Les points forts
- Dans le binôme constitué par le cédant et le repreneur, chacun doit surmonter des difficultés spécifiques ; le cédant doit faire son deuil de sa vie professionnelle d’avant, le repreneur doit éviter certains pièges.
- Choisi pour sa séniorité, ses compétences de généraliste, sa capacité d’écoute et ses talents de maïeuticien, le mentor sert de miroir et de guide.
- S’il était généralisé dans les opérations de reprise-transmission, le mentorat permettrait aux uns et aux autres de gagner du temps et d’éviter de graves erreurs.
1Sachant que les PME sont le moteur de l’économie des pays industrialisés, on assiste à la multiplication des programmes d’accompagnement pour entrepreneurs afin de faciliter le démarrage et le développement de ces entreprises. L’une des formules proposée, le mentorat, consiste à jumeler un entrepreneur novice avec un entrepreneur expérimenté, ce dernier offrant des conseils et des pistes de réflexion visant à éviter des erreurs coûteuses, voire fatales au premier. À titre d’exemple, le programme SCORE aux États-Unis, fondé dans les années 1970 et financé par la Small Business Administration (SBA), a soutenu plus de huit millions de dirigeants de petites entreprises grâce à son réseau de plus de 12 000 mentors bénévoles (www.score.org). En Europe, d’autres initiatives similaires existent, telles que celle soutenue par le Business Link d’Angleterre, le programme Mentor Eget Företag de Suède ou France Initiative (en France), avec près de 5 000 mentors bénévoles, pour ne nommer que ceux-là. Bien que ces programmes soient davantage offerts aux créateurs d’entreprises, sans pour autant exclure les repreneurs, d’autres se destinent uniquement aux repreneurs? [1]. Soulignons également que le mentorat pourrait être utile pour aider les cédants dans leur démarche de transmission d’entreprise. Dans un contexte de transmission/reprise de PME, certains défis sont propres à chaque membre de la dyade (le repreneur et le cédant) et impliquent diverses stratégies pour que les objectifs de pérennité de l’entreprise atteignent un certain succès. C’est dans cette perspective que nous verrons comment le mentorat pourrait être utile pour faciliter la transition entre le cédant et le repreneur, en répondant aux besoins de l’un ou de l’autre. Avant d’aborder les besoins de chacun et les rôles que le mentor est susceptible de jouer pour les soutenir, présentons d’abord de quoi il en retourne lorsque nous parlons de mentorat.
Le mentorat : de quoi parle-t-on ?
2Le mentorat est loin d’être un phénomène récent. Le mot « mentor » provient de la célèbre histoire du dramaturge grec Homère, L’Odyssée. Ainsi, pendant les nombreux voyages d’Ulysse, c’est Mentor, son bon ami, qui devait s’occuper de l’éducation de son fils Télémaque, en veillant au développement de son identité pour faciliter son accession au monde des adultes. Autrement dit, Mentor remplaçait essentiellement la figure paternelle absente. Lorsque Mentor s’adressait à Télémaque, la déesse Athéna parlait au travers de lui et, du coup, il accédait à des qualités divines et devenait l’incarnation de la sagesse.
3Dans notre monde contemporain, un mentor est généralement une personne possédant certaines qualités ou qui est en position d’autorité et qui veille de façon bienveillante sur un individu plus jeune, ou moins expérimenté, lequel bénéficie des conseils et du soutien de son mentor. Le mentorat destiné à un entrepreneur est une relation où un novice (que l’on appelle le mentoré) est accompagné par une personne expérimentée du monde des affaires (que l’on appelle le mentor), ce dernier visant le développement du mentoré autant d’un point de vue personnel que professionnel. Ainsi, le mentor remplit généralement trois grandes fonctions : des fonctions psychologiques, d’autres reliées à la carrière et celle de modèle de rôle? [2]. Autrement dit, il intervient sur le plan personnel (psychologique), professionnel (carrière d’entrepreneur) et sert de modèle inspirant pour la personne accompagnée.
4Le mentorat pour entrepreneurs se distinguerait du coaching, du tutorat ou du compagnonnage du fait qu’il est davantage orienté vers la quête de sens plutôt que vers l’acquisition de techniques? [3]. Tout en étant ancré de manière plus marquée dans l’action, contrairement au counselling, au conseil ou à la médiation, il se distinguerait quand même du parrainage, en étant légèrement moins orienté vers l’action que cette forme d’accompagnement. Dans cette perspective, un mentor d’entrepreneur est donc un généraliste du monde des affaires. Il est recruté d’abord et avant tout pour ses qualités humaines et sa capacité à poser des questions judicieuses au mentoré afin de lui permettre de prendre conscience de certains enjeux qui le concerne. Bien que le mentor puisse parfois fournir quelques conseils techniques plus précis, cela demeure, et doit demeurer, marginal. Par ailleurs, bien que l’expérience personnelle d’une transmission/reprise puisse être pertinente pour mieux comprendre la personne accompagnée, elle pourrait ne pas être obligatoire si le mentor est suffisamment à l’écoute de son mentoré.
5Puisque le mentorat est une relation dyadique (i.e. qui implique deux personnes), le mentor ne peut accompagner les deux protagonistes sans risquer de se placer en situation de conflit d’intérêt. Il est donc conseillé que chacun (cédant et repreneur) ait recours à un mentor pour l’aider dans son cheminement spécifique. En outre, puisque les besoins du repreneur et du cédant sont fondamentalement différents, le mentor sera sollicité de manière distincte par l’un ou par l’autre. À cet effet, nous présenterons d’abord les besoins du repreneur et du cédant, en y juxtaposant les rôles que le mentor est susceptible de jouer dans l’accompagnement de ceux-ci.
Besoins du repreneur et rôles du mentor
6Les besoins et les difficultés du repreneur changent en fonction de sa situation dans le processus de transmission/reprise. Par exemple, dans la période durant laquelle il recherche activement une entreprise et négocie son appropriation, de nombreuses difficultés peuvent exister, dont nous ciblons les principales : difficulté à identifier une entreprise qui corresponde à ses attentes, à obtenir de l’information fiable sur celle-ci, à obtenir du financement et à posséder la formation adéquate requise? [4]. En relation avec ces difficultés, on souligne trois principaux enjeux pour le repreneur : évaluer correctement l’entreprise, négocier avec le cédant et lever les freins psychologiques de ce dernier? [5].
7À cette étape du processus de la reprise, le mentor peut certainement amener le repreneur à réfléchir au profil de l’entreprise qu’il souhaite acquérir et à ses compétences susceptibles d’être utiles autant lors du processus de reprise que pour la poursuite des activités de l’entité. Tout comme dans d’autres contextes, le mentor amène le mentoré à réfléchir à ses choix de carrière. Dans ce cas-ci, il permet au repreneur de mieux cerner ce qu’il recherche et d’évaluer ses chances de réussite dans son projet de reprise. En ce qui concerne les enjeux de financement et d’évaluation de la valeur marchande, le mentor étant d’abord et avant tout un généraliste, comme nous l’avons déjà évoqué, ces besoins devraient idéalement être comblés via d’autres accompagnants, en l’occurrence des spécialistes de ces questions.
8Une fois l’entreprise acquise, le repreneur peut faire face à plusieurs autres difficultés. Parmi celles-ci, nous retenons travailler et se faire accepter par du personnel qu’il n’a pas choisi, intégrer le réseau du cédant, gérer efficacement une entreprise qu’il connaît peu et entretenir une bonne relation avec le cédant? [6]. Pour relever ces défis avec succès, il devra rapidement connaître sa nouvelle entreprise, exercer son leadership en tant que nouveau dirigeant et développer ses propres réseaux. À ces défis spécifiques aux reprises, s’ajoutent ceux relatifs à tout propriétaire d’entreprise, que ce soit le manque de temps, la difficulté à faire connaître l’entreprise, la solitude du chef, et ainsi de suite.
9À cette étape, le mentor serait particulièrement nécessaire aux repreneurs. En questionnant le mentoré sur l’entreprise reprise, il l’amènera à identifier des informations cruciales qui lui sont nécessaires pour gérer efficacement son entreprise et, du coup, l’incitera à récupérer celles-ci auprès de différentes sources (employés, cédant, fournisseurs, etc.). La démarche du repreneur à cet égard lui permettra de connaître davantage ses collaborateurs et de donner le signal qu’il prend le contrôle de l’entreprise reprise. De plus, advenant certaines difficultés quant à l’exercice de son leadership, le repreneur devrait alors en discuter avec son mentor. Les réflexions du mentor pourraient faire prendre conscience au repreneur des enjeux liés à ses actions à cet égard et, du coup, lui permettre de viser le juste milieu entre intervenir trop brusquement/rapidement et perdre sa crédibilité/légitimité liée à l’exercice de son leadership en adoptant un style « laissez-faire » dès le départ. En outre, au niveau du développement du réseau, le mentor pourrait non seulement faire prendre conscience au repreneur de la nécessité d’établir rapidement des contacts avec les collaborateurs de l’entreprise, mais aussi lui permettre de nouer des liens avec des réseaux complémentaires. En effet, le mentor étant généralement une personne du monde des affaires qui a réussi, il pourrait faciliter la mise en relation avec de nouvelles personnes du milieu pouvant aider le repreneur dans l’exercice de ses fonctions.
10Finalement, il est reconnu que le mentorat est une forme d’accompagnement pertinente pour les dirigeants d’entreprises à plusieurs égards, cela s’appliquant à la fois pour les créateurs que pour les repreneurs d’entreprise. Par exemple, on souligne généralement la capacité du mentor à faciliter l’identification de nouvelles opportunités d’affaires, son soutien dans la clarification de la vision future de l’entreprise, sa capacité à donner confiance au mentoré quant à ses compétences de dirigeant et de nombreux apprentissages utiles à la gestion d’une entreprise pour un entrepreneur novice? [7]. Tous ces apports potentiels du mentor sont autant d’occasion pour le repreneur de tirer profit de sa relation de mentorat, évidemment en fonction de ses besoins particuliers. Ainsi, au niveau cognitif, tout repreneur peut obtenir des informations et développer certaines compétences avec le mentor, toujours sous réserve des qualités possédées par ce dernier. Au niveau de la vision d’affaire, bien que l’entreprise ait déjà été impulsée préalablement par le cédant, le repreneur doit réfléchir au développement de son entreprise et se projeter dans l’avenir. À cet effet, le mentor pourrait être tout aussi utile que pour les entrepreneurs novices. C’est également le cas pour l’identification d’opportunités, le repreneur doit éventuellement considérer les possibilités que lui offre son entreprise pour servir différents marchés actuels ou futurs. Sur le plan affectif, le repreneur est tout aussi susceptible d’avoir besoin de se sentir apte à gérer l’entreprise et à se considérer comme un véritable entrepreneur. Au niveau de la solitude, elle pourrait même être plus marquée chez le repreneur car il pourrait se sentir encore plus isolé de ses employés puisqu’il ne les a pas choisis. À cet effet, le mentorat pourrait lui être salutaire.
11Ayant fait le tour des principaux éléments qui concernent le repreneur, tournons-nous maintenant vers les besoins spécifiques du cédant et des rôles du mentor qui pourraient lui être utiles.
Besoins du cédant et rôles du mentor
12Tous les propriétaires-dirigeants de PME devront, un jour ou l’autre, transmettre leur entreprise. Si certains le font de plein gré, d’autres ont de la difficulté à céder. Même dans les cas de transmission souhaitée par le propriétaire-dirigeant, ses sentiments pourraient être ambivalents et évoluer tout du long du processus. Dans certains cas, même prêt, il est possible que le cédant vive son départ avec beaucoup de difficulté, d’arrachement et de souffrances, autant dans les cas de transmission familiale qu’externe? [8]. Cette réaction est tout à fait normale et compréhensible. Quand on a passé de nombreuses années de sa vie à bâtir et à développer un projet d’affaires, celui-ci est souvent considéré comme le « bébé » du créateur et il constitue une partie très importante de sa vie. Ainsi, sa capacité à faire le deuil de son entreprise et de son rôle de dirigeant est un défi fondamental et important pour faciliter la transmission au repreneur? [9].
13Actuellement, le mentorat auprès du cédant demeure un phénomène marginal. Toutefois, quelques cas commencent à émerger, comme par exemple celui de Jean Veilleux, fondateur de Produits forestier J.V. inc., qui a été accompagné par un mentor dans son processus de transfert d’entreprise. Comme ce dirigeant l’évoque, le mentorat lui a été utile à plusieurs niveaux :
« L’accompagnement par un mentor m’a permis d’évacuer mon émotivité, ce qui facilite la prise de décision par la suite. Ce n’est pas facile de se retirer de la direction pour laisser la place à quelqu’un d’autre, en particulier lorsqu’il s’agit de ses propres enfants. Le mentor permet au cédant de prendre du recul, de réfléchir à son désengagement et de parler des difficultés vécues »? [10].
15Sachant que le mentor intervient au niveau psychologique, au niveau de la carrière de l’entrepreneur et comme modèle de rôle, il pourrait certainement être utile pour le cédant à certains égards. Comme nous l’avons évoqué précédemment, l’une des principales difficultés du cédant est de se désengager de son entreprise et de se trouver d’autres champs intérêts. Ici, un mentor pourrait certainement permettre au cédant d’exprimer ses sentiments à propos de son désengagement à quelqu’un de neutre. En outre, il pourrait faciliter la réflexion du cédant à propos des nouvelles sphères d’activités dans lesquelles il souhaite s’investir, dont peut-être même la possibilité de devenir mentor à son tour ! Ce dialogue pourrait être particulièrement avantageux dans les cas où le mentor a lui-même vécu le processus de désengagement de son entreprise, une situation qui lui permettrait d’être un modèle de rôle auquel le cédant pourrait s’identifier. Finalement, le succès d’une reprise repose notamment sur la capacité du cédant à transmettre son savoir-faire et ses connaissances au repreneur et ainsi, à en faciliter sa prise de direction. Le mentor pourrait aider le cédant afin qu’il prenne conscience de son rôle de facilitateur à cet égard et lui rappeler l’importance de collaborer avec le repreneur pour assurer la pérennité de l’entreprise.
16Dans tous les cas, le mentor aurait avantage à adopter un style maïeutique plutôt que directif, c’est-à-dire basée sur les questionnements judicieux dans l’optique de laisser toute l’autonomie au mentoré, une approche beaucoup plus profitable pour des entrepreneurs qui sont à la tête de leur entreprise [11]. Rappelons ici que l’approche maïeutique provient de la mythologie grecque, où la sage-femme Maïa veillait aux accouchements. Par analogie, la maïeutique est une méthode d’interrogation visant à faire « accoucher les esprits », permettant alors à l’individu de conceptualiser des connaissances enfouies en lui. L’approche maïeutique se retrouve donc à l’opposée de l’approche directive, où certains utilisent plutôt « non-directive » avec la même signification que maïeutique. Si le style maïeutique est supérieur pour l’entrepreneur (et par conséquent pour le repreneur), il pourrait être d’autant plus indispensable auprès du cédant. Les questionnements du mentor seraient à même de forcer ce dernier à réfléchir à certains enjeux, tel son désengagement ou son rôle dans la transition auprès du repreneur, et à lui éviter d’être réactif lorsque les situations critiques surviendront, le cas échéant.
Des bénéfices pour les deux parties
17Comme nous l’avons constaté dans cet article, le mentorat pourrait être utile auprès des repreneurs et des cédants mais de différentes manières. Puisque certains n’ont pas accès à des mentors dans leur entourage, le recours à des associations pour offrir le service de jumelage est parfois nécessaire. Ainsi, grâce à l’accompagnement d’un mentor, le cédant serait susceptible de prendre conscience des enjeux liés à la vente de son entreprise et à son retrait en tant que chef, lui permettant de mieux s’y préparer et de faciliter l’accession au repreneur. Pour le repreneur, le mentor pourrait être en mesure de favoriser le développement de certaines compétences, de sa vision personnelle à l’égard de l’entreprise acquise et d’y déceler des opportunités de développement. Le repreneur pourrait être également en mesure de se faire davantage confiance, de développer son réseau de contact et même de se sentir moins seul dans son entreprise. Autant de bénéfices pour les cédants et repreneurs qui ne sauraient être ignorés dans un contexte où la pérennité des entreprises est un enjeu majeur pour la préservation des emplois.
18Sans être toutefois une panacée, le mentorat devra dorénavant être considéré comme une forme d’accompagnement, parmi d’autres, pouvant donner des résultats tangibles pour les cédants/repreneurs.
Notes
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[1]
Eurochambres (2009). A Helping Hand for SMEs – Mentoring Business Transfer, Bruxelles, Belgique, Commission Européenne.
-
[2]
St-Jean, E. (2010), « Les fonctions du mentor de l’entrepreneur novice », Revue de l’entrepreneuriat, Vol. 9, No. 2, p. 28-49.
-
[3]
Paul, M. (2004), L’accompagnement : une posture professionnelle spécifique, L’Harmattan, Paris.
-
[4]
Cadieux, L. et F. Brouard. (2009), La transmission des PME - Perspectives et enjeux, Presses de l’Université du Québec, Québec (Québec).
-
[5]
Picard, C. et C. Thévenard-Puthod (2006). « Des repreneurs inégaux face aux difficultés du processus de reprise et aux dispositifs d’appui ». 1ères Journées George Doriot, Deauville, France, 16-17 mars.
-
[6]
Deschamps, B. et R. Paturel. (2005), Reprendre une entreprise… saine ou en difficulté, Dunod, Paris.
-
[7]
St-Jean, E. et J. Audet (In Press), « The Role of Mentoring in the Learning Development of the Novice Entrepreneur », International Entrepreneurship and Management Journal.
-
[8]
Boussaguet, S. (2008), « Prise de fonction d’un repreneur de PME : Repérage de conditions de facilitation et d’activation », Revue de l’Entrepreneuriat, Vol. 7, No. 1, p. 39-62.
-
[9]
Bah, T. (2009), « La transition cédant-repreneur. Une approche par la théorie du deuil », Revue française de Gestion, vol. 194, p. 123-148.
-
[10]
Réseau M. (2008), « Relève d’entreprise - Pas si facile de passer le flambeau », Le Mentor, Vol. 1, Fondation de l’entrepreneurship, Québec.
-
[11]
St-Jean, E. et J. Audet (2010). « Le mentorat d’affaires : existe-t-il un style d’intervention idéal ? ». 10e Congrès International Francophone en Entrepreneuriat et PME, Bordeaux, France, 27-27 octobre.