l’époux (se), les parents et les amis. En sociologie des réseaux ces liens sont dits « forts ».

Catégorie 3 : Le réseau universitaire-technologique

23Il s’agit des contacts au sein de l’université ou dans d’autres structures de recherche qui participent au projet par leurs compétences, savoirs ou savoirs faire scientifique. On peut y trouver par exemple : les enseignants, les chercheurs, les étudiants et les experts.

Catégorie 4 : Le réseau d’affaires

24Ce réseau contient tous les contacts qui sont en relation avec les activités de vente, d’achat, de production ou de sous-traitance.

Catégorie 5 : Le réseau financier

25Ce réseau contribue au financement des activités entrepreneuriales. On y trouve les banquiers, les Business Angels, les sociétés de capital-risque et OSEO.

Les compétences sociales de l’entrepreneur

26Afin de résoudre les problèmes et de surmonter les obstacles qui apparaissent tout au long du processus entrepreneurial, nos résultats montrent qu’à ce stade du processus, le projet de création d’entreprise fait appel surtout à des compétences sociales qui affectent directement la performance entrepreneuriale. Au terme de notre recherche, nous avons conclu que les projets qui ont réussi [7] sont les projets dont les porteurs présentaient des compétences sociales plus développées que celles de ceux qui ont échoué. Ils étaient plus efficaces dans leurs relations et leurs interactions avec les différents acteurs.

27Les principales compétences sociales identifiées grâce à cette étude et que nous qualifions comme facteurs de succès durant cette phase du processus sont :

  • L’adaptation sociale : la capacité de l’entrepreneur à s’adapter à la situation et aux changements
  • La narration : la façon dont l’entrepreneur exprime ses idées
  • Le décryptage de la perception d’autrui : l’habilité de l’entrepreneur à lire avec précision, les perceptions de ses interlocuteurs
  • L’audace sociale : la capacité d’aborder et d’interagir avec de parfaits inconnus
  • La force de persuasion : la capacité à changer les opinions des autres
  • L’intelligence sociale : la capacité de repérer les bons acteurs dont le projet a besoin. Identifier le moment opportun pour les intéresser
  • La résistance aux oppositions : la capacité de résister aux oppositions et aux comportements anti-projet
  • La capitalisation des liens positifs : entretien des liens qui supportent le projet

28Ces compétences interviennent à des moments différents tout au long du processus. Chaque épreuve qui se présente devant l’entrepreneur détermine la nature des compétences à mobiliser pour pouvoir créer, activer, renforcer voir rompre un lien existant.

L’importance des compétences sociales

Entrepreneur 1 : « Même si il y des individus qui nous prennent pour des plaisantins, (…), car lorsqu’ils nous voient, au niveau physique, on est le petit jeune qui est en face, qui ne respecte pas le code vestimentaire et ce n’est pas une personne expérimentée avec 20 ans de carrière habillée en costume-cravate ! Rien que ça nous pose énormément de problèmes. Mais après dans la discussion, au fil du temps, leur attitude évolue et leur opinion change petit à petit (…) et je pense que la possession de cette capacité de convaincre et de négocier est quelque chose de très important pour avancer (…). La deuxième condition pour réussir, c’est la connaissance et le décryptage de la perception du projet par nos interlocuteurs. Une capacité que je mets même devant la compétence technique. Quand j’avais dit que le domaine spatial est spécial, c’est vrai. Souvent dans ce domaine, une décision quelconque ne dépend pas de nous mais elle dépend de quelqu’un d’autre (…). Dans le sens où on fournit tous les dossiers nécessaires, on réunit toutes les conditions requises pour réaliser telle ou telle tâche et au final tout ça dépend souvent de quelqu’un qui est assis derrière un bureau quelque part. Plusieurs fois, nous avons entendu l’expression suivante : « la maison a ses habitudes », donc il faut savoir s’adapter. »
Entrepreneur 1 : « (…) Je n’ai pas de visibilité ! … J’ai un plan de développement que j’adapte en fonction de la situation. D’ailleurs, au moment où se présente un problème, tout ce qu’on avait prévu devient obsolète (…). Les deux premières compétences que j’ai citées (technique et sociale) dominent les autres, dans le sens que le management, le marketing, etc., c’est quelque chose qui s’apprend dans l’action, et souvent adaptée à la situation dans laquelle on se trouve. »
Entrepreneur 2 : « Tant qu’il n y a pas un lien de subordination avec les chercheurs universitaires, ils ne font rien. C’est très dur de faire bouger les gens alors qu’on n’est pas le patron (…). Faire travailler quelqu’un qui est sous ses ordres n’est pas une chose simple, le faire avec quelqu’un avec qui on n’a pas de lien hiérarchique, ce n’est pas évident. Donc, il faut les intéresser, les motiver, mais ce sont des chercheurs, qui sont très, très autonomes… Il faut avoir du poids, du temps, du pouvoir et de la patience pour les faire avancer à notre rythme. Pour moi, la condition de réussite c’est (…) pouvoir coordonner tous les gens pour que les chercheurs fassent bien leur travail. Avant, le chercheur travaille en étant un électron libre, maintenant, je souhaite qu’il coordonne et qu’il soit suivi régulièrement, en exigeant de lui un agenda (…). On est sur le même bateau, si chacun ne fait pas son travail avec professionnalisme, bien et à temps, le bateau va couler. L’effort du capitaine tout seul ne suffira pas, il faut coordonner tous les membres de l’équipage. »
Entrepreneur 2 : « Certains partenaires potentiels peuvent se sentir attaquer par un nouveau produit, ça va leur prendre des parts de marché. Là il faut faire attention, il ne faut pas aller contre eux parce qu’ils ne vont pas apprécier et ils casseront le produit. Il faut savoir s’adapter à eux et trouver comment les intéresser (…). Pour moi, Il y a le projet scientifique et il y a l’individu sur le projet. L’individu doit être tenace et coriace et il faut savoir gérer les relations avec la personne qui est en face, adapter le discours selon la situation, et pouvoir dire non, stop quand il le faut. Sinon (…) on risque de perdre le projet lui-même ! (…) Moi je n’abandonne rien du tout (…), il ne faut pas essayer de perdre de l’énergie avec les gens qui sont contre (…) Il vaut mieux renforcer les liens avec les gens qui sont pour qu’avec des gens qui sont contre et perdre du temps et de l’énergie pour des résultats très mauvais ou insignifiants »
Entrepreneur 5 : « Le fait de se lever le matin et d’aller frapper à une porte, ça demande une forme d’investissement, surtout quand on ne sait pas qui se trouve derrière la porte. Quand on arrive avec une idée ou un projet, c’est à ce moment-là qu’on a besoin d’une forme d’investissement en énergie et en endurance, physique, mais surtout psychologique. »

Le rôle de l’objet matériel dans le processus de formation du réseau

29Les résultats de l’étude des différents processus entrepreneuriaux montrent que les différentes activités entrepreneuriales que nous avons recensées ont donné naissance à des objets matériels, activés par l’entrepreneur pour recruter un nouvel acteur dans son réseau. Parmi ces objets, les entrepreneurs ont mobilisé principalement des démonstrateurs technologiques, des prototypes et des plans d’affaires.

30Par ailleurs, nous avons constaté aussi que l’objet matériel est omniprésent dans le processus de construction des liens. Il y joue un rôle central dans les interactions sociales entre l’entrepreneur et les acteurs présents au sein de son réseau. Ce rôle peut être décliné en trois fonctions majeures :

  1. La représentation de l’entrepreneur et de son projet vis-à-vis des interlocuteurs, lorsque le plan d’affaires, « porte-parole » de l’entrepreneur, exprime ses motivations ou traduit ses prévisions.
  2. La structuration du réseau social, en renforçant les liens entre les membres du réseau grâce à l’augmentation de la légitimité de l’entrepreneur et la confiance mutuelle entre lui et le réseau, transmise via un prototype fonctionnel.
  3. L’accélération dans le rythme de réalisation des activités entrepreneuriales qui est due à l’augmentation de la confiance en soi du porteur du projet mais aussi grâce à la motivation de ses partenaires quand ils sont rassurés en visualisant, par exemple une démonstration qui confirme la faisabilité technique du projet ou du produit à commercialiser.

31En outre, nous avons constaté chez les différents cas étudiés qu’à partir du moment où l’entrepreneur développe un objet technologique, un prototype par exemple, ou un objet informationnel comme une vidéo, cela génère une augmentation, d’une part, du nombre des acteurs mobilisés et d’autre part, de l’hétérogénéité des communautés auxquelles ils appartiennent. Cette augmentation a bien évidemment une incidence sur la quantité et la qualité des ressources et des compétences mobilisées et par conséquent sur le capital social de l’entrepreneur.

Le rôle de l’objet matériel

Entrepreneur 1 « Ce qu’on a remarqué ces deux derniers mois, quand on a sorti le ‘déployeur’, qui fonctionne déjà et qui est dans un stade très avancé avec un brevet déposé, c’est qu’ils nous voient différemment. On constate sur le terrain un changement d’attitude à tous les niveaux. (…) C’est surprenant ! Il n’y a pas de changement au niveau du projet, mais un changement de comportement qui s’explique par une simple petite vidéo qui montre un prototype qui marche, avec une mise en scène attrayante ! »
Entrepreneur 2 « Suite aux démonstrations technologiques qu’on a réalisées et qui ont prouvé le bon fonctionnement du prototype, les rapports avec les chercheurs ont évolué. Ils ont adopté un comportement différent qui a eu des conséquences positives sur la dynamique générale du projet. Moi j’ai plus de visibilité sur l’activité technique du laboratoire, j’ai plus de concret et eux de leur côté, ça les a motivés davantage à travailler sur le projet, (…) cela a changé la donne… »
Entrepreneur 4 « Tant qu’on n’a pas le démonstrateur, ça ne sert à rien d’aller rencontrer des représentants des réseaux. Il faut avoir quelque chose en main, si on n’a rien c’est du buzz et c’est du temps perdu. »

Un réseau spécifique à chaque type d’épreuve

32Si la recherche menée n’a concerné que six projets de création d’entreprise technologique, le suivi en temps réel de l’évolution des différentes trajectoires entrepreneuriales, nous a permis de partager avec le créateur d’entreprise la même perception du risque et de l’incertitude. Cela nous a offert une meilleure imprégnation de la situation entrepreneuriale et par conséquent, un contexte d’étude favorable pour mieux comprendre les dynamiques de constitution du réseau social de l’entrepreneur naissant.

33Dans cette recherche, nous avons remarqué que la concrétisation d’un projet de création d’entreprise technologique dépend de la capacité de l’entrepreneur à surmonter une série d’épreuves irréversibles, spécifiques à la situation dans laquelle il exerce ses activités. Pour franchir toutes les épreuves, l’entrepreneur doit savoir et pouvoir s’entourer d’un réseau spécifique à chaque type d’épreuves. Dans cette dynamique de constitution de réseau, la mobilisation des compétences sociales et l’activation des objets matériels jouent un rôle déterminant d’intermédiation et de création de liens.

tableau im3
Épreuve Réseau Compétences Objet Technique Admissibilité Réseau Technologique Narration Plan d’affaires Réseau de Support Audace Sociale Présentation Résistance aux oppositions Power Point Validation Réseau Technologique Audace Sociale Plan d’affaires Technico- Réseau de Support Décryptage de la perception Vidéos de économique Réseau d’affaires d’autrui démonstration Résistance aux oppositions Technologique Mise en Réseau de Support Force de persuasion Prototypes Application de Réseau d’affaires Décryptage de la perception Vidéos de l’innovation d’autrui démonstration Intelligence Sociale Adaptation sociale Technologique Validation Réseau d’affaires Force de persuasion Plan d’affaires commerciale Réseau de financement Capitalisation des liens positifs Prototypes Adaptation sociale

34Comme l’indique le tableau de la page précédente, la nature de l’épreuve et des problèmes rencontrés détermine quel type de compétence sociale intervient pour tisser un lien et quel objet matériel il faut activer pour intéresser tel ou tel acteur.

35Enfin, la mobilisation et l’adaptation des compétences sociales à la situation dans laquelle se trouvent l’entrepreneur et son projet, permettent de renforcer les chances de réussite du projet de création d’entreprise. En plus de leur rôle dans la constitution de réseau social, ces compétences alimentent aussi la résilience et la persistance de l’entrepreneur ainsi que sa capacité à résister face aux problèmes rencontrés qui peuvent engendrer l’échec ou l’abandon du processus entrepreneurial.

Notes

  • [1]
    Baron, R. A. & Markman, G. D (2003), Beyond Social Capital : the Role of Entrepreneurs’ Social Competence in their Financial Success. Journal of Business Venturing, 18, pp. 41–60.En ligne
  • [2]
    Fayolle A., (2007). Entrepreneurship and new value creation : the dynamic of the entrepreneurial process, Cambridge university press.En ligne
  • [3]
    Baron, R. A. & Markman, G. D (2003), Beyond Social Capital : the Role of Entrepreneurs’ Social Competence in their Financial Success. Journal of Business Venturing, 18, pp. 41–60.En ligne
  • [4]
    Hoehn-Weiss, M., Brush, C., & Baron, R. (2004). Putting your best foot forward ? Assessments of entrepreneurial social competence from two perspectives. Journal of Private Equity, 7(4), 17-26En ligne
  • [5]
    Nicolini, D. (2010) “Medical Innovation as a Process of translation : a case from the field of Telemedicine”. British Journal of Management, 21(4), pp. 1011-1026.En ligne
  • [6]
    Callon M. (1986). Éléments pour une sociologie de la traduction. L’Année sociologique, 36,169-210.
  • [7]
    Sur les six projets étudiés, trois ont donné naissance à une nouvelle entreprise et trois ont disparu avant la fin de notre étude.
Français

Le succès d’un projet entrepreneurial innovant dépend de la capacité de son porteur à pouvoir s’entourer d’acteurs détenteurs de ressources clés. Étudier les dynamiques de formation du réseau social du créateur d’entreprise doit pouvoir contribuer à une meilleure compréhension du processus entrepreneurial. Une étude longitudinale menée en France sur six projets de création d’entreprise technologique révèle que le réseau entrepreneurial émerge sur un fond de problèmes et d’obstacles. Dans ce contexte, les compétences sociales de l’entrepreneur et les objets matériels qu’il mobilise jouent un rôle important et complémentaire dans la dynamique de construction des liens sociaux.

Wahid Lamine
Wadid Lamine est professeur à Toulouse Business School et chercheur associé au centre de recherche en entrepreneuriat à EMLyon Business School. Ses travaux portent sur le processus entrepreneurial, l’entrepreneuriat technologique et le réseau social de l’entrepreneur naissant.
Alain Fayolle
Alain Fayolle est rédacteur en chef de la revue Entreprendre et Innover. Il est professeur à EM Lyon Business School et dirigeant élu de la division Entrepreneurship de l’Academy of Management.
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Mis en ligne sur Cairn.info le 30/04/2014
https://doi.org/10.3917/entin.020.0095
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