Les points forts
- Entre 2004 et 2010, une Business School française, Advancia, a fait le pari d’un modèle pédagogique entièrement axé sur l’entrepreneuriat.
- En dépit de résultats significatifs, le modèle pédagogique n’a pas été jugé viable et l’école est redevenue une institution « standard ».
- Le cas Advancia pose la question de la possibilité de faire exister des projets atypiques dans un paysage formaté par les normes et standards académiques du marché international de l’enseignement supérieur.
1Faisant suite aux premiers cours en entrepreneuriat délivrés en 1947 à Harvard, les programmes d’entrepreneuriat au sein des écoles de management ont fait florès aux États-Unis dès le début des années 70, à l’Université de Southern California en particulier et, à la fin de cette même décennie, en Europe à la Durham Business School au Royaume Uni et à l’université de Växjö en Suède. Sur le continent américain, l’expérimentation pédagogique a rapidement pris une tournure radicale : Babson College a fait de l’entrepreneuriat le cœur de son identité académique. En Europe, une place de choix a été réservée à l’entrepreneuriat dans un grand nombre d’écoles (EM Lyon, Instituto de Empresa à Madrid ou Bocconi à Milan). Toutefois, jusqu’au début de la décennie 2000, aucune d’elles ne s’est donnée pour unique spécialisation l’entrepreneuriat. Mue par les initiatives de Verheugen en 2002 en faveur de l’entrepreneuriat au sein de la Commission européenne, reprises en France quelque temps après par le Ministre Renaud Dutreil, la Chambre de Commerce et d’Industrie de Paris (CCIP), pourtant déjà leader dans le domaine de la formation au management, a identifié en 2004 le besoin de rassembler dans une même école un éventail complet de programmes entrepreneuriaux allant de la sensibilisation à l’accélération de la croissance des jeunes entreprises. Pour ce faire, elle a décidé de reconfigurer l’une de ses écoles, Advancia.
2Cet article examinera l’émergence progressive de l’offre éducative de cette institution entre 2004 et 2010 et sa capacité à affirmer une identité puis une légitimité d’école en s’appuyant sur la thématique entrepreneuriale. Il s’agira, au sens où l’entend Yin [1] (2003) d’un cas extrême, à caractère longitudinal, rendant compte des dynamiques à l’œuvre au sein de l’offre éducative entrepreneuriale, sur un marché national alors encore en émergence, caractérisé tout à la fois par une grande hétérogénéité des opérateurs et une forte implication des acteurs publics nationaux comme territoriaux, mais par ailleurs soumis à des normes de qualité, notamment internationales, croissantes. L’analyse des résultats de l’école au cours de ces six dernières années permettra de faire le point sur le chemin qu’il reste à parcourir pour que la pédagogie entrepreneuriale devienne centrale dans un plus grand nombre de cursus universitaires européens.
Une histoire en trois phases
3La plupart des écoles de management, aujourd’hui, proposent une offre standard où l’entrepreneuriat constitue un complément attractif ou un signe distinctif, au même titre que l’innovation ou l’intelligence économique. Pour Advancia, l’entrepreneuriat a fait l’objet d’un renouveau stratégique qui visait à la distinctivité de l’ensemble de l’offre sur un marché très généraliste. Issue d’une fusion difficile réalisée au tout début des années 2000 entre plusieurs écoles de nature assez différentes, Advancia se définit à l’origine du projet comme une école de middle management à dominante gestion/comptabilité. Le repositionnement entrepreneurial de l’offre de formation a fait l’objet d’une gestion du changement en interne. Dans une première phase, il s’est agi de fonder une école d’entrepreneuriat centrée sur la création d’entreprise et donc organisée autour de l’incubateur qui a été dessiné en 2004 et ouvert en 2005. Dans une seconde phase, lorsqu’il a fallu intégrer d’autres programmes (le Master, créé en 2005 ; le Bachelor, redessiné en 2006, les programmes associés), le positionnement entrepreneurial de l’école a été redéfini. Dans un troisième temps, la forte compétition caractérisant le marché des formations supérieures a incité l’équipe dirigeante à adopter un nouveau positionnement stratégique.
2004-2005 : une nouvelle école centrée sur la création d’entreprise
4En 2003-2004, les premiers décideurs ont voulu faire d’Advancia une école de la création d’entreprise centrée sur son incubateur. Cette focalisation initiale sur la formation et l’accompagnement des créateurs d’entreprise s’inscrit dans un contexte politique marqué par le renouveau des initiatives gouvernementales en faveur de l’entrepreneuriat, entendu comme passage à l’acte créateur. Le repositionnement d’Advancia est dès lors envisagé par la Chambre de Commerce et d’Industrie de Paris, son organisme de tutelle, comme une réponse supplémentaire à l’invitation des pouvoirs publics en faveur de la création d’entreprise. Il s’agit en effet pour la Chambre, déjà active en ce domaine sous la forme de multiples dispositifs de proximité, de donner un signe plus manifeste de son engagement en faveur de l’entrepreneuriat par la focalisation de l’une de ses écoles sur la seule thématique de l’entrepreneuriat. Au plan pédagogique, cette focalisation sur la création entrepreneuriale s’est actualisée dans la circulation d’un maximum d’étudiants des différents programmes vers l’incubateur, dans le cadre de leurs stages, afin de les amener à créer avant la fin de leur diplôme.
2006-2009 : le positionnement entrepreneurial évolue
5Très vite, il s’est avéré nécessaire d’enrichir l’offre d’incubation pour intensifier l’accompagnement et favoriser l’éclosion d’entreprises de croissance. Des dispositifs de post-incubation, entre autres le Club des Entrepreneurs (2005) puis le Business Angel Tour (2006), et de pré-incubation (2007) sont apparus. En revanche, le parcours d’incubation n’est pas parvenu à s’inscrire dans les dispositifs publics finançant l’innovation (ANVAR, NACRE) : l’incubateur jouissait d’une centralité exceptionnelle dans le projet pédagogique d’Advancia parce qu’il était un programme. Mais, parce qu’il était un programme, il n’avait pas la flexibilité administrative requise pour nouer toutes les alliances nécessaires avec les réseaux de l’innovation, comme l’avait fait incubateur Kennispark de Twente, par exemple. De plus, avec la montée en puissance au sein de l’école des programmes de Master et de Bachelor et le recrutement de professeurs experts (au sens très large) des processus entrepreneuriaux, les équipes ont estimé, dès 2007, que l’entrepreneuriat ne pouvait se réduire à la création et à la croissance de la jeune entreprise.
6Aussi le modèle de l’école centrée sur son incubateur a-t-il été remis en cause. Il y a eu en 2006 une tentative pour intégrer les intrapreneurs – ces salariés de l’entreprise qui font émerger de nouvelles structures – dans l’incubateur. Toutefois, cette solution n’était pas satisfaisante : la question de l’intrapreneuriat concernait, en fait, une grande partie des étudiants de Bachelor et de Master en contrat d’apprentissage, soit 50 % des jeunes étudiants à l’école. Les entreprises n’étaient pas prêtes à les laisser développer des projets dans l’incubateur : elles pensaient qu’il était plus utile qu’ils insufflent en leur sein l’esprit d’entreprendre et qu’ils contribuent, dans leurs missions, à différents types de transformations organisationnelles. Parallèlement, le nombre de professionnels de l’entrepreneuriat augmentant, leurs réseaux faisaient pression sur l’école pour que les jeunes advanciens apportent une expertise plus pointue aux métiers du conseil et de l’accompagnement en vue de faire émerger une génération d’entrepreneurs plus aguerris que par le passé.
7En fait, Advancia a cherché à résoudre la tension entre un modèle pédagogique centré sur la création et un modèle pédagogique plus hétérogène, en définissant l’entrepreneuriat à partir de trois domaines consacrés – la création, l’intrapreneuriat et l’accompagnement. Les filières du Master reflétaient cette triple direction. Pour ancrer ce modèle très neuf au sein des écoles de management, il est apparu important de gagner en légitimité et de rechercher davantage l’appui de partenaires académiques qui reconnaissent la pertinence du modèle pédagogique ternaire advancien. Pour se hisser à un niveau significatif de légitimité, les dirigeants de l’école ont pensé qu’il fallait qu’Advancia unisse ses forces avec une école du même type, à savoir une école centrée sur une seule spécialité en management : cette école existait au sein de la CCIP. Dès janvier 2007, Advancia se rapprochait de Negocia, une école dédiée à la négociation et au développement commercial. Afin de laisser à chacune le loisir de s’épauler opérationnellement sans se faire de l’ombre thématiquement, tout rapprochement hâtif entre la fonction commerciale et la vocation entrepreneuriale était mis de côté dans les débats scientifiques et pédagogiques qui associaient les équipes. Les deux écoles unissaient en revanche leurs efforts pour renforcer leur valeur académique.
8Parallèlement, Advancia a accéléré la transformation -- en l’espèce le recentrage -- de son portefeuille de programmes de formation initiale en focalisant son offre sur les segments de marché les plus porteurs, ceux des Bachelors et Masters, et sur le tryptique -- création, intrapreneuriat et accompagnement. Les reconnaissances nationales (obtention du Grade de Master et admission à la Conférence des Grandes Écoles) et internationales (inscription de l’école dans une démarche d’accréditation AACSB) obtenues fin 2007 et début 2008 sont ainsi focalisées sur les deux programmes désormais constitutifs de son « Cursus Grande École ». Elles poussent à une standardisation plus forte, contraignant ce faisant l’élan créatif des premières années et rendant moins prioritaire l’investissement dans les autres programmes (incubateur, programme de sensibilisation, etc.).
Depuis 2010 : un contexte moins favorable au tout entrepreneuriat
9À partir de 2010, la priorité donnée au projet advancien est remise en cause. Ce changement de cap a résulté d’un double mouvement de transformation, le premier d’ordre national et sociétal, le second -- s’inscrivant dans le premier -- davantage circonscrit au champ de l’enseignement supérieur du management. À la fin de la première décennie du xxie siècle, certains indicateurs révèlent une France plus entrepreneuriale que certains de ses voisins européens (GEM, 2009). Les mesures d’incitation gouvernementales (simplification administratives, capital social minimum, auto-entrepreneuriat, etc.) ont profondément transformé les conditions et les modalités de la création d’entreprise, comme elles ont contribué à banaliser, sinon légitimer par l’accès au statut social valorisé qu’il confère, l’acte d’entreprendre sous ses différentes formes.
10Parallèlement, les écoles de management ont fortement investi ou réinvesti le champ de l’entrepreneuriat pour en faire, sous des formes plus ou moins abouties, l’un des attributs revendiqués de leur offre éducative ou, pour certaines, l’un des principaux moteurs de leur différenciation. Dans ce contexte d’acculturation significative et rapide de l’entrepreneuriat à l’échelle du pays et de généralisation de son enseignement (ne serait-ce que sous la forme d’initiations théoriques parfois liminaires ou de simulations de plans d’affaires seulement formels), la nécessité d’une école qui lui serait complètement dédiée perdait de son acuité aux yeux de certaines parties prenantes. L’ambition du projet est alors interrogée dans ses différentes déclinaisons, plaçant l’école dans une position délicate.
11Significative dans ce contexte, une consultation sur le thème des spécificités pédagogiques et scientifiques de l’école, organisée tant auprès des acteurs internes (professeurs et collaborateurs) qu’externes (gouvernance et principaux financeurs), conduit à la décision de maintenir Advancia dans le périmètre des classements, quand bien même sa spécialisation entrepreneuriale exclusive, son modèle d’organisation des études en 3+2 (Bachelor diplômant en trois ans suivi d’un Master consécutif en deux ans) ainsi que les modalités de son recrutement, la placent dans une situation de forte inadéquation aux critères de classement en vigueur. En effet, Advancia ne peut paraître qu’atypique au regard des autres écoles, toutes généralistes et structurant leur programme grande école en trois années d’étude après classes préparatoires (c’est le modèle traditionnel retenu par la majorité des écoles) ou cinq années d’études post-bac sans diplôme intermédiaire (un modèle alternatif adopté par une minorité d’établissements). Cette décision signe en quelque sorte la fin d’un projet d’école fortement différenciée dans le paysage de l’enseignement supérieur français que les pouvoirs publics considèrent suffisamment investi dans la promotion de l’entrepreneuriat.
Une dynamique de progression et des inventions réelles
Un succès éclatant en termes quantitatifs
12L’exigence de qualité dans le design des programmes et dans les prestations offertes a permis non seulement aux effectifs entrepreneuriaux de croître régulièrement dans l’école mais aussi de réaliser de véritables performances. La filière entrepreneuriat du Bachelor est passée d’une trentaine d’étudiants en 2006 à 130 en 2010. Le Master d’entrepreneuriat a recruté 17 étudiants en 2005 (année de son ouverture) et 107 en 2010. L’incubateur et le Programme Entrepreneurs ont accompagné 838 personnes en cinq ans. Les créations se situent pour un quart dans le domaine des nouvelles technologies, pour un autre quart dans le secteur des industries culturelles et pour la moitié dans le secteur des services, plutôt B to B. L’incubateur a accompagné 270 personnes entre 2005 et 2010 ; 80 % d’entre elles ont créé et le taux de survie à trois ans est de 95 % alors qu’il est de 60 % dans la plupart des dispositifs d’accompagnement. Pour des promotions de 200 étudiants en moyenne en Bachelor et Master, on compte entre 20 et 35 étudiants créateurs chaque année avant l’obtention du diplôme, soit 10 à 15 % des effectifs ; le chiffre double, deux années après l’obtention du titre. Pour l’Île de France qui compte moins de 3 % d’étudiants créateurs chaque année, c’est un bon résultat.
13Les performances des entreprises créées se révèlent également satisfaisantes. Environ 40 % des entreprises lancées entre 2005 et 2010 sont à l’origine d’au moins trois emplois, soit un total approximatif cumulé de 1 200 emplois. La moitié des entreprises créées ont connu une croissance annuelle de 20 % de leur chiffre d’affaires. Un quart d’entre elles réalisent 20 % de leur chiffre d’affaires à l’international.
14D’autres résultats, plus en demi-teinte, rendent toutefois compte du fait que le projet était loin d’être abouti. En dépit d’un évènement important sur l’esprit d’entreprendre dans les ONG, la notion d’entrepreneuriat social n’a par exemple pas pu être développée. La question des populations entrepreneuriales – entrepreneuriat ethnique, entrepreneuriat féminin, etc. – a d’abord été abordée latéralement à travers de multiples petits projets en lien avec les réseaux régionaux ou européens. Puis, afin de proposer une offre globale mais adaptée à chaque population, Advancia a créé en 2008, en amont de la pré-incubation, le Programme de Sensibilisation. C’était à ce moment-là du parcours entrepreneurial qu’il semblait opportun d’adopter une diversité de formules et de contenus propres à des groupes identifiés comme différents de la moyenne de la population. Cette décision a porté ses fruits mais a limité le questionnement de la diversité des approches entrepreneuriales au sein des programmes Bachelor et Master. Si dans la suite du parcours entrepreneurial, les femmes représentaient 40 % des incubants (soit 10 % de plus que la moyenne française), en revanche, trois étudiants créateurs sur quatre étaient de sexe masculin.
Une réelle créativité pédagogique
15Les grandes phases qui ont marqué l’évolution d’Advancia ont été accompagnées de multiples travaux au sein des équipes pédagogiques pour faire émerger des dispositifs et des techniques qui abordent d’une façon dialogique les individus et leurs projets entrepreneuriaux [2] (Fayolle, 2004). À ce titre, plutôt que de s’appuyer d’emblée sur les concepts de confiance en soi ou de prise de risque, de très nombreuses expérimentations ont été conduites pour amener les apprenants à mieux mettre en perspective les perceptions qu’ils avaient d’eux-mêmes et celles qu’ils avaient de l’inconnu. Ces techniques ont permis à beaucoup d’entre eux de renforcer leur sentiment d’auto-efficacité, de discuter les modèles qui les influençaient ou les cadres d’action qu’ils privilégiaient, de rechercher la confrontation avec d’autres porteurs de projets pour en tester la pertinence et la cohérence. Afin de capitaliser sur ces expérimentations, l’incubateur et le Master ont mis en place des communautés de pratiques, fédérant les coachs de projets et appelées à réviser chaque année les parcours d’apprentissage. Ces communautés ont mis tout autant l’accent sur les modèles de l’action et de la décision que sur ceux du discours. L’objectif était que les apprenants puissent être capables de s’engager dans la voie de la création d’entreprise durablement, c’est-à-dire de diffuser l’esprit d’entreprendre et de transmettre les compétences entrepreneuriales au sein de leurs équipes et de leurs réseaux, quelles que soient les circonstances socio-économiques qu’ils rencontreraient. Dans le modèle pédagogique choisi, il s’agissait d’amener les apprenants à se sentir tout autant porteur d’une culture que d’un projet fort afin de trouver un équilibre entre deux types de motivations majeures pour le créateur, à savoir la volonté de croissance et la volonté d’indépendance (Hernandez & Marco, 2006). Plus largement, Advancia a été à l’origine de nombreux dispositifs pédagogiques (Business Angel Tour ; 24.00 Chrono ; Crash Test ; COM ; Artitude, DJEET etc.) d’abord utilisés en son sein pour être ensuite transférés ou reproduits par d’autres institutions.
16Plus systématiquement, si l’on considère le tribut pédagogique de l’école, il est de quatre ordres :
- Parce qu’elle était une école centrée sur la thématique de l’entrepreneuriat, Advancia n’a cessé de relier la question de l’entrepreneuriat à la démarche apprenante. Les équipes n’ont donc cessé de souligner combien, même si on avait un certain talent, l’entrepreneuriat s’apprenait tacitement et combien, dans beaucoup de cas, son apprentissage patient et explicite débouchait sur de très beaux succès. En retour, les pédagogues n’ont eu de cesse de démontrer combien l’entrepreneuriat permettait de revisiter toute forme d’apprentissage, qu’il s’agisse de notre rapport à l’information lorsque nous recherchons une opportunité ou notre façon de construire des relations de confiance au sein d’une structure en permanente transformation.
- L’entrepreneuriat apparaissant très souvent comme un processus fulgurant, les équipes ont beaucoup réfléchi à la façon dont l’acte d’entreprendre remettait en cause notre rapport au temps. Les dispositifs ont ainsi alterné des périodes de 6 mois, de deux mois, de 24h00, de deux semaines, de dix semaines pour donner à chacun la chance de tester son idée en fonction de son rythme et de ses impératifs. Derrière cet intérêt pour la question du temps, se posait celle de la fréquence et de la répétition des réflexes entrepreneuriaux qui permettaient à des réseaux de se montrer plus audacieux dans leurs projets économiques et sociaux. À ce désir de rendre l’entrepreneuriat familier faisaient contraste d’autres approches, comme le module ‘Entreprendre la nuit’ qui explorait la façon dont les entrepreneurs mobilisent leurs facultés dans des conditions extrêmes de fatigue et d’incertitude.
- L’école a aussi tenu à explorer un autre paradoxe concernant la représentation sociale de l’entrepreneur et de ses vertus, à savoir son rapport à l’échec et à la réussite. Chercheurs et pédagogues se sont beaucoup penchés tout à la fois sur la figure héroïque et dominante de l’entrepreneur et sur ses capacités d’enfermement dans certaines spirales de décision.
- L’école s’est enfin mobilisée pour développer de nombreux projets et des réseaux européens afin d’apporter des réponses au faible taux d’internationalisation des jeunes entreprises françaises. Suite au projet Erasmus Young Entrepreneurs, l’école a ainsi dessiné un parcours européen pour favoriser l’identification des opportunités transférables et des marchés rapidement accessibles à de jeunes structures, dans leurs secteurs respectifs. Lors des différentes éditions de la French American Conference of Entrepreneurs (FACE), à la question du l’entrée des start-ups européennes sur le marché américain, a fait écho celle de la pénétration du marché européen par ces mêmes entreprises.
17Cette activité de recherche, a été initialement envisagée de façon quelque peu militante comme contribuant à la légitimation d’un domaine de savoir en émergence, au moins en France où la place des revues d’entrepreneuriat dans les listes consacrées est pour le moins marginale. Avec l’intégration accrue de l’école dans les classements, la recherche a réintégré le territoire davantage balisé des sciences de gestion et leurs seules normes d’évaluation. L’école a alors renoncé à l’interdisciplinarité de ses profils professoraux et a ciblé ses recrutements de professeurs dans les seules disciplines de gestion.
18Au travers d’une politique intensive de création et d’organisation d’évènements (Salon et Prix du livre d’entrepreneuriat, espace jeune du Salon des Entrepreneurs de Paris, FACE, etc.), l’école a essayé de mobiliser différents types de communautés afin que l’entrepreneuriat puisse se décliner dans une pluralité de domaines d’activité. En point d’orgue à ces évènements, l’interrogation permanente sur l’habilité de la culture française à éluder ou atténuer la portée de l’acte entrepreneurial, son message d’espoir et les défis qu’il relevait.
Une école d’entrepreneuriat peut-elle rester atypique ?
19Initialement, le repositionnement d’Advancia s’affirme comme un acte essentiellement politique ; il se voulait réponse à la mobilisation des pouvoirs publics en faveur de l’entrepreneuriat. En revanche, la reconfiguration de l’école n’a que secondairement reposé sur une analyse véritablement étayée du marché français et plus spécifiquement francilien de l’éducation et de la formation en ce domaine. Plus exactement, la conscience de la non-existence d’un tel marché n’a pas entravé la volonté de « faire école » qui animait les premiers concepteurs de ce mouvement stratégique dont Advancia devait être objet puis acteur. Initialement, le ‘faire école’ s’entendait comme constitutif d’une démarche d’ensemble agrégeant différents niveaux d’action. Il s’agissait de dédier le tout d’une école à l’entrepreneuriat (et non pas seulement tel ou tel programme, filière ou option en son sein) ; contribuer à l’émergence d’un domaine de recherche mieux identifié au sein des sciences de gestion, sinon autonomisé par rapport à elles ; forger des dispositifs pédagogiques ad hoc et en assurer le transfert vers d’autres institutions d’enseignement ; contribuer à l’émergence d’une culture entrepreneuriale à l’échelle du pays par la professionnalisation des acteurs et la sensibilisation des publics jeunes et adultes.
20Sur un plan matériel, ces quatre déclinaisons du ‘faire école’ devaient trouver leur lieu comme leur illustration dans l’édification d’un nouvel immeuble situé dans le quartier de Montparnasse à Paris. Concrétisation d’un geste architectural audacieux, celui-ci entendait donner corps à l’idée de Cité Entrepreneuriale promue par ses concepteurs (une école physiquement organisée autour de son incubateur ; une recherche s’élaborant par la proximité de son terrain ; une localisation à demeure des principaux réseaux d’accompagnement d’entrepreneurs), l’ensemble se voulant tout à la fois symbole d’une volonté politique, lieu d’émergence d’une nouvelle légitimation académique, outil d’actualisation de son objet entrepreneurial (un lieu où l’on crée), vecteur de son ambition de transformation culturelle. Pendant la durée des travaux, l’école a été provisoirement hébergée sur deux autres sites parisiens.
Un pari qui suppose un investissement lourd…
21Dans ces différentes composantes initialement envisagées, le projet d’une Advancia entrepreneuriale s’inscrit donc de façon explicite dans une logique de l’offre. Explicite en ce sens que, à l’origine du projet, la référence au marché de l’éducation n’est activée que négativement, soit comme une absence qu’il s’agit de combler (faire émerger en France un marché de l’éducation à l’entrepreneuriat par la formulation d’une offre dédiée tout à la fois spécialisée et suffisamment large), soit comme une immaturité qu’il convient de dépasser (se dégager d’une logique dominante de financement public de l’accompagnement des entrepreneurs pour viser à l’émergence d’une demande solvable et individuelle d’éducation à l’entrepreneuriat).
22À l’évidence, le modèle ainsi conçu suppose un investissement lourd et de long terme des financeurs publics instigateurs ou initiateurs du projet. Dans un premier temps, celui-ci s’est avéré tout à la fois massif et contrasté, avant d’être progressivement puis plus nettement remis en cause. Massif de la part de la CCIP et de la région Ile de France qui prennent conjointement en charge le financement de l’immobilier, la Chambre assurant également une forte part des coûts d’investissement immatériel et de fonctionnement. Contrasté dans la mesure où les niveaux locaux et nationaux ne s’y investissent que marginalement ou pas du tout. Remis en cause enfin, dès lors que la priorité à donner au projet semblera moins pressante ou que l’ambition de celui-ci aura sensiblement évolué, le faisant alors apparaître comme redondant et insuffisamment efficient au regard des résultats obtenus par d’autres écoles plus généralistes et moins coûteuses.
…Remis en question dans un contexte économique défavorable
23Au regard de son ambition initiale, les résultats opérationnels d’Advancia, obtenus sur une brève période, sont éloquents, tant quantitativement (nombre d’étudiants formés, de créateurs accompagnés, d’emplois induits, etc.) que qualitativement (diversité sectorielle, taux de survie à trois ans, féminisation, etc.). Pour autant, ce type de performance deviendra rapidement secondaire ou plus inaudible dès lors que seront considérés comme plus fondamentalement déterminants pour Advancia les critères d’évaluation en vigueur dans le champ concurrentiel des grandes écoles françaises de management où elle se situe désormais. L’entrée de l’école dans les classements annuels des grandes écoles de management, un temps positivement saluée comme une forme de reconnaissance des progrès réalisés, marque à cet égard une rupture qui, au regard du rang assez médiocre auquel elle se place initialement, fait rapidement débat en son sein comme dans le premier cercle de ses parties prenantes.
24Alors même qu’Advancia n’a, au cours de ses six années d’existence, que partiellement couvert les différents champs de l’entrepreneuriat, l’école a rapidement été confrontée à l’insuffisance de la demande de formations qualifiées. Dans le même temps, professeurs et ingénieurs pédagogiques ont eu du mal à s’accorder sur les priorités d’articulation de l’offre. Une tension a ainsi pu opposer ceux qui se centraient sur les besoins de l’entrepreneur et son agenda plus que rempli et ceux qui s’inquiétaient des résultats effectifs de la jeune entreprise et de sa croissance. Les premiers préconisaient des formations courtes et itératives ; les seconds des formations longues sur un parcours phasé ayant pour unique objectif la croissance et l’innovation. Les premiers misaient sur le coût modeste des formations rapides compensé par le nombre de clients potentiels ; les seconds adoptaient la stratégie inverse. A priori, la seconde offre pouvait compléter la première, l’enjeu étant alors de retenir les plus motivés et les plus solvables des participants aux formations courtes pour les orienter vers les formations longues consacrées à la performance entrepreneuriale et à l’innovation.
25En termes de suivi, les deux approches se révélaient coûteuses. Toutes deux, cependant, accordaient beaucoup d’importance à la communauté d’apprentissage faite de soutien et de confrontation. En revanche, ces communautés étaient par nature éphémères et l’école avait du mal à garder le contact avec ses créateurs. Là encore, il y avait à fournir un important travail de mise en lien entre les anciens étudiants et les anciens incubants de l’école, travail qui avait été à peine entamé fin 2009.
26Enfin, la possibilité de jouir de certains dividendes des entreprises accompagnées ne s’était pas concrétisée. Le statut juridique de l’incubateur empêchait l’école de prendre des parts dans les entreprises créées ou de leur demander une contrepartie financière équivalente avec versements échelonnés à partir du moment où elles dégageaient des profits. L’autre piste était donc de lever à moyen terme des fonds auprès des anciens – tous confondus – pour lancer des formations qui concernent leurs collaborateurs et les enjeux de croissance.
27L’évolution d’Advancia rend compte d’une expérimentation pédagogique unique. À une époque où les institutions académiques attendent un retour sur investissement rapide, elle pose la question de la validité des projets atypiques dans un paysage éducatif français désormais formaté par les normes et standards d’un marché international de l’enseignement supérieur toujours plus compétitif.
28Plus généralement, cette expérimentation ouvre un débat : pour avoir un impact effectif sur l’économie, quel degré d’intégration et d’intensité une offre de formation en entrepreneuriat doit-elle adopter ? L’implication diffuse en ce domaine des écoles et des universités est-elle suffisante ?
29Enfin, quelle doit être la prise en compte de la spécificité des formations entrepreneuriales par les instances d’accréditation et de classements nationales et internationales ? En effet, ces instances ont tendance à évaluer ces formations plus en termes de cohérences internes que d’impact effectif sur l’économie. Ne pourrait-on attendre de leur part une meilleure mise en perspective des investissements à réaliser pour fonder une pédagogie entrepreneuriale débouchant sur des résultats probants ?