1Plus que jamais l’innovation est un impératif pour les organisations confrontées à une évolution rapide de leur environnement dont elles doivent, autant que possible, rester maître. Améliorer les produits et services existants – innovation continue – ne suffit pas sur le long terme. Ce qu’il faut, c’est créer de nouveaux marchés : proposer des ruptures.
2Ce dossier spécial consacré à l’innovation de rupture nous rappelle que ce concept transparaît à toutes les époques et dans toutes les industries, mais qu’il reste complexe à appréhender. À ce titre, Guillaume Villon de Benveniste, en s’appuyant sur différents exemples historiques, montre que ce concept n’est pas une mode managériale, mais devrait être au cœur des préoccupations des décideurs économiques, et aussi politiques. C’est surtout vrai s’il doit prendre une ampleur inconnue jusqu’alors, comme le suggère le livre « Makers » de Chris Anderson, que Jean-Jacques Degroof a lu pour nous, et qui décrit la révolution en cours autour de l’impression 3D et des nouvelles approches de fabrication, à la source d’une renaissance industrielle aux États-Unis.
3L’innovation de rupture peut émerger dans des industries aussi diverses que l’industrie horlogère (comme l’explique Taktak Kellel dans l’article consacré à la start-up Suisse Custime où elle décrit les difficultés de l’exercice), l’industrie chimique (où, dans l’article consacré au chimiste Solvay, coécrit par Anne-Charlotte Teglborg, Maria Bonnafous-Boucher, Renaud Redien-Collot et Céline Viala, elle est initiée par les salariés), l’industrie culturelle (comme l’illustre Elen Riot dans son article consacré à l’édition à l’heure du livre numérique), ou encore la production d’énergie, ainsi que nous l’expliquent Christine Leboulanger et Françoise Perdrieu-Maudière dans l’article consacré aux smart-grids (réseau électrique intelligent). Elle concerne les produits, mais aussi les processus et modes de fonctionnement. L’article sur l’internationalisation de la R&D de Christine Bénard montre comment les entreprises françaises repensent leur approche de l’innovation dans un contexte de globalisation.
4En plus d’être un phénomène susceptible de surgir dans n’importe quelle industrie et à n’importe quel moment, l’innovation de rupture s’avère difficile à gérer pour les entreprises qui y sont confrontées, car elle va à l’encontre de leur modèle d’affaires historique. Cette démonstration a fait le succès des travaux du chercheur Clayton Christensen, référence désormais incontournable de la question et auxquels font allusion plusieurs des articles de ce numéro. Philippe Silberzahn nous explique ainsi dans son article pourquoi gérer l’innovation de rupture peut s’avérer contre-intuitif pour les dirigeants d’une entreprise. Il n’y a toutefois aucune fatalité en la matière : Paul Millier nous propose une interprétation optimiste en affirmant dans son article que « oui, on peut gérer l’innovation de rupture » et en nous proposant une approche au moyen d’un « toolkit », développé sur la base de sa longue expérience auprès d’industriels.
5Frédéric Fréry nous propose enfin de prendre du recul par rapport aux travaux de Clayton Christensen. Au contraire de Philippe Silberzahn, il regrette la généralisation par Christensen de sa théorie du modèle d’affaires et explique pourquoi. En explorant ensuite ce qu’il a qualifié d’« innovation éternellement émergente » – ces innovations a priori évidentes comme la voiture électrique qui peinent, voire échouent, à s’imposer –, il nous invite à envisager l’innovation de rupture autrement, remettant notamment en question la théorie « océan bleu » dont il montre les limites.