CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Les points forts

  • L’effet du capital-risque sur la croissance et la performance des entreprises qu’il finance est réel et constaté.
  • Néanmoins, le marché européen est fragmenté, peu internationalisé et peu « liquide », ce qui nuit à son efficacité.
  • Le rapport VICO révèle d’importants effets de « feedback » entre le développement d’un entrepreneuriat de haute technologie et une industrie efficiente de capital-risque.

1L’ambitieux projet de recherche « Financing Entrepreneurial Ventures in Europe. Impact on Innovation, Employment Growth, and Competitiveness » (VICO), commandité par la Commission Européenne, avait pour objectif d’évaluer l’impact du financement par le capital-risque (venture capital et private equity) sur la performance économique des entreprises innovantes européennes. [1] Il a été rendu public à l’été 2011.

2Le rapport « Venture Capital - Policy Lessons from the VICO Project », décrit les résultats de la recherche et formule des recommandations intéressantes pour les gouvernements et pour l’ensemble des parties prenantes.

3Certaines observations confirment des constatations déjà connues sur le capital-risque européen. [2] Elles sont énumérées ci-dessous.

  1. L’étude confirme que globalement le capital-risque exerce un effet fortement positif sur les firmes dans lesquels il investit. Et ce en termes de croissance, de productivité, d’innovation et de performance dans ces firmes.
  2. Une particularité notable du capital-risque européen est son caractère fragmenté, entre les fonds de capital-risque privés (55 %), les entités de capital-risque publiques (19 %) [3], les structures issues des banques (15 %) et celles liées à des entreprises établies (« corporate venture capital »). En Europe, le capital-risque public et celui originaire de banques est plus important qu’ailleurs. C’est particulièrement vrai en France.
  3. Le capital-risque européen reste aussi très fragmenté localement. Alors que durant la dernière décennie, plus d’un tiers du capital-risque mondial a concerné des transactions transfrontalières, l’internationalisation du capital-risque européen accuse un retard par rapport à cette tendance. Il reste encore très national et même régional.
  4. Il manque toujours cruellement en Europe des marchés financiers liquides permettant d’introduire en bourse de jeunes sociétés, ou de vendre les participations de fonds de capital-risque à de grandes entreprises.
  5. Les fonds de capital-risque privés et publics présentent des caractéristiques différentes. Les entités de capital-risque publiques se focalisent sur des investissements plus locaux dans des entreprises plus petites et plus jeunes que la moyenne, ayant des cycles de développement plus longs. Leurs investissements sont concentrés dans le secteur de la biotechnologie. Ils participent rarement à des tours de table où plusieurs firmes de capital-risque investissent en commun dans une entreprise. Ces donnés confirment que les investisseurs en capital-risque publics font face au défi le plus difficile, puisqu’ils tentent de compenser l’imperfection majeure du marché, à savoir le manque de capitaux aux stades les plus précoces du développement des entreprises. Mais les fonds de capital-risque publics sont-ils capables de recruter du personnel de qualité et de leur fournir les mécanismes d’intéressement adéquats pour mener à bien cette mission difficile ? La réponse semble négative. Les sociétés privées sont, quant à elles, spécialisées en capital-développement et investissent dans des firmes relativement plus anciennes et plus grandes. Une question est donc de savoir comment motiver les capital-risqueurs privés à investir dans des phases plus précoces du lancement des entreprises et / ou comment faire collaborer les fonds privés et publics de capital-risque, puisqu’ils présentent une certaine complémentarité.

Aider les jeunes entreprises à séduire les investisseurs

4Le rapport VICO présente également des résultats moins connus mais très intéressants.

5L’effet extrêmement positif du capital-risque sur les entreprises qu’elles supportent, mentionné ci-dessus, doit être nuancé en fonction du type de fonds de capital-risque. L’effet positif des sociétés privées de capital-risque est clair en termes de croissance des ventes et d’efficience dans l’utilisation des ressources. Les firmes de capital-risque public n’ont pas un effet statistiquement positif sur la croissance des entreprises dans lesquelles elles investissent, sauf pour celles qui sont à un stade précoce. Ceci tend à confirmer l’intérêt qui existe pour les sociétés de capital-risque publiques à se concentrer sur les premières phases de développement des entreprises, lorsque celles-ci ont le plus de mal à trouver des sources de financements.

6L’étude montre aussi que les firmes de capital-risque privées ont un effet plus important et positif que les entités publiques de capital-risque en termes de professionnalisation du management et du conseil d’administration. De même, elles sont plus attentives à chercher une formule de sortie, c’est-à-dire de vente ou d’introduction en bourse. Il est intéressant de noter que les structures de capital-risque affiliées à une université ont un impact négligeable sur les entreprises dans lesquelles elles investissent, quel que soit leur stade de développement. Ceci suscite naturellement des questions sur l’opportunité de création de nombreux fonds issus d’universités au cours des dix dernières années. Ces fonds souffrent probablement de problèmes de management et d’un manque de taille critique, ainsi que d’un « deal flow » de projet entrepreneuriaux insuffisant en quantité et en qualité.

7Les fonds de capital-risque privés ont un impact supérieur sur leurs entreprises en termes d’innovation que les fonds gouvernementaux et les syndicats de fonds de capital-risque dépassent de ce point de vue les fonds privés individuels. Notons que les syndicats hétérogènes, composés de fonds privés et public, sont les plus performants, si on les compare à des syndicats uniquement composés de fonds privés et de fonds publics.

8L’expérience des managers du fonds de capital-risque a un effet positif réel en termes de croissance de l’emploi et des actifs totaux de l’entreprise. En termes de politiques, les responsables devraient donc moins se focaliser sur le montant de capital-risque mis à la disposition du marché, que sur la façon de fournir des moyens à des acteurs expérimentés et démontrant historiquement d’excellentes performances passées.

9Les fonds de capital-risque les plus performants en termes de croissance de leurs entreprises sont ceux qui combinent des acteurs locaux et des fonds internationaux. Une explication est que les fonds domestiques offrent un conseil de proximité à leurs entreprises, tandis que les fonds internationaux fournissent les expertises nécessaires à l’internationalisation. Cela plaide en faveur de politiques favorisant les investissements transnationaux en Europe et avec des investisseurs américains.

10Le montant total investi par les firmes de capital-risque européennes en 2009 et 2010 a été, selon « l’European Venture Capital Association » (EVCA), de 3 à 4 milliards d’euros, soit à peu près la moitié du niveau d’avant la crise. Le nombre d’investissements a aussi décliné de manière importante. Les auteurs de l’étude ont comparé les effets de la crise sur les entreprises ayant bénéficié de capital-risque et sur celles n’ayant pas levé de fonds. Les entreprises financées par du capital-risque ont mieux réussi en terme de ventes et d’emploi que les autres. Le capital-risque a donc aidé les entreprises qu’il soutient à supporter la crise économique en leur fournissant les ressources et les compétences pour réajuster leurs offres.

11Comme mentionné ci-dessus, la sortie des investisseurs est problématique. Quelles sont les caractéristiques des sociétés qui furent introduites en bourse ? Il s’agit de sociétés qui ont assuré leur démarrage par autofinancement (« bootstraping ») et qui ont levé du capital-risque plus tard que la moyenne. Les auteurs en concluent qu’il est donc important de disposer de programmes de « coaching » des jeunes entreprises dans leur phase précoce, pour les aider à tester leurs marchés et leurs technologies en vue de les préparer à lever du capital-risque. Ils citent des programmes « d’accélérateurs » comme Seedcamp, Springboard, Startup Weekend, etc.. Ceux-ci permettent aux entrepreneurs d’explorer plus en profondeur leurs opportunités, de réduire les incertitudes et donc d’augmenter les chances d’attirer des investisseurs ayant un bon « track-record ».

12L’étude rapporte que l’existence de capital-risque à des conditions correctes semble motiver les créateurs d’entreprises à adopter une orientation favorable à la croissance de leur firme. Ce résultat indiquerait que la disponibilité de capital-risque aurait un impact positif sur l’émergence d’entreprises de type « gazelles », c’est-à-dire cherchant à croître rapidement. Ceci est clé, car une grande proportion des entreprises européennes émergentes, notamment de technologie, manque d’ambition.

13Les pays dotés d’une législation forte protégeant la propriété intellectuelle connaissent davantage d’entrepreneuriat visant une croissance élevée. Ceci est logique puisqu’un des critères de base de sélection des fonds de capital-risque est la solidité de la protection intellectuelle.

14Le niveau d’investissements en capital-risque dans un pays donné est positivement corrélé avec les dépenses en recherche et développement (R&D) et négativement corrélé avec le taux de chômage. Il est également négativement corrélé avec la rigidité du marché du travail. Ceci semble cohérent, car plus une entreprise a du mal à adapter ses structures aux conditions de marché, plus ses chances de survies diminuent dans un cycle économique baissier.

Quelques recommandations en termes de politiques

15Les auteurs du rapport Vico tirent de leurs observations des recommandations en termes de politiques.

16Le rapport met en évidence d’importants effets de « feedback » entre le développement d’un secteur dynamique d’entrepreneuriat de haute technologie et une industrie efficiente de capital-risque. De ce fait, il recommande que les politiques publiques adoptent une vue systémique afin de soutenir des conditions contextuelles favorables à l’entrepreneuriat technologique et au CR.

17Le rapport recommande, comme bien d’autres avant lui, d’adapter le système éducatif et la culture européenne en faveur de la prise de risque entrepreneuriale et de l’innovation. Une réforme de l’éducation dans ce sens est probablement une bonne manière de commencer à influencer la culture.

18Les auteurs suggèrent aussi l’adoption d’incitations fiscaux et réglementaires encourageant les investissements transnationaux. Ceci semble en effet une bonne façon de surmonter la fragmentation du marché européen du CR et son manque de concurrence.

19Les politiques publiques devraient également favoriser la création de marchés « d’exit » liquides pour les fonds de capital-risque et des incitations pour les particuliers (« business angels ») les incitant à investir dans des sociétés privées non-cotées. Les auteurs soulignent avec raison que ces facteurs de liquidité ne contribuent pas seulement à permettre aux fonds de capital-risque de réaliser leurs investissements et de fournir un résultat financier positif à leurs investisseurs. Ils permettent aussi aux sociétés de capital-risque de lever de nouveaux fonds et donc de réinvestir dans de nouveaux projets. Des marchés financiers efficients et liquides sont donc un élément clé du « cercle vertueux » du capital-risque. L’étude VICO a déterminé que les fonds de capital-risque situé dans des pays ayant des bourses efficientes peuvent lever des capitaux à des conditions plus favorables que ceux de pays ayant des bourses moins actives.

20Enfin, le rapport souligne l’importance de la coordination des politiques à un niveau élevé. Il distingue les politiques visant à stimuler la demande de capital-risque et celles visant à stimuler l’offre.

21Côté demande, le rapport rappelle que les supports régionaux et nationaux aux jeunes entreprises de croissance ont montré leurs inefficiences et recommande de fournir des aides au niveau européen et, c’est important, sur une base compétitive (comme le programme SBIR aux États?Unis).

22Les politiques publiques devraient encourager la R&D dans les secteurs privés et publics, puisque le niveau d’investissements en capital-risque dans un pays est positivement corrélé avec les dépenses en R&D. Cette recommandation revient sans cesse depuis vingt ans. Pourtant, l’Europe investit malheureusement toujours moins que les États-Unis, le Japon et la Chine en R&D.

23Les auteurs conseillent aussi de soutenir les services de support à l’entrepreneuriat, comme des incubateurs. Ils soulignent toutefois l’importance que ces structures de service soient dirigées par des gestionnaires expérimentés, qui peuvent aider les jeunes entreprises à atteindre un stade qui les rend attrayantes pour les fonds de capital-risque. On sait en effet que trop souvent ces incubateurs offrent seulement des bâtiments mis à disposition des entrepreneurs, mais peu d’expertise en entrepreneuriat de croissance.

24Côté offre de capital-risque, le rapport suggère les mesures suivantes :

  • instituer des mesures incitant les sociétés de capital-risque privées à investir dans des entreprises jeunes et petites, afin de stimuler la prise de risque par des investisseurs expérimentés. Ces incitations peuvent être de nature fiscale et elles peuvent se concrétiser par des mécanismes favorisant le co-investissement avec des entités publiques. Ceux-ci investissent en effet fréquemment dans des projets qui sont à des phases précoces, mais disposent, par contre, de moins de personnel qualifié et expérimenté. Il convient de veiller à ce que les sociétés de capital-risque privé investissent des capitaux-propres. Dans ces co-investissements privé – public, il convient aussi que les firmes privées jouent le rôle d’investisseur principal (« lead investor ») qui soit en charge de la sélection des projets entrepreneuriaux et du « coaching », afin de supporter les entreprises financées avec un management suffisamment expérimenté. Le rapport ne dit malheureusement pas pourquoi il y a actuellement si peu de partenariats public – privé ou quels sont les obstacles à surmonter.
  • prendre des mesures favorisant l’entrée dans le marché de firmes de capital-risque expérimentées, notamment internationale, à travers les allocations de capitaux de fonds de fonds de capital-risque publics. Le but est d’augmenter la concurrence au sein du secteur du capital-risque en Europe et ainsi de diminuer le coût de financement des projets entrepreneuriaux.
Il ne faut pas s’attendre à ce que le capital-risque public produise des rendements aussi élevés que le capital-risque privé, étant donné que le capital-risque public poursuit généralement des objectifs plus larges que le rendement financier pur, qui incluent des buts sociaux. Si les entités de capital-risque public avaient des objectifs en termes de rendement similaires à ceux du secteur privé, elles risqueraient de chasser (« crowd out ») les firmes du secteur privé et elles seraient moins susceptibles de compenser les imperfections de marché telles que le manque d’investissement privé aux stades précoces des projets entrepreneuriaux.

25Le rapport Vico vient donc à point nommé, alors que nos responsables politiques cherchent des solutions pour sortir de la crise. Il leur en présente une qui ne semble présenter que des avantages, sans requérir trop de ressources pour être mise en place. En effet, le capital-risque bien conçu est un puissant moteur de croissance économique et de création de richesse, comme l’atteste l’exemple des États-Unis. Il est positivement corrélé avec d’autres bonnes pratiques économiques : un système d’éducation performant, l’investissement dans la R&D et la flexibilité du marché du travail.

26Il est cependant regrettable que plusieurs des recommandations proposées dans ce rapport ressemblent à des incantations, tant elles ont déjà été prônées depuis vingt ans, sans beaucoup de résultat. Le groupe d’auteurs à l’origine du rapport a cependant le mérite de les rappeler.

27La complémentarité, soulignée par les auteurs, entre les secteurs privés et publics dans le domaine du capital-risque semble féconde. Les fonds publics ont le mérite d’investir dans des projets entrepreneuriaux très jeunes, apportant ainsi une solution à une inefficience du marché financier. Mais leurs équipes sont moins expérimentées. Le secteur privé apporte une valeur ajoutée dans les cycles d’expansion des entreprises, qui manque au secteur public. Comme le suggère le rapport, des syndicats d’investisseurs privés – publics et locaux – internationaux représenteraient certainement un pas dans la bonne direction.

28Les auteurs insistent sur la nécessité de soumettre à plus de concurrence le capital-risque lui-même et plusieurs mécanismes de support au capital-risque, comme les octrois d’aides publiques. Ils mettent également l’accent sur les aspects qualitatifs des politiques proposées, notamment sur le fait donner priorité aux spécialistes de capital-risque les plus expérimentés. Pendant trop longtemps, la quantité de capital-risque a prévalu sur la qualité dans certaines politiques.

Notes

Français

Résumé

En Europe, le capital-risque se déploie au niveau régional, national et transnational. Il associe acteurs privés et publics, dans un dosage variable selon les pays. Les auteurs du rapport « Venture Capital - Policy Lessons from the VICO Project » font le point sur son efficacité et fournissent des pistes aux responsables économiques pour rendre le capital-risque plus efficient.

Jean-Jacques Degroof
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Mis en ligne sur Cairn.info le 01/02/2013
https://doi.org/10.3917/entin.016.0046
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