CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Pouvez-vous nous expliquer en quelques mots la genèse de Transeo et ses spécificités ?

2Pour vous parler de la genèse de Transeo, je dois d’abord évoquer celle de la Sowacess. La Sowaccess est une plateforme active sur le territoire wallon, qui facilite la rencontre des acquéreurs et des cédants – plateforme indépendante et financièrement neutre puisque que nous n’avons d’intérêt direct ni d’un côté ni de l’autre. Pour lancer Sowaccess nous avions choisi de collaborer avec une société privée active aux Pays-Bas (quand même le leader sur le marché hollandais) parce qu’ils avaient développé une approche que nous plaisait beaucoup. Une approche assez pragmatique, « d’active matching », à savoir qui faisait de la recherche de contreparties de façon assez active. Ils travaillent avec un système expert multicritères. Les critères sont donnés par les acquéreurs et par les cédants. Le système expert de chaînage avant et de chaînage arrière permet d’aller soit vers les acquéreurs soit vers les cédants et d’identifier assez rapidement les affinités. C’est qui nous a plu. Nous avons donc très rapidement, via une licence, collaboré avec eux, ce qui nous a permis d’être opérationnels très rapidement, puisque nous avions un logiciel qui fonctionnait et avait fait ses preuves, avec une méthode qui nous séduisait. Nous avons donc lancé la Sowaccess en Juin 2006, la plateforme n’étant véritablement opérationnelle que depuis 2007.

3C’est à partir de la Sowaccess, de ce partenaire hollandais et du CRA (Cédants et repreneurs d’Affaires, émanation du MEDEF, qui reprend, au niveau de chaque département, la gestion d’une base de données qui couvre toute la France) que nous avons décidé de créer Transéo. Tous les trois avions une approche très pragmatique. En Novembre 2008, nous avons signé un accord de collaboration pour couvrir les Pays Bas, la Belgique et la France.

4Pour la Sowaccess, quand vous dites « Belgique », vous voulez dire Belgique ou Wallonie ?

5C’était Belgique avec la seule précision qu’au niveau Bruxellois et Flamand, c’est notre partenaire hollandais qui a pris la main puisque Sowaccess est une institution publique wallonne qui n’avait pas pour vocation à sortir des frontières de la Wallonie.

6Suite aux premiers échanges, nous avons pris conscience de la valeur ajoutée des partenariats internationaux – nous avons beaucoup échangé sur les outils mis en place pour sensibiliser les cédants et les repreneurs à l’importance d’être bien préparé et accompagné. Par exemple, les Français avaient mis en place un diagnostic du repreneur qui est apparu comme un outil très utile. Nous l’avons donc importé en y apportant certaines adaptations. Ils avaient aussi mis en place des clubs de repreneurs, que nous avons développés dans le cadre du plan Marshall? [3]. Ce club permet à une dizaine de personnes de briser la solitude à laquelle il faut souvent faire face dans leurs démarches, d’avoir un coach qui va les accompagner sur les différentes étapes et différentes matières à bien appréhender avant de reprendre une entreprise (problématiques financières et même de gestion, tant au niveau privé que professionnel).

7Pour ce qui nous concerne, nous avons « cédé » à Transéo notre autodiagnostic du cédant que nous avions développé en collaboration avec le Professeur Van Caillie de l’Université de Liège. Nos partenaires hollandais avaient développé une brochure de sensibilisation qui permettait de toucher les cédants, en leur expliquant de manière très pragmatique tout ce que cela impliquait. Cette brochure a été traduite et un peu accommodée de manière à la faire correspondre à la culture de notre pays. Elle a été diffusée à plus de 1000 entrepreneurs. On s’est donc, tout naturellement, rendu compte qu’il y avait une valeur ajoutée à aller chercher au travers de la collaboration et qu’il ne fallait pas s’arrêter là.

8En 2009, nous avons organisé un Forum (Transeo) pour y convier les différents experts actifs dans la transmission d’entreprise. Nous avons accueilli plus de 200 personnes, à Spa près de Liège, dont 100 venaient de l’étranger. C’est le succès de cet événement qui nous a conforté dans l’importance de mettre en place un réseau européen des professionnels de la transmission issu des milieux privé, public et académique. Cela n’existe pas aujourd’hui, il y a donc un vide à combler.

9Nos forces et axes d’action sont d’une part la sensibilisation avec une approche pratique au travers d’une « boîte à outils » (échange de bonnes pratiques) et d’autre part les plateformes : nous voyons le potentiel de l’émergence d’une plateforme unique, voire d’un portail, qui pourra réunir plusieurs plateformes de mise en relation.

10Aujourd’hui, la plateforme est-elle une plateforme commune ou trois plateformes différentes ?

11Ce sont trois plateformes différentes mais reliées : France-Belgique-Pays Bas. Un acquéreur Wallon qui cherche une cible aux Pays Bas n’a pas besoin d’aller aux Pays-Bas. Nous faisons le travail pour lui. Nous avons, par exemple, travaillé il n’y a pas longtemps pour un acquéreur italien qui est venu chez nous et nous lui avons proposé une entreprise à Lille donc hors du territoire. Notre objectif à terme est une plateforme unique au niveau européen ou bien des plateformes interconnectées. L’obstacle le plus important est constitué par les différences de méthodologies de travail. Certaines plateformes fonctionnent sans aucune démarche personnalisée (les acheteurs regardent ce qu’il y a « sans filtre », ni travail qualitatif ou « active matching ». Chez nous, on met le minimum sur la plateforme et on analyse et traite toute l’information de manière à faire perdre le moins de temps aux cédants et aux acquéreurs. Il s’agit aussi de faire en sorte que les gens qui ne veulent pas se rencontrer, ne se rencontrent pas. Il s’agit donc d’une approche plus discrète, plus qualitative, qui nécessite de bien connaître les subtilités des dossiers. Nous avons, par exemple, eut le cas d’un cédant qui est venu nous voir pour vendre sa société (personne de chez lui n’était au courant). Pour lui, pas question que qui que se soit ne soit au courant. Il ne voulait correspondre que via son mail privé et demandait à pouvoir dresser une « short list » après avoir réceptionné les profils des acquéreurs potentiels identifiés par nos soins. La gestion de ce type de situation est particulièrement délicate dans la prospection dans la zone géographique de l’entreprise. Il faut rester très évasif.

12Parfois les plateformes qui veulent travailler avec nous n’ont pas cette approche, ce qui rend les choses plus compliquées. Au niveau des cibles également, les différences peuvent être importantes. Nous avons choisi le scope des PME. Pour les grandes entreprises, on peut jouer un petit rôle mais ce n’est clairement pas notre métier, même si nous avons de plus en plus d’acquéreurs stratégiques de grande envergure avec des mises de départ non négligeables. Par ailleurs la transmission des micro-entreprises ou des commerces n’est pas vraiment notre cible. Récemment, le gouvernement wallon nous a demandé de nous occuper des plus petits mais là nous ne pouvons pas investir du temps et de l’énergie pour un dossier qui devrait nécessiter le même travail alors que l’enjeu macroéconomique pour la Wallonie est limité.

13Comment analysez-vous le paysage européen et la possibilité d’élargir la collaboration actuelle à d’autres partenaires ? Quelle est la situation en 2012 ?

14En Mars 2012, il y avait 37 membres effectifs au sein de Transeo, issus de 14 pays. Nous faisons des screenings par pays. On identifie les différents acteurs, les différentes plateformes pour essayer d’avoir une cartographie détaillée des acteurs de la transmission dans les différents pays. Il existe au sein de Transeo un « Mapping Group » par pays visant à établir une cartographie des principaux acteurs avec leurs spécificités. C’est assez lourd à faire car il faut être assez objectif dans l’identification des acteurs et de leurs rôles réels. Par ailleurs, nous avons fait une étude complémentaire avec Ernst & Young sur les « deal breakers » (les facteurs qui freinent ou empêchent les transactions dans les différents pays membre de se réaliser de manière optimale) ce qui nous permet d’avoir un complément plus riche du mapping sur des aspects plus techniques qui posent des problèmes au niveau du marché de la transmission.

15Nous avons initié un groupe de travail plus académique au sein duquel on a lancé la « Transeo academic awards » qui récompense les meilleurs travaux en transmission. Nous avons collecté une dizaine de travaux que le jury de sélection est en train de relire. Les trois gagnants seront primés par Transeo avec 2 500 € à la clé.

16Sur base des consultations avec nos membres en matière de bonnes pratiques, trois thèmes prioritaires sont apparus :

  1. la sensibilisation des cédants (la meilleure façon pour les approcher et les ramener vers les interlocuteurs adéquats) ;
  2. l’impact des émotions sur le succès d’une transmission, tout ce que cela implique, en quoi cela peut tout faire échouer au dernier moment et ce que l’on faire pour l’éviter
  3. la valorisation – qui est un gros problème autant du côté des cédants que des acquéreurs.
Y a-t-il des sensibilités différentes sur les thématiques en fonction des pays ?

17C’est difficile à dire car dans certains pays, nous n’avons pas beaucoup de représentativité. Mais, globalement, c’est souvent les mêmes problèmes qui reviennent : manque de sensibilisation, manque de transparence dans le marché et la valorisation.

18S’il y avait un thème que vous souhaiteriez pousser, quel serait-il ?

19Pour moi, ce serait clairement celui de la croissance externe. Je vois un lien, largement inexploité au niveau des PME, entre la croissance des entreprises et la reprise des entreprises. On peut accélérer la croissance d’une entreprise par l’acquisition externe et cela reste trop rarement envisagé. Je pense qu’il y a aussi, sur le sujet, un problème de sensibilisation et d’expertise.

20Cela m’intéresse d’autant plus que les acteurs de la transmission sont aussi, très souvent, associés à des acteurs de financement. Regardez à notre niveau, notre proximité avec la Sowalfin? [4], met en lumière les synergies évidentes.

21Hormis les groupes de travail, quelles sont les plateformes qui collaborent activement à ce stade ?

22Plusieurs plateformes sont venues se greffer sur la plateforme de base (Belgique – pays Bas-France). Elles sont actives au Danemark, en Norvège, en Finlande et en Italie. La couverture des plateformes peut varier. Certaines sont régionales, d’autres nationales.

23Les acteurs sont plutôt privés ou publics ?

24Les trois acteurs du Nord sont privés et la plateforme Italienne est publique.

25L’Europe soutient-elle cette initiative ?

26Pour l’instant Transeo est largement financé par la Sowaccess. Il y a une cotisation pour les membres mais cela ne couvre que 15 à 20 % du budget. La stratégie est de démontrer la valeur ajoutée du réseau pour favoriser la transmission en Europe et le rendre indispensable aux yeux de tous. Pour l’instant, nous ne sommes pas à la recherche d’argent. Les charges sont couvertes jusqu’en 2014. Après, si l’Europe veut bien prendre en charge le minimum pour faire fonctionner le réseau, cela devrait jouer car Transeo est une ASBL? [5] internationale. L’Europe commence à voir que cela marche bien. On fait un peu du lobbying mais plus pour se faire connaître et sensibiliser à la transmission d’entreprises (ex : programme COSME). Nous sommes ainsi dans un groupe de travail d’experts et nous commençons à nous attaquer au Parlement européen pour essayer d’y avoir une influence.

27De manière générale, comment percevez-vous le marché de la transmission pour l’instant ?

28Pour l’instant dans le marché les prix sont considérés comme trop bas par les cédants (nous sortons d’un moment de crise). Cela fait que les entrepreneurs ne vendent plus ou retirent leur entreprise du marché. La plateforme est notre baromètre. Maintenant, au niveau wallon par exemple, il y a un déficit de cédants (160) par rapport aux acquéreurs (250) mais cette tendance se retrouve dans tous les pays confondus. Une tendance que nous constatons pour favoriser les transmissions consiste à sortir les immeubles du deal pour réduire le prix afin de faciliter la vente. Ceci, avec d’autres éléments, démontre à quel point nous sommes dans un trend « négatif ». Les acquéreurs n’ont pas les moyens de prendre tout, ils négocient un maximum. On sort des deals l’immobilier, le cash et on négocie des « earn-out »? [6] ou des crédits vendeurs? [7].

29Est-ce que cela s’explique aussi par le fait que les acquéreurs ont moins de moyens ?

30Oui, c’est certain que les acquéreurs ont moins de moyens. Dans notre portefeuille, parmi les 250 acquéreurs, nous avons environ 70 cadres qui ont de superbes profils mais ne sont souvent pas en capacité de mobiliser plus que 150 000 à 250 000 euros de fonds propres. Ce qui implique que malgré tous les montages que nous pouvons organiser pour faciliter le financement, les cibles auxquelles ils peuvent accéder ne sont souvent pas assez « sexys » par rapport à leurs attentes et profil de manager.

31La difficulté est que nombreux dossiers correspondent à des montants qui sont soit trop petits pour intéresser des groupes soit trop gros par rapport aux possibilités d’un acquéreur privé..

32Quels sont les principaux enjeux que vous voyez pour les prochaines années au niveau de la transmission en Europe? [8] ?

33J’en vois deux principaux. Le premier est qu’il faut continuer à investir dans la sensibilisation. Car au-delà du slogan qu’il s’agit d’un enjeu économique majeur pour l’économie européenne, je reste stupéfait par le nombre important d’impréparation en la matière tant au niveau acquéreur que cédant. Il faut davantage informer, former voire accompagner les différentes parties.

34Le second est l’ambition de tendre vers une plateforme unique ou des plateformes interconnectées à entrée unique : permettre ainsi à une entreprise d’avoir accès au marché européen des acquéreurs et vice-versa constitue une pierre, importante à mes yeux, de la construction européenne. J’ai, par exemple, une entreprise wallonne en tête, qui souhaiterait s’étendre sur les marchés de l’est mais a beaucoup de mal à y trouver un partenaire de confiance. Je rêve d’une plateforme qui lui permettrait d’identifier des distributeurs en Pologne par exemple, qu’elle pourrait acquérir en vue d’exploiter un effet de levier, construire sa croissance et faciliter son internationalisation.

Notes

Jean-Pierre Di Bartolomeo
Président de Transéo  [1] et de la Sowaccess  [2].
Propos recueillis par 
Bernard Surlemont
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Mis en ligne sur Cairn.info le 12/09/2012
https://doi.org/10.3917/entin.014.0097
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