Les points forts
- L’économie créative est une économie dont le développement repose sur la capacité à créer, articuler et faire circuler le capital intellectuel.
- Son développement modifie le paradigme de l’innovation, qui se situe désormais à l’intersection de l’économie, de la culture, de la créativité et de la technologie.
- Les institutions académiques doivent intégrer ce changement et modifier profondément leurs approches de la gestion de l’innovation.
1La notion de développement a récemment connu une profonde transformation. En marge des critères strictement économiques, les nouvelles stratégies de développement intègrent désormais la capacité à promouvoir un modèle durable favorisant l’inclusion sociale.
2Cette évolution témoigne aussi du passage d’une économie dans laquelle la production, l’accumulation et l’exploitation de la connaissance constituaient le moteur essentiel de croissance à une économie dans laquelle le développement repose sur la capacité à créer, articuler et faire circuler le capital intellectuel.
3Cette dimension de l’économie, mue en grande partie par les industries créatives (architecture, design, publicité, jeux vidéo, mode, télévision…), constitue un moteur de croissance majeur source de création d’emplois et de revenus mais aussi de cohésion sociale, de diversité culturelle et de développement durable.
Un nouveau paradigme de développement socio-économique
4L’économie de la créativité pousse à l’émergence d’un nouveau paradigme de développement qui associe le monde des affaires, la Culture, les Arts et la Technologie. Ce nouveau paradigme modifie les modalités traditionnellement associées à l’innovation. En effet, les nouvelles sources de création de valeur résident désormais à l’intersection de l’économie, de la culture, de la créativité et de la technologie. De par son caractère de plus en plus interdisciplinaire, transversal et collaboratif, l’innovation vue comme source première du développement socio-économique demande à être envisagée de manière différente.
5Cette vision holistique du développement engendre des mouvements stratégiques importants au sein des organisations et des institutions qui visent à intégrer ce changement. Firmes, universités, écoles, institutions modifient profondément leurs approches de la gestion de l’innovation.
Au-delà des industries créatives
6L’économie de la créativité dépasse progressivement les frontières des industries créatives. Comme le souligne Laurent Simon, professeur de gestion à HEC Montréal et co-directeur de la plateforme MosaiC [1], les secteurs des industries créatives ne sont que la partie émergée de l’iceberg. Ils attirent l’attention sur un phénomène de long terme traduisant la volonté des entreprises à aller chercher des capacités de création à l’extérieur. Loin d’être un nouveau concept ou un secteur en forte croissance, l’économie de la créativité englobe de nombreux domaines, dont beaucoup appartiennent aux industries traditionnelles.
7De nombreuses études ont été menées ces dernières années [2] pour évaluer le poids des industries créatives dans l’économie. La majorité se sont concentrées sur la caractérisation de ces industries en un nombre variable de secteurs (dont notamment la publicité, l’architecture, l’Art, le design, la mode, l’édition, la télévision, la radio, les logiciels…). Les travaux sont malgré tout restés limités sur l’appréciation de la relation entre l’activité des industries créatives et l’innovation au niveau national. L’organisme britannique NESTA (National Endowment for Science, Technology and the Arts [3]) souligne qu’il existe une déconnexion néfaste entre les politiques d’innovation et le poids effectif des industries créatives. Deux de leurs études ont permis de mettre ce problème en exergue. La première [4] démontre que les industries créatives jouent un rôle beaucoup plus important dans le système national d’innovation britannique que ce qu’attestent les décisions de politiques publiques. En effet, les performances en termes d’innovation sont meilleures dans les firmes ayant une proportion élevée de dépenses en ressources créatives [5]. Une deuxième étude [6] montre que les travailleurs «créatifs» sont beaucoup plus intégrés dans l’ensemble de l’économie que ne le montrent les précédentes études. Selon le « Centre of Excellence for Creative Industries and Innovation », les créatifs travaillent plus en dehors qu’au sein des industries créatives.
8Les industries créatives sont un moteur majeur de l’économie créative. Depuis les années 90, celles-ci affichent en effet une croissance respectivement 2 et 4 fois supérieure à celles des activités de services et des industries manufacturières [7]. Durant la crise, celles-ci ont aussi mieux résisté que les autres au ralentissement de l’activité mondiale. Ainsi, des organismes tels que l’UNCTAD [8] et le NESTA le constatent qu’il est nécessaire de mieux prendre en compte l’imbrication croissante des activités des industries créatives (design, architecture, culture, audiovisuel…) avec celles des industries « traditionnelles» ou «non créatives », ce qui témoigne de la réintégration du créateur au centre du processus d’innovation.
9En effet, le jeu de la concurrence et la logique de développement durable poussent de plus en plus les firmes à aller chercher l’inspiration et plus généralement des capacités de création à l’extérieur dans des domaines parfois éloignés de leurs secteurs d’activités (voir encadré).
10Autrement dit, l’économie créative ne regroupe pas les seules activités liées aux industries créatives, elle illustre la montée en puissance et la combinaison de deux phénomènes : la nécessité d’innover en flux continu et la diffusion d’une logique collaborative au sein de l’économie.
Innovation en flux continu et logique collaborative
11La pression concurrentielle et la segmentation extrême des marchés («Death of the Average») demandent aux entreprises d’innover de façon continue et de s’adapter à la logique d’usage. La capacité à générer et à porter des idées nouvelles sur le marché (transformer une idée en application commerciale rentable), tant en termes de produits, de services ou de pratiques, est devenue la pierre angulaire de la compétitivité (voir encadré). Autrement dit, les organisations doivent être de plus en plus rapides et agiles pour trouver et articuler de nouvelles idées qui sous-tendront des produits et services innovants. En effet, l’avantage compétitif résulte de plus en plus de la capacité à générer en continu de nouvelles options (Apple ou Procter & Gamble en sont des exemples célèbres) et non plus à se baser sur des études de marché et par conséquent, ce qui existe déjà. De nombreuses compagnies ne survivront pas à cette évolution qui demande aux entreprises d’aborder l’innovation de manière intégrée. Nombre d’opportunités entrepreneuriales commencent et vont continuer à émerger à condition de savoir identifier le bon problème au bon moment.
L’industrie de la construction illustre parfaitement cette tendance tant le design des bâtiments a pris une place centrale dans le domaine. En effet, dans une société mettant l’accent sur le développement durable, le design est une des réponses permettant de rendre les bâtiments plus «verts». Par exemple, à Barcelone, le bâtiment Media-TIC1 reconnu comme une œuvre architecturale importante du district de l’innovation 22@Barcelona, dessiné par le bureau d’architecture Cloud [9], atteste de la rencontre des activités traditionnelles, créatives, culturelles et sociales. Le bâtiment est constitué d’un maillage de poutres recouvertes par des bulles translucides. Ce revêtement intelligent gère le passage de la lumière. Les propriétés de ce matériau ainsi que l’air contenu dans les bulles renforcent l’isolation thermique. Au total, ce nouveau design permet une économie d’énergie de 20 %. Il se veut un lieu de rencontre et de sensibilisation citoyenne dans les domaines des TIC.
Industries créatives et automobile
En 2003, le constructeur automobile japonais Nissan a relocalisé le siège de ses activités de design au centre de Londres. Cette décision est justifiée par le constructeur par la volonté d’avoir accès a des sources importantes et influentes en termes d’Art contemporain, d’architecture et de design. Pour Nissan, l’intensité créative de son environnement est devenue élément fondamental de son processus d’innovation. À ce sujet, David Godber, le directeur général Europe, déclare : «the city definitely influences the creative process. Our designers bring London to work with them – they’re inspired by its architecture, its clubs and bars, its music scene. They also monitor influential areas of London’s design community – the latest trends in fashion, art and product design. So much of the city’s energy feeds into the studio. London is at the centre of everything, and that’s where we want Nissan to be.” [10]
12Face à ces transformations, les institutions d’éducation sont poussées à modifier la nature de leurs missions et les modalités d’enseignement et de formation. Dans le contexte de l’économie créative, le rôle des universités dépasse désormais largement celui de la seule production de connaissance. En effet, les universités sont devenues des agents actifs du changement au sein du territoire grâce aux communautés et au capital intellectuel qu’elles génèrent ainsi qu’aux projets qu’elles entreprennent. Elles s’inscrivent dans un système d’innovation incluant une plus grande diversité d’acteurs (firmes, communautés de pratique, scientifiques, culturelles, citoyen, institutions, etc.).
Les sources externes : BrainStore, «l’usine à idées»
La société suisse BrainStore a à son actif plus de 1 000 clients faisant partie de Fortune 500 comme BASF, Microsoft, BMW, Crédit Suisse, UBS. Une équipe très diversifiée constituée de designers, d’ingénieurs, de docteurs, de personnes ayant quitté prématurément le système scolaire et même de confiseurs travaille à générer rapidement de bonnes idées qui seront applicables par les clients. La société applique une logique industrielle à la production d’idées au sens où celles-ci émanent d’un processus systématique fondé sur l’efficacité en termes de temps et de coûts.
La gestion interne : HydroQuébec, maximiser le potentiel de création des employés
La société HydroQuébec (production, transport et distribution d’électricité d’origine principalement hydraulique) a mis en place un système interne de gestion des idées nouvelles permettant de maximiser le potentiel de chacun de ses employés. L’objectif est d’inciter les employés, quel que soit leur niveau hiérarchique à proposer des idées nouvelles, commenter de manière constructive les processus en place, et ce, de façon continue. Le système permet par ailleurs à l’organisation de répertorier, d’évaluer et de mettre en œuvre les idées. Concrètement, la société a créé un espace collaboratif de type Wiki pour soumettre les idées qui seront évaluées par un Comité de 2 à 6 fois par an. Si l’idée est retenue, elle sera inscrite dans les «Archives d’idées» répertoriant l’auteur, le problème, le champ scientifique, la description, le niveau de maturité et la recommandation (validation, transposition, concentration sur un élément particulier.).
La logique de collaboration : Co-Society, des partenaires improbables pour des projets concrets
Le projet Co-Society [11], né de l’organisation barcelonaise Infonomia (reconnue par FastCompany) dirigée par Alfons Cornella, réunit des équipes des meilleures compagnies présentes en espagne pour combiner leur expertise et générer de nouveau projets. Des équipes de firmes leaders dans leur secteur comme Danone, HP, Thyssen Krupp ou Novartis travaillent ensemble et partagent leurs visions avec des acteurs d’autres domaines afin d’identifier des idées innovantes qui n’auraient pas émergé dans des réunions sectorielles.
Les universités à l’ère de l’économie créative
13«The university’s increasing role in innovation and economic growth stems from deeper and more fundamental forces. The changing role of the university is bound up with the broader shift from an older industrial economy to an emerging Creative Economy… Innovation and economic growth accrue to those places that can best mobilize humans’ innate creative capabilities from the broadest and most diverse segments of the population, harnessing indigenous talent and attracting it from outside. [12]”
Un rôle grandissant dans la compétitivité territoriale
14Afin d’examiner les changements des modèles universitaires, il est indispensable de faire référence au contexte géographique particulier dans lequel ils s’opèrent.
15Pourtant, avec le développement de l’Internet et plus généralement des TICs, un grand nombre de professionnels et d’académiques prédisaient l’avènement d’un monde dans lequel le rôle de la proximité géographique serait de plus en plus marginal [13]. Au contraire, on constate que dans une économie mondialisée, les activités liées à l’innovation et à la créativité ont de plus en plus tendance à se concentrer géographiquement dans les zones urbaines. Villes et régions ont émergé comme l’unité de référence dans un système économique où le jeu concurrentiel se déplace au niveau des territoires. Le caractère spécifique de l’identité culturelle et de l’activité économique d’un territoire agissent sur la compétitivité et orientent la trajectoire du développement économique [14]. Dans une économie où les sources de création de valeur résident désormais plus dans les flux de connaissances (logique de collaboration) que dans les stocks de connaissances, la collaboration et l’intensité des interactions au sein et entre les différents acteurs économiques d’un territoire sont intimement liés à sa compétitivité.
16L’éducation est un instrument central dans la stratégie de la stratégie de structuration et d’articulation des connaissances, des savoir-faire et des compétences au sein du territoire. À travers l’aménagement de l’espace des connaissances, les universités participent au positionnement du territoire dans une économie mondialisée structurée en réseaux. En effet, elles contribuent à l’excellence et la diversité des ressources en capital humain, renforçant ainsi la réputation et le pouvoir d’attraction du territoire. Les organisations responsables de l’éducation (universités, écoles, centres de formation…) doivent permettre de construire des compétences collectives compétitives (ancrées territorialement) et de développer un esprit entrepreneurial nouveau (créateurs entrepreneurs…). Elles doivent en outre répondre à une demande de ‘talents’ dans les secteurs innovants qui s’intensifie et se modifie. En effet, à l’échelle du territoire, le marché du travail se développe autour de firmes inter-reliées et d’activités structurées en termes de projets qui favorisent les fertilisations croisées et demandent une diversification des compétences de la main d’œuvre. Autrement dit, la formation doit s’adapter à la redéfinition des métiers et des cultures de travail dans de nombreux secteurs. Enfin, les universités doivent jouer un rôle d’animateur et de connecteur afin de diffuser les pratiques et les innovations au sein du territoire [15].
Les plates-formes d’éducation et d’innovation : un mouvement observé à l’échelle internationale
17Cette nouvelle approche de l’éducation et de l’innovation répond aux problématiques soulignées dans l’Agenda 2020 de l’Union Européenne qui appelle à de nouvelles modalités de collaboration entre les sphères économiques et académiques afin d’accélérer la diffusion d’idées innovantes (environnement, cohésion sociale,…) [16]. Elle est illustrée par de nombreuses initiatives observées à l’échelle internationale :
- Affiliée à HEC Montréal, la plate-forme MosaiC se concentre sur l’étude, l’analyse et l’interprétation des enjeux et pratiques de gestion dans l’économie de la créativité. Des étudiants (Master et Doctorat), des chercheurs et des praticiens collaborent dans des projets de recherche-action au sein d’organisations québécoises et internationales [17]. MosaiC combine l’expertise d’intervenants académiques à l’expérience de praticiens et d’acteurs des milieux des affaires, de la culture, de la communication ou des Arts. Parmi ses partenaires, cette plateforme d’innovation ouverte en milieu académique compte des entreprises comme le Cirque du Soleil, HydroQuébec ou Ubisoft.
- L’université Aalto (Helsinki- Finlande) résulte de la fusion de la ‘Helsinki School of Economics’, du Helsinki Institute of Technology et de la «Helsinki School of Arts and Design» et est une pionnière en matière d’éducation interdisciplinaire mêlant économie, technologie, Arts et Design. Le SimLab est une unité interdisciplinaire dédiée à la recherche et à l’enseignement des pratiques de gestion et d’innovation à l’ère des TIC dans une logique d’usage (centrée sur le client et l’utilisateur). Recherche et enseignement portent sur des cas pratiques (résolution de problèmes, analyses de cas, simulation). Les méthodes d’enseignement se fondent sur le modèle de simulation de processus et de développement d’affaires. Le laboratoire dispose d’un espace physique doté d’un écran vidéo de 10x2m pour procéder aux simulations de groupes et aux représentations visuelles des modèles et processus. Les projets sont financés en majorité de façon externe (entreprises et organismes publics).
- Au Danemark, s’est créée une école de gestion «alternative»qui compte plus de 100 étudiants. KaosPilots [18] fonde son enseignement sur la réalisation de projets «durables». L’objectif de cet espace d’apprentissage et d’innovation est de produire un changement social positif tout en stimulant le développement personnel des étudiants. À la sortie, plus de 30 % des étudiants empruntent le chemin de l’entrepreneuriat.
- L’initiative «Design London» affiliée au Imperial College de Londres se concentre sur le développement de nouvelles pratiques, outils et processus afin de transformer radicalement le processus d’innovation des organisations
- D’autres initiatives comme le « MIT Medialab » ou le « Stanford Institute of Design » développent eux aussi une approche peu orthodoxe de la recherche. Des ingénieurs, des scientifiques, des artistes unissent leurs forces pour penser et inventer des solutions visant à transformer la vie quotidienne mais aussi la société dans son ensemble.
18Cette approche englobe un large spectre d’activités d’innovation centrées sur l’humain. Le design-thinking est la rencontre des capacités du designer à comprendre et identifier les besoins et les goûts des utilisateurs (produit, service, packaging, vente, service après-vente…) avec les possibilités technologiques dans le but de créer de la valeur et de saisir une opportunité commerciale. Le rôle du designer ne se limite plus à des critères esthétiques, il consiste à trouver des idées qui correspondent à des besoins et d’augmenter le potentiel de création de valeur. Ces pratiques observées dans les industries créatives sont importées de façon croissante dans les secteurs reliés comme les télécommunications, l’informatique grand public ou l’éducation. Elles permettent de rapprocher les principes de gestion de l’entreprise à une innovation orientée vers l’amélioration de la qualité de vie. Le design envisagé en tant que méthode de conception transforme progressivement les processus d’innovation et les stratégies des organisations. (voir encadré). Ceux-ci s’articulent autour de la réflexion, de l’action et de la résolution de problèmes [19].
La plateforme ID Campus : une réponse stratégique ?
19Depuis la fin des années 80, la Wallonie a entamé une restructuration de son économie, comme en témoignent le développement des secteurs liés aux biotechnologies, à l’industrie chimique ou au génie mécanique et l’attraction de géants internationaux comme Google et Microsoft sur le territoire. Les initiatives de la Région Wallonne (clusters, pôles de compétitivité, Plans Marshall et récemment Creative Wallonia) ont été mises en œuvre afin de redynamiser l’économie et les capacités d’innovation du territoire et de faire face au ralentissement des activités liées à la sidérurgie.
20Malgré le traumatisme suscité par le déclin des vieilles industries, l’identité culturelle et économique de la région Wallonne est un atout qu’il faut valoriser pour aborder le changement. Il est important de ne pas briser le rapport au temps et à l’histoire en faisant évoluer cette identité.
21C’est dans ce contexte que la plate-forme ID Campus a été créée en 2010 afin d’adapter les compétences enseignées, de diffuser les idées et pratiques créatives au sein de la société et des entreprises et de favoriser l’émergence d’un territoire créatif. Autrement dit, ID Campus vise à répondre au besoin de développement (durable) local et participe à la construction d’une identité collective compétitive.
22ID Campus est un espace de connexion, un relais entre les différentes sphères économiques et institutionnelles de la région Wallonne. Concrètement, un des objectifs de ID Campus est de mobiliser les communautés et réseaux locaux (agences de développement, clusters, pôles de compétitivité, communautés culturelles, associations professionnelles, citoyens…) à travers ses projets et ses événements.
23L’activité centrale d’ID Campus est de rassembler des équipes interdisciplinaires d’étudiants, de professeurs et de praticiens qui ont pour mission de développer et de conduire des projets commandités par des entreprises, des associations ou des organismes publics. Pour cela, ID Campus a créé un espace multi-fonctionnel et modulable dédié aux activités collaboratives et créatives. Les séances de travail en équipe, les présentations du projet, les activités événementielles et de réseautage se déroulent dans cet espace ouvert.
Avec cette méthode, la firme a aidé un hôpital à réorganiser les rotations des équipes infirmières dans un service. Après une étude auprès des patients, ceux-ci trouvaient que le temps de latence entre deux équipes était trop important et que le personnel n’avait pas une bonne connaissance des dossiers après une rotation. Les séances d’échange et de travail avec le personnel et l’apport des technologies ont permis de développer un système plus efficace basé sur un logiciel de traitement et de suivi des informations ainsi qu’une modification des rythmes de travail développé en collaboration avec les intéressés. De même, l’équipe d’IDEO a encadré la création et le développement d’un nouvel outil chirurgical. Les interactions avec les différents chirurgiens ont permis d’apprendre des forces et des faiblesses de l’outil prototype afin d’identifier les directions à examiner pour le développement futur.
Dans le secteur bancaire, la compagnie a aidé à identifier un comportement humain et à en extraire de la valeur pour le consommateur et l’entreprise. En effet, constatant l’habitude des consommateurs d’économiser les pièces de monnaie rendues lors d’un achat, Bank of America a offert la possibilité à ses clients d’économiser lors d’un paiement par carte en leur permettant d’arrondir le montant payé. Cette initiative a attiré 2,5 millions de nouveaux clients (700 000 comptes bancaires) chez Bank of America et a permis à ces clients d’économiser plus de $500 millions au total.
Enfin, le fabricant de composants vélo Shimano s’est intéressé au marché des personnes ne pratiquant pas ce sport ou ce loisir. Afin d’attirer ces catégories, la compagnie a basé son projet sur les «bons souvenirs d’enfance»associés au vélo afin de diminuer les réticences identifiées par les «non-utilisateurs»telles que la complexité qu’ils perçoivent en ce qui concerne les aspects techniques (vélos souvent trop professionnels), la distribution (magasins d’experts), les coûts ou la sécurité (pratique risquée). L’approche design thinking a permis à Shimano de proposer le projet COASTING, un vélo simple (sans commandes sur le guidon), axé sur le plaisir plus que sur les performances, associé à un nouveau type de services (nouveaux magasins et informations sur les pistes de promenades et de cyclotourisme)
24La dimension innovante des projets sélectionnés par ID Campus tient au fait qu’ils doivent permettre le développement socio-économique et culturel du territoire [21], [22] i.e. être sources de valeur économique ou sociale. La nature des projets, leur durée et leurs domaines d’applications sont divers et couvrent par exemple les problématiques suivantes :
- Re-dynamisation d’un quartier urbain : plusieurs équipes d’étudiants encadrés par des membres d’ID Campus et des experts en créativité travaillent à identifier et à comprendre les besoins des habitants et des commerçants d’un quartier. L’objectif est de proposer un plan d’action concret en coordination avec les autorités locales. Le caractère innovant et créatif du projet repose sur les modalités de consultations (forum citoyen), les méthodes créatives utilisées à chaque étape du projet (idéation, démarrage, mise en œuvre.), les délivrables (création d’une plateforme internet destinée aux parties prenantes pour qu’elles puissent interagir, support aux nouveaux usages - wiki, etc.)
- Identification et réponse à un besoin nouveau : avec le support d’une entreprise leader de ce secteur, une équipe va imaginer et réaliser le prototype d’un appareil de séchage spécialisé pour des applications particulières qui ne sont pas intégrables dans un séchoir classique.
- Résolution de problèmes et amélioration des processus : l’objectif de ce projet au sein d’un industriel du secteur agro-alimentaire est de rechercher des solutions originales pour optimiser et rendre plus flexible le processus de suremballage.
- Imaginer de nouveaux usages : Regroupant des étudiants de disciplines diverses (urbanisme, sociologues, économistes, designers industriels, artistes), un projet en phase de préparation vise à apporter un regard complémentaire sur les nouveaux usages qui pourraient être associés à l’arrivée d’un nouveau mode de transport (aménagement des stations, des voitures, animations, activités économiques et culturelles reliées…).
Une première année d’expérience
25La première année a permis d’affiner les objectifs poursuivis par la plateforme et aussi d’identifier les contraintes et les difficultés inhérentes à un tel projet. On souligne souvent la complexité de former des groupes de travail interdisciplinaires en raison de la « distance cognitive » qui entrave les échanges. En effet, chaque discipline a ses codes, ses modes de fonctionnement et ses intérêts propres. Cela étant, il est apparu que les premières des difficultés dans la conduite de tels projets tenaient à des éléments beaucoup plus «terre à terre»:
- la disponibilité des participants : la fréquence des interactions joue favorablement le succès d’un projet. Cependant, l’alignement des emplois du temps d’étudiants d’écoles et d’universités différentes se révèle problématique.
- Les modalités administratives : la mobilisation d’étudiants et de professeurs d’institutions différentes requiert la mise en place d’un cadre administratif formel qui permet d’apporter une solution aux divergences de calendrier d’examen et d’évaluations ou aux conflits d’emploi du temps. À cet effet, la constitution d’un programme de formation formel axé sur la créativité et l’innovation, et commun aux institutions qui veulent y participer se met progressivement en place afin d’élargir le spectre de disciplines et d’institutions participant aux projets ID Camous
- La durée variable des projets : la diversité des projets implique une grande variabilité dans l’horizon de réalisations des projets. La difficulté consiste alors à aligner les différentes phases du projet et les impératifs des donneurs d’ordre aux rythmes universitaires.
Des espaces de création de compétences
26Comme le souligne Heather Fraser, la Directrice de Design InitiativeTM (Rotman School of Management de Toronto, Canada), les défis du 21e siècle ne peuvent être affrontés en ayant recours au modèle traditionnel contraint par des silos disciplinaires et fonctionnels. Dans cette perspective, des plateformes telles qu’ID Campus doivent répondre à plusieurs problématiques :
27En premier lieu, elles doivent supporter l’innovation économique et sociale à l’échelle locale et régionale en agissant comme « hub » de l’innovation et en mettant en contact les acteurs de l’économie au sein de projets interdisciplinaires.
28En second lieu, ces plateformes doivent permettre de repenser profondément l’enseignement (dont l’enseignement en gestion) et d’adapter le système d’éducation à l’économie locale et régionale. Deux axes majeurs se dégagent en la matière :
- L’approche intégrée de la création et de la gestion commerciale de la créativité : Les projets menés permettent de développer des compétences qui répondent aux mutations de la demande de talents dans les industries créatives et non créatives, à savoir des compétences qui intègrent la notion de création de valeur, de création de contenu et de design thinking. Ainsi, si les étudiants apprennent à identifier et à répondre à un problème de façon créative, ils doivent aussi apprendre les principes de gestion commerciale de la créativité.
- L’entrepreneuriat et la croissance des startups : l’entrepreneuriat dans les domaines reliés aux industries créatives notamment a été identifié comme un instrument essentiel dans le processus de redynamisation des économies régionales. Les étudiants doivent donc pouvoir développer les compétences nécessaires à la mise en marché de leurs projets créatifs sur la base de projets pratiques et d’expérimentation. Cela étant, la sous-représentation des entreprises de taille moyenne dans les domaines reliés à l’économie créative soulève la question de la croissance de ces entreprises [23]. Ainsi il est nécessaire de fournir un enseignement qui permette aux étudiants de savoir adapter constamment leurs modèles d’affaire. En effet, l’évolution des startups dans les industries créatives repose sur la génération de nouvelles idées et produits dont les utilisateurs sont encore inconnus.
Notes
-
[1]
Entretien télévisé du 24/10/11 à l’émission RDI Économie de la chaîne d’information canadienne RDI
-
[2]
Notamment Higgs P., Cunningham S. and Bakhshi H. (2008) ‘Beyond the Creative Industries– Mapping the creative economy in the United Kingdom.’ London: NESTA.36 ; UNCTAD, Creative Economy Report, UNCTAD/DITC/2008/2, 2008; European Commission «GREEN PAPER - Unlocking the potential of cultural and creative industries», COM(2010) 183, 2010
- [3]
-
[4]
Bakhshi H., McVittie E. and Simmie J. (2008) ‘Creating Innovation: Do the creative industries support innovation in the wider economy?’ London: NESTA. Basée sur les données CIS.
-
[5]
Les firmes dont les dépenses en ressources créatives sont supérieures à la dépense médiane affichent une probabilité supérieure de 25 % de lancer des innovations de produits
-
[6]
Higgs P., Cunningham S. and Bakhshi H. (2008) ‘Beyond the Creative Industries– Mapping the creative economy in the United Kingdom.’ London: NESTA.36
-
[7]
UNCTAD, Creative Economy Report, UNCTAD/DITC/ 2008/2, 2008
- [8]
- [9]
-
[10]
http://thinklondon.double-eye.com/who_weve_helped/case_studies/nissan_design_europe.html
- [11]
-
[12]
Florida, G. Gates, B. Knudsen and K. Stolarick, The University and the Creative Economy, Working Paper, December 2006.
-
[13]
Friedman, T (2007), The World Is Flat 3.0: A Brief History of the Twenty-first Century, Picador.
-
[14]
Ces spécificités émanent en partie de l’histoire unique d’un territoire et de la tendance naturelle des industries et d’un territoire vers toujours plus de spécialisation.
-
[15]
La réussite de cette mission suppose que le territoire dispose d’un certain nombre d’utilisateurs, d’intégrateurs ou de développeurs.
-
[16]
Dans l’Agenda 2020, l’Union Européenne suggère d’accélérer le «Time to society» en référence au précédent paradigme du «Time to market»
-
[17]
En 2011, ID Campus et MosaiC ont conclu un accord de collaboration étroite. Id Campus a ainsi accédé à un réseau international qui se retrouve chaque année lors d’événements consacrés à la créativité, et notamment, «l’École d’Été Montréal-Barcelone en management de la création dans la société de la créativité» et «l’École d’automne en gestion de la créativité organisée par l’Université de Strasbourg».
- [18]
-
[19]
Plusieurs principes sous-tendent ces projets : (1) L’utilité : potentiel de réponse aux attentes des utilisateurs (intègre désormais les problématiques touchant l’utilisateur comme l’amélioration de la qualité de vie), (2) La faisabilité : potentiel de réalisation en fonction de critères technologiques notamment et (3) La ‘durabilité’: potentiel de création de valeur en termes économiques et sociaux.
-
[20]
Tim Brown, Design Thinking, Harvard Business Review, June 2008, reprint R0806E
-
[21]
Technologie, Arts, mécanismes participatifs, urbanisme, modèles d’affaires…
-
[22]
Pour accomplir sa mission, id Campus a récemment installé ses activités dans nouveau local qui offre un espace ouvert dédié à la création et à la collaboration à tous les participants.
-
[23]
En termes structurels, les industries créatives sont dominés par les petites entreprises : 80 % de PME dont une vaste majorité de micro-entreprises. Moins d’1 % sont des très grandes entreprises mais elles génèrent 40 % des revenus de l’industrie. Source : HKU, The entrepreneurial dimension of the cultural and creative industries, Hogeschool vor de Kunsten Utrecht, Utrecht, 2010