From Science to Business. How firms create value by partnering with universities. Georges Haour et Laurent Mieville, Palgrave Macmillan, 2011

1Deux idées directrices sont à l’origine du livre From Science to Business, de Georges Haour et Laurent Mieville (voir encadré). D’une part, le monde doit impérativement innover s’il veut résoudre les crises de l’énergie, de l’alimentation, de l’eau et du climat et de produire des biens et des services durables. D’autre part, l’émergence de la Chine et de l’Inde va changer la géographie de l’innovation.
2L’époque est passée où les entreprises ne comptaient que sur leurs propres forces pour innover. Aujourd’hui, le monde est devenu si complexe et global et les cycles technologiques sont si rapides que les entreprises doivent établir des partenariats. L’objet de ce livre est d’examiner l’un de ces partenariats : celui que doivent nouer les entreprises avec les universités [1] et les centres publics de recherche. Il s’agit pour elles de trouver des modes de collaboration efficients pour innover.
3Les auteurs se penchent successivement sur les divers modes de collaboration industrie – université. Ils commencent par examiner le cas des recherches conjointes. Ils décrivent les étapes typiques de l’établissement d’un programme de recherches conjointes et attirent l’attention des institutions académiques et des entreprises sur les pièges à éviter. Haour et Miéville mettent les entreprises en garde contre le fait de sous-estimer le temps et l’énergie nécessaire pour mettre en place une telle collaboration. Ils soulignent aussi des sources de malentendus. Par exemple, ils recommandent aux universitaires de ne pas surévaluer la valeur de leurs recherches pour les entreprises comme ils ont tendance à le faire. En réalité, celles-ci sont à la recherche d’un avantage compétitif dont l’aspect scientifique n’est qu’un élément et représente davantage un moyen qu’une fin.
Encadré
4La moyenne internationale des recherches universitaires financées par l’industrie est de 6 % de leurs ressources totales. En France, elle est de 3 % dans les universités et de 6 % dans les Grandes Écoles. Les champions au niveau international en termes de transfert de technologie des universités aux entreprises sont actuellement les Suisses et les Finlandais. Certains pays d’Asie comme la Chine et Singapour s’équipent activement pour devenir des leaders dans ce domaine.
5Les firmes et les universités qui envisagent de se lancer dans ce type de collaboration trouveront dans le livre une bonne introduction ainsi que des conseils utiles. Les auteurs renvoient à des sources d’information électronique intéressantes pour le lecteur professionnel.
6Après avoir examiné les collaborations entre une entreprise et une université, les auteurs abordent les programmes européens qui réunissent plusieurs universités et plusieurs entreprises, les collaborations avec un consortium d’universités, les partenariats à long terme. Ils touchent à la question de la localisation des entités de partenariat, que les multinationales envisagent de plus en plus au niveau global comme l’atteste le Philips Innovation Campus à Bangalore ou les entités de R&D que Nokia a installées à proximité des universités de Cambridge, de l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL), de MIT et Stanford, ainsi que de l’Université de Tsinghua en Chine. Les auteurs mentionnent également les « embedded laboratories » ou des groupes de R&D d’entreprises opèrent au sein d’un laboratoire universitaire. Enfin, ils abordent la pratique du « secondment » qui permet au salarié d’une firme de travailler dans un laboratoire d’université pendant plusieurs mois.
7Haour et Miéville abordent ensuite le transfert de technologie des universités aux entreprises par la vente de licences. Il s’agit là d’une activité qui demande plus de compétences distinctes de la part des universités et d’infrastructures que l’organisation de recherches collaboratives. Les auteurs soulignent que les universités doivent se garder de voir dans la vente de licence un pactole potentiel, car au niveau international seules dix pour cent des universités gagnent assez de revenus par la vente de licence pour couvrir les frais de leur département de transfert de technologie. Les licences vendues par les universités couvrent généralement des technologies émergentes, dont la valeur est plus faible que les licences vendues par les entreprises portant sur des technologies plus mûres. Le livre souligne que la vente de licence représente les modes de transfert de technologie contractuels entre l’industrie et l’université le plus formel (« arm’s-length ») et qu’il est plus adapté aux universités spécialisées en recherche fondamentale. Selon les auteurs, une université qui souhaite vendre des licences à des entreprises doit remplir les conditions suivantes. Elle doit être engagée dans des recherches qui se prêtent à être brevetées et qui s’appliquent à de nouveaux usages commerciaux. Elle doit être équipée pour déposer des brevets, ou sous-traiter cela à une firme spécialisée, et elle doit être prête à faire face au coût que cela entraîne. Le département en charge des licences (« licensing office ») doit avoir une orientation marché et cultiver de nombreux contacts avec l’industrie. Il doit être capable de négocier des accords de licence et démontrer la flexibilité nécessaire pour nouer des accords. Il doit avoir accès aux investisseurs et cultiver des relations avec la communauté financière.
8Cela met la barre fort haut pour la plupart des universités, en particulier si elles ne sont pas basées dans une région dynamique en termes de commercialisation de recherche académique. La clé n’est pas de déposer un maximum de brevets, mais d’obtenir des brevets qui contribuent à créer ou renforcer des positions commerciales dans des marchés. Les auteurs décrivent comme un modèle la façon dont l’Université de Stanford gèrent son activité de dépôt de brevets et de vente de licences. Notons que le département de transfert de technologie de cette université comprend une trentaine de personnes, ce qui atteste de l’importance des moyens à mettre en œuvre pour réussir cette activité. Ils touchent aussi dans ce chapitre aux « non-practicing entities » (NPE), ces agrégateurs de brevets qui n’exploitent pas leurs brevets à des fins industrielles mais qui les utilisent pour exiger de l’argent des entreprises qui utilisent des technologies empiétant sur leurs brevets. Les auteurs présentent ensuite brièvement les cas de certains pays du point de vue de la vente de licences par les universités : Les États-Unis, le Japon, l’Allemagne, la Chine. Enfin, ils soulignent que les universités devraient concevoir la vente de licence plus comme un moyen de disséminer leur recherche qu’en termes financiers.
La difficulté de l’essaimage par spin offs
9Le livre aborde ensuite l’essaimage de spin-offs comme mode de transfert de technologie et comme moyen pour les entreprises de valoriser des innovations initiées dans les universités. D’emblée il souligne que c’est un mode de commercialisation difficile. D’abord parce qu’en soit faire prospérer une jeune entreprise est un défi compliqué. Ensuite, parce que les universités sont en général mal équipées pour conduire ce type de processus. Selon les auteurs, l’essaimage par spin-offs devrait être un second choix pour la plupart des universités, après la vente de licences à des entreprises établies, car il demande une connaissance du marché et des affaires, ce qui manque typiquement aux universités.
10Alternativement, les auteurs recommandent que les universités sous-traitent l’essaimage de spin-offs à une structure extérieure qui dispose de ces compétences, comme c’est le cas des universités de Cambridge, d’Oxford et Imperial College, avec respectivement Cambridge Enterprise, Isis et Imperial Innovations. Le livre présente brièvement ces exemples et aborde aussi superficiellement les cas du Royaume-Uni, de l’université de Tokyo, les parcs scientifiques en Chine et le cas d’Israël. Ce chapitre n’aborde le sujet que de manière superficielle, anecdotique et déstructurée. Les auteurs communiquent cependant un message fort, mais qu’ils ne développent pas assez. Ils recommandent que les spin-offs ne soient pas constituées sous forme de société trop prématurément. Ils suggèrent de consacrer plus de capitaux d’amorçage (« seed money ») à la validation de projets. Ils rappellent que le critère ne devrait pas être le nombre de spin-offs créent, mais les emplois crées par des spin-offs qui croissent.
11Les auteurs poursuivent avec un chapitre consacré aux PME et à leurs relations avec les universités. Le thème est inévitablement traité superficiellement, car il couvre les cas de l’union Européenne, de l’Allemagne, de la Belgique, de la Finlande, de la Chine, de la Corée et de Taïwan. Il passe malheureusement rapidement sur le fameux programme SBIR (« Small Business Innovation Research program ») des États-Unis qui est souvent considéré comme un modèle.
12Le livre poursuit sur les meilleures partiques en matière de partenariats entreprises – universités. Malheureusement, le lecteur reste sur sa faim. Les auteurs recyclent certaines idées présentées antérieurement, étoffent le chapitre avec des informations marginales par rapport au thème et, finalement, n’offrent pas tellement de « best practices ». Enfin il se clôt sur un chapitre prospectif. On ne retrouve presque pas dans le livre les deux sujets qui sont présentés en ouverture comme les grands thèmes à l’origine de l’ouvrage comme l’impératif d’innover pour résoudre les grands défis de l’Humanité. La nouvelle géographie de l’innovation est un peu plus présente, mais ses implications peu traitées
13Un argument intéressant et peu commun qui revient à quelques reprises dans le livre est la faiblesse des collaborations industrie – université dans les domaines non techniques. Les auteurs soulignent avec raison que l’avenir des entreprises dépend de plus en plus de l’évolution de tendances sociales et de l’invention de modèles d’affaires innovants. Des collaborations avec des départements de sciences sociales pourraient aider les entreprises à capter ces évolutions sociales, par exemple, par des études anthropologiques, un peu comme le font certaines entreprises de mode ou du monde des médias.
14Les auteurs citent le cas d’Ikea, qui a largement bâti son succès sur la disposition qu’ont les gens à acheter des meubles moins chers, mais à les assembler eux-mêmes. Les auteurs estiment qu’un tel modèle aurait pu être identifié par des sociologues ou des anthropologues. Ils remarquent avec justesse que les écoles de management participent rarement aux recherches jointes entre des entreprises et des universités, de même que ces écoles sont rarement impliquées dans la commercialisation par création de spin-offs. De même les Professeurs et les chercheurs des écoles de management réalisent peu de recherches les firmes entrepreneuriales et les PME. Ils ont tendance à se focaliser sur les grandes entreprises établies.
15En fin de compte, « From Science to Business » déçoit dans son ensemble, les auteurs semblant avoir pris l’option de couvrir un champ très large, prenant le risque de la superficialité. Cette faiblesse en fait par contre un bon livre de référence à partir duquel explorer plus en détail tel ou tel aspect, pour des lecteurs qui ne connaissent pas du tout le domaine ou qui veulent un aperçu d’expériences étrangères. Ils y trouveront une introduction compacte au sujet, notamment parce qu’il regorge de références intéressantes.
Notes
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[1]
Le terme université est utilisé dans ce document dans son sens générique d’institution d’enseignement et de recherche supérieure et non dans celui généralement donné en France.