CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Les points forts

  • Comment des héritiers membres d’une même fratrie se partagent-ils le leadership d’une entreprise lorsqu’ils en détiennent déjà la propriété ?
  • Le problème se pose différemment selon que le capital a été partagé ou non de manière égalitaire et selon que le leadership est partagé ou au contraire que le pouvoir est détenu par un seul membre de la fratrie.
  • L’analyse du cas d’un frère et d’une sœur permet de tirer quelques enseignements quant à la définition du rôle des acteurs – héritiers, mais aussi père de famille – et aux éléments nécessaires à la constitution d’un cadre favorable à une succession réussie.

1Le leadership partagé entre plusieurs membres de la famille est une pratique courante dans le contexte des successions familiales (Cater et Justis, 2010? [1] ; Farrington, Venter et Boshoff, 2011? [2]). Si l’on en croit une étude menée aux États-Unis, 42 % des propriétaires dirigeants envisagent de transmettre leur pouvoir à une équipe de successeurs pour assurer la continuité de leur entreprise, plutôt que de la confier à un seul et même dirigeant (Mass Mutual, 2007? [3]). Pourtant, ce sujet a peu intéressé la littérature académique.

2Gersick, Davis, McCollon Hampton et Lansberg (1997)? [4] et Aronoff (1998)? [5] expliquaient cependant que la succession familiale en équipe était la solution la plus tenable en raison des affinités entre les membres de la famille, du partage de valeurs communes héritées de l’éducation et du savoir tacite transmis presque « naturellement ». Alors même que cette configuration de succession familiale plurielle existe, aucun écrit n’explique comment concrètement un leadership familial se partage.

3Cet article propose une réponse à cette question : comment des héritiers d’une même fratrie partagent-ils le leadership quand ils partagent déjà la propriété ? Nos préconisations concernant les transferts de propriété et de direction d’une génération à une autre, entre un prédécesseur et des successeurs reposent sur un exemple de codirection entre un frère et une sœur.

Le transfert de leadership entre membres d’une même fratrie

4Le transfert de leadership est plus délicat dans les entreprises familiales que dans d’autres types d’entreprises principalement parce que celui qui cède exerce une forte influence sur la culture d’entreprise (Venter et Boshoff, 2007? [6] ; Kets de Vries, Carlock et Florent-Treacy, 2007? [7]).

5La succession à plusieurs et donc les transferts de propriété et de direction peuvent prendre trois formes (Cf. Figure 1) :

  • Un partage équitable de la propriété et du leadership : on parle alors de co-leadership (à deux ou plus) ;
  • Un partage équitable de la propriété, mais pas du leadership : l’un des membres de la fratrie devient le leader et ses frères et / ou sœurs ses subordonnés (la littérature parle de « first among equal ») ;
  • Un partage non équitable de la propriété : le leadership est assuré par celui qui détient la majorité des parts.

Figure 1

Transferts de propriété et leadership à plusieurs membres de la famille

Figure 1

Transferts de propriété et leadership à plusieurs membres de la famille

6La notion de “fair versus equal” mérite d’être nuancée : le prédécesseur peut croire qu’il agit de manière juste parce qu’il transmet la même part de propriété à chacun de ses enfants. Cependant, cela peut être considéré comme injuste si l’un des enfants travaille depuis longtemps dans l’entreprise, et pas les autres? [8]. Il s’agit d’ailleurs d’une source significative de conflits et tensions au sein des successions familiales. Dans ces contextes, l’ainé(e) est souvent préféré(e) pour limiter les rivalités et les ambiguïtés entre les membres de la fratrie.

Le partage du leadership

7Le leadership se partage-t-il ? La question se pose car elle implique un partage des prises de décision, de vision et de pouvoir. Un leadership à deux têtes semble compatible en cas de complémentarité des rôles. Mais Reid et Karambayya (2009)? [9] expliquent bien que les organisations ont besoin d’une personne seule pour coordonner une vision d’entreprise, pas deux. Les conflits générés entre deux individus (ou plus) sont susceptibles de rendre la vision de l’entreprise incohérente et inefficace. Cette vision est influencée par des logiques institutionnelles différentes, voire antagoniques. Pour lutter contre cela, le partage de leadership doit être encadré. Il doit être assumé, clair et demande de l’organisation entre ceux qui le partagent. Illustrons nos propos à partir du cas Calcaire SA qui bénéficie actuellement d’une codirection entre un frère et une sœur, les petits-enfants du fondateur.

Le cas Calcaire SA? [10]

8Calcaire SA est une entreprise familiale québécoise fondée en 1938 par Patrick, spécialisée à l’origine dans les travaux de génie et la fourniture de graviers. Il était un multi-entrepreneur qui dirigeait plusieurs activités. Il a décidé de se concentrer sur la construction et a acheté une carrière calcaire en 1954 (dans la périphérie de Montréal). En 1964, après son décès brutal, son fils Pierre, alors à la direction de l’entreprise depuis 1963, lui succède. Davantage gestionnaire qu’entrepreneur et assez prudent dans la prise de risques, Pierre a en tête une gestion sereine de l’entreprise. En 2006-2007, il commence à la transmettre à ses deux enfants Patricia et Paul, en codirection, ceux-ci étant déjà propriétaires de l’entreprise en partie depuis leur adolescence. Intégrée verticalement, elle propose des services complets à ses clients finaux qui sont majoritairement du domaine public (gouvernement). En croissance, les actuels dirigeants (successeurs) cumulent des opérations de croissance externe sur des activités complétant leur chaîne de valeur.

Chiffres clés et évolution de l’entreprise(*)

tableau im2
Chiffre d’Affaires Effectifs Grand-père : Patrick 5 millions de $* 500 Père : Pierre 20 millions de $ 150 Fils et fille : Patricia et Paul 45 millions de $ 200

Chiffres clés et évolution de l’entreprise(*)

(*) dollars canadiens

Les successeurs

9L’aînée, Patricia, après des études de droit et une maîtrise en gestion (MBA), a très vite intégré l’entreprise pour travailler aux côtés de son père. Paul, de son côté, est devenu pharmacien. La propriété de l’entreprise a été transférée graduellement à parts égales entre les deux enfants. Naturellement, Patricia devait être nommée PDG. Mais elle a réalisé que son frère, coactionnaire avec elle, devrait prendre des décisions par son titre d’actionnaires, sans avoir de connaissances de l’entreprise. Elle l’a alors invitée à s’y intéresser, à la comprendre, de manière à ce que, en conseil d’administration, il puisse pendre des décisions en connaissance de cause. Cependant, il a décidé de travailler dans l’entreprise d’abord à temps partiel, puis à temps plein. Il a commencé par une mission en RH, puis une autre en logistique pour s’impliquer davantage, jusqu’à ce qu’il décide d’abandonner le domaine pharmaceutique pour épauler sa sœur et prendre la suite de son père.

La décision pour la codirection

10Lors de la préparation de la succession, sous les conseils des consultants, Patricia et Paul ont passé des tests psychométriques qui ont montré qu’ils réunissaient à eux deux toutes les qualités et compétences requises pour une direction d’entreprise. L’idée de la codirection partagée entre le frère et la sœur est née de cette manière, mais elle impose de nommer un Président (même à égalité de parts entre les actionnaires). Patricia a toujours su qu’elle travaillerait dans l’entreprise familiale et qu’elle en assurerait la direction. Elle ne pensait pas avoir d’enfants du fait de cette responsabilité, leur mère s’étant sacrifiée professionnellement pour eux. L’idée de la codirection lui a fait prendre conscience que partager la tâche avec son frère lui permettrait de fonder une famille. Comme elle travaillait dans l’entreprise depuis plus longtemps et qu’il lui incombait les activités de représentations, elle a été nommée Présidente.

La manière dont le partage du leadership était perçu

11En 2007, au démarrage de la codirection, les enfants voient d’un bon œil la gestion conjointe de l’entreprise : « L’entreprise a assez d’envergure pour qu’on se partage le travail quand on est là en même temps. De toute façon, on se consulte sur tout et on arrive presque toujours à s’entendre malgré nos différences », atteste Patricia. Cette harmonie, les parents s’emploient quotidiennement à la préserver car ils considèrent que si les enfants sont constamment malheureux et en conflit, l’entreprise finira par en souffrir. Et vendre n’a jamais été une option envisagée.

12Les codirecteurs estiment que la gestion conjointe comporte de nombreux avantages : d’abord et avant tout elle leur offrira plus de flexibilité pour concilier travail et famille, mais leur donnera aussi la liberté de s’absenter pour faire des voyages et prendre des vacances. Tous deux souhaitent poursuivre l’œuvre de leur père avec des lignes directrices assez similaires : « On veut que Calcaire SA soit encore un gros joueur dans 30 ans. On essaie de poser les bons gestes et d’élargir notre place. Mais tant que papa va être là, on ne vivra pas la réalité. Il fait le tour des bureaux chaque matin pour savoir ce qui se passe d’important dans la journée. Il sait convaincre les gens et c’est vraiment lui le leader. Il faut que ça évolue plus vite et qu’on établisse à notre tour notre leadership », confie Patricia en 2007 donc.

La codirection au quotidien

13En 2011, on peut qualifier la codirection de paradoxale : les codirecteurs sont complémentaires mais souffrent de leurs différences.

14Côté complémentarité, le partage des tâches s’est fait naturellement en fonction des affinités de l’un et l’autre. Cependant, ils n’ont pas différencié leurs responsabilités. « Dans notre couple avec mon frère, je suis gestionnaire, mon frère entrepreneur » [Patricia]. Patricia s’occupe du volet relationnel de l’entreprise et Paul gère les finances, la technique et la R&D. Patricia, par ses expériences antérieures et ses engagements politiques, est très connue. Elle dispose d’un réseau important et aime les échanges. « Elle est raffinée, je vais droit au but. Ton interlocuteur doit savoir ce que tu penses, ma sœur négocie plus. Dans certaines situations, c’est mieux comme elle, dans d’autres c’est mieux comme moi ! On est très complémentaires » [Paul]. Dans les prises de décision, chacun a sa manière de fonctionner, manière qui se révèle jusqu’à aujourd’hui complémentaire. Les prises de décisions stratégiques doivent être validées par les deux codirecteurs. Si l’un n’est pas d’accord, même après consultation du père, la décision se prend dans le sens du statut quo. « Je prends des décisions au feeling, elle a besoin de tas d’informations. Elle me ralentit pour la prise de certaines décisions, je l’accélère pour d’autres. Ca se fait naturellement parce qu’on n’est pas pareils. On a donc l’impression l’un et l’autre d’apporter quelque chose à la compagnie. On a chacun notre talent » [Paul].

15Dans sa complémentarité, la codirection fonctionne. Voici d’ailleurs ce qu’en disent les intéressés. « Une des recettes de succès, c’est le doublon fille / garçon » [Patricia]. « Si l’un ou l’autre n’était plus là, il faudrait qu’on embauche un autre partenaire pour faire ce que l’autre ne fait pas. Il peut y avoir de perte de temps et d’efficacité dans nos relations. Mais plus tu parles sur une décision, meilleure est la décision » [Paul].

16Côté tensions, le frère et la sœur ont des caractères et des attitudes très différentes, parfois opposés, avec lesquels il faut composer pour la sérénité de la cohabitation à la tête de l’entreprise. Le quotidien n’est pas toujours simple entre eux, entre eux et leur père et dans l’histoire de cette entreprise familiale.

17Les caractères et manières de faire différents s’avèrent pesants au quotidien. Les rythmes et méthodes de travail ne conviennent pas aux deux. Le fait de partager toutes les informations sur toutes les activités, les oblige à être présents, ensemble, aux mêmes réunions. Paul a mis en place une réunion quotidienne avec les cadres le soir. Patricia aurait préféré être avec sa famille à cet horaire, mais devant son besoin d’être au fait de toutes les informations, s’est inclinée. Elle reconnaît que son « côté perfectionniste » lui complique la vie et entraîne des émotions dont elle a du mal à se départir. « Mon côté perfectionniste fait que je veux tout savoir. Moi je montre toujours tout à mon frère, lui naturellement ne le ferait pas, mais il fait des efforts » [Patricia]. Les principales difficultés entre eux concernent la prise de décision et les querelles du quotidien. « Les agacements du quotidien risquent de nous nuire. Je suis trop émotive, je prends les choses trop à cœur, pour que ce soit sain » [Patricia]. Il est intuitif, elle davantage analytique. Elle est visuelle, il est auditif. Elle prend beaucoup de notes en réunion, lui jamais. Elle tient à son bureau, il n’est jamais dans le sien et gère dans les bureaux des autres. Elle est diplomate et extravertie ; il est impulsif et introverti. Elle a une tendance pour l’abstraction et pour identifier l’origine des problèmes ; il est synthétique et plus porté sur les solutions. Enfin, ils ont deux manières différentes de percevoir la raison d’être de l’entreprise familiale. « Pour ma sœur, la famille doit se dévouer au développement de l’entreprise, mais pour moi, l’entreprise est une ressource pour le bien-être de la famille » [Paul]

18Pourtant, le frère et la sœur partagent les mêmes valeurs familiales, mais aussi la même vision et les mêmes buts annuels pour l’entreprise, sur le fonds. La méthode, en revanche, diffère. Patricia voudrait formaliser les choses, instaurer davantage de rigueur et de discipline. Elle regrette que les outils de gestion qu’elle a mis en place ne soient pas utilisés par son frère et donc ne soient pas à jour pour les réunions. Elle voudrait instituer une consultation mensuelle du comité de direction et du CA. Mais elle se heurte à la résistance au changement et au poids des habitudes dans une entreprise où personne n’a connu les réunions. Son frère n’adhère pas à cette manière de travailler, il fonctionne au feeling. « Ça achoppe sur le quotidien, comme dans un couple, la solution, c’est : communiquer. On s’aime et on se respecte, on veut que ça marche. On est admiratif l’un de l’autre, on a la volonté d’y arriver tous les deux. Moi je suis la freineuse de projets, c’est un rôle ingrat. Il est l’entrepreneur. Il vit bien là-dessus pour l’instant, mais j’ai peur qu’il se lasse » [Patricia]. Patricia s’interroge sur ce quotidien et sur les manières envisageables pour fonctionner autrement. Ainsi, elle a suivi un webinar sur les co-leaders qui conseille les éléments suivants : être clair sur les responsabilités, s’asseoir sur ses égos, avoir des compétences complémentaires, favoriser une bonne chimie, savoir faire front ensemble, créer des outils de communication et de décision qui fonctionnent à plusieurs.

La place du père

19Quand Patricia était seule dans l’entreprise, son père la poussait à mettre en place des changements et lui disait de convaincre. Mais elle ne se sentait pas légitime. L’arrivée de son frère a changé la donne : ils sont deux à vouloir convaincre. Pierre explique que dans cette codirection, il n’y en a pas un qui sera le chef de l’autre. Il les a impliqués progressivement, en même temps que lui se retirait. « Paul s’est montré exigeant sur ses conditions d’entrée (salariales notamment), mais c’est son entreprise, à lui et sa sœur de voir si c’est possible » [Pierre]. Les successeurs peuvent prendre part aux décisions depuis 2007 seulement. Auparavant, ils pouvaient intervenir, mais c’était leur père qui tranchait. Maintenant qu’ils sont à la tête de l’entreprise, ils consultent leur père régulièrement (qui garde son bureau dans l’entreprise et dispose toujours d’actions de contrôle). Même dans le cas de désaccord au sujet de décisions stratégiques, c’est le père qui tranche. Le frère et la sœur admettent que même après, ils continueront de le consulter. « Mes amis, c’est ma famille. Mon confident, c’est mon père. Si j’ai un problème avec mon frère, je n’en parle pas à mon mari mais à mon père » [Patricia].

Le conseil de famille

20Les conseils de famille ont été fréquents pendant la préparation de la succession. Depuis, ils sont convoqués par Pierre essentiellement quand il sent des tensions entre les deux cochefs. Ils sont utiles pour réduire les tensions et régler les conflits familiaux. Dans le conseil de famille, ils abordent les aspects purement familiaux et les affaires de l’entreprise ne sont pas traitées, même si les frontières sont minces. Ces réunions sont informelles, il n’en existe pas de trace. Elles sont organisées pour communiquer et lever des points de blocage. « Les problèmes de relations [d’affaires] entre moi, mon père et ma sœur ne sont pas réglés en conseil de famille mais en CA. Ma mère n’intervient pas. Les conseils de famille sont très déconnectés de l’entreprise, même si ça finit par déborder » [Paul].

Les enseignements du cas

21Ce cas de l’entreprise Calcaire illustre les difficultés de gérer une entreprise familiale à deux. Les tensions, exprimées par les successeurs, proviennent principalement de trois sources :

  • les perceptions différentes de la raison d’être de l’entreprise familiale (priorité à la famille ou priorité à l’entreprise) ;
  • le manque de définition des fonctions et rôles des successeurs dans l’entreprise ;
  • la place toujours forte du prédécesseur dans l’entreprise et son rôle de père pour Patricia.
Même si le leadership a été transmis aux enfants, le prédécesseur garde des actions de contrôle et donc son droit de superviser la gestion des successeurs. Cependant, ce contrôle n’est pas drastique et le prédécesseur laisse ses enfants prendre leurs décisions, même s’il ne les partage pas. Ce rôle toutefois peut s’intensifier en cas de conflit entre les successeurs codirecteurs. Surtout que le prédécesseur n’a pas physiquement quitté l’entreprise : il s’y rend quotidiennement, et joue un véritable rôle auprès des employés (qui ont gardé leurs repères auprès de lui, et non auprès des successeurs dont la tension est palpable) et auprès de ses enfants envers lesquels il joue le rôle de médiateur. Il continue de vouloir être informé. Les enfants successeurs sont patients et agacés à la fois : ils souhaitent son départ afin d’être les seuls maîtres à bord mais, en même temps, sont parfaitement conscients de son rôle et de l’importance de sa médiation dans les situations conflictuelles.

22Nous remarquons des tensions entre les co-leaders. Ces conflits (divergence dans la manière de prendre les décisions, colère, déception et frustration) apparaissent lors de la gestion du quotidien. Ils s’expliquent par l’absence de définition claire (pour les intéressés mais également pour les interlocuteurs internes et externes à l’entreprise) des fonctions de chacun des directeurs. Les deux participent autant aux prises de décisions stratégiques, qu’opérationnelles. De ce fait, la valeur sûre pour l’ensemble des parties prenantes demeure le prédécesseur. Patricia et Paul vivent dans un paradoxe quotidien qui provoque chez eux un grand stress. D’un côté, ils s’aiment comme frère et sœur et sont complémentaires. D’un autre côté, ils ont du mal à accepter leurs manières de gérer l’entreprise et de prendre de décisions. Cependant, ils manifestent une grande disponibilité pour faire en sorte que leur codirection évolue.

Recommandations

23Les enseignements de ce cas, nullement isolé dans les situations de transmission en co-leadership, nous conduit à formuler les recommandations suivantes :

  1. définir des rôles entre les successeurs, assumer ces fonctions face aux parties prenantes, se montrer soudés vis-à-vis de ces mêmes parties prenantes ;
  2. assigner une mission planifiée dans le temps au prédécesseur. Le rôle de transition assuré par celui-ci est, certes, primordial, mais il doit se clôturer dans un délai raisonnable (trois ans maximum, mais cette durée dépend du temps depuis lequel la succession a commencé dans les faits). Une manière de s’y prendre, a priori acceptable pour tous, consiste à affecter le prédécesseur à une tâche précise, utile pour les successeurs et facilement identifiable par les employés. La fin de cette mission étant connue de tous, c’est donc naturellement que le prédécesseur pourra quitter l’entreprise. Cette action permet également au prédécesseur de préparer son départ (dont le terme est fixé) et d’organiser sa vie en dehors de l’entreprise.
  3. convoquer régulièrement le conseil de famille, qui permet de régler les conflits de l’entreprise sans faire intervenir trop d’affect issu de l’appartenance familiale.
  4. s’entourer de conseillers pour préparer la succession familiale et les conserver ensuite pour les consulter. Ceux-ci sont utiles d’une part au prédécesseur pour l’aider à opérer sa transition de rôle et à progressivement se détacher de l’entreprise et, d’autre part, aux successeurs pour les aider dans leur quotidien de codirecteurs.
  5. mettre en place une structure de gouvernance, ou des mécanismes, qui permettent d’assurer la prise de décisions dans le cas d’une divergence majeure entre les co-leaders.
  6. établir, dans un document officiel, un ensemble de règles permettant de maintenir l’équilibre entre l’entreprise et la famille, dans des situations délicates ou irritantes.
  7. assumer ses valeurs familiales qui représentent un des facteurs clé de réussite : la confiance est primordiale, son socle vient de l’appartenance à la même fratrie.

Notes

  • [1]
    Cater, J.J., & Justis, R.T. (2010). The development and implementation of shared leadership in multi-generational family firms. Management Research Review, 33(6), p. 563–585.
  • [2]
    Farrington, S.M., Venter, E. & Boshoff, C. (2011). The Role of Selected Team Design Elements in Successful Sibling Teams. Family Business Review, 20(10), p. 1-15.
  • [3]
    MassMutual (2007). American Family Business Survey. Atlanta, GA: Kennesaw State, & Family Firm Institute.
  • [4]
    Gersick, K., Davis, J., McCollon Hampton, M. & Lansberg, I (1997). Generation to Generation: Life Cycles of the Family Business. Harvard Business School Press.
  • [5]
    Aronoff, C.E. (1998). Megatrends in Family Business. Family Business Review, 9(3), p. 181-185.
  • [6]
    Venter, e. & Boshoff, C. 2007. The influence of organisation-related factors on the succession process in small and medium-sized family businesses. Management Dynamics, 16(1): p. 42–55.
  • [7]
    Kets de Vries, M.F.R., Carlock, R.S. & Florent-Treacy, E. (2007). Family business on the couch: A psychological perspective. John Wiley & Sons, Ltd, West Sussex.
  • [8]
    Gersick, K. (1996). Equal Isn’t Always Fair. Family Business Magazine, spring.
  • [9]
    Reid, W. & Karambayya, R (2009). Impact of dual executive leadership dynamics in creative organizations. Human Relations, 62(7), p. 1073-1112.
  • [10]
    Les noms de l’entreprise et des membres de la famille sont fictifs pour garantir l’anonymat.
Français

Résumé

La transmission d’une entreprise familiale par une entrepreneuse à plusieurs de ses héritiers, qui en partageront à la fois le capital et la direction, est un grand classique. Cette configuration concerne en effet une part importante (plus de 40 % aux États-Unis) des transmissions successorales. Curieusement, le phénomène a peu intéressé les chercheurs. L’article se propose de combler ce manque, à travers l’analyse d’un cas de transmission successorale à un tandem constitué d’un frère et d’une sœur.

Bérangère Deschamps
Bérangère Deschamps est Maître de Conférences à l’IAE de Grenoble, responsable du Master 2 Entrepreneuriat et conseils aux PME. Elle travaille depuis une dizaine d’années sur la reprise d’entreprise par les personnes physiques, d’abord en expliquant le processus repreneurial, puis en s’orientant sur les acteurs. Sa recherche porte également sur les successions familiales et les profils d’entrepreneurs de PME.
Luis Cisneros
Luis Cisneros est Professeur Adjoint au Service de l’enseignement du Management et membre de la Chaire d’entrepreneuriat Rogers-J.-A.-Bombardier à HEC Montréal. Ses intérêts de recherche portent sur des sujets liés à la gestion des PME, l’entrepreneuriat, la direction des entreprises familiales, la relève entrepreneuriale et les contradictions inhérentes au management.
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 12/09/2012
https://doi.org/10.3917/entin.014.0049
Pour citer cet article
Distribution électronique Cairn.info pour De Boeck Supérieur © De Boeck Supérieur. Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent article, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.
keyboard_arrow_up
Chargement
Chargement en cours.
Veuillez patienter...