CAIRN.INFO : Matières à réflexion
L’étude d’une cinquantaine d’articles factuels parus sur le thème de l’innovation dans la presse des deux dernières années permet de dégager quelques tendances intéressantes.

1En 2010, la France compte 315.000 chercheurs ou ingénieurs de recherche, dont 136.500 dans le public. Le nombre de personnes employées dans la recherche est en hausse de 13 % depuis 2007. Les femmes en représentent 26 %, et sont plus présentes dans le public que dans les entreprises.

2Les 179.000 chercheurs en entreprise se concentrent sur quelques secteurs d’activité : l’informatique, l’industrie automobile, les activités spécialisées, scientifiques et techniques, et la construction aéronautique et spatiale.

3Dans les entreprises, 54 % des chercheurs viennent des écoles d’ingénieurs, alors que dans le public, plus de 80 % sont titulaires d’un doctorat.

4Parallèlement, il ressort qu’on parle très peu de l’innovation des entreprises de moins de 10 salariés. Les enquêtes Eurostat et celles du ministère de l’industrie n’interrogent qu’à partir de 10 salariés ; seuls OSEO (gérant le Concours national d’aide à la création d’entreprises de technologies innovantes), l’ISM et quelque peu l’APCE (à partir de l’enquête SINE de l’INSEE) traitent des créations d’entreprise et des TPE. Et selon OSEO, en 2010, les entreprises de moins de 3 ans représentent un cinquième des sociétés engagées dans un processus innovant.

Un financement principalement public

5Les articles recensés parlent beaucoup des financements publics et de leur impact, que ce soit dans une approche globale (financement d’État, ou des collectivités locales), ou selon les types d’appui apportés (pôle de compétitivité, Crédit Impôt Recherche, Jeunes Entreprises Innovantes, aides d’OSEO…)

6Le dernier rapport de la Cour des Comptes constate une participation faible (au regard des autres pays) du secteur privé dans le domaine de la R&D, alors que les financements publics évoluent plutôt favorablement. Le rapport conclut que la France a tendance à exporter sa R&D plus qu’elle ne l’utilise pour produire et exporter des biens et services. Les évaluations des actions financées par les pouvoirs publics sont plutôt positives quant à l’impact en termes d’emplois et de produits/services nouveaux, même si l’on observe des redondances. Le récent rapport sur les aides aux entreprises envisage des économies conséquentes sans proposer de réduire les aides à l’innovation.

Le profil des entreprises innovantes

7Un quart des articles s’interroge sur le profil des entreprises innovantes et sur leurs dirigeants. Ils mettent en lumière le lien entre l’innovation, les marchés et l’export. Que nous enseignent brièvement les plus récentes enquêtes ? La dernière enquête de l’Union européenne « Community Innovation Survey », datant de 2010, estime que la moitié des entreprises de plus de 10 salariés sont innovantes : 38 % en termes de produits/services nouveaux (dont 24 % de produits/services nouveaux sur le marché), 40 % en termes d’innovation procédés, mais 48 % en termes d’innovation marketing et 71 % en termes d’organisation ; 31 % seulement parlent d’innovation technologique. Tous les secteurs d’activité participent à l’innovation.

8En ce qui concerne les créations d’entreprises, la dernière enquête SINE 2010 (créateurs non auto-entrepreneurs par l’INSEE), fait le constat que 36 % se qualifient d’innovants en matière de produits/services nouveaux, 16 % en organisation, 14 % en innovation marketing et 10 % en procédé.

9Ceci étant, le questionnement (enquête quantitative), demanderait à ce que les résultats soient précisés par un travail qualitatif, la perception de l’innovation variant beaucoup selon l’entreprise interrogée (taille, activité, localisation…).

10Les innovations, aux dires de répondants, sont donc bien plus présentes dans l’organisation et le marketing, voire les procédés et les produits nouveaux, mais modérément le fait d’une innovation technologique. La proximité est assez grande en ce qui concerne les moins de 50 salariés (les 10 à 19 salariés comme les 20 à 49 salariés), alors que le décalage est bien plus grand pour les tailles supérieures. Les différences les plus fortes entre les plus petites tailles et les plus importantes se localisent dans l’innovation produit (notamment produits nouveaux sur le marché), et les innovations technologiques et procédés. Pourtant le pourcentage de chiffre d’affaires réalisé avec les produits innovants demeure modeste, même pour les plus grandes tailles. Les sociétés appartenant à un groupe ou à un réseau d’enseignes sont plus innovantes, quelque soit la taille.

11En création d’entreprise, selon l’enquête SINE, l’importance des innovants varie assez peu selon les caractéristiques des dirigeants : l’âge avec un décrochage pour les plus de 50 ans, le niveau de formation avec plus d’innovants chez les plus diplômés, mais l’écart est modeste (32 % d’innovant en produit nouveau pour les niveaux « au plus BEPC » contre 37 % pour ceux issus de l’enseignement supérieur) ; Le sexe et la situation antérieure à la création ont une faible incidence.

La qualité, et surtout celle des hommes

12Dernière brève analyse proposée, celle conduite par l’IFOP en 2012 pour l’Ecole de Management de Grenoble auprès de 400 dirigeants. Les chefs d’entreprise considèrent la qualité comme leur principale préoccupation (8,5/10), avant la productivité, synonyme de rentabilité (7,8/10), et l’innovation (6,8/10).

13Seules 30 % des structures interrogées disposent d’un ou plusieurs salariés dont les missions portent sur l’innovation, avec toutefois des différences selon les secteurs d’activité (39 % dans les services, 36 % dans l’industrie contre 10 % dans le BTP), selon la localisation (46 % en région parisienne contre 25 en province) et la taille d’entreprise (25 % des moins de 50 salariés contre 72 % dans les plus de 250 salariés).

14Les principaux facteurs de réussite sont liés au capital humain de l’entreprise : implication du personnel et culture interne, capacité de décision stratégique, qualité du pilotage du processus d’innovation et en dernier lieu, recrutement de nouvelles compétences (notamment à l’international).

15Pour ces dirigeants, l’innovation a d’abord conduit à la création de nouveaux produits/services, au développement de nouveaux marchés et de nouveaux clients, puis à la production de nouvelles connaissance, et la transformation interne des pratiques et des comportements en termes de management, à la mise en œuvre de nouveaux processus, mais nettement moins à la capacité d’introduire une rupture sur les marchés de l’entreprise voire la création de métiers nouveaux.

16Pour 84 % des dirigeants, l’innovation contribue de façon importante à la compétitivité de l’entreprise (de façon très importante 40 %), un gain qui concerne l’ensemble des maillons de l’entreprise (qualité globale des produits /services, image et visibilité de l’entreprise, réactivité et délais, productivité et réduction des coûts de production). Toutefois, seulement 40 % disposent d’un système de suivi et d’évaluation des actions d’innovation. Les entreprises les plus organisées sont celles des services en B to B (49 %), les très grandes entreprises (57 %), les entreprises dont la part du chiffre d’affaires consacrée à l’innovation excède 5 % (56 %), ainsi que les entreprises qui ont créé au moins un poste dédié à l’innovation (61 %). L’évaluation de l’efficacité des systèmes d’évaluation mis en place se révèle positive ; le système y est perçu par les collaborateurs comme une incitation à l’innovation (85 %) ; il est jugé efficace pour orienter, piloter et améliorer l’innovation (82 %) ; d’une manière générale, il est considéré comme satisfaisant (81 %), permettant d’avoir une vue d’ensemble sur toutes les activités de l’innovation de l’entreprise.

17Enfin pour favoriser l’innovation, les chefs d’entreprises attendent avant tout des responsables des ressources humaines qu’ils favorisent le développement des compétences des collaborateurs par la formation et qu’ils veillent à la diversité des profils en termes de formation et d’expérience.

Pour conclure

18L’étude internationale du cabinet de conseil Accenture pour l’Alliance Summit 2013 « Entrepreneurial Innovation : how to unleash a key source of growth and jobs in the G20 countries », souligne que les dirigeants d’entreprise français se disent davantage convaincus de l’importance stratégique de l’innovation, mais ont moins recours que les autres au partenariat (avec la recherche ou d’autres entreprises), et participent moins à des clusters ; ils croient moins aux politiques gouvernementales et aux apports d’immigrés de haut niveau ; moins que les autres, ils recherchent dans l‘innovation technologique une amélioration de leurs coûts et de leur management, focalisant davantage sur la mise en œuvre de produits nouveaux et l’accès à des marchés « globaux ».

André Letowski
André Letowski est impliqué dans l’univers des petites entreprises et de l’entrepreneuriat depuis les années 70, il est l’un des meilleurs experts français du domaine. Sa préoccupation principale a toujours été de comprendre les dirigeants, leurs logiques d’action, les spécificités de gestion des TPE et d’influer sur les politiques mises en place. Son parcours l’a conduit, entre autres, à initier le service études et statistiques de l’Agence pour la Création d’Entreprises et à participer au Conseil d’Administration de l’Académie de l’Entrepreneuriat.
Mis en ligne sur Cairn.info le 19/09/2013
https://doi.org/10.3917/entin.018.0068
Pour citer cet article
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