CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Les points clés

  • À travers le cas de la transmission d’une entreprise du secteur immobilier, on peut analyser l’enjeu que représente, pour le repreneur d’une entreprise, la maîtrise du réseau de ce dernier.
  • En l’occurrence, ce qui importe pour lui n’est pas tant d’obtenir des informations complètes sur le réseau du cédant que d’acquérir la technique du réseautage.
  • La prise en compte des ressources réseaux doit être pleinement intégrée aux différentes phases du diagnostic du projet de reprise.

1Une des difficultés majeures du processus de transmission d’une PME est liée à la perte de savoirs, de savoir-faire ou de savoir-être du cédant lors de son départ. Ces ressources, intangibles, sont le plus souvent à la base des compétences clés de l’entreprise. Dès lors, en l’absence de ce transfert de ressources, le potentiel de l’entreprise peut être fortement impacté. Le réseau de l’entreprise, c’est-à-dire l’ensemble des relations de coopération qu’elle entretient avec son environnement, est une de ses ressources clés. Or comme le montre Froehlicher (1997) [1], dans le cas spécifique de la PME, a fortiori de la PE, le réseau de l’entreprise est souvent assimilable au réseau du dirigeant. Dès lors, comment transférer la ressource réseau de l’entreprise à reprendre lorsque le cédant s’en va ?

2Après la présentation d’un cas illustrant la difficulté de reprendre une entreprise dont le potentiel repose en grande partie sur la valeur de ses réseaux, nous développons une réflexion sur la prise en compte de la ressource réseau et émettons des propositions sur les enjeux du transfert de cette ressource lors d’une reprise. En effet, certains échecs de reprise peuvent reposer sur l’incapacité ou l’impossibilité du repreneur à s’approprier le réseau du cédant. Or, l’amélioration des pratiques en matière de reprise est un enjeu de taille. En effet, le rapport du cabinet KPMG (2008) [2] sur les risques et opportunités de la transmission des entreprises industrielles réalisé pour le ministère de l’économie et des finances français indique que 21 % des entreprises reprises seraient en échec après 6 ans d’activité tout en évaluant à 700 000, les entreprises à transmettre/reprendre dans les 10 ans à venir. Au Canada, Brouard et Cadieux (2007) [3] indiquent que 41 % des dirigeants de PME prévoient de transmettre ou céder leur entreprise avant 2010. Ce chiffre passe à 71 % d’ici à 2015 (source : FCEI, 2005) [4].

Un cas de figure classique : le cas « Immo »

3En 2008, le dirigeant de la société Immo, alors proche de la soixantaine, envisage de préparer sa succession. Il a fondé et dirigé sa société dont l’activité principale est celle de lotisseur-aménageur. L’entreprise réalise aussi à titre accessoire des réhabilitations de bâtiments (châteaux, hôtels). Elle agit essentiellement en maître d’œuvre, parfois en maître d’ouvrage. La société réalise un CA annuel moyen de 2 millions d’euros environ, dégageant un résultat oscillant autour de 200 000 € chaque année. L’entreprise compte quatre salariés dont aucun n’est pressenti, ni ne souhaite reprendre.

Une période d’immersion pour appréhender le réseau

4L’opportunité d’assurer la continuité de l’affaire se fait finalement jour en la personne d’un étudiant présent dans la structure pour un stage. Intéressé à l’idée de devenir entrepreneur, celui-ci revient après cette première expérience pour un second stage de fin d’études universitaires (master en entrepreneuriat choisi en connaissance de cette opportunité). L’objectif est d’intégrer la structure, apprendre le métier et évaluer l’affaire. Le repreneur potentiel, alors âgé de 27 ans réintègre la société pour tester son projet et se tester. Compte tenu de l’activité particulière de l’entreprise, le repreneur est dès le départ conscient du rôle clé de la ressource stratégique que représentent les réseaux du dirigeant ; la période d’immersion doit servir à évaluer le réseau et commencer à se l’approprier.

Paroles de cédants et de repreneurs

« Sans réseau, dans ce métier tu n’es rien. »
« Si l’on ne connaît personne, qu’on ne développe pas son réseau, on ne peut rien faire. Absolument rien. Sans ce réseau je ne pourrais pas travailler et les autres m’empêcherait de travailler ».
[Le cédant, face au repreneur]
« Envisager de reprendre cette entreprise sans engager une réflexion sur le « réseau » de son dirigeant serait plus qu’une erreur. Celui-ci semble en effet être, plus que tout autre chose, la grande force de cette entreprise, sa principale ressource ou plus exactement son mode préférentiel d’accès aux ressources (information, compétences, flux financiers etc.).
« Si la performance de cette entreprise semble bonne, il est impensable de la maintenir ou de l’augmenter sans ce réseau ou tout du moins sans une partie de ce réseau. »
[Le repreneur]

5Difficulté supplémentaire, le cédant potentiel est célibataire, sans enfant et sa vie est largement centrée sur son activité. Ses réseaux professionnel et personnel sont confondus (membres de la famille/associés, amis/relations d’affaires).

6Une fois dans l’entreprise le repreneur potentiel a donc dans un premier temps observé le mode de fonctionnement du dirigeant en l’assistant puis en prenant à sa charge certaines activités courantes (prospection, contact, montage de projets, etc.). Cette phase a confirmé qu’une part essentielle du processus de production de l’entreprise était immatérielle (de l’information) et intangible (contacts non systématiquement répertoriés, absence de procédure). Rapidement, il a donc fallu rendre matériel le tissu relationnel du dirigeant en l’absence de tout support tangible de mémoire organisationnelle (fichiers, procédures). La démarche retenue a consisté à mobiliser l’agenda du dirigeant afin d’identifier les nœuds de son réseau. En pratique, l’agenda ne retenait que le formel, or il est rapidement apparu que les relations les plus riches étaient informelles et souvent inopinées. L’étudiant a donc par la suite cherché à répertorier chaque contact quotidien en précisant son rôle. Cette observation minutieuse a fait émerger deux types de réseau :

  • Un réseau dit technique qui regroupe les compétences nécessaires à l’élaboration du produit fini (géomètre, entreprise de bâtiment et travaux publics, bureau d’études pour la voirie et les réseaux divers ou VRD). Partenaires historiques d’Immo, ces entreprises, indépendantes, collaborent systématiquement ensemble, sans qu’Immo ne recoure au marché pour négocier des conditions différentes avec des concurrents éventuels.
  • Un second réseau dit d’informateurs, plus riche et plus complexe à appréhender a été mis au jour. Il se structurait autour de la multitude de relations informelles qui alimente en information le processus productif (essentiellement prospectif) du dirigeant.
Dans le premier cas, le réseau était composé de trois entreprises avec lesquelles des liens anciens existaient et où la relation était régulée par la confiance, l’habitude, l’amitié et l’estime liant les dirigeants. Dans le second cas, il s’agissait de relations hétérogènes (diversité des acteurs rencontrés), nouvelles pour la moitié, isolées (les contacts sont peu redondants entre eux), orchestrées par le biais de canaux divers, planifiées ou au contraire totalement fortuites où seul le hasard et un certain savoir-faire semblaient rendre possible ces contacts.

7Ainsi, le premier réseau a facilement été identifié. Il est apparu potentiellement transférable dès lors qu’il a été mis au jour et rendu tangible. La difficulté résidant dans la capacité du repreneur à susciter et construite sa propre relation de confiance avec les interlocuteurs historiques. L’analyse détaillée de la composition du réseau d’informateurs ne révélait, au final, pas de grande surprise quant à sa composition (artisans, professionnels de l’immobiliers, notaires, élus, agriculteurs) ; celui-ci aurait en grande partie pu être agencé à distance avec un annuaire de professionnels, les listes des élus locaux et les plans d’occupation des sols des communes (toutes ses informations étant publiques). C’était moins les caractéristiques de ces personnes que le processus de construction de la relation qui était valorisable. En effet, les relations n’avaient pas de valeur intrinsèque en dehors du moment où elles avaient été sollicitées et n’existaient que du fait de la présence du cédant. Le réseau paraissait donc non transmissible bien que créateur de valeur. Au final, seul le processus de construction du réseau semblait importer car celui-ci pouvait potentiellement être appris et donc réutilisé.

8Ce qui crée de la valeur, c’est la capacité du dirigeant à se positionner auprès de ses interlocuteurs soit pour avoir accès à une information avant le marché, soit pour se faire reconnaître comme un offreur à part face à une demande. C’est donc, dans le cas de la reprise de cette entreprise, moins le réseau qu’il faut obtenir (la ressource) que la pratique du réseautage c’est-à-dire la capacité à se l’approprier, à le gérer (la compétence).

Le réseautage comme facteur clé de succès

En définitive, le principal savoir faire de ce dirigeant n’est pas technique, il est managérial : il utilise son « réseau » pour agréger de l’information et des compétences de manière souple et adaptable : il répond ainsi ( ) aux besoins du marché. Son réseau et sa propre capacité à l’animer sont les facteurs clés de succès de son entreprise, les leviers majeurs de sa performance
[Le repreneur]

La ressource réseau

9Le réseau d’une entreprise est considéré comme une ressource dans la mesure où il offre un accès privilégié (minimisation des coûts, des risques) à d’autres ressources (informations, capitaux, marchés) et sert ainsi de source d’avantage concurrentiel durable [5]. C’est la maîtrise de relations privilégiées avec d’autres entreprises ou d’autres individus qui permet de bénéficier des ressources des partenaires ou des alliés. Cette maîtrise relationnelle dépend du sentiment de proximité et de confiance existant entre le dirigeant, son entreprise et les parties prenantes. La qualité du réseau du dirigeant détermine son capital social [6]. C’est donc la mise au jour des réseaux du dirigeant qui permet l’identification et la mesure de son capital social [7]. Or, par nature, le réseau est une ressource invisible, intangible au même titre que la réputation, le savoir-faire ou la culture [8]. Elle est donc difficile à observer, à évaluer dans le cas d’une reprise. De plus, elle ne dépend pas que de la volonté ou du comportement du dirigeant seul mais repose aussi sur les attentes et attitudes des parties prenantes externes. Dans le cadre d’une reprise, le transfert du réseau dépend donc aussi de la réaction de l’environnement.

10En tant que ressource, le réseau est un outil potentiellement au service de l’entreprise. Toutefois sa valeur ne se révélera qu’à l’aune de la compétence qu’il convient de lui associer, compétence pour construire, entretenir et utiliser le réseau, à l’instar de ce que l’on a pu observer avec le cas Immo. Ainsi, dans le cadre d’une transmission de PME où le dirigeant est souvent « le grand architecte » du réseau de son entreprise, un apprentissage de la pratique de celui-ci s’avère fondamental pour le repreneur.

Compétence sociale et capacité de réseautage

11Dans le cas Immo, au-delà de l’identification des liens du réseau, c’est le processus de construction et d’animation de ces liens qui retient l’attention. Cette compétence semble se fonder sur les éléments suivants : la capacité à accéder à des personnes très différentes (statut et origine sociale, patrimoine), à susciter leur confiance et en les reliant à son propre univers. En outre, la valeur de ces personnes est liée à la fois aux propres ressources qu’ils sont susceptibles d’apporter mais aussi à leur propre capacité à tisser des relations au-delà de l’horizon du dirigeant. D’un point de vue théorique la qualité du réseautage de l’entreprise, c’est-à-dire l’utilisation efficace du réseau, dépend de la compétence sociale des individus impliqués dans les relations inter-organisationnelles [9] et notamment celle du dirigeant d’une part et de la capacité de réseautage de l’entreprise (network capability) [10], d’autre part.

12La compétence sociale se définit comme l’efficacité globale du processus d’interaction avec les autres, et par conséquent, dépend de la capacité à créer et étendre son réseau, à se positionner pour ensuite le mobiliser. Les travaux de Baron et Markman (op. cit.) identifient trois facteurs expliquant le concept de compétence sociale : (1) la perception sociale, c’est-à-dire la capacité à percevoir les autres au plus juste à propos de leurs caractéristiques, intentions et motivations, (2) la capacité d’adaptation sociale, c’est-à-dire l’aptitude à être à l’aise avec n’importe quel interlocuteur, à entamer une discussion et (3) la persuasion c’est-à-dire la capacité à faire changer un point de vue ou un comportement chez l’autre. La compétence sociale est donc nécessaire pour construire et augmenter son capital social. Il s’agit d’une caractéristique individuelle, une qualité du dirigeant et un savoir-faire lié à la personne. Elle est donc non cessible lors de la reprise d’entreprise.

13Walter et al. (op. cit., p. 546) définissent la capacité de réseautage comme l’aptitude de l’entreprise à « initier, maintenir et utiliser des relations avec de nombreux partenaires externes ». La notion de capacité s’entend bien au sens de Teece, Pisano et Shuen (1997) [11] c’est-à-dire comme un savoir organisationnellement intégré et dynamique. En ce sens, la capacité de réseautage se distingue de la compétence sociale dans la mesure où il s’agit d’un savoir de l’organisation et non pas une qualité ou une caractéristique de l’individu (du dirigeant en l’occurrence).

14La nature de la compétence associée à la ressource réseau est donc déterminante dans le cadre du processus de transmission de l’organisation. En effet, si cette compétence est essentiellement liée au dirigeant (sa compétence sociale) alors le réseau en tant qu’actif utile, en tant que ressource, n’aura de valeur que si le repreneur possède des qualités relationnelles similaires ou équivalentes. Si la capacité de réseautage est une compétence dynamique de l’organisation (la gestion du réseau s’appuie sur des outils, des routines, des procédures dissociables du dirigeant) alors la ressource est potentiellement valorisable par le repreneur indépendamment de sa propre compétence sociale.

15Si la relation de réseau est considérée comme un actif relationnel, sa construction, son institutionnalisation et son management constituent une compétence. Dans le cadre du processus de reprise, il convient de s’interroger sur la nature de cette compétence et notamment d’évaluer si celle-ci est avant tout reliée au dirigeant ou à son organisation. Dans le cas d’Immo, il apparaît que l’exploitation du réseau soit essentiellement rendu possible par les qualités évoquées par Baron et Markman, (op. cit.), à savoir les éléments de la compétence sociale (perception sociale, capacité d’adaptation et persuasion). L’efficacité du processus étant renforcée par la capacité élevée du cédant à articuler de l’information en provenance de mondes différents, ce qui illustre la maîtrise de trous structuraux[12] au sens de Burt et traduit un capital social élevé.

Prendre en compte la ressource réseau lors du processus de reprise

16En définitive, Immo est-elle transmissible ? Nous faisons les propositions suivantes et les articulons le long du processus repreneurial décrit par Deschamps (2002) [13].

17Le processus de reprise d’entreprise ou processus repreneurial est généralement articulé autour de trois phases principales : d’abord celle du cheminement personnel du futur repreneur qui le conduit s’interroger sur son évolution professionnelle et le conduit finalement à s’engager dans une démarche de recherche d’entreprise. Vient ensuite la phase de recherche et d’évaluation de cibles. Elle dure jusqu’à la signature d’un accord. Enfin, démarre la phase d’entrée dans l’entreprise avec le statut de nouveau dirigeant propriétaire. La pratique nous montre que ces phases sont parfois concomitantes (à l’instar du cas Immo).

18Lors de la phase initiale, la réflexion du futur repreneur est essentiellement centrée sur l’analyse de ses aspirations et de ses compétences. La prise en compte de la ressource réseau n’est donc pas déterminante. Celle-ci étant liée à l’entreprise à reprendre, elle ne peut, a priori, pas être connue à ce stade. Toutefois, le réseau doit être appréhendé par le repreneur comme un actif potentiellement stratégique de l’entreprise à reprendre. Pour ce faire, le repreneur doit être en amont conscient du rôle clé qu’il peut jouer. Il doit être capable de matérialiser la ressource. Un futur repreneur doit donc être sensible (ou sensibilisé) au fait qu’il devra s’intégrer dans un réseau qu’il n’a pas construit. Pour ce faire, une analyse de sa propre compétence sociale pourrait être utile à l’amélioration du processus repreneurial global.

19La deuxième phase du processus repreneurial est par contre critique du point de vue de la ressource réseau puisqu’elle inclut la phase d’évaluation de la firme. C’est en effet à ce moment que le repreneur prend en compte l’importance de la ressource réseau et appréhende la nature des compétences nécessaires à sa bonne utilisation (compétence sociale du dirigeant ou capacité de réseautage de l’entreprise). Lors du processus de reprise, l’identification des réseaux clés de l’entreprise, des modalités de leur mise en action et de leurs apports devraient être un élément critique de la phase d’évaluation. La difficulté peut d’ailleurs être importante car, idéalement, le repreneur devrait se glisser dans la peau du cédant pour faire l’expérience du réseau afin d’appréhender la finalité des différentes relations (nature des ressources apportées par exemple). Par ailleurs cela permet aussi de mesurer par l’expérience la part de compétence sociale nécessaire pour utiliser le réseau de l’entreprise et tester son propre savoir-faire (a fortiori si l’organisation ne dispose pas de fichiers, de procédures ou de salariés sur lesquels reposent les relations de réseau). Il convient ainsi de mesurer lors de l’évaluation si les réseaux apparaissent comme un actif de l’organisation et pas seulement une ressource du dirigeant, c’est-à-dire si l’entreprise dispose d’une « mémoire ». L’absence de trace, de mémoire relative à la ressource réseau peut être appréhendée comme un facteur de risque d’échec de la reprise.

20Enfin, l’entrée dans l’organisation du repreneur est le moment clé de l’utilisation de la ressource réseau. Nous envisageons trois types d’utilisation du réseau de l’entreprise transmise [14] : (1) l’appropriation : le repreneur absorbe en l’état la ressource réseau et a la capacité de la mobiliser ; (2) l’adjonction, c’est-à-dire que le repreneur associe la ressource réseau reprise à son propre réseau ; (3) la substitution : le repreneur reconstruit un nouveau réseau. Dans ce cas, la ressource réseau préalable n’est pas transférée soit parce qu’elle n’a pas de valeur (le repreneur ne le souhaite pas ou n’en a pas besoin), soit parce que la compétence associée n’est pas transférée.

21Le tableau ci-après reprend les différents enjeux liés à la prise en compte et au management de la ressource réseau pour le repreneur. Nous articulons autour des grandes phases du processus repreneurial les actions à mettre en place par le repreneur. Concernant la troisième phase relative à l’utilisation, nous rappelons les trois tactiques possibles – appropriation, adjonction, substitution (tableau 1).

Tableau 1

Parallèle entre les phases du processus repreneurial et le transfert de la ressource réseau

Tableau 1
Processus repreneurial Prise en compte de la ressource réseau Phase 1 [réflexion individuelle sur le projet de devenir repreneur] Perception [être sensible au rôle joué par la ressource réseau dans le processus de création de valeur d’une firme] Phase 2 [recherche et évaluation de cibles, accord] Évaluation [prise en compte de la valeur effectivement crée par la ressource réseau, estimation de ses modalités –compétence relationnelle, mémoire organisationnelle– son coût de fonctionnement] Phase 3 [entrée dans l’entreprise reprise] Utilisation [activation de la ressource ; expérimentation du réseautage] Valorisation [appropriation, adjonction ou substitution]

Parallèle entre les phases du processus repreneurial et le transfert de la ressource réseau

Adapté de Geindre (Op. cit.)

L’enjeu de la compétence sociale

22La reprise d’entreprise, comme toute démarche entrepreneuriale, présente des risques. Dans certains cas, ceux-ci peuvent être accrus du fait d’une faible prise en compte du poids des dimensions relationnelles dans les processus de création de valeur de l’entreprise. Dans d’autres cas, où la ressource réseau est prise en compte, celle-ci peut toutefois s’avérer difficile à évaluer. Il paraît donc opportun, d’une part, de souligner l’importance des ressources réseaux et, d’autre part, d’insister sur les compétences (du dirigeant ou de l’entreprise) qu’il convient de leur associer.

23L’évaluation de la compétence sociale du cédant et la comparaison avec celle du repreneur, l’évaluation de la capacité de réseautage de l’entreprise sont donc aussi importantes que la ressource elle-même. La valeur apportée par les réseaux dépendant à la fois de leurs caractéristiques intrinsèques (nombre de relations, qualité et potentiel de celles-ci) que des compétences nécessaires à leurs utilisations.

24Nous proposons d’intégrer dans notre réflexion les différentes phases du processus repreneurial, afin de rendre plus lisible la prise en compte de la ressource réseau que ce soit dans le cadre du projet du repreneur ou dans une perspective d’accompagnement. Si le transfert de la ressource réseau ne nous apparaît pourtant pas comme une condition sine qua none de la réussite d’une reprise (celle-ci peut être compensée par le repreneur), sa prise en compte, par contre, parait essentielle. En effet, il est nécessaire de partir des ressources réseaux existantes pour rendre possible leur appropriation ou entreprendre de leur adjoindre de nouvelles relations, voire de les compenser par substitution si celles-ci ne sont pas transférables ou transférées.

25La prise en compte des ressources réseaux doit selon nous, être pleinement intégrée aux différentes phases du diagnostic du projet repreneurial, et ce, tant au niveau de l’individu que de l’entreprise. Le bilan de compétences peut, par exemple, servir à évaluer la compétence relationnelle du repreneur potentiel et ainsi l’aider à mesurer si, compte tenu des caractéristiques des ressources réseaux de l’entreprise, il est plus ou moins « doté » de ce savoir-faire. Au niveau de l’évaluation de l’entreprise, la prise en compte des ressources immatérielles est difficile (quelle est la valeur d’une marque, d’un portefeuille client, d’une réputation, etc. ?). Toutefois, si notre analyse ne donne pas, en l’état, des clés pour mesurer la valeur des ressources réseaux, elle insiste sur la nécessité d’évaluer si celles-ci sont « mémorisées » ou non par l’organisation. Selon nous, améliorer la prise en compte des ressources réseaux aux niveaux individuel et organisationnel est de nature à prévenir certains risques d’échec de la reprise d’entreprise. Il y a donc un enjeu fort, au niveau de l’accompagnement, de sensibiliser les repreneurs à propos de ces ressources et d’aider à leur évaluation.

Notes

  • [1]
    Froehlicher, T. (1997). « Éléments sur le management des coopérations interentreprises, Une contribution en termes de configurations relationnelles », Thèse doct. : Sc. de Gestion : Univ. Nancy 2.
  • [2]
    KPMG, (2008) « La transmission des entreprises industrielles, un enjeu plus fort en France qu’en Europe », Etude pour le ministère de l’Economie, de l’Industrie et de l’Emploi (MEIE).
  • [3]
    Brouard, F. et L. Cadieux (2007), « La transmission des pme : vers une meilleure compréhension du contexte », Communication soumise à l’Académie de l’entrepreneuriat, Sherbrooke, 4-5 octobre, 22 p.
  • [4]
    FCEI (2005), La relève : la clé de la réussite : La relève des PME et la prospérité économique du Canada.
  • [5]
    Gulati R., Nohria N. et A. Zaheer (2000), Strategic networks, Strategic Management Journal, Vol. 21, March, p. 203-215.
  • [6]
    Le capital social est l’ensemble des ressources actuelles ou potentielles qui sont liées à la possession d’un réseau durable de relations plus ou moins institutionnalisées d’interconnaissance et d’inter-reconnaissance » (Bourdieu, P. « le capital social », actes de la recherche en sciences sociales, n°31, 1980, p. 2).
  • [7]
    Davidson, P. et B. Honig (2003), « The role of social and human capital among nascent entrepreneurs », Journal of Business Venturing, vol. 18, p. 301-331.
  • [8]
    Hall, R. (1992), « The strategic analysis of intangible resources », Strategic Management Journal, vol. 13, p. 135-144.
  • [9]
    Baron, R. et Markman G. (2003), « Beyond social capital : the role of entrepreneurs’ social competence in their financial success », Journal of Business Venturing, vol. 18, p. 41-60En ligne
  • [10]
    Walter, A. Auer M. et T. Ritter (2006), « The impact of network capabilities and entrepreneurial orientation on university spin-off performance », Journal of Business Venturing, Vol. 21, p. 541-567En ligne
  • [11]
    Teece D., G. Pisano et A. Shuen (1997), « Dynamic capabilities and strategic management », Strategic Management Journal, vol. 18, n°7, p. 509-533.
  • [12]
    Les trous structuraux sont un concept de la théorie des réseaux sociaux. Un trou structural sépare les contacts non redondants dans un réseau. Il s’agit d’un espace vide entre deux relations (A connait B et C mais B et C ne se connaissent pas. il y a un trou structural entre B et C maîtrisé par A). Il confère un triple avantage à l’acteur maîtrisant des trous structuraux (Ils permettent un accès plus rapide et de meilleure qualité à l’information ; ils assurent un contrôle sur la diffusion de l’information ce qui confère du pouvoir à l’acteur concerné).
    Burt, R. (1995), « Le capital social, les trous structuraux et l’entrepreneur », Revue Française de Sociologie, vol. XXXVI, p. 599-628.
  • [13]
    Deschamps, B. (2002), « Les spécificités du processus repreneurial », Revue Française de Gestion, vol. 28, n°138.
  • [14]
    Geindre S. (2009). - Le transfert de la ressource réseau lors du processus repreneurial. - Revue Internationale des PME. - Vol. 22, n° 3-4, p. 109-137.
Français

Résumé

Le réseau de l’entreprise, autrement dit l’ensemble des relations qu’elle entretient avec son environnement, constitue l’une de ses ressources les plus stratégiques. L’incapacité ou l’impossibilité pour un repreneur de s’approprier le réseau du cédant peut conduire une opération de transmission à l’échec. Mais la valeur d’un réseau n’est pas seulement intrinsèque. Elle dépend de la capacité de celui qui en fait partie à les mobiliser à bon escient.

Sébastien Geindre
Sébastien Geindre est maître de conférences à l’IAE de Grenoble (site de Valence). Il enseigne le management stratégique. Ses travaux de recherche portent sur les réseaux stratégiques de l’entreprise et du dirigeant, notamment dans le cadre des repreneurs. Il a publié plusieurs articles sur ces thèmes dans diverses revues académiques.
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 12/09/2012
https://doi.org/10.3917/entin.014.0040
Pour citer cet article
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