« Business Model Generation », A Handbook for Visionaries, Game Changers, and Challengers

1Qui n’a pas entendu parler de « Business Model Generation », qui circule entre toutes les mains des incubateurs, entrepreneurs et autres praticiens depuis bientôt trois ans ? Ce succès de librairie écrit par deux chercheurs de l’Université de Lausanne, en Suisse, constitue, à bien des égards, un véritable OVNI dans le monde très convoité et très surpeuplé des livres de management dans le monde anglo-saxon. Quelles sont les raisons de ce succès de librairie ?
2La première est sans doute son absence de prétention académique. Au premier abord, cela pourrait paraître surprenant pour des auteurs qui sont des scientifiques chevronnés. Ils ont pourtant eu le don d’articuler un certain nombre de concepts sans s’encombrer de modèles théoriques et de références qui n’intéressent, finalement, que les scientifiques en mal de formalisme. Rédigé dans un style très direct et de manière très didactique, cet ouvrage s’adresse résolument aux praticiens et entrepreneurs de tous poils. Il se présente avant tout comme une remarquable boîte à outils avec une approche très pragmatique qui favorise l’analyse et la réflexion créative autour de la construction de business models pour n’importe quel type d’activité et de projet. À l’arrivée, l’usage de ce livre est, finalement, assez ludique et d’appropriation assez intuitive. Le lecteur peut le rendre très vite opérationnel. Ce caractère apparemment simple ne signifie pas que cet ouvrage est simpliste. Il permet différents niveaux de lectures possibles. Si un niveau de base, relativement superficiel, permet de mettre rapidement en pratique les concepts développés ; un niveau plus sophistiqué autorise une intéressante articulation avec les principaux outils du management stratégique comme nous le verrons plus loin.
3Un autre apport significatif de cet ouvrage est de proposer une définition claire, directe et non ambiguë de ce qu’est un business model. Cette contribution de « cadrage », qui pourrait passer pour anodine, ne manque en effet pas d’intérêt. La notion de « business model » fait sans conteste partie de ces concepts abscons qu’il convient d’utiliser à un moment donné dans une conversation, mais derrière lequel chacun va loger des réalités souvent très différentes. Autrement dit, le business model constituait une véritable auberge espagnole où chaque praticien et chercheur apportait sa propre conception, sa propre définition. À cet égard, les auteurs de cet ouvrage ont fait le ménage dans cette satanée auberge. Une fois que vous aurez refermé cet ouvrage après lecture, vous ferez vôtre la définition du business model proposé par les auteurs. Celle-ci est d’une remarquable simplicité et limpidité. Elle permet la communication et le partage. Elle favorise les discussions au sein d’équipes et d’entreprises visant à définir une vision commune sur ce que doit être le business model de leur activité. L’ouvrage propose donc un langage commun permettant d’articuler des réunions créatives visant à déterminer les business models les plus prometteurs pour le développement d’un projet. L’outil constitue ainsi une aide très précieuse pour les entrepreneurs qui sont à la recherche des business models les plus adéquats et performants pour mettre en œuvre leurs projets entrepreneurial.
4L’ouvrage comporte cinq parties. La première est incontestablement au cœur de la contribution des auteurs. Il présente le business model comme un véritable système qui repose sur neuf blocs. Ces blocs constituent ce que les auteurs appellent le canevas du business model. Le bloc central concerne la proposition de valeur qui est conçue au profit du client. Il fait clairement référence au fameux « USP » (Unique Selling Proposition) autrement dit le point d’ancrage de la différenciation de l’offre de l’entreprise ou du projet à l’égard des clients potentiels. Quatre autres blocs concernent l’aspect externe, principalement liés à l’environnement de marché. L’un porte sur les segments de marché visés. Quels sont-ils ? Comment sont-ils définis ? Le deuxième concerne les relations avec les clients. Comment sont-elles entretenues ? Le troisième vise la manière dont les produits sont acheminés vers les clients. Quels sont les principaux canaux de distribution ? Le quatrième concerne les différents modèles de revenu qui sont mobilisés pour générer le chiffre d’affaires du projet. Les quatre derniers blocs concernent davantage les aspects internes. Ils visent les facteurs qui vont conditionner la formation des coûts. L’un vise les activités clés que l’entreprise, celles que le projet doit mettre en œuvre et développer pour délivrer le produit/service au client. Le deuxième est associé aux ressources clés que doivent maitriser les entrepreneurs pour atteindre leurs objectifs. Le troisième est lié à la structure de coûts. Il concerne les principaux facteurs à la base du business model qui vont conditionner les charges et investissements principaux du projet. Le dernier bloc vise les partenaires stratégiques clés avec lesquels l’entreprise organise ses relations pour pouvoir délivrer la proposition de valeur à la clientèle. Ensemble, ces neuf blocs constituent un système dont les éléments s’articulent entre eux. Ce canevas va pouvoir être utilisé par l’entrepreneur et son équipe pour identifier un maximum de configurations possibles et identifier celle qui constituera l’approche la plus innovante et créatrice de valeur pour l’entreprise.
5Dans la deuxième partie de l’ouvrage, les auteurs présentent un certain nombre de structures type de business models. Ce sont, en quelque sorte, des d’archétypes de business models présentant de fortes similarités mais pouvant s’appliquer à des industries très différentes. Cette section apporte également des illustrations de la mise en pratique du canevas présenté dans la première partie.
6La troisième partie est consacrée au processus de construction du canevas de business model (ce que les auteurs appellent son « design »). Elle passe en revue les différentes sources d’information, les différents outils qui peuvent être mobilisés pour aider l’entrepreneur et son équipe à réfléchir sur les différents business models possibles, à les mettre en question, à imaginer autant de business models qu’il ne soit possible avant, in fine, d’identifier celui sur lequel il va s’investir.
7La quatrième partie fait le lien entre le canevas du business model et un certain nombre de concepts clés du management stratégique. Il s’agit d’un autre apport extrêmement intéressant de cet ouvrage qui permet, pour chacun des différents piliers, d’aborder les problématiques en mobilisant des concepts tels que, par exemple, l’analyse SWOT (Forces, faiblesses, opportunités, menaces), l’analyse des cinq forces de Porter [2], ou encore l’analyse de stratégie Océan Bleu de Kim et Mauborgne [3]. Si, fondamentalement, cette section n’apporte rien de neuf sous le soleil sur le plan conceptuel, son intérêt est d’expliciter le côté intégrateur, voire unificateur, qui permet de faire le lien avec d’autres concepts du management stratégique. Ce côté très systémique ne devrait avoir rien d’étonnant si l’on rappelle que les auteurs sont des experts de la théorie des systèmes. L’un, Yves Pigneur, est professeur à HEC Lausanne spécialiste en systèmes d’information, l’autre, Alexander Osterwalder, a réalisé son doctorat sur les business models sous la direction du premier.
8La dernière partie est beaucoup plus opérationnelle et développe la manière dont une entreprise peut utiliser le business model pour mobiliser des équipes, pour travailler autour d’un projet dans une réflexion d’évolution des business models existants.
9L’ouvrage est par ailleurs truffé d’illustrations. À titre d’exemple, les auteurs décomposent le business model de Nespresso et le comparent avec le business model des activités de base du groupe Nestlé. Là où les produits traditionnels de Nestlé s’adressent au marché de masse, Nespresso, cible davantage les ménages à haut revenu et le marché du B2B. La proposition de valeur proposée est de pouvoir disposer à la maison d’un expresso de la meilleure qualité, comparable à ce que l’on peut trouver dans les très bons restaurants. Le modèle de revenu est basé principalement sur la vente de capsules avec de très fortes marges et sur la vente des machines et accessoires qui sont nécessaires pour pouvoir produire les cafés. Les relations clients sont organisées au travers le Club Nespresso. Les canaux de distribution sont principalement le site en ligne et les boutiques Nespresso. Ces derniers et le recours à des stars telles que Georges Clooney contribuent à donner une image très haute gamme d’un produit qui est essentiellement distribué via Internet. Au niveau des activités clés, en interne, il s’agit du marketing, de la production et de la logistique. Les ressources qui doivent être maîtrises sont principalement, la marque, la production, les brevets et les canaux de distribution. Les structures de coûts sont principalement influencées par la distribution, le marketing et la production. Et enfin, les partenaires clés du business model sont les fabricants de machines à café. Les résultats de la mise en œuvre de ce business model innovant pour Nestlé sont stupéfiants. Sur le seul marché suisse, les chiffres, en valeur, de la consommation de café à domicile ont été multipliés par six en moins de dix ans. Pas mal pour un produit, le café, généralement considéré comme un « commodity ».
Canevas du business model de Nespresso (Pigneur et Osterwalder)

Canevas du business model de Nespresso (Pigneur et Osterwalder)
10Soulignons enfin que, pour la mise en œuvre de leur ouvrage, les auteurs ont su passer de la théorie à la pratique. En effet, l’histoire de ce livre constitue lui-même une belle illustration d’un véritable business model innovant. C’est à la sortie de son doctorat qu’Alexander Osterwalder a envisagé de rédiger un ouvrage sur le business model. Quelle prétention pour un jeune doctorant fraîchement diplômé ! Cet ouvrage fut, en réalité, co-créé par plus de 470 experts issus de 45 pays différents. Ces experts ont contribué à différents niveaux à la rédaction de l’ouvrage et aux réflexions qui ont conduit à la finalisation de celui-ci. Ils ont été associés au fur et à mesure, par vagues successives. Le plus surprenant dans l’histoire c’est qu’ils ont accepté de payer pour pouvoir participer à ce travail de co-création, les contributions financières de ces différents collaborateurs doublant à chaque nouvelle vague de nouveaux contributeurs ! Le format de cet ouvrage est également atypique dans la mesure où il se présente de manière horizontale, un peu à l’image de ces livres que les designers utilisent pour réaliser leurs esquisses. Le style aussi tranche franchement avec la culture des ouvrages de management traditionnels. Le livre est, en effet, truffé de photos, dessins, images, schémas qui en rendent l’usage presque ludique et, en tout cas, très agréable à parcourir. Une fois terminé, cet ouvrage a été publié à compte d’auteurs sur fonds propres. Quelle grande maison d’édition anglo-saxonne se serait fourvoyée à publier un ouvrage rédigé par des inconnus au bataillon des best-sellers des ouvrages de management. Ils ont ensuite collaboré avec Amazon pour la distribution et évidemment avec les 470 co-créateurs pour la promotion de l’ouvrage. Le succès ne s’est pas fait attendre. Le livre a été classé pendant six mois consécutifs dans les trois meilleures ventes des ouvrages de management anglophones sur Amazon. Cela explique qu’en 2010 déjà, Wiley, le célèbre éditeur américain d’ouvrages de management, a proposé une diffusion internationale de l’ouvrage. À l’arrivée, le succès de l’ouvrage est remarquable : le nombre d’exemplaires vendus de la version anglaise a atteint 250000 unités ! Ce qui est, tout simplement, exceptionnel pour un ouvrage dont les auteurs sont européens et peu connus du Landerneau des auteurs à succès traditionnels. L’ouvrage publié est désormais disponible en 23 langues différentes. En 2011, les auteurs ont lancé une application iPad vendue 24 euros. Elle se présente comme un outil collaboratif pour assister l’animation de réunions visant à peaufiner la mise au point d’un business model. Au moment où nous écrivons ces lignes, plus de 15 000 téléchargements avaient été réalisés. Un OVNI disions-nous ?
Notes
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[1]
Business Model Generation: A Handbook for Visionaries, Game Changers, and Challengers. Y. Pigneur et A. Osterwalder. John Wiley & Sons Ltd 2010. ISBN-10: 0470876417. Disponible en français.
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[2]
Competitive Strategy: Techniques for Analyzing Industries and Competitors M.E. Porter. The Free Press 1980. ISBN-10: 0029253608. Egalement disponible en français.
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[3]
Blue Ocean Strategy: How To Create Uncontested Market Space And Make The Competition Irrelevant. C.W.Kim and R. Mauborgne. Harvard Business School Press 2005. ISBN-10: 1591396190. Aussi disponible en français.