1La présence de l’entrepreneuriat dans l’enseignement supérieur devient un sujet de plus en plus « chaud ». Pour les politiques qui estiment qu’il peut s’agir d’un levier important pour susciter des vocations entrepreneuriales et, ainsi, la création d’entreprises, moteur de développement économique et de création d’emplois. Pour les établissements scolaires qui estiment tantôt que le développement d’un esprit entrepreneurial correspond à des compétences transversales bien utiles à l’épanouissement professionnel de leurs étudiants, tantôt voient dans l’entrepreneuriat une manière originale de se différencier dans un univers éducatif de plus en plus concurrentiel. Pour les enseignants et les pédagogues qui développent des cours et des programmes et s’interrogent sur les finalités, les pédagogies et les pratiques d’évaluation. Enfin, pour les étudiants qui s’interrogent sur l’intérêt de suivre telle ou telle formation pour bâtir leur parcours scolaire puis professionnel.
2Face à ces attentes, les réponses apportées par les chercheurs et les praticiens sont aussi disparates qu’embryonnaires. Les recherches et les expériences pédagogiques débouchent plus souvent sur des questions que sur des certitudes. Ce double numéro spécial tente d’ouvrir cette boîte de Pandore en abordant cette thématique sous différentes facettes.
3La facette institutionnelle s’exprime au travers de politiques d’établissement visant à faire de l’entrepreneuriat un élément fédérateur entre les programmes d’enseignement. Yvon Gasse décrit l’expérience développée depuis le milieu des années 70 au sein de l’Université de Laval au Québec. Frank Vidal et Renaud Redien-Collot analysent la façon dont un modèle d’école original centré sur l’entrepreneuriat peut se légitimer au sein du paysage actuel des business schools généralistes. Emilie Pawlak décrit les conséquences induites par l’émergence de l’économie de la créativité sur les modèles d’éducation.
4Ces expériences très diverses, voire dispersées, nécessitent parfois une consolidation de l’acquis en vue de favoriser le partage d’expérience et l’exploitation d’économies d’échelle. C’est le cas des initiatives des maisons de l’entrepreneuriat lancées en France en 2003 et du plan d’action national des Pôles Entrepreneuriat Étudiants présentés par Jean-Pierre Boissin et Nathalie Schieb-Bienfait.
5Les remises en question institutionnelles favorisent la mise en œuvre de démarches pédagogiques originales. Dans leur contribution, Yifan Wang, Michel Bigand et Dominique Frugier démontrent cette association « évolution institutionnelle/révolution pédagogique » dans un environnement traditionnellement conservateur, celui des écoles d’ingénieurs. L’importance de ce lien mais aussi la fragilité de ces (r)évolutions à la fois pédagogiques et institutionnelles est bien illustrée dans l’entretien avec Benoît Raucent, cheville ouvrière d’innovations pédagogiques majeures au sein de l’École Polytechnique de l’Université de Louvain-la-Neuve en Belgique. Son récit illustre la dynamique intrapreneuriale nécessaire pour mettre en œuvre des changements de pédagogie dans une institution d’enseignement supérieur.
6La facette éducative de l’enseignement de l’entrepreneuriat montre l’intérêt d’un certain nombre d’innovations pédagogiques. Leur but est de développer chez les apprenants des compétences transversales et comportementales jugées aussi importantes que les compétences disciplinaires. La nature des activités proposées, le mode de régulation entre étudiants et enseignants ainsi que leur évaluation sont souvent en rupture avec les canons traditionnels. Sylvain Bureau et Jacqueline Fendt décrivent une expérience pédagogique littéralement décalée. Les « dérives situationnelles » dont l’origine remonte à un mouvement artistique révolutionnaire des années 50, immergent les étudiants dans une expérience inattendue en vue de dépasser leurs zones de confort habituelles. De son côté, Catherine Dervaux relate une expérience (Vis ma vie) développée en région lilloise qui cherche à briser les murs entre entrepreneurs et enseignants, au grand bénéfice des étudiants. Antoine Perruchoud, Béatrice Girod Lehmann et Bernard Surlemont revisitent quant à eux, un projet pédagogique particulièrement innovant développé au sein de la haute école HES-SO dans le valais. Leur analyse montre que ce type de programme entrepreneurial rencontre les principales dimensions de la pédagogie de l’esprit d’entreprendre telles qu’articulés par Bernard Surlemont et Paul Kearney dans leur ouvrage revu par Caroline Verzat.
7La légitimité des programmes de formation à l’entrepreneuriat doit reposer sur des stratégies et des méthodes pédagogiques éprouvées. Cela commence au niveau des définitions. Dans son article, Caroline Verzat tente de cerner au mieux le concept d’esprit d’entreprendre et ses implications pour définir des objectifs éducatifs au sein d’un curriculum. Zineb Aouni présente, de son côté, les implications d’une approche par les compétences en matière de pédagogie de l’entrepreneuriat. Olivier Toutain montre en quoi les stratégies cognitives mobilisées dans les approches pédagogiques de résolution de problèmes sont fécondes pour développer des compétences entrepreneuriales. Dans leur analyse d’une expérience de formation à la créativité destinée à un public d’ingénieurs, Chrystelle Gaujard et Caroline Verzat s’interrogent sur l’évaluation de l’impact de leur démarche auprès des apprenants. L’évaluation est, en effet, l’un des nerfs de la guerre en faveur d’une plus grande légitimation de ces démarches pédagogiques originales. Dans son article, Alain Fayolle fait le point sur l’état de l’art en la matière.
8Au terme de ce parcours, que nous reste-t-il ? Tel Pandore ayant ouvert sa boîte et laissant échapper tous les maux de ce monde, il nous reste l’espérance. Celle de contribuer à faire progresser nos systèmes éducatifs en faveur de stratégies susceptibles de façonner chez nos jeunes des comportements qui leur permettront d’entreprendre leur vie. Et ainsi de participer à la transformation indispensable de notre monde vers une plus grande empathie avec l’environnement et les personnes humaines dans leur diversité et leurs richesses.