CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Les points forts

  • La reprise d’une PME par une personne physique non issue de la famille – ou a fortiori par une personne morale - reste une pratique ultra minoritaire au Japon.
  • Une enquête récente souligne que nombre d’entreprises, dont la succession n’est « pas décidée » selon leurs dirigeants, risquent de disparaître faute d’héritier mâle désireux de prendre la suite.
  • Dans les cas où la transmission est déjà « décidée », à peine plus de 1 % des cas concernent une transmission à un tiers extérieur ! Pour les favoriser, de nombreux freins culturels et institutionnels doivent être levés.

1Au Japon tout comme en France, la question de la transmission des PME prend de plus en plus de place dans le débat public, en raison du vieillissement de leurs dirigeants et donc de la question prochaine de leur succession à la tête de leurs entreprises. Quand un dirigeant de PME quitte une entreprise au Japon, cela se traduit par une liquidation dans 81,9 % des cas et par une transmission dans 18,1 % des cas seulement (METI, 2005). Étant donnée la situation actuelle où le taux de sortie dépasse celui d’entrée, ainsi que la nécessité de revitaliser l’économie japonaise, il devient crucial d’assurer la continuité des entreprises soit par une succession, soit une transmission (Cadieux, Brouard, 2009? [1] ; De Freyman et Richomme-Huet, 2010? [2]).

2Le Japon se caractérise par l’existence des entreprises familiales de longue tradition, privilégiant logiquement la succession familiale. Il semble que cette vertu des entreprises japonaises soit en train de changer, même si le devoir du fils vis a vis de l’entreprise de son père demeure. L’objet de cet article consiste à étudier les reprises externes comme une solution de survie d’un certain nombre d’entreprises familiales qui ne disposent pas de repreneurs en interne.

3Nous nous appuyons sur les résultats d’une enquête menée par le Japan Finance Corporation Research Institute pour pointer la situation actuelle et les enjeux de la reprise d’entreprise externe au Japon ; et ce, dans un moment où le rythme de création de nouvelles entreprises est au ralenti. Nous expliquons ensuite les freins à la reprise externe au Japon. Les auteurs considèrent comme modèle l’expérience française en termes de politiques incitatives pour faciliter la reprise d’entreprises japonaises en dehors du cadre familial.

La reprise externe au Japon

4La reprise par un tiers reste minoritaire au Japon. Nous l’illustrons à travers trois cas. Deux concernent des rachats par des entreprises, le troisième par une personne physique.

Cas 1 – Rachat par une entreprise d’une PME dirigée par une femme

5La société T, spécialisée dans le développement de progiciels pour le système de gestion de repas collectifs, a été fondée en 1988 par une femme jusque-là au foyer. En développement, son mari l’a progressivement rejointe dans l’affaire. En 2008, En 2008, leur chiffre d’affaires s’élevait à environ 400 millions de yens – 4 M€ (environ 10 millions de yens – 100 K€ de bénéfice avant impôt, intérêts, dépréciation et amortissement) et leur personnel comptait 45 personnes.

6La cédante a pris sa retraite pour s’occuper de ses parents âgés. Leur fils, médecin, n’avait pas l’intention de leur succéder. La cédante a également envisagé la reprise par leurs employés, mais elle a abandonné cette idée en pensant que la gestion d’une société de pareille taille serait trop lourde pour eux. Enfin, elle a consulté une société de courtage de M&A.

7Elle a ainsi trouvé la société W qui développe par contrat les systèmes de communication (en 2008, son chiffre d’affaires annuel était d’environ 900 millions de yens). La cédant a testé la société W sur des problématiques techniques et cette dernière a réussi à les résoudre. Elle a donc été persuadée que la collaboration avec cette société ferait naître une synergie. Elle a donc décidé de vendre. Au mois de décembre 2008, la société T est devenue une société affiliée de la société W après la signature du contrat de transmission. La gestion de la société T a été confiée au président de la société W. Les employés de la société T ont accueilli favorablement la nouvelle direction. Les savoir-faire dans le secteur des deux entreprises ont fusionné. La société T a pris un nouvel élan à l’occasion de cette reprise externe.

8Le chiffre d’affaires en 2010 de la société T seul était stable (environ 400 millions de yens) mais la capacité bénéficiaire est renforcée car le bénéfice avant impôt, intérêts, dépréciation et amortissement a été d’environ 29 millions de yens – 290 K€.

Cas 2 – Échec d’une opération de croissance externe

9Le fils du président de la société C (fabrication d’appareils chimiques) fondé en 1954 et employant 120 salariés, n’avait pas l’intention de succéder à son père. Comme la valorisation de l’entreprise est importante, le rachat par une autre société est choisi comme solution. La Société H, qui installe les appareils fabriqués par la Société C, se porte candidate (fondée en 1935, 320 employés).

10Le rachat est mal géré. Les employés des deux entreprises ne s’entendent pas et des conflits dégradent la santé de l’entreprise. La crise entraîne la démission du Président (acquéreur).

11Son remplaçant, en revanche, a su communiquer avec les employés et faire marcher la synergie entre les deux firmes.

Cas 3 – Rachat d’entreprises en difficultés par un repreneur « en série »

12L’acheteur est la Société E, grossiste matières métalliques. Fondée en 1946, elle compte 20 employés.

13Les entreprises à reprendre sont :

  • société O (Façonnage des planches en fer)
  • société P (Fabrication du tableau de distribution de l’électricité)
  • société Q (Fabrication de l’appareil de l’examen)
  • société T (Détaillant des matières métalliques)
La stratégie de la société E consiste à racheter des PME en difficultés ou des PME n’ayant pas de successeur. En vue de faire marcher la complémentarité, la société a mené une série des rachats. D’abord pour compléter la fonction du façonnage des métaux, elle a racheté les Sociétés O, P et Q. Ensuite, pour renforcer le réseau de distribution, elle a racheté la Société T. Le président de Société E est devenu le président de toutes les sociétés cibles. Il visite chaque société au moins une fois par semaine. Il essaie de communiquer avec les employés de chaque société pour ainsi changer l’esprit.

14On constate au travers de ces trois exemples que la reprise externe est le fait d’entreprises qui en achètent une autre et que le phénomène concerne peu la reprise par les personnes physiques.

15Explorons quels sont les profils des entreprises à reprendre au Japon.

Le Contexte de la transmissionet la reprise des PME au Japon

16Le Japan Finance Corporation Research Institute a mené en juillet 2009 une enquête par questionnaire auprès des 24 569 bénéficiaires de prêts de la Japan Finance Corporation. Pas moins de 9397 entreprises ont répondu, ce qui porte le taux de retour à 38,3 %. Il s’agit de 6339 TPE (moins de 19 employés) et 3058 PME (20 employés ou plus).

17Au Japon comme dans tous les pays développés, la grande majorité des entreprises sont TPE (plus de 87 % ont 9 employés ou moins). Cette étude anonyme permet d’établir une photographie de la situation au Japon en termes de types d’entreprises à transmettre, de caractéristiques des entreprises à reprendre, de profils de candidats à la reprise et des enjeux liés à cette problématique de transferts de propriété et de leadership.

18Les dirigeants interrogés ont exprimé leur sentiment sur leur intention de transmettre ou non, et leur souhait quant au type de repreneur. Conscients du contexte et du fait que leurs enfants ne souhaitent pas prendre leur suite, ils s’ouvrent à une nouvelle stratégie de transmission, représentée par la reprise externe. Faire assurer la pérennité de leur entreprise grâce à un dirigeant externe pourra faire partie des décisions opérationnelles du dirigeant désireux de passer le relais de sa direction.

19Grâce à cette enquête, nous disposons d’informations affinées concernant le contexte de la transmission/reprise au Japon. Nous restituons ci-après les données les plus pertinentes.

Vieillissement accéléré des patrons de PME au Japon

20Au Japon, le vieillissement de la population est une réalité bien connue et la décroissance démographique a déjà commencé. Les dirigeants de PME sont déjà âgés : 18 % d’entre eux avaient plus de 70 ans en 2002, deux fois plus qu’en 1979 (METI, 2005? [3]). La transmission des PME est donc devenue une préoccupation majeure dans ce pays, à l’image de l’ensemble des pays industrialisés. Un rajeunissement des entrepreneurs par la voie de la reprise est impératif (Murakami, 2011? [4]).

21En 1996, la moyenne d’âge des dirigeants de PME était de 52 ans ; en 2009, elle s’élève à 57-58 ans. La part de ceux qui ont plus de 60 ans occupe entre 47 % et 49 %. En l’espace de 13 ans, le vieillissement des patrons s’est apparemment accéléré. Il indique que l’augmentation du nombre d’entreprises à transmettre est imminente. Ces patrons des petites entreprises privées souhaitent que leur enfant prenne le relais mais l’enjeu est de savoir si une sélection naturelle s’organise correctement lors de cette période de transition, à savoir si celles qui devraient se maintenir le font et celles qui devraient disparaître disparaissent effectivement (Murakami, 2011? [5]).

Les dirigeants de PME face à la transmission de leur entreprise

22L’enquête montre que (1) la rentabilité peut se dégrader à cause de l’âge avancé du patron, qui perd son ambition, voire son audace, et rend son entreprise moins dynamique ; (2) malgré leurs bons résultats financiers, certaines entreprises doivent fermer faute d’avoir trouvé une solution à leur problématique de transmission. L’enquête s’attache à regarder les différentes volontés des dirigeants concernant la transmission de leur entreprise (Cf. tableau 2).

Tableau 1

Classification des entreprises en fonction de l’intention des dirigeants de transmettre leur entreprise

Tableau 1
Type de PME Enquête 1996 (n=1624) Enquête 2009 PE (n=6231) Enquête 2009 ME (n=2996) Transmission décidée 32,1 34,7 45,2 Transmission non décidée 26,4 26,6 33,7 Cessation d’activité 16,7 20,5 1,2 Question prématurée 23,3 16,3 18,6 Sans réponse 1,5 2,0 1,4 Total 100 100 100

Classification des entreprises en fonction de l’intention des dirigeants de transmettre leur entreprise

23Quatre catégories de dirigeants de PME conduisent à quatre types d’attitudes face à la question de la transmission :

  • « les entreprises dont la transmission est décidée » : le successeur est sélectionné et d’accord ;
  • « les entreprises dont la transmission n’est pas décidée » : le patron souhaite transmettre les activités, mais son successeur n’est pas encore désigné. Il est soit en train de chercher son repreneur, soit le successeur potentiel n’est pas d’accord, soit le successeur est trop jeune.
  • « les entreprises en cessation d’activité » : le dirigeant arrête ses activités lorsqu’il prend sa retraite, l’entreprise étant destinée à fermer.
  • « les entreprises pour lesquelles la question de la transmission est prématurée » : les répondants de l’enquête étaient les plus jeunes? [6].
Selon les résultats de l’enquête, les «destinées à fermer» sont petites en taille, n’ont pas de bons résultats financiers et n’ont pas de perspectives d’avenir bien positives. Si elles ont répondu que leur société était vouée à la fermeture, c’est donc la conséquence d’une sélection naturelle. Seulement elles ne fermeront pas demain et tant qu’elles fonctionnent bien et composent une partie de l’industrie, les mesures gouvernementales doivent les soutenir.

24Les résultats entre les entreprises dont les transmissions sont décidées [catégorie 1] et les autres [catégorie 2] semblent très proches. Elles se différencient pourtant sur le nombre de descendants de sexe masculin : il est en moyenne de 1,35 chez les «déjà décidées» alors que chez les «non décidées» il est inférieur, voire égal à zéro. Or le nombre de filles dans la famille est au même niveau dans les deux catégories d’entreprise. Encore aujourd’hui au Japon, ce sont les garçons qui succèdent à leur père et non les filles. L’existence ou non d’un ou plusieurs fils peut donc influencer le sort d’une entreprise.

25Pour les patrons qui ont atteint un certain âge, il existe, par conséquent, trois choix :

  • arrêter les affaires à sa génération ;
  • transmettre à un certain repreneur ;
  • transmettre malgré l’absence de désignation du repreneur.
On peut raisonnablement penser que parmi les entreprises dont la transmission n’est pas décidée, beaucoup ont vocation à (c’est-à-dire qu’elles peuvent) continuer leur activité. Mais, dans l’état actuel des choses, les entreprises en question risquent de cesser leur activité si les fils ne souhaitent pas prendre la suite. La fermeture de ce genre d’entreprise est une perte grave pour la Société. Il est important d’agir et d’appliquer des mesures permettant d’aider à reprendre les activités d’entreprises en déficit et d’aider les fils susceptibles de reprendre la PME familiale. Ces mesures devraient également soutenir les employés et les tiers externes. La seule aide octroyée jusqu’à ce jour au Japon concerne l’allégement des droits de succession, souvent inadaptés aux petites entreprises.

26L’enquête dévoile les caractéristiques des entreprises à reprendre ainsi :

  • plus le dirigeant est âgé, plus la transmission est décidée ;
  • plus il y a d’enfants de sexe masculin, plus la transmission est décidée ;
  • plus l’effectif des employés est élevé, plus la transmission est décidée ;
  • plus le niveau du chiffre d’affaires est élevé, plus la transmission est décidée ;
  • plus les perspectives d’évolution des PME sont importantes, plus la transmission est décidée.

Profil des repreneurs

27Selon l’enquête, le cas de la reprise par un tiers non issu de la famille reste rare, même dans les moyennes entreprises qui ont plus de 20 employés. La plupart des cas de la reprise par un tiers concernent des croissances externes, c’est-à-dire des rachats d’entreprises par d’autres entreprises. Les reprises par les employés existent également, mais dans une faible proportion. Autrement dit, entre les freins que nous démontrerons plus tard et l’immaturité du marché, le rachat des PME par un tiers est exceptionnel au Japon. Il s’agit pourtant à notre sens d’une solution à soutenir.

28Il n’y a pas de distinction significative entre les PME destinées à fermer et celles à reprendre.

29C’est pour cela que la situation dépend parfois du nombre d’enfants (fils) susceptibles de succéder à leur père. Les entreprises qui n’ont pas encore trouvé de candidat sont soit susceptibles d’en trouver un jour et réaliser la transmission, soit destinées à cesser l’activité. Leur situation est donc transitoire car souvent, le dirigeant est réticent à de nouveaux investissements qui mènent, par conséquent, à l’affaiblissement de la gestion et conduisent à la cession. C’est pour cette raison qu’on devrait promouvoir la reprise par un employé et la vente à un tiers externe à l’entreprise. Mais cela suppose que le repreneur ose innover en rompant avec les manières de faire du cédant ; ce qui n’est pas simple au Japon.

Tableau 2

Profil du repreneur dans les entreprises de la transmission « décidée »

Tableau 2
Petite Entreprise (moins de 19 personnes) Moyenne Entreprise (plus de 20 personnes) Fils cadet 66.4 % 67.2 % D’autre fils 11 % 7.2 % Fille 5.4 % 3.7 % Mari de fille 5.3 % 5.1 % Conjoint 0.6 % 0.3 % D’autre parent 4.4 % 9.6 % Employé (non parent) 5.7 % 5.9 % Personne en dehors de l’entreprise (non parent) 1.3 % 1.0 %

Profil du repreneur dans les entreprises de la transmission « décidée »

Les freins à la transmission / reprise externe au Japon

30L’enquête montre que le Japon considère la reprise d’entreprise comme une deuxième création d’entreprise, dans la mesure où un nouveau souffle va permettre un changement dans l’entreprise, a fortiori si elle perd son caractère familial. Rappelons que 7,6 % de reprises des entreprises, entre 2005 et 2009, étaient externes? [7]. La proportion augmente progressivement car avant l’année 1974, elle n’était que de 0,4 %.

31Les reprises externes apporteraient la possibilité d’accélérer les efforts en matière d’innovation de gestion. Le rôle majeur imposé au repreneur est de réviser la gestion et, si nécessaire, de la changer radicalement, c’est-à-dire, de réaliser « l’innovation de gestion ». C’est plus facile à opérer par un extérieur que par un membre de la famille car cela remet en cause, voire nie la gestion du patron précédent. Si le repreneur est une personne liée par le sang, il est donc difficile pour lui de faire ces efforts.

32Le repreneur extérieur peut également plus facilement prendre des mesures drastiques. Il n’éprouve pas de gêne liée à sa relation ancienne à l’égard des personnes au sein de la société (par exemple, les employés âgés qui travaillent depuis longtemps, les partenaires d’affaires de longue date). Parmi ces mesures drastiques, nous pouvons citer la réduction du nombre de partenaires en rompant les liens avec les fournisseurs habituels, ou le lancement dans un nouveau secteur causant un changement culturel important.

Les freins politiques

33Le Japon a une longue tradition de longévité des entreprises (les entreprises familiales au plus grand nombre de générations sont japonaises – Gekkeikan Sake, par exemple, créée en 1637 est actuellement dirigée par la 13e génération). Jusqu’à aujourd’hui, seules des mesures destinées aux allégements fiscaux des droits de succession sont en place. Rien n’est envisagé pour favoriser les transmissions internes (par un employé) ou externes (par un tiers), et ce alors que les successions familiales sont moins envisagées. Trois grands freins institutionnels contraignent la transmission et la reprise des PME : la taxe sur la succession, la portion légalement attribuée et la caution personnelle des patrons lors du prêt.

Difficulté d’application de la loi en faveur de la transmission de PME

34Le gouvernement japonais a commencé à réfléchir à des modalités de soutien. La loi d’octobre 2008 facilite notamment la transmission des PME, mais les conditions exigées pour son application sont trop contraignantes pour améliorer la situation. Les principaux freins concernent les aspects financiers et fiscaux rédhibitoires pour un repreneur externe (Nikkei business, 2011? [8]). La loi visant à «faciliter la transmission d’entreprise» entrée en vigueur en 2008 consiste à alléger la taxe de succession sur les actions de 80 %. Pour en bénéficier, le successeur garde au moins 80 % de l’emploi pendant 5 ans. Mais dans le contexte économique actuel, peu des PME sont en mesure de garantir l’emploi pendant 5 ans. Cette loi, qui vise d’ailleurs seulement la succession familiale, ne concerne pas toutes les entreprises et est difficilement applicable. Elle a conduit en réalité à une diminution du nombre de transmissions d’entreprises non cotées : de 752 en 2006, elles sont passées à 458 en 2010? [9].

La portion attribuée légalement aux héritiers en dehors de l’entreprise

35L’existence de la portion attribuée légalement aux héritiers en dehors de l’entreprise rend la concentration du droit de gestion au successeur difficile. Cela signifie qu’en cas de donation, les héritiers doivent recevoir une part équitable du capital même si certains ne sont pas actifs dans l’entreprise. Les successeurs actifs peuvent ainsi se trouver en minorité au capital. Pour résoudre ce problème, le droit civil a été modifié depuis 2008. Actuellement il est possible d’exclure les actions transmises au successeur du compte de la portion attribuée légalement. Mais, pour appliquer cette loi, il est nécessaire d’obtenir l’accord de tous les ayant droits ; accord qu’il est difficile d’obtenir si les membres de familles ne s’entendent pas. Cette mesure concerne là encore les successions familiales.

La caution personnelle

36Les banques japonaises exigent une caution personnelle aux patrons de PME lors du financement de la reprise. Cette condition constitue un grand frein pour un employé ou un tiers externe qui envisage une reprise. Selon l’enquête de METI (2011), environ 80 % des dirigeants qui ont une caution personnelle déclarent que le montant de cette caution est supérieur à la totalité de leur patrimoine personnel. Cette situation sévère empêche la reprise par tiers.

Les freins liés aux caractéristiques des entreprises japonaises

37Il existe d’autres types de difficultés dans le cas des petites entreprises familiales japonaises, susceptibles de limiter leur attrait pour des repreneurs non issus de la famille.

Patrimoine utilisé : risque financier

38Le patrimoine immobilier qui appartient au dirigeant lui-même ou aux membres de sa famille peut poser des difficultés dans le cadre des transmissions : plus la taille de l’entreprise est petite, plus le patrimoine familial est utilisé dans l’entreprise. Souvent, le domicile de l’entrepreneur sert de lieu de travail. Ceci est en partie lié aux conditions d’habitation au Japon. De plus, lors du financement, les banques prennent habituellement en garantie le patrimoine immobilier du dirigeant. Cette situation compliquée écarte les tiers de la reprise de PME (METI, 2005? [10]).

Acquisition du droit de gestion : risque financier

39Une autre difficulté concerne la concentration du droit de gestion. En effet, même si un repreneur parvient à être nommé nouveau PDG d’une entreprise, cela ne signifie pas pour autant une véritable prise de direction, si son prédécesseur garde le droit de gestion. Pour le reprendre, il est nécessaire d’obtenir au moins 51 % des titres. Mais plus attractive est l’entreprise en dégageant du profit, plus élevée sera sa valeur. Un repreneur externe sera attiré par une société en développement, mais la bonne santé d’une telle entreprise rendra l’évaluation du droit de gestion plus élevée. Si c’est une succession familiale, il sera possible de recourir à une donation planifiée avant la transmission du pouvoir. Mais pour un tiers, un budget considérable est nécessaire.

40Ces deux problèmes rendent difficile la reprise de PME, et notamment des TPE, par un tiers. Cela augmente le nombre de fermetures et ouvre la voie à des aménagements récents du système et du marché de la reprise non familiale.

Les freins culturels

41Outre les freins évoqués ci-dessus, nous expliquons le faible niveau de reprises externes par deux raisons majeures : l’institution japonaise et les caractéristiques des entreprises japonaises.

L’institution japonaise

42Le Japon manque de dispositifs pour inciter et promouvoir les transmissions à un tiers auprès des dirigeants en place. Il n’existe pas, par exemple, de bases des données riches et abondantes sur le plan qualitatif et quantitatif de « matching » entre les sociétés qui souhaitent transférer et ceux qui désirent une acquisition. Le coût d’un courtier fournissant cette prestation est très élevé. Par exemple, selon Murakami (2008)? [11], la rémunération de réussite d’un service particulier de M&A d’une banque urbaine est d’au moins 25 millions de yens – 2,5 M€. Le « M&A Support System » de la Chambre de Commerce et d’Industrie de Tokyo dont les objets sont la transmission de petites et moyennes entreprises propose, en cas de transmission d’un montant de 300 millions de yens, plus de 8 % de commission. Dans d’autres pays, en France notamment, les coûts sont bien plus faibles. De plus, nous l’avons évoqué, le Japon a institué des mesures d’incitations fiscales pour encourager les proches à la succession familiale. Le troisième élément explicatif concerne la restriction à la cession du droit de baux immobiliers. Au Japon, l’accord du bailleur est en général indispensable pour le transfert d’un magasin « Inuki (avec tous ses meubles) ». Au contraire, en France par exemple, les fonds de commerce peuvent être dissociés des murs.

Les caractéristiques des PME japonaises

43Les actifs d’une entreprise sont souvent intégrés aux biens personnels. Selon l’enquête, le pourcentage de possession immobilière commerciale « au nom du patron ou d’un membre de sa famille » s’élevait à 51,4 % dans le cas des petites entreprises (maximum 19 employés) contre 26,2 % parmi les moyennes entreprises (au moins 20 employés). Les actifs de la société, en particulier dans les petites entreprises, étant souvent intégrés à l’actif personnel, ces transmissions ne sont pas faciles.

44De plus, même si l’on n’a pas de données empiriques sur ce point, beaucoup de jeunes successeurs interviewés avouent qu’ils «ont senti la responsabilité en tant que fils aîné». On pourrait dire que la conscience d’affaires familiales est encore relativement forte, en dépit des avis disant que cette conscience japonaise est plus affaiblie qu’autrefois? [12]. Au contraire, en France, selon l’INSEE (2007)? [13], le pourcentage de « reprise par un membre de la famille (héritage, don, etc.) » n’est que de 13,9 % et plus de 80 % correspond à une reprise par une personne hors de la famille.

45En France, le niveau de la reprise par un membre de la famille est donc faible. Murakami (2008)? [14] l’explique par la forme de famille. Par exemple, parmi les couples hétérosexuels entre 35 à 44 ans, le pourcentage de mariage légal n’est que de 66,3 % (le Cabinet du Premier ministre (2005)? [15]). Et le pourcentage d’enfants nés en dehors du mariage en France s’élève à 48,4 % (le Cabinet du Premier ministre (2004)? [16]). À titre de référence, celui-ci est de 29,2 % pour Allemagne, 13,8 % pour l’Italie et 2,0 % pour le Japon). On peut supposer grâce à cela que cette forme de famille ne créerait pas cette conscience des affaires familiales. En effet, en Italie où le pourcentage en dehors du mariage est relativement faible, le pourcentage de succession à un membre de la famille est élevé.

Dynamiser les transmissions externes, sur le modèle français

46Dans le but de tirer la leçon des exemples français, Murakami (2008) a analysé les pratiques françaises en matière de transmission-reprise. Six points sont retenus.

47En France, les mesures d’aide à la reprise d’entreprise sont basées sur le fait que la plupart des reprises sont effectuées par des tiers. Les mesures fiscales existent en cas de reprise par un employé ou par un tiers qui emprunte le fonds (via une société holding) pour acheter les actions (il s’agit d’effets leviers juridiques et fiscaux). Au Japon le système est équivalent pour les achats de logement, mais pas pour les achats d’entreprise.

48Bien qu’opaque en raison de la confidentialité qui entoure les opérations de reprise d’entreprise, en France, le marché est organisé. Il existe des bases de données pour faire se rencontrer les vendeurs et les acheteurs (Les sites Internet d’OSEO et des chambres consulaires mettent en relation acquéreurs et vendeurs).

49En France la transmission d’entreprise est considérée comme une opportunité à générer les emplois à l’instar de la création d’entreprise. Par exemple le guide de l’APCE est intitulé «pour la création et la reprise». Le rapport de KPMG (2008)? [17] indique ainsi que le taux de survie des reprises est de 79 % après 6 ans alors que celui des créations est de 50 % des créations après 3 ans. Les emplois attachés à ces continuités d’entreprises sont à considérer.

50En France, plusieurs dispositifs d’aides sont en place. À chaque étape de la reprise, plusieurs organismes soutiennent les entreprises. L’objet des aides diffère selon la taille et l’activité. Elles peuvent aller du conseil, à l’incitation, en passant par le financement (Deschamps et Paturel, 2009? [18]). Elles sont assurées par les chambres consulaires pour les petites entreprises. Les associations à but non lucratif ou les entreprises privées aident des entreprises de taille plus importante. Il faut ajouter notaires, partenaires financiers, experts-comptables, cabinets de transmission, administrateurs judiciaires éventuellement pour les rachats d’entreprises en difficulté, consultants spécialisés, avocats d’affaires et clubs de vendeurs et repreneurs d’entreprise.

51Le tutorat du repreneur par le cédant (article L129-1 du code de commerce de 2005, modernisé en 2008) peut être une solution adaptable au Japon. Le cédant assure le transfert de savoir-faire techniques nouveaux ou spécifiques et il aide le repreneur à entrer dans les différents cercles des parties prenantes (salariés, clients, banquier, etc.) pour qu’il y soit reconnu et accepté. Son rôle est intéressant car il aide le repreneur à évoluer dans le projet d’entreprise.

52Enfin, en France, les frais de commission pour les ventes et achats des entreprises sont relativement abordables. Ils sont 2,5 fois plus élevés pour une transaction de même montant (Murakami, 2008)? [19].

Changer la culture, améliorer l’environnement, construire un marché des transactions

53Pour conclure, nous proposons de tirer les enseignements des dispositifs français de soutien à la transmission de l’entreprise et de voir dans quelle mesure ils pourraient être adaptés au Japon. Il apparaît que (1) les entreprises japonaises auraient à évoluer dans leur manière de considérer la reprise et à s’ouvrir vers des transmissions externes, voire internes (auprès de salariés) même si elles perdent de fait leur caractéristique familiale ; (2) que des dispositifs d’aides sont à mettre en place en termes d’incitation, de formation, de financement, de mise en relation et d’accompagnement.

54Le développement de dispositifs de soutien n’en est qu’à ses balbutiements au Japon. Les mesures ne sont concentrées pour l’heure que sur les aspects fiscaux et financiers et ne concernent pratiquement que les successions familiales. Un fonds destiné à la reprise par un tiers a été certes créé, mais il concerne plutôt les grandes entreprises. Dans l’avenir, il faudra chercher la diversification du contenu et des objets de ces mesures de soutien.

55Le marché des transactions de reprise est à construire au Japon. L’aménagement d’une base de données de type bourse d’opportunité peut constituer un bon point de départ. L’expérience française montre que la qualité des données est aussi importante que leur quantité. En France, les chambres consulaires qui gèrent une importante banque de données, contrôlent préalablement les entreprises avant leur enregistrement. Les informations caduques sont supprimées et la banque de données est judicieusement entretenue.

56Ces différentes mesures devaient être liées et coordonnées. Le service d’appariement n’existe pas indépendamment. Pour que ce service assure pleinement son rôle, les autres dispositifs sont préalablement nécessaires. Par ailleurs, les incitations fiscales encouragent la cession d’entreprise qui permettra d’avoir une base de données plus riche et rendra l’appariement plus facile. Sensibiliser les dirigeants à céder son entreprise au moment propice avant que sa valeur ne se dégrade en est aussi une illustration.

57De plus, un large consensus existe chez les Français sur la contribution de ces mesures de soutien à maintenir le dynamisme de l’économie locale et leur emploi. Par conséquent, les différents prêts et garanties des institutions financières ou le système fiscal favorable à la transmission ont été et sont mis en place, ainsi que différents dispositifs lancés par des organisations diverses. À défaut du consensus de la population, l’allégement fiscal du droit de succession peut être critiqué comme une faveur pour les plus riches. En France, l’élargissement des mesures incitatives à la transmission des entreprises a été, paraît-il, accepté sans grande contestation parce qu’il est considéré comme un moyen de créer des emplois.

58Il n’est pas opportun de transposer les mesures françaises au Japon, compte tenu de la différence des habitudes commerciales et de la législation. Toutefois, il serait intéressant pour nous d’apprendre des idées françaises.

Notes

  • [1]
    Cadieux L., Brouard F., La transmission des PME : perspectives et enjeux, Presses de l’Université du Québec.
  • [2]
    De Freyman J., Richomme K., (2010), Entreprises familiales et phénomène successoral, Pour une approche intégrée des modes de transmission, Revue française de gestion – N° 200/2010, p. 161-179.
  • [3]
    METI (2005), White Paper on SMEs in Japan.
  • [4]
    Murakami Y. (2011), « 2e chance de “création” d’une entreprise par un repreneur », Chosa Geppo No.30, Japan Finance Corporation Research Institute, mars, p.6-7. (« ­Kokeisha ni yoru Daini Sogyo ») (en japonais).
  • [5]
    Op. cit.
  • [6]
    Pour la suite du texte, nous négligerons cette catégorie.
  • [7]
    Sont considérés ici comme « externe » les tiers de l’extérieur de la société qui ne sont pas un membre de la famille du patron précédant : un individu ou une société à l’occasion de M&A, l’invitation d’un dirigeant d’une société affiliée ou celle d’une personne extérieure en tant que gestionnaire provisoire jusqu’à la reprise par un membre de la famille. Dans l’enquête par questionnaire (2009) menée par la Japan Finance Corporation, ces reprises externes ne sont pas différenciées.
  • [8]
    Nikkei Business, 2011, « Péninsule de la rupture de la transmission des entreprises », le 19 septembre, p. 54-60.
  • [9]
    METI (2011), White paper on SMEs.
  • [10]
    Op. cit.
  • [11]
    Murakami Y. (2008), « Transmission en France et sa Politique du soutien », in Japan Finance Corporation Research Institute éd. Transmission des TPE (« France no Jigyoshokei to Jigyoshokei shiensaku ») (en japonais)
  • [12]
    Les entretiens se sont effectués auprès des 3 étudiants qui ont déjà décidé de reprendre l’affaire de son père dans FSS, Kansai University, Osaka en février 2012.
  • [13]
    INSEE (2007) « Créations et créateurs d’entreprises - Enquête de 2005 : la génération 2002 trois ans après ».
  • [14]
    Op. cit.
  • [15]
    Naikakufu (le Cabinet du Premier ministre) (2005) Recherche sur la famille en France et en Allemagne (« France to Doitsu no Kateiseikatsu Chosa ») (en japonais).
  • [16]
    Naikakufu (le Cabinet du Premier ministre) (2004) Livre blanc sur la société de dénatalisation (« Shoshika shakai hakusho ») (en japonais).
  • [17]
    KPMG, (2008), « La transmission des entreprises industrielles, un enjeu plus fort en France qu’en Europe », Étude pour le ministère de l’Économie, de l’Industrie et de l’Emploi (MEIE).
  • [18]
    Deschamps, B. et Paturel, R. (2009). Reprendre une entreprise, de l’intention à l’intégration, 3e édition, Paris, Dunod, 216 p.
  • [19]
    Op. cit.
Français

Résumé

Les PME japonaises constituent l’essentiel du tissu économique du pays et sont confrontées à un important problème de transmission. Leurs dirigeants vieillissent et sont traditionnellement portés à la transmission par voie successorale plutôt qu’à la reprise par des tiers extérieurs. S’inspirer de ce qui existe en France en matière d’aide, d’accompagnement et d’environnement financier et fiscal, même si tout n’est pas transposable, est riche d’enseignements.

Yoshiaki Murakami
Yoshiaki Murakami est Lead Economist, Research Institut Small & Business Research Group, Japan Finance Corporation. Ses recherches portent sur la politique du soutien aux PME.
Katsuyuki Kamei
Katsuyuki Kamei est professeur à l’Université d’Osaka dans laquelle il enseigne le management du risque. Ses recherches portent sur la stratégie et le risk management des entreprises.
Bérangère Deschamps
Bérangère Deschamps est Maitre de Conférences à l’IAE de Grenoble, responsable du Master 2 entrepreneuriat et conseils aux PME. Elle travaille depuis une dizaine d’années sur la reprise d’entreprise par les personnes physiques, d’abord en expliquant le processus repreneurial, puis en s’orientant sur les acteurs.
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Mis en ligne sur Cairn.info le 12/09/2012
https://doi.org/10.3917/entin.014.0074
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