CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Les points forts

  • Les entreprises créées chaque année en France sont diverses. Seules un tiers sont des sociétés. Les autres sont des créations individuelles.
  • La motivation essentielle à se mettre à son compte est la volonté d’indépendance. Seule une infime minorité de nouveaux entrepreneurs aspirent à faire grandir une entreprise, innovante et de croissance.
  • Cette hétérogénéité rend difficile d’envisager la politique d’accompagnement ou d’appui à la création comme unique ou universelle.

1Le nombre de création d’entreprises a été multiplié par 2,5 en 20 ans. Cette évolution s’est faite en deux temps : tout d’abord entre 1993 et 2008, passant de 218 000 en moyenne annuelle en 1993-2003 à 324 400 en 2007-2008, puis dans un second temps du fait de l’auto-entrepreneuriat pour aboutir à environ 545 000 en 2011-2013 (après un bond à 622 000 en 2010). Si l’on exclut les auto-entrepreneurs, les autres créations sont de l’ordre de 250 000 ces trois dernières années, comme en 2003-2006.

2La connaissance suivie du flux des créations et celle des profils des créateurs sont relativement récentes (début des années 1990, avec notamment les enquêtes Sine de l’Insee, la dernière datant de 2010, source unique encore à ce jour pour bénéficier d’une vision globale). C’est de cette source dont sont issues les principales informations disponibles pour appréhender la diversité des créations et des créateurs. Les auto-entrepreneurs, du fait de l’inactivité de 40 % d’entre eux et du caractère secondaire de l’activité pour la majorité des autres, ne sont pas pris en compte ici, mais cette forme de création participe aussi largement de la diversité ; toutefois, peu de différences apparaissent quant aux profils avec les autres créateurs.

3Les entreprises créées sont diverses : aux côtés des créations par une personne physique (de l’ordre des 2/3), les autres sont constituées sous forme de sociétés (la majorité en SARL/EURL, forme bien adaptée pour protéger les biens ou constituer un capital de type familial/amical, mais moins adéquat pour constituer une équipe de direction). Parmi ces sociétés, on trouve aussi des filiales, des sociétés créées pour servir de support juridique à des rachats d’entreprise, qui s’inscrivent dans d’autres logiques que les créations « classiques ». Les reprises sont une autre forme de création ; dans ce domaine, des différences d’importance sont identifiées entre les reprises de PME, celles de commerces (avec pas de porte), celles de très petites entreprises artisanales, celles de professions libérales, moins reprises du fait de leur caractère intuitu personae.

4Rappelons aussi que les activités créées sont diverses (industrie, construction, commerce, services aux entreprises, aux particuliers) et requièrent des profils adaptés (pour ne citer qu’un exemple, les profils des nouveaux dirigeants de la construction vont grandement différer de ceux des professions libérales). Entre commerce, artisanat, professions libérales, entreprises de croissance… les cultures diffèrent nettement, les valeurs de l’entrepreneuriat reliant les plus ambitieuses d’entre elles. Et sans prétendre épuiser l’énumération de ces diversités, rappelons l’importance montante de l’économie sociale et solidaire, intégrant le monde associatif.

5Les créateurs eux-mêmes offrent des profils fort divers. Les femmes représentent 30 % des créations (depuis plus de 20 ans, mais elles ont plus que doublé en nombre). Si l’on crée surtout entre 30 et 50 ans (62 %), 18,5 % des créateurs ont moins de 30 ans et 20 % plus de 50 ans. Les motivations de ces créateurs vont partiellement différer : par exemple, des étudiants vont créer pour une durée limitée afin de trouver des revenus pour financer leurs études, des seniors vont quitter par lassitude leur entreprise pour « s’éclater » dans une activité qui les passionne, sans chercher d’abord un revenu conséquent. Les immigrés (8 % des créateurs, dont 4 % pour ceux qui ne sont pas citoyens de l’Union européenne), notamment pour les primo-arrivants, cherchent à s’intégrer par la création, souvent soutenus par une pratique d’activité à leur compte dans leur pays d’origine. On pourrait encore citer les personnes en situation de handicap et bien d’autres, manifestant que la création est ouverte très largement à tout public, que l’acte de créer repose sur une motivation, une façon de penser sa vie professionnelle et plus largement la façon de la mettre en œuvre avec ses contraintes et ses fiertés (près de 90 % des créateurs, toujours en activité trois ans après la création, le referaient)

Un rendez-vous régulier avec l’actualité de la création

Chaque numéro d’Entreprendre & Innover propose désormais à ses lecteurs une note d’analyse sur les questions d’actualité liées à l’innovation, à l’entrepreneuriat, aux problématiques d’accompagnement ou de financement, à travers les nombreux travaux et rapports, en particulier publics, publiés régulièrement sur ces questions.

6La création est aussi une opportunité, à la fois de repositionnement pour des demandeurs d’emploi (33 % dont 22 de courte durée), mais aussi la possibilité de mettre en œuvre un projet « qui trotte dans la tête » depuis longtemps. Les chefs d’entreprise qui créent à nouveau, population souvent oubliée, sont 23,5 % des créateurs ; les salariés qui se lancent sans passer par la case chômage sont 32 %. Autres éléments qui différencient et handicapent ou au contraire dopent le développement de la nouvelle entreprise, l’expérience antérieure (la moitié des nouveaux entrepreneurs sont d’anciens ouvriers ou employés, et moins de la moitié étaient cadre, agent de maîtrise ou technicien avant de se mettre à leur compte. Quelque 43 % des créateurs d’entreprise sont issus de l’enseignement supérieur, mais 18 % n’ont pas de diplôme du tout ou tout juste le CAP. Les expériences de vie, les atouts capitalisés ou les handicaps sont donc eux aussi fort divers au sein de ces nouveaux créateurs.

7Leurs motivations, en premier lieu l’indépendance (61 %), le fait de « ne pas avoir de patron sur le dos », les conduisent le plus souvent à choisir un mode de vie, celui de travailleur indépendant. Et pour une minorité, le développement de l’entreprise créée prime, alimentée par une ambition forte et déclinée précisément dès le démarrage. C’est là une des différences les plus marquantes, fort peu prise en compte par la réflexion académique empreinte des concepts de gestion, pensés pour répondre aux besoins des moyennes/grandes entreprises. Combien de « formations » universitaires ou de grandes écoles sont spécifiquement adaptées à la très petite entreprise dans ces différentes approches ?

8Les logiques à l’œuvre différent en effet grandement entre celui qui fonde son travail de non-salarié sur l’exercice d’un savoir-faire, acquis le plus souvent par la pratique d’un métier, peu au fait de ce qu’est le marché, la gestion d’une entreprise, le management de personnel, et dont l’objectif est d’en vivre (au risque d’une rémunération modeste, 16 % des patrons de TPE étant catégorisés comme pauvres économiquement) et celui qui s’inscrit dans le développement d’un support à développer, son entreprise. À ce niveau, il y a bien un tiers, l’entreprise, fusse-t-elle « l’enfant » de son dirigeant, structure qui a ses propres lois de développement, que le dirigeant doit intégrer pour prendre sa place dans la concurrence. À ce niveau, l’innovation, le leadership, le partenariat prennent tout leur sens et sont des leviers essentiels au développement. Pourtant ces créateurs sont très minoritaires : moins de 40 % des créations à cinq ans emploient un ou plusieurs salariés, 15 à 20 % se positionnent comme développeurs, moins de 5 % sont innovantes (au sens d’apporter une valeur ajoutée marquante sur le marché au regard de leurs concurrents).

9Valoriser des créations de développeur est sans doute l’un des défis amorcés par la formation à l’entrepreneuriat au sein des formations initiales, notamment de l’enseignement supérieur, mais aussi un pari d’importance posé aux structures d’appui appelées à bien plus se positionner, non seulement dans l’acte de démarrage d’une création nouvelle en vue de pérenniser, mais plus dans l’appui adapté au développement de ceux qui accepteraient de le tenter. Nombre de structures s’y impliquent déjà, mais elles sont trop peu nombreuses et peinent à trouver les financements, hors celles qui s’inscrivent dans des projets du type innovation, pôle de compétitivité… La diversité de ces créateurs a engendré une multiplicité de structures d’appui, spécialisées en direction de publics ou de besoins.

10La diversité des publics, celle de leurs motivations, celle de leurs cultures rendent difficile une action « généraliste », même si celles-ci sont possibles dans des champs identifiés (financement, hébergement, formation…), avec un nécessaire ciblage des populations pour adapter au mieux les appuis. Un des points majeurs qui émerge pour celui qui accompagne depuis longtemps, c’est ce projet de vie de défis, mais impliquant et « payant » que conduisent les créateurs quelles que soient leurs spécificités.

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La création d’entreprise offre une multiplicité de facettes, tant du fait des profils diversifiés des nouveaux chefs d’entreprise que de leurs motivations et ambitions, de leurs logiques d’action, de leurs cultures d’appartenance. Cette diversité est encore celles des formes et modalités de création. Elle conduit à des modalités d’appui multiples. Toutefois, un facteur est commun à tous, celui d’une forte implication synonyme de défis, mais aussi de fortes satisfactions. Plus qu’un statut, c’est un choix de vie, celui de non salarié.

André Letowski
André Letowski est expert, consultant et bénévole dans des conseils d’administration, des organisations en charge de la création d’entreprise et des TPE. Il a été pendant 18 ans le directeur de l’observatoire en charge des analyses et études à l’Agence Pour la Création d’Entreprises. Il est co-fondateur de l’Observatoire des Pratiques Pédagogiques en entrepreneuriat. Il est auteur de nombreux articles et d’une note mensuelle d’analyses (création d’entreprise, petite entreprise, entrepreneuriat).
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Mis en ligne sur Cairn.info le 30/04/2014
https://doi.org/10.3917/entin.020.0062
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