CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Les points forts

  • Les Maisons de l’Entrepreneuriat sont un élément clef du dispositif initié en France par les pouvoirs publics pour développer une culture entrepreneuriale chez tous les étudiants.
  • Les expériences de Nantes et de Grenoble sont en la matière particulièrement éclairantes quant aux obstacles déjà franchis et aux défis qui restent à relever.
  • Le problème de l’ancrage institutionnel des dispositifs, en particulier, n’est pas facile à résoudre.

1Depuis la fin des années 90, l’intérêt des établissements d’enseignement supérieur français pour l’entrepreneuriat s’est fortement renforcé, comme en témoigne la création de dispositifs dédiés, en particulier le plan d’action national Entrepreneuriat Étudiants 2010-2013, après l’expérimentation des Maisons de l’Entrepreneuriat sur différents campus universitaires, avec le soutien du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche et souvent des régions et sur certains territoires avec celui des chambres de commerce et d’industrie (comme à Nantes). À partir de l’expérience de Grenoble, six nouvelles Maisons de l’Entrepreneuriat sont créées en 2004 suite à un appel à projet lancé par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche. La réussite de la majorité des projets (Grenoble, Nantes, Lille, Limoge, Poitiers notamment) a contribué au lancement fin 2009 du plan d’actions national [1] avec la création des Pôles Entrepreneuriat Étudiants. Ce plan, porté par le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche et le secrétariat d’état au commerce, à l’artisanat, aux PME, au service, à la consommation et au tourisme, s’inscrit dans un contexte rendu plus favorable avec la LRU [2], la création des Pôles de Recherche et d’Enseignement Supérieur (PRES) [3] et les nouvelles missions d’insertion professionnelle qui incombent aux universités françaises.

2Depuis leur lancement, les Maisons de l’Entrepreneuriat ont testé et déployé des dispositifs de gouvernance, d’animation autour de modalités pédagogiques innovantes pour informer, sensibiliser et former les étudiants. L’élaboration et la mise en œuvre de ces approches pédagogiques différenciées soulèvent des défis, dans la mesure où elles visent potentiellement des effectifs étudiants importants, dans un contexte budgétaire contraint (notamment dans le milieu universitaire) et qu’elles se déploient dans des contextes institutionnels différents (les grandes écoles, les différentes UFR [4] des universités). Des questions se sont posées, suscitant au sein de chaque maison des expérimentations notamment sur le plan pédagogique.

3Après une présentation des Maisons de l’Entrepreneuriat et des facteurs contextuels relatifs à leur émergence et à leur évolution, nous avons dressé un bilan synthétique des actions engagées pour mieux cerner la nouvelle dynamique suscitée par le plan d’action national avec la généralisation de Pôles Entrepreneuriat Étudiants.

4L’analyse exposée présente un point de vue partiel et partial : partiel, car nous avons choisi de présenter les Maisons de l’Entrepreneuriat sur la base des expériences de Grenoble et de Nantes ; partial, dans la mesure où l’analyse s’appuie sur nos expériences personnelles d’initiateurs de ces projets. Nous assumons par conséquent totalement d’être juges et parties ! À travers ce regard réflexif porté par une co-écriture, nous souhaitons témoigner sur ces dispositifs et faire partager nos difficultés et questionnements. C’est au prix de cet effort d’informations et de transparence que nous pourrons mieux cerner les problématiques posées par le développement de l’esprit entrepreneurial [5] au sein des universités françaises et plus globalement au sein des établissements d’enseignement supérieur.

Genèse des Maisons de l’Entrepreneuriat

5Au début des années 2000, plusieurs études révèlent que la France figure parmi les pays où la création d’entreprise est le moins souvent envisagée comme choix professionnel (cf. enquête menée par le conseil des affaires de l’ONU et synthétisée dans l’étude GEM - Global Entrepreneurship Monitor - au sein de 29 pays). Devenir créateur d’entreprise reste un parcours atypique en France, notamment chez les jeunes diplômés de l’enseignement supérieur [6]. Les travaux sur l’intention entrepreneuriale sont éloquents comme l’illustrent les croyances des étudiants en matière de carrières professionnelles et de représentation d’une carrière entrepreneuriale ( Boissin, Chollet, Emin, 2008). Les dimensions comme le stress, la régularité des revenus, la sécurité de l’emploi, le temps libre sont perçues avec une vision opposée pour la carrière des étudiants et pour la carrière entrepreneuriale.

6L’enseignement de l’entrepreneuriat dans les établissements d’enseignement supérieur progresse en France à un rythme soutenu mais des points demeurent insatisfaisants, particulièrement dans le milieu universitaire. Pour fédérer différentes actions de sensibilisation à l’entrepreneuriat et leurs ressources associées, un projet expérimental de Maison de l’Entrepreneuriat est lancé sur le campus de Grenoble [7], qui servira de modèle pour lancer un appel d’offres national de création de Maison de l’Entrepreneuriat. La création de Maisons de l’Entrepreneuriat au sein d’établissements d’enseignement supérieur d’un même site (ou d’une même région) figure parmi les mesures [8] proposées par le ministère délégué à l’enseignement supérieur et à la recherche dans le cadre de la politique en faveur de l’innovation. Il s’agit de favoriser la promotion de l’esprit d’entreprendre ainsi que la sensibilisation à la création d’entreprises ou d’activités nouvelles.

7Le choix du concept de « maison » se démarque de celui de « centre » davantage issu de traductions des expériences anglo-saxonnes (Boissin, 2003) [9] ; dans l’étude réalisée en 2003 pour les ministres de l’Industrie et de la Recherche, A. Fayolle (2001) [10] précisait : « le mot « maison » évoque, par ailleurs, davantage l’idée d’une cellule (ou d’une structure) conviviale, accueillante, communautaire, solidaire, productrice de valeurs et d’une culture ». Chaque maison propose un programme d’actions et d’interventions avec différents niveaux, permettant aux étudiants de se familiariser avec la thématique de l’entrepreneuriat, de découvrir des modèles entrepreneuriaux, dans l’optique de stimuler leur esprit d’entreprendre.

8L’acception du concept d’entrepreneuriat est délibérément large, et renvoie à « la conduite d’un projet, par un ou plusieurs individus, impliquant la construction ou le développement d’une organisation » (Boissin, 2003) [11]. Le concept d’entrepreneuriat s’applique à différents contextes : création et reprise d’entreprise, intrapreneuriat, auto-entrepreneur et profession libérale, entrepreneuriat social et univers des organisations non lucratives.

9Cette vision plurielle de l’entrepreneuriat s’accompagne aussi d’une volonté d’associer une dimension collective. L’entrepreneuriat ne se limite pas à une action individuelle. Il peut s’inscrire dans un projet d’équipe en mutualisant notamment des compétences transversales. Trois missions sont retenues lors de la création des premières Maisons de l’Entrepreneuriat :

  • La sensibilisation à l’entrepreneuriat (par des conférences, des tables rondes sur le « pourquoi » et le « comment » entreprendre…) ;
  • La formation à l’entrepreneuriat basée sur la mise en place d’ateliers formation pour les étudiants souhaitant en savoir un peu plus (et ceci, sur la base du volontariat ou en intégrant des modules dans les cursus d’enseignements) ;
  • Le pré-accompagnement : avec l’accueil, l’information et l’orientation des étudiants porteurs de projet en relation avec le réseau d’acteurs de la création existant sur le territoire.

Privilégier le paradigme de la société des entrepreneurs

10Ces actions, déclinées de façon à s’adresser à tous les publics étudiants (quels que soient le cycle et la discipline), visaient à favoriser le développement de capacités entrepreneuriales des étudiants. L’idée était donc moins de « créer » des entrepreneurs ou d’accroître le démarrage de nouvelles entreprises que de développer auprès des étudiants leurs dispositions à entreprendre, en considérant qu’ils pouvaient être amenés à gérer l’initiative des autres, au sein de toutes les formes d’organisation, publiques, privées ou associatives (Saporta et Verstraete, 1999) [12]. Pour aller plus loin, il s’agit d’une véritable invitation à développer l’esprit d’entreprendre, en particulier entreprendre sa vie notamment son insertion économique et sociale, son insertion professionnelle.

Figure 1

Les axes de la Maison de l’Entrepreneuriat pour développer la culture entrepreneuriale (adaptée de Clergeau et Schieb-Bienfait, 2005)

Figure 1

Les axes de la Maison de l’Entrepreneuriat pour développer la culture entrepreneuriale (adaptée de Clergeau et Schieb-Bienfait, 2005)

11Le développement d’une culture entrepreneuriale (Cf. schéma 1) constitue l’axe fédérateur de la politique d’une Maison de l’Entrepreneuriat (Clergeau et Schieb-Bienfait, 2005) [13], en privilégiant une logique de service aux étudiants et aux enseignants-chercheurs. En ce sens, chaque Maison de l’Entrepreneuriat se positionne comme une cellule de ressources au service du développement d’une culture entrepreneuriale et au service des acteurs (internes et externes) de ce projet, selon le paradigme de la société des entrepreneurs (Béchard, 1994) [14]. Est ici privilégiée une vision de l’entrepreneuriat, en s’intéressant aux forces économiques d’innovation dans la discontinuité, aux forces psycho-culturelles favorisant les comportements d’innovation, de changement social et enfin aux forces organisationnelles qui se tissent à travers des réseaux d’échanges.

Constats et bilan d’expérience

12Sur ces premières années de déploiement, nous avons été très attentifs à l’évaluation de nos actions, tant sur le plan quantitatif que qualitatif.

13Depuis 2004, les diverses actions proposées ont permis de toucher chaque année de 1 000 à 2 000 étudiants et doctorants selon les sites et ce dans des filières et des cycles très divers. Toutefois, le bilan a conforté les choix faits, dans la mesure où les retours des étudiants après chaque action étant globalement très positifs, plus de 90 % d’entre eux ont trouvé ces actions pertinentes et intéressantes.

14Sur la base de ces bilans annuels, nous avons revu les modalités pédagogiques pour mieux servir nos deux grands objectifs, à savoir : agir sur l’intention et agir sur l’action (Boissin, 2003) [15]. Pour ajuster l’offre aux publics et aux contextes : nous avons pris appui sur la mise en place du LMD (Licence Master Doctorat) et inscrit des modules dans les maquettes de formation (avec des UE [16] libres ou optionnels, mais aussi des créations de DU (diplôme universitaire).

15Nous avons aussi pris progressivement conscience des limites des actions en session de cours et des modules basés sur le volontariat ; elles ne favorisaient pas assez la logique de fertilisation notamment auprès d’un plus large public (les cohortes d’étudiants en cycle L –licence-). Ainsi, une part encore trop importante de notre public étudiant, dont on peut supposer aisément que seul un très faible nombre s’intéresse à l’aventure entrepreneuriale, n’entendait jamais parler d’entrepreneuriat et n’était jamais directement « interpellé » par nos propositions. Parallèlement, les équipes de coordinateurs et d’enseignants chercheurs chargés de l’animation de ces maisons étaient confrontées à des difficultés pour communiquer et rendre visibles et lisibles auprès des étudiants des actions s’inscrivant dans un projet transversal. Aussi, participions-nous que très modestement à combler ce gap culturel existant entre le monde universitaire et celui de la création d’activité, alors que nos objectifs visaient précisément ce développement de la culture entrepreneuriale. Enfin, la mission d’enrôlement que chaque Maison devait assurer auprès de l’ensemble des établissements d’enseignement supérieur de son territoire (en dehors du périmètre universitaire), à savoir auprès des Grandes Écoles se révélait particulièrement difficile à déployer. Les synergies envisagées tant au niveau du travail des différentes équipes pédagogiques que de la mise en place d’actions conjointes en entrepreneuriat n’étaient pas à la hauteur des ambitions initiales. La plupart des Maisons de l’Entrepreneuriat souffraient d’un manque d’ancrage politique de leur projet, qui puisse fédérer les acteurs (universités, grandes écoles). Alors que l’entrepreneuriat étudiant devenait un axe de formation différenciateur pour un nombre croissant d’établissement, comment dépasser les concurrences institutionnelles et envisager le développement de projet plus ambitieux à l’échelle territoriale ?

Un Plan d’action national pour sensibiliser l’ensemble des étudiants

16Le Plan d’action national Entrepreneuriat Étudiant lancé fin 2009 par Madame Pécresse (Ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche) et Monsieur Novelli (Secrétaire d’Etat aux PME) ouvre de nouvelles perspectives en généralisant la sensibilisation à l’entrepreneuriat de tous les étudiants au sein de dispositifs partenariaux comme les Pôles Entrepreneuriat Étudiants. Cette démarche d’envergure nationale, à caractère volontariste est susceptible de renforcer considérablement cette dynamique de sensibilisation à l’entrepreneuriat.

Les grandes orientations

17Fin 2009, la Direction Générale de l’Enseignement Supérieur et de l’Insertion Professionnelle a adressé un courrier incitatif aux Présidents d’Université et aux directions des établissements d’enseignement supérieur comprenant :

  • la communication d’un appel à projet [17] pour la création de Pôles Entrepreneuriat Étudiants (PEE) doté de 3 millions d’euros financés par les deux ministères et la Caisse des Dépôts ;
  • l’invitation à la nomination de référents entrepreneuriat dans chaque établissement issus tant du monde des enseignants, des enseignants-chercheurs que des bureaux d’aide à l’insertion professionnelle (BAIP) ;
  • le souhait que tout étudiant puisse être sensibilisé à l’entrepreneuriat à la rentrée 2012 ;
  • la création d’une coordination de ce plan d’actions afin de consolider le dispositif en diffusant les bonnes pratiques.
Le 1er octobre 2010, les ministres ont présenté la liste des vingt projets lauréats avec des dotations attribuées à chaque Pôle Entrepreneuriat Étudiants (PEE) retenu [18]. Plus de 250 référents entrepreneuriat ont été nommés, tandis que la coordination nationale était lancée. Pour communiquer sur le plan d’actions et son avancement, cette coordination a créé un site, en partenariat avec l’Observatoire des Pratiques Pédagogiques en Entrepreneuriat (APCE). Cette coordination s’est dotée d’un comité de pilotage où siègent des représentants des différents univers concernés [19]. Pour développer le dialogue avec le monde de l’accompagnement et de l’entrepreneuriat, la mission présentera un bilan annuel au réseau du Comité Pour l’Entrepreneuriat des Jeunes (CPEJ-APCE). Les responsables des 20 PEE ont été réunis afin d’échanger sur leurs pratiques dans un souci d’harmonisation et de transfert. La mission coordonne des groupes de travail pour proposer un référentiel pédagogique commun en matière d’esprit d’entreprendre [20]. Enfin, la base d’évaluation de ce plan et des Pôles Entrepreneuriat Étudiants s’appuie sur des tableaux de bord communs relatifs aux actions menées en terme d’information, de sensibilisation, de formation et d’accompagnement.

La nouvelle dynamique des Pôles Entrepreneuriat Étudiants

18Cette appellation « Pôles Entrepreneuriat Étudiants » (PEE) vise davantage à fédérer les acteurs internes et externes à l’enseignement supérieur, alors que les Maisons de l’Entrepreneuriat laissent peut-être à penser à un lieu fermé. Ce changement d’appellation ne favorise pas toujours la communication avec les acteurs (étudiants et enseignants notamment) sans omettre le risque d’une confusion des appellations au sein de chaque territoire, où cohabiteraient des pôles, des maisons voire des services entrepreneuriat étudiants.

19Les PEE de grande taille tendent à s’inscrire dans le périmètre des Pôles de Recherche et d’Enseignement Supérieur (PRES), structure susceptible de favoriser les collaborations inter-établissements, en permettant des économies de moyens, des échanges de pratiques sur toute la chaîne (de l’information / sensibilisation à l’accompagnement). En tant qu’acteur politique fédérateur, ces PRES devraient aider au rapprochement entre les acteurs concernés par l’entrepreneuriat étudiant (enseignants, enseignants-chercheurs, Bureau d’Aide à l’Insertion Professionnelle), mais aussi avec les services liés à la valorisation et à l’innovation et les incubateurs. Plus largement, différents acteurs externes appuient ces PEE : chambres consulaires (CCI et Chambres des Métiers), Plateformes d’Initiative Locale, Réseau Entreprendre, ADIE, [21] fédération nationale des SCOP [22], collectivités territoriales. Cette intégration d’acteurs internes et externes est complexe : elle implique de concevoir de nouveaux modes de gouvernance où ces acteurs du monde socio-économique seront associés à la réflexion et la mise en œuvre d’un plan d’actions partagé. Le financement tri-annuel du plan national vise précisément à permettre à chaque pôle de se doter de ses propres règles de gouvernance (constitution de comité de pilotage, de comités locaux, profils et rôles des chargés de mission…).

Deux grandes fonctions

20Les PEE doivent jouer deux grandes fonctions, soit être opérateur de service, soit être seulement soutien à des initiatives en fonction des établissements ou plutôt des composantes des établissements (la demande d’une UFR de Philosophie n’est pas la même que celle d’un IAE !). Cette dialogique entre centre de ressources et de moyens et centre opérateur est déterminante. Si non, le risque existe pour les PEE de se couper des établissements qui ont une expérience et une autonomie d’action dans le domaine de l’entrepreneuriat et donc de se focaliser sur les établissements sans expérience ou sans moyen dans le domaine de l’entrepreneuriat. Les PEE vont devoir veiller à être incitatifs pour soutenir les établissements autonomes en matière d’entrepreneuriat en favorisant les démarches de mutualisation. À ce titre, le concours national Innovons Ensemble peut favoriser ce processus de fédération, car il demande que les équipes candidates soient pluridisciplinaires. Ce dernier point est un facteur incitatif pour des actions pédagogiques inter-établissements, par exemple entre IAE et Ecole d’Ingénieurs.

21Dans cet esprit, les tableaux de bord d’évaluation ont vocation à intégrer toutes les actions d’un PEE (et pas uniquement celles qu’il a initiées). Il est demandé aux PEE de recenser toutes les actions en entrepreneuriat de leurs établissements membres, démarche qui devrait renforcer la légitimité de la fonction fédératrice des PEE sur un site.

22Si la vocation principale des PEE est l’information, la sensibilisation et la formation à l’entrepreneuriat, la question de leur rôle dans l’accompagnement des projets entrepreneuriaux des étudiants demeure encore débattue [23]. Plusieurs PEE allouent aussi leurs ressources autour de cette vocation. Ces expériences permettront de voir si, comme pour les Maisons de l’Entrepreneuriat, ces expériences doivent et peuvent être généralisées. Enfin, le plan d’action national s’appuie sur la création de Junior Entreprise dans chaque université.

Le défi de la généralisation

23En reprenant les actions des PEE, il apparaît que celles relatives à l’information et au pré-accompagnement relèvent d’abord d’une capacité de communication auprès des étudiants afin que le PEE soit identifié comme centre de ressources. Cette communication est aisée au sein d’une école ou d’une composante universitaire d’un ou deux milliers d’étudiants. Elle s’avère extrêmement difficile à l’échelle d’un campus de façon transversale pour plusieurs dizaines de milliers d’étudiants. Des outils comme Facebook s’avèrent plus efficaces que les intranets des établissements. Des initiatives récentes comme la société Wisbii qui vise à la mise en réseau des étudiants sur des projets entrepreneuriaux sont intéressantes, mais elles posent le problème de passer par des moyens privés. Somme toute, sur ces actions d’information et de pré-accompagnement, le défi est davantage lié à la capacité des PEE à s’engager dans une communication efficace, par exemple en se basant sur des portails régionaux dédiés à l’entrepreneuriat étudiant, susceptibles d’être à la fois des portails d’information mais aussi des espaces d’échanges et des communautés de travail pour les étudiants et les enseignants.

24La généralisation de la sensibilisation et de la formation à l’entrepreneuriat à l’ensemble des étudiants de l’enseignement supérieur est un tout autre défi.

25Il est nécessaire de bien distinguer la nature de la demande des établissements et le niveau des études. Une offre globale en matière de sensibilisation en Entrepreneuriat, Innovation et Insertion Professionnelle ne devrait pas poser de problèmes dans les programmes doctoraux dans le cadre des collèges doctoraux de site avec la généralisation d’expérimentation telle que le programme « les Doctoriales ».

26Dans les masters, l’intégration d’unités d’enseignement en entrepreneuriat ciblées sur des programmes sera probablement plus longue car moins standardisée. Les unités d’enseignement doivent être adaptées et ciblées sur les spécialités.

27Le véritable enjeu repose sur le programme Licence. Les programmes de sensibilisation et de formation à l’entrepreneuriat participent à une acculturation économique et au monde de l’entreprise. Ils favorisent un esprit entrepreneurial chez l’étudiant qui commence par une ouverture à entreprendre sa vie, son projet professionnel. L’objectif est donc que des programmes transversaux soient ouverts en 2011 et 2012 dans les licences et équivalents dans les Écoles. Afin de favoriser la communication, les effets d’expérience et d’économie de moyens sur des actions concernant des volumes importants d’étudiants, quelques orientations sont proposées :

  • diffuser le référentiel de formation Entrepreneuriat et Esprit d’Entreprendre qui met l’accent sur les compétences transmises ;
  • banaliser deux journées en licence sur l’entrepreneuriat, l’innovation, l’insertion professionnelle et l’orientation notamment sur des dates communes aux plans local et national (semaine des journées de l’entrepreneur) ;
  • proposer des unités d’enseignement pluridisciplinaires inter-établissements rendues possibles par la banalisation de journée ;
  • favoriser la mise en œuvre de modules pédagogiques type 24 ou 48H chrono ancrés d’abord sur la créativité et l’attractivité de l’entrepreneuriat par équipe ;
  • organiser des conférences d’entrepreneurs en parallèle en favorisant la diversité des situations entrepreneuriales ;
  • fédérer les partenaires : face à un tel défi en matière de volume, les partenaires externes sont le moyen d’étendre les forces en action. Il peut être envisagé de démultiplier les forces pédagogiques en ayant sensibilisé des étudiants au mentorat et au coaching des équipes et en les intégrant dans ses journées licence : doctorants de sciences de gestion ou d’ingénierie, étudiants de master Entrepreneuriat ou étudiants de master de gestion (IAE, École de Commerce) dans le cadre d’un projet partagé et mobilisateur autour de l’entrepreneuriat sur un site.

Engager l’ensemble des acteurs

28Cette mise en perspective de l’expérimentation des Maisons de l’Entrepreneuriat avec le plan national des Pôles Entrepreneuriat Étudiants confirme non seulement l’engagement mais aussi la consolidation d’une dynamique effective sur le territoire français. Si les Maisons ont permis de mener des expériences et de concevoir des dispositifs nouveaux en termes d’information, de sensibilisation en entrepreneuriat mais aussi en matière de coordination entre des acteurs issus de mondes pluriels - universités, grandes écoles, acteurs socio-économiques-, les PEE vont désormais permettre la capitalisation et la mutualisation de ces pratiques. Les Maisons ont également révélé que la question du portage institutionnel et politique de ces dispositifs inter-organisationnels est primordiale et qu’elle constitue un facteur critique pour ancrer et pérenniser leurs missions.

29Du chemin a été parcouru depuis le début des années 2000 et les premiers travaux confiés à Alan Fayolle en 2001 et les pionniers de l’entrepreneuriat dans le monde universitaire ! La communauté des acteurs convaincus du bien fondé de ces actions s’est élargie d’autant que les référents entrepreneuriaux sont aujourd’hui identifiés et mandatés par leur établissement (à la demande du ministère). La communauté de l’Enseignement Supérieur sensible au développement d’une culture entrepreneuriale chez les étudiants se trouve placée dans un contexte institutionnel historique pour déployer ses actions avec ce plan d’action national (2010-2013). Toutefois, sur chaque territoire, il appartient à ces acteurs pluriels – universités, écoles, PRES, CCI, incubateurs…, de s’engager dans une action collective concertée, pour définir conjointement le périmètre de l’intérêt général en matière d’entrepreneuriat mais aussi de se doter de régulations conjointes, dans la mesure où chaque institution cherche à se différencier par ses actions en matière d’entrepreneuriat. Comment parvenir à articuler des logiques d’action à la fois complémentaires et antagonistes, sur des territoires géographiques plus larges que celui des Maisons de l’Entrepreneuriat ? C’est précisément le défi majeur que doivent relever les Pôles Entrepreneuriat Étudiants.

Notes

  • [1]
    L’ensemble de ce plan, la liste des PEE et des référents Entrepreneuriat sont répertoriés à l’adresse suivante :
    http://www.apce.com/pid11648/poles-entrepreneuriat-etudiant.html?espace=5
  • [2]
    Loi du 10 août 2007, relative aux Libertés et Responsabilités des Universités
  • [3]
    Les PRES regroupent (à l’échelle d’un territoire local ou régional) des établissements d’enseignement supérieurs et de recherche français (universités,, grandes écoles), pour développer un plan d’actions notamment en matière de recherche, de formation doctorale, d’insertion professionnelle, de projets internationaux.
  • [4]
    UFR : unité de formation et de recherche.
  • [5]
    Par culture, nous entendons à la fois système de valeurs, de croyances mais aussi de comportements Comme le rappelle A. Fayolle (2003), depuis plusieurs années, les pouvoirs publics s’efforcent de mettre en place les conditions de développement de la culture entrepreneuriale sein du système éducatif français ; ce développement de la culture entrepreneuriale repose sur la promotion de l’esprit d’entreprendre et de la création d’entreprise (Rapport APCE 2000).
  • [6]
    L’enquête SINE 2006 de l’INSEE a interrogé au premier semestre 2006, 56 000 créateurs au niveau national. En 2007, les jeunes créateurs de moins de 25 ans (6,5 % des jeunes créateurs) sont estimés à 20 900, les 25/30 ans à 48 300 (15 % des créateurs), les 30/35 ans à 54 700 (17 % des créateurs). Ils sont un petit nombre à créer à la sortie de leurs études (2,7 % de d’ensemble des créateurs selon l’enquête SINE 2006), ce qui est compréhensible au regard du besoin d’expérience professionnelle. L’OPPE observe que 8 000 créateurs se sont lancés à la sortie de leurs études, sur les 124 000 jeunes créateurs de moins de 35 ans en 2007. Plus des trois quarts sont issus de l’enseignement supérieur, plus spécifiquement la moitié du troisième cycle et des grandes écoles. Source www.apce.com. Boissin, J.-P., Chollet B., Emin, S. (2008), Les croyances des étudiants envers la création d’entreprise : un état des lieux, Revue Française de Gestion, vol.34, n°180, p. 25-43.En ligne
  • [7]
    En 2001, les cinq établissements d’enseignement supérieur ont décidé de développer en commun un projet de Maison de l’Entrepreneuriat. Cette unité de moyens à l’échelle d’une ville universitaire telle que Grenoble n’est pas courante dans le domaine. Elle regroupe des universités de Sciences, de Lettres et Langues, de Sciences Sociales, un Institut National Polytechnique et une École Supérieure de Commerce, qui se situent à différents stades dans le domaine de la sensibilisation, mais qui ont pourtant décidé de réaliser des actions en commun dans ce domaine.
  • [8]
    Mesure 6 du plan en faveur de l’innovation proposé par les ministres Fontaine et Haigneré en 2001.
  • [9]
    Boissin J.-P. (sous la dir.), (2003) Le concept de Maison de l’Entrepreneuriat – un outil d’action pour l’initiative économique sur les campus, Contrat Ministère de la Jeunesse, de l’Éducation Nationale et de la Recherche, Université Pierre Mendès France (Grenoble II – Sciences sociales), Décision n° 02 M 5517, Avril. http://www.grenoble-universite-recherche.org/mde
  • [10]
    Fayolle A. (2001), « Les enjeux du développement de l’enseignement de l’entrepreneuriat «, Rapport rédigé à la demande de la Direction de la Technologie du Ministère de la Recherche, 59 p.
  • [11]
    ibid
  • [12]
    Saporta B., Verstraete T. (1999), « Réflexions pour une pédagogie de l’entrepreneuriat dans les composantes en sciences de gestion des Universités françaises », Actes du premier congrès de l’Académie de l’Entrepreneuriat, Lille
  • [13]
    Clergeau C., Schieb-Bienfait N., (2005), « Université et Entrepreneuriat : comment créer une cellule ressources dédié à l’entrepreneuriat », Gérer et Comprendre, mars 2005, numéro 79, p.16-30.
  • [14]
    Béchard J.-P. (1994), « Les grandes questions de recherche en entrepreneurship et éducation », Cahier de recherche HEC Montréal n°94-11-02.
  • [15]
    ibid
  • [16]
    UE : unité d’enseignement
  • [17]
    Boissin J.-P. (sous la dir.), (2006), Du concept à la mise en œuvre de s « Maison de l’Entrepreneuriat ». Agir pour l’initiative économique sur les campus, Étude dirigée par Jean-Pierre Boissin pour la Direction de la Technologie du Ministère français de la Jeunesse, de l’Éducation Nationale et de la Recherche. http://www.grenoble-universite-recherche.org/mde
  • [18]
    Sur les 44 projets de PEE ayant répondu à cet appel.
  • [19]
    Des représentants des deux ministères (DGESIP, DGRI, DGCIS), de la Conférence des Présidents d’Université (CPU), de la Conférence des Grandes Écoles (CGE), de la Conférence des Directeurs des Écoles Françaises d’Ingénieurs (CDEFI), du monde de l’entrepreneuriat (entrepreneur, secrétaire général Fondation Curie), de l’OPPE et l’APCE, du concours Innovons Ensemble (RETIS), de la Conférence Nationale des Junior Entreprises, de la FNEGE.
  • [20]
    À cet effet, des conventions ont été signées entre le Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche (MESR), du MEDEF et la Conférence des Présidents d’Université.
  • [21]
    Association pour le développement de l’initiative économique
  • [22]
    Société coopérative et participative
  • [23]
    Les projets innovants ont une possibilité d’accès aux incubateurs publics. Les projets non innovants peuvent être pré-accompagnés vers les structures d’accompagnement. La création d’incubateurs étudiants a été développée par des écoles de commerce.
Français

Résumé

Ces 20 dernières années, différentes expérimentations ont été conduites dans l’enseignement supérieur afin de développer une culture entrepreneuriale chez les étudiants. Ces expérimentations se sont appuyées sur les initiatives d’établissements (Écoles ou Universités). En 2003, la création de Maisons de l’Entrepreneuriat inter-établissements a permis de valider l’intérêt de la mutualisation des expériences pédagogiques sur les campus. Le plan d’action national 2010-2013 Entrepreneuriat Étudiants généralise à l’ensemble de l’enseignement supérieur l’objectif de permettre à tout étudiant d’accéder en 2012 à un programme de sensibilisation à l’entrepreneuriat. Le contexte institutionnel est donc historique pour ce déploiement d’une culture entrepreneuriale. Les deux auteurs, universitaires mais aussi porteurs opérationnels de différents projets dans le domaine, proposent une prise de recul sur leurs expériences et ce nouveau contexte.

Jean-Pierre Boissin
Jean-Pierre Boissin est Professeur à l’Université Pierre Mendès France (IAE de Grenoble) en Management Stratégique et Entrepreneuriat. Il est responsable de la Mission de coordination nationale du plan d’action Entrepreneuriat Étudiants (2010-2013). Il a été directeur du Centre d’Etudes et de Recherches Appliquées à la Gestion (CERAG, UMR UPMF-CNRS 5820, Grenoble). Il a fondé et dirigé la première Maison de l’Entrepreneuriat, à Grenoble-Universités. Il développe un observatoire international de l’intention entrepreneuriale (http://cerag-oie.org/fr).
Nathalie Schieb-Bienfait
Nathalie Schieb-Bienfait est maître de conférences HDR à l’Université de Nantes (IEMN-IAE de Nantes) en entrepreneuriat et management stratégique. Chargée de mission pour le pôle Entrepreneuriat Étudiant CREER en Pays de la Loire au sein du PRES LUNAM, elle a été directrice de CREACTIV, programme de sensibilisation à l’entrepreneuriat de l’Université de Nantes, dispositif créé en 2002. Elle a participé à la création et à la mise en œuvre de la Maison de l’Entrepreneuriat Nantes Atlantique. Elle est responsable du master 2 Management de projet d’innovation et Entrepreneuriat de l’IEMN-IAE de Nantes.
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/05/2012
https://doi.org/10.3917/entin.011.0055
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