Les points forts
- La question de l’évaluation des enseignements en entrepreneuriat est complexe : les programmes sont nombreux et divers par les cursus, les contenus, les publics visés, les objectifs.
- L’assiduité ou la motivation des étudiants sont des critères pertinents, comme le nombre de « passages à l’acte » effectivement constatés.
- La notion de modèle d’enseignement insiste sur la dimension pédagogique de l’évaluation. Ce qui implique des choix sur les dimensions à évaluer, les outils, mais aussi les démarches et processus d’évaluation de la part des enseignants qui conçoivent et mettent en place concrètement l’évaluation.
1L’enseignement de l’entrepreneuriat se développe rapidement dans le monde, notamment parce qu’il est relié à des enjeux économiques et sociaux prioritaires. L’entrepreneuriat contribue à la croissance économique, à la création d’emplois et peut permettre à des personnes défavorisées, notamment des chômeurs, de se réinsérer socialement.
2Mais que sait-on de l’impact et des effets d’enseignements et de formations qui se sont multipliés au fil du temps ? Ces développements permettent-ils d’avoir plus d’entrepreneurs ? Les enseignements prodigués à de jeunes étudiants contribuent-ils à former des acteurs qui deviendront plus tard de ‘meilleurs’ entrepreneurs ?
3Étrangement, ces questions n’ont pas de réponses précises et non contradictoires, car nous ne disposons pas de connaissances solides et établies sur ce sujet. Les études et les recherches sont rares et les chercheurs engagés dans ce domaine, pourtant essentiel, peu nombreux et changeants [1].
4L’objectif de cet article est de faire un point sur ces questions. Pour cela, nous montrerons tout d’abord que la question de l’évaluation n’est pas aussi simple que cela et qu’il convient, en priorité, d’être clair sur les indicateurs au cœur de l’évaluation. Puis, nous donnerons un aperçu des résultats des recherches sur l’évaluation des enseignements en entrepreneuriat. Enfin, en nous basant sur des expérimentations, que nous avons réalisées, nous présenterons et commenterons les résultats principaux que nous avons obtenus. Notre conclusion s’efforcera de tirer des enseignements de l’état de l’art et de nos propres travaux et d’en faire des recommandations pour les praticiens (formateurs, enseignants, consultants, politiques) concernés par cette problématique de l’évaluation des enseignements en entrepreneuriat.
Que faut-il évaluer ?
5La question de l’évaluation est complexe car il existe une très grande variété dans les programmes d’enseignement et les actions de sensibilisation et de formation en entrepreneuriat. Cette diversité vient des objectifs d’apprentissage, des contenus des cours, des méthodes pédagogiques utilisées, des publics et des intervenants. En ce qui concerne les objectifs, il s’agit parfois de sensibiliser les étudiants, de les ouvrir aux situations de création d’entreprise, de leur montrer qu’elles peuvent correspondre à des choix professionnels et des étapes de carrière. Les objectifs peuvent également concerner des apprentissages liés à l’acte d’entreprendre tels que le savoir pourquoi (déterminants de l’action – attitudes, valeurs, motivations - ), le savoir quoi (ce qu’il faut faire pour créer une entreprise), le savoir comment (comment s’y prendre pour créer une entreprise), le savoir qui (les personnes et les réseaux utiles) et le savoir quand (quel est le bon moment pour se lancer) [2]. Les contenus des cours peuvent être plus ou moins théoriques, plus ou moins pratiques et donc, combiner, dans des proportions très différentes ces deux dimensions. Les choix, en termes de méthode pédagogique, sont vastes et vont du cours classique en amphithéâtre à l’approche consistant à développer son propre plan d’affaires, en passant par l’utilisation de jeux, de vidéos ou de simulateurs. Les participants peuvent être des étudiants dans des filières économiques et commerciales, dans des écoles d’ingénieurs, dans des disciplines scientifiques, littéraires ou relevant des sciences humaines et sociales. Ces étudiants suivent des cursus en licence, maîtrise ou doctorat. Parfois, le public est composé d’adultes en formation continue. Enfin, les intervenants peuvent être des enseignants chercheurs permanents, des vacataires, des entrepreneurs, des professionnels de la création d’entreprise.
6La complexité de l’évaluation se situe aussi dans la nécessité de prendre en compte différentes perspectives et plusieurs registres. Les perspectives permettent de se focaliser sur une série de questions complémentaires. La première concerne la pertinence des enseignements / formations, en d’autres termes, sont-ils bien adaptés aux besoins et aux attentes des parties prenantes (société, organisations, individus) ? La deuxième perspective est centrée sur la cohérence. L’ensemble de ce qui est proposé dans un cours ou un programme (participants/ objectifs / contenus / méthodes / moyens) constitue-t-il un ensemble cohérent ? La troisième perspective est l’efficacité. Les résultats de la formation ont-ils permis d’atteindre les objectifs. Et, enfin, la dernière perspective est l’efficience, les objectifs ont-ils été atteints à moindre coût ? Les registres de l’évaluation sont au nombre de quatre [3] : réaction, apprentissage, comportement et résultat. Ils doivent être pris en compte dans cet ordre, qui marque d’ailleurs une croissance de la complexité. ‘Réaction’ se traduit par : les participants sont-ils satisfaits, d’un point de vue général, de la formation qu’ils ont suivie ? ‘Apprentissage’ revient à se poser la question de ce qu’ils ont réellement appris. ‘Comportement’ aborde la question du transfert des connaissances acquises dans des comportements professionnels. Ici, les étudiants ont-ils effectivement, souvent des mois ou des années plus tard, créé leur entreprise ? ‘Résultat’, enfin, vise à apprécier dans quelle mesure les comportements amenés par la formation ont pu conduire à des plus-values pour les différentes parties prenantes. Par exemple, contribution au développement économique régional ou national, création d’emplois directs et indirects, apport d’innovations économiques et sociales, pérennité de l’entreprise, performance financière, etc.
7Le choix des indicateurs, les difficultés relatives à leur mesure et la nécessaire prise en compte des temporalités participent également de cette complexité de l’évaluation. Quelques chercheurs ont exploré des pistes approchant la question du point de vue des impacts directs (nombre de nouvelles entreprises créées, création d’emplois,…) ou des impacts indirects (esprit entrepreneurial, intention) sur le développement économique. Selon plusieurs études, limiter l’évaluation des formations en entrepreneuriat à l’impact micro-économique peut souvent être trompeur en ce sens où leur efficacité peut ne pas être immédiate. En outre, ces formations peuvent changer considérablement au gré des pays et des établissements et/ou des environnements et contextes éducatifs. Pour ces raisons, un besoin évident existe quant à la conception et au développement d’un cadre commun pour évaluer, comparer et améliorer la structure de ces programmes. Le cadre proposé devrait inclure un ensemble de critères clairement identifiés et une méthodologie de mesure rigoureuse et efficace.
8Quels pourraient être ces indicateurs d’évaluation des enseignements en entrepreneuriat ? Il est possible, comme dans tout programme d’enseignement, d’évaluer des connaissances acquises, de mesurer le degré de maîtrise de techniques et d’outils clés ou le développement de compétences appropriées aux situations. Il est envisageable, également, de mesurer l’intérêt des étudiants et leur niveau de sensibilisation. D’une façon assez classique, l’assiduité, la participation et la motivation des étudiants sont, sans doute, des critères pertinents d’appréciation de la formation. Au niveau socio-économique, pendant longtemps on a considéré que la création d’entreprise était un bon indicateur, mais le décalage très souvent important entre la formation et le passage à l’acte et la difficulté à circonscrire objectivement le rôle des variables pédagogiques ont rendu inopérante l’utilisation de ce critère. Dans nos recherches, nous tentons d’expérimenter une méthodologie d’évaluation des formations en entrepreneuriat qui vise à mesurer un impact à travers des changements d’attitudes, de perceptions et d’intention liés à l’acte d’entreprendre. Ces recherches s’inscrivent dans un courant aujourd’hui largement dominant qui voit comme critère d’évaluation principal, l’intention d’entreprendre et comme support conceptuel la théorie du comportement planifié [4]. Mais d’autres approches, complémentaires ou substitutives, pourraient être développées qui s’intéresseraient davantage aux effets sur le comportement et l’acte d’entreprendre, très souvent, pour des étudiants, la création d’entreprise. Ces approches, pourraient également privilégier le développement de compétences entrepreneuriales dans des situations pédagogiques actives. À l’évidence, le courant de recherches dominant s’est nourri d’un contexte favorable (existence d’un cadre théorique et d’échelles de mesure validées), alors qu’il n’existe pas de consensus sur l’utilisation de modèles et de techniques aussi robustes pour mesurer d’autres indicateurs et notamment les compétences entrepreneuriales.
Qu’apprend-on des études sur les enseignements en entrepreneuriat ?
9Un état de l’art sur cette question montre que les résultats des recherches empiriques sont parfois positifs (l’enseignement a une influence sur un indicateur d’intention ou de comportement), mais ils sont également, dans une moindre mesure, négatifs. Ce que l’on peut retenir, c’est que ces résultats sont contradictoires, même si l’on peut considérer que les études concluant sur un impact positif sont beaucoup plus nombreuses que celles parvenant à la conclusion inverse.
10En ce qui concerne les résultats négatifs, on peut évoquer l’étude de Oosterbeek et ses collègues qui montre que le niveau d’intention entrepreneuriale d’un groupe d’étudiants baisse entre le début et la fin d’une formation [5]. L’étude de Fayolle et Gailly, montre des résultats similaires mais pour une proportion seulement des étudiants considérés [6]. Nicolaou et ses collègues, quant à eux, excluent l’éducation des facteurs qui peuvent influencer l’entrepreneuriat, considérant que les facteurs les plus déterminants sont génétiques et environnementaux [7].
11Au niveau des résultats positifs, la recherche empirique a démontré que la présence des formations en entrepreneuriat et une image positive des entrepreneurs dans le système éducatif sont deux incitations pour que les étudiants choisissent une carrière entrepreneuriale. Deux études soulignent l’impact des perceptions qu’ont les étudiants des ressources disponibles (mécanismes de soutien dans l’environnement universitaire, etc.) sur les attitudes des étudiants envers des carrières entrepreneuriales [8]. Une autre recherche a montré le lien statistique entre le niveau de l’intention entrepreneuriale et le nombre de cours de gestion pris par des étudiants inscrits dans d’autres filières disciplinaires [9]. L’éducation et la formation à l’esprit d’entreprendre peuvent influencer les intentions actuelles et futures vis-à-vis d’un comportement entrepreneurial. En d’autres termes, il y a des différences significatives entre les étudiants qui ont choisi des cours d’entrepreneuriat et ceux qui ne l’ont pas fait. Cependant, le lien de causalité entre les variables éducatives (contenu de cours, méthodes d’enseignement, profil de l’intervenant, ressources pédagogiques, etc.) et les antécédents d’intention et/ou de comportements (attitudes, valeurs, connaissance, etc.) gagnerait à être expliqué avec plus de précision. Même si certaines recherches (évoquées ci-dessous) ont essayé de répondre à cette question, il nous semble qu’il y a un besoin persistant de conceptualisation et de tests.
12Quelques tentatives ont déjà été faites pour comparer les intentions et/ou les comportements des étudiants appartenant à différents groupes. Par exemple, Varela et Jimenez, dans une étude longitudinale, ont choisi des groupes d’étudiants de cinq programmes dans trois universités en Colombie. Ils ont constaté que l’esprit d’entreprendre était plus élevé dans les universités qui avaient investi dans la sensibilisation et la formation à la création d’entreprise pour leurs étudiants [10]. Une autre recherche a étudié spécifiquement l’impact d’une formation entrepreneuriale sur le développement de l’intention entrepreneuriale et sur la perception de « l’efficacité personnelle » [11]. Tous les étudiants de cet échantillon avaient suivi une formation dans le champ de l’entrepreneuriat et étaient diplômés en « management », en « entrepreneuriat » ou dans une autre discipline. Les résultats ont confirmé (au moins partiellement) l’hypothèse que les diplômés en entrepreneuriat aspirent à la création d’entreprise, que leur niveau d’intention est plus élevé et que leur perception de leur « efficacité personnelle » est plus développée que chez les étudiants des deux autres groupes. D’autres chercheurs ont essayé d’expliquer la relation entre les formations en entrepreneuriat et différents paramètres tels que le besoin d’accomplissement et le « lieu de contrôle » ou la perception de « l’efficacité personnelle ». Ils ont constaté que les formations en entrepreneuriat avaient eu un impact positif, augmentant ces paramètres ainsi que la probabilité de l’action entrepreneuriale envisagée. Cependant, moins d’attention a été prêtée aux variables éducatives. Dilts et ses collègues ont essayé de montrer que certaines méthodes d’enseignement (comme les stages) sont plus efficaces que d’autres pour préparer des étudiants à une carrière entrepreneuriale [12]. Lüthje et Franke ont discuté l’importance de certains facteurs contextuels dans l’environnement universitaire, des facteurs qui gêneraient ou, au contraire, faciliteraient l’accès des étudiants en filières techniques aux comportements entrepreneuriaux [13]. Enfin, Souitaris et ses collègues, dans une recherche longitudinale, montrent qu’une formation en entrepreneuriat auprès d’un public d’étudiants engagés dans des filières scientifiques et technologiques a un impact positif sur leur intention d’entreprendre [14].
Qu’avons-nous appris de nos propres expérimentations ?
13Depuis le début des années 2000, nous nous sommes intéressés à l’évaluation des enseignements et des formations en entrepreneuriat. Nous avons réalisé des études et des recherches qui ont été publiées ou qui le seront prochainement. Nous avons choisi de nous appuyer ici sur trois expérimentations réalisées au milieu de la décennie écoulée. Elles complètent l’état de l’art des recherches que nous venons de présenter et nous permettront ainsi d’émettre des recommandations pour les personnes engagées dans et concernées par l’enseignement en entrepreneuriat.
14Les expérimentations que nous avons retenues portent principalement sur des actions de sensibilisation réalisées dans trois contextes institutionnels différents : une école d’ingénieur à Grenoble, une école de management à Lyon et une Mission Régionale pour la Transmission et la Création d’Entreprise à Limoges. Les caractéristiques principales en sont présentées dans le tableau 1.
15Le tableau 1 révèle une bonne homogénéité intra-groupe. Cette homogénéité existe également entre les groupes. Les étudiants qui ont participé à ces formations ont plutôt suivi des filières scientifiques ; ils ont en moyenne 24 ans et ont choisi de s’orienter vers des formations complémentaires dans les domaines de la gestion et du management.
16Nous présentons ci-après les résultats principaux autour de quelques questions clés ayant motivé et guidé nos investigations.

L’intention d’entreprendre augmente-t-elle à l’issue des formations ?
17Les deux tableaux (2 et 3) qui suivent donnent les résultats des mesures sur les indicateurs qui nous intéressent, au début et à l’issue des formations. Dans le second tableau, les chiffres entre parenthèses indiquent la valeur et le sens (positif ou négatif) de l’écart entre les situations finale et initiale.
18La variation d’intention des étudiants ayant suivi l’action de sensibilisation à l’entrepreneuriat à Grenoble est statistiquement significative, ce qui semblerait révéler un impact important de la formation malgré sa courte durée. Nous n’avons pas pu la mesurer pour les étudiants de Limoges. Elle est légèrement positive pour ceux qui ont participé à celle de Lyon. Le niveau d’intention final est plus élevé pour les étudiants de Limoges qu’il ne l’est, dans l’ordre, pour ceux qui ont suivi les formations de Lyon et de Grenoble. Ce qui pourrait laisser supposer que la durée et l’ingénierie de la formation ont une incidence sur le niveau d’intention final (et peut-être aussi, sur la stabilité ou la persistance de l’intention dans le temps).
Quelle peut être l’influence de quelques facteurs connus sur l’intention d’entreprendre ?
19De nombreuses recherches et études ont montré que certains facteurs jouent un rôle important sur l’intention d’entreprendre. Nous en avons retenu quatre dans notre étude, qui comptent certainement parmi les plus influents.
20L’appartenance à une famille d’entrepreneurs est sans aucun doute le plus cité dans la littérature. Côtoyer quotidiennement des personnes de son environnement familial proche qui ont créé et dirigent des entreprises ou qui exercent des activités libérales, est une source précoce d’acculturation à l’esprit d’entreprendre. Très souvent, dans des formations à l’entrepreneuriat basées sur le volontariat, on constate, quel que soit le pays, que plus de la moitié des participants viennent d’une famille où se trouvent des entrepreneurs.
Mesures effectuées avant la formation [15]

Mesures effectuées avant la formation [15]
Mesures effectuées après la formation

Mesures effectuées après la formation
21La participation active à la création ou à la gestion d’associations étudiantes est un deuxième facteur important corrélé à l’esprit d’entreprendre et au comportement de création d’entreprise. Les étudiants qui se trouvent dans ces situations vivent des expériences proches de celles des entrepreneurs. Nous avons montré précédemment, pour les ingénieurs, l’existence d’une corrélation statistique forte entre ce facteur et l’acte de création (ou de reprise) d’entreprise [16].
22Les séjours de longue durée dans des pays étrangers contribuent à l’ouverture d’esprit et développent des aptitudes au changement. Il y a là un troisième facteur important, dont nous avons également souligné le poids en montrant le rôle de la mobilité, dans toutes ses formes (culturelle, professionnelle, géographique, etc.), vis-à-vis des comportements entrepreneuriaux.
23Le quatrième et dernier facteur est la formation. Aussi, avons-nous cherché à savoir si les participants à un programme donné avaient déjà suivi une formation ou une action de sensibilisation à la création d’entreprise, avant de s’inscrire au programme qui a fait l’objet de notre recherche.
24Le rôle joué par ces facteurs [17] est que, dans tous les cas, ils contribuent à élever le niveau d’intention initial, dans des proportions parfois très importantes (famille : 4,05 / 3,67 ; association : 4,09 / 3,72 ; séjour à l’étranger : 3,95 / 3,87 ; formation préalable : 4,28 / 3,80). Les variations d’intention font apparaître un différentiel positif pour les facteurs « famille » (+0,16), « association » (+0,06) et « séjour à l’étranger » (+0,01). Il est négatif pour le facteur formation (-0,02).
La variation d’intention d’entreprendre est-elle fonction du niveau d’intention initial ?
25La dernière analyse que nous avons effectuée a été de segmenter l’échantillon lyonnais en quatre quartiles en fonction du niveau initial de l’intention d’entreprendre. Notre postulat est que ce niveau est un bon indicateur des effets d’une exposition / acculturation antérieure à l’entrepreneuriat. Pour être plus précis, mesurer l’appartenance à une famille d’entrepreneurs donne une première information (être ou ne pas être dans une telle famille) mais ne renseigne pas sur les effets positifs on négatifs liés à cette situation. Pour avoir à la fois les aspects quantitatifs (appartenir ou pas) et qualitatifs (positif ou négatif) et pour disposer d’un indicateur intégrant tous les facteurs, nous avons privilégié l’analyse des variations entre le début et la fin de la formation en fonction du niveau d’intention initial. Le tableau 4 expose les résultats de cette analyse.
26Ces résultats sont très intéressants et montrent que la variation d’intention est positive et statistiquement significative pour les étudiants des deux premiers quartiles (les moins acculturés / exposés à l’entrepreneuriat). Elle est négative et statistiquement significative pour les étudiants du dernier quartile (les plus exposés / acculturés).
27Ces résultats corroborent ceux obtenus avec l’échantillon de Grenoble pour lequel l’intention de départ est faible (2,94). Pour ces étudiants, la variation d’intention, à l’issue d’une journée de formation, a été également positive (+0,64) et statistiquement significative.
Implications pour les parties prenantes de l’enseignement de l’entrepreneuriat
28Essayons, dans un premier temps, de tirer des enseignements de nos expérimentations. Bien évidemment, les interprétations que nous développons doivent être comprises dans la mesure des limites de ce type de recherche. En particulier, la technique de collecte de données utilisée relève de l’auto-évaluation par les participants, ce qui peut entraîner l’existence de biais liés au caractère subjectif d’une telle mesure.
Impact de la formation en fonction du niveau d’intention initial

Impact de la formation en fonction du niveau d’intention initial
29La première conclusion qui s’impose à nous lors de l’analyse de l’ensemble des résultats est que pour toutes les expérimentations effectuées, nous avons pu observer un impact à court terme des formations que nous avions retenues. D’un point de vue global, cet impact semble fonction de certains facteurs propres à la formation (durée, ingénierie pédagogique,…) et du niveau initial d’intention, lequel est en partie dépendant des facteurs d’acculturation et d’exposition généralement cités dans la littérature. La seconde conclusion est que la segmentation des groupes fait apparaître des impacts très différenciés. Impact positif pour les groupes à faible niveau initial d’intention et impact négatif pour les autres. Ces résultats contradictoires permettent d’avancer une hypothèse quant à l’explication des résultats contradictoires exposés dans l’état de l’art. Les options méthodologiques, le manque de rigueur et la sélection des échantillons, sans prendre en considération les facteurs d’acculturation et d’exposition antérieure à l’entrepreneuriat, pourraient biaiser les résultats obtenus à partir d’échantillons trop hétérogènes. Il apparaît donc indispensable de tenir compte de la diversité des formations et des publics. En tout cas, en l’état actuel des choses, il convient d’être très prudent dans l’interprétation des résultats des études et recherches antérieures, et ce, d’autant plus, qu’elles sont rares et souvent peu concluantes.
30Par ailleurs, les deux conclusions précédentes nous amènent à penser que pour les formations de ce type (sensibilisation) il pourrait exister des effets de seuil et de rattrapage. L’effet de seuil pourrait signifier que pour des participants déjà acculturés et exposés (la plupart de ceux qui ont un niveau initial d’intention élevé), l’action supplémentaire n’a pas d’impact, voire elle présente des contre-effets relatifs (diminution du degré d’intention). L’effet de rattrapage concernerait les étudiants n’ayant pas été (ou mal ?) acculturés et exposés à l’entrepreneuriat (la plupart de ceux qui ont un niveau initial d’intention faible) et se traduirait par une forte augmentation du degré d’intention ayant pour conséquence de combler une partie du fossé avec le groupe précédent. Quand on sait que dans des programmes optionnels (c’est le cas de la plupart des formations qui sont proposées, en France, dans ce domaine), une proportion importante (les études tournent autour de 50 %) des participants qui les choisissent a déjà fait l’objet d’une acculturation ou d’une exposition, il apparaît que non seulement ces formations ne s’adressent pas aux « bons individus », mais que leur impact aurait tendance à s’écarter de ce qui est recherché au niveau des personnes qui les ont suivies. Ces constatations, qui demandent bien évidemment à être confirmées, montrent que ce n’est pas en multipliant, comme on l’a fait dans le passé, les actions de sensibilisation et les formations en entrepreneuriat, qu’on multipliera d’autant le nombre et la qualité des entrepreneurs. L’efficacité sur ce plan et la recherche d’une meilleure utilisation des ressources dédiées, forcément limitées, pourraient venir d’un meilleur ciblage (et donc d’une révision assez complète des modalités de recrutement des étudiants) pour faire en sorte qu’en définitive les participants retenus soient véritablement ceux pour lesquels une action de sensibilisation peut avoir un maximum de chances de produire des effets positifs.
31Mais nos expérimentations, comme nous l’avons déjà dit, portent essentiellement sur des enseignements de sensibilisation. Qu’en est-il des autres types d’enseignement ? Et, quelles autres implications, plus générales, peut-on formuler ?
32Au niveau de la recherche, il convient de multiplier les études longitudinales en se concentrant sur un nombre relativement limité d’indicateurs. Il nous semble nécessaire également de tenir compte davantage dans les recherches et dans la prise en compte des résultats des incidences culturelles, institutionnelles et contextuelles. Par exemple, la plupart des recherches empiriques sont faites dans des pays (notamment, les États-Unis) dans lesquels la culture nationale et les institutions apparaissent beaucoup plus favorables au comportement entrepreneurial qu’en France. Le système éducatif français présente, d’autre part, des différences importantes avec les autres systèmes éducatifs. Enseigner l’entrepreneuriat dans les Grandes Écoles d’ingénieur et de management, lieux de l’élitisme et de la méritocratie scolaire à la française, a quelque chose de paradoxal, alors que dans le même temps, les discours des directeurs d’école, des familles et de la société tout entière n’évoquent pour ces happy few que les fonctions les plus nobles et les mieux rémunérées offertes par les grandes entreprises et la haute administration. Enfin, enseigner l’entrepreneuriat dans le contexte d’une école (disposant a priori de plus de ressources et de possibilités) a certainement peu de rapport avec la même situation dans une université. Les niveaux de ressources (financières, matérielles, humaines) et les contraintes qui peuvent en découler ont certainement un impact sur la cohérence, la qualité perçue, l’efficacité et l’efficience des programmes et des enseignements.
33Enfin, pour tenir compte de la diversité des enseignements et donc de la difficulté, voire même de l’impossibilité, d’évaluer des enseignements aussi hétérogènes, il conviendrait de décrire très précisément, dans les travaux, les formations étudiées. Pour cela, la notion de modèle d’enseignement pourrait s’avérer très utile. Elle permet, en effet, de concevoir un enseignement nouveau ou d’en aménager un existant, en distinguant deux niveaux d’analyse. Le premier niveau est ontologique et vise à préciser ce qui est entendu par enseignement de l’entrepreneuriat et ce que sont les postures d’enseignement et les rôles dévolus à l’enseignant et aux participants. Le second, décrit et combine, dans une approche systémique, cinq dimensions didactiques : les objectifs, les contenus, les méthodes pédagogiques, les caractéristiques des participants et les résultats attendus [18]. Cette notion de modèle d’enseignement a, selon nous un double avantage. Elle peut permettre à terme de produire des typologies ou des taxonomies, susceptibles de regrouper, à des fins d’évaluation, des enseignements plus homogènes. Elle insiste, enfin, d’emblée sur la nécessité d’être clair, dès la conception d’un programme, sur les résultats attendus, donc sur les critères et la méthode d’évaluation. En définitive, la notion de modèle d’enseignement permet de ne pas oublier dans des recherches et des pratiques, l’importance de la dimension pédagogique de l’évaluation. Cette dernière implique des choix sur les dimensions à évaluer, les outils, mais aussi les démarches et processus d’évaluation de la part des enseignants qui conçoivent et mettent en place concrètement l’évaluation.
34Comme il est possible de le constater, il reste encore beaucoup de chemin à parcourir avant d’apporter des réponses aux questions posées dans notre introduction. Espérons alors, dans l’attente de ces connaissances qui nous font actuellement défaut, qu’il restera toujours quelque chose, chez nos étudiants, des enseignements que nous leur prodiguons.
Notes
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[1]
Fayolle A., Gailly B. (2009), « Evaluation d’une formation en entrepreneuriat : prédispositions et impact sur l’intention d’entreprendre », M@n@gement, 12(3), 176-203. En ligne
-
[2]
Johannisson B. (1991), “University training for entrepreneurship: A Swedish approach”, Entrepreneurship and Regional Development, vol.3, n°1, p.67-82.En ligne
-
[3]
Kirkpatrick D.L., (1996), « Great ideas revisited », Training & Development, vol.50, n°1, p. 54-57.
-
[4]
Ajzen I. (1991), « The Theory of Planned Behaviour », Organizational Behavior and Human Decision Processes, vol.50, p.179-211. Cette théorie presuppose que l’intention d’avoir un comportement est un bon prédicteur de ce comportement et fait dépendre l’intention de trois antécédents: les attitudes vis-à-vis du comportement, les normes sociales et la perception de contrôlabilité du comportement en question.En ligne
-
[5]
Oosterbeek H., Van Praag M., Ijsselstein A. (2010), “The impact of entrepreneurship education on entrepreneurship skills and motivation”, European Economic Review, vol. 54, pp. 442-454.En ligne
-
[6]
Fayolle et Gailly (2009), « Evaluation d’une formation en entrepreneuriat : prédispositions et impact sur l’intention d’entreprendre », M@n@gement, 12(3), 176-203.
-
[7]
Nicolaou N., Shane S., Cherkas L., Hunkin J., Spector T.D. (2008), « Is the tendency to engage in entrepreneurship genetic ? », Management Science, vol.54, n°1, p. 167-179.En ligne
-
[8]
Johannisson B. (1991), “University training for entrepreneurship: A Swedish approach”, Entrepreneurship and Regional Development, vol.3, n°1, p.67-82; Autio E., Keeley R.H., Klofsten M., Ulfstedt T. (1997), “Entrepreneurial intent among students: testing an intent model in Asia, Scandinavia and USA”, Frontiers of Entrepreneurship Research, Babson Conference Proceedings, www.babson.edu/entrep/fer.En ligne
-
[9]
Chen C.C., Greene P.G., Crick A. (1998), “Does entrepreneurial self-efficacy distinguish entrepreneurs from managers?”, Journal of Business Venturing, vol.13, n°4, p.295-316.En ligne
-
[10]
Varela R., Jimenez J.E. (2001), « The effect of entrepreneurship education in the universities of Cali », Frontiers of Entrepreneurship Research, Babson Conference Proceedings, www.babson.edu/entrep/fer.
-
[11]
Noel T.W. (2001), “Effects of entrepreneurial education on intent to open a business”, Frontiers of Entrepreneurship Research, Babson Conference Proceedings, www.babson.edu/entrep/fer.
-
[12]
Dilts J.C., Fowler S.M. (1999), “Internships: preparing students for an entrepreneurial career”, Journal of Business & Entrepreneurship, vol.11, n°1, p.51-63.
-
[13]
Lüthje C., Franke N. (2003) “The making of an entrepreneur: testing a model of entrepreneurial intent among engineering students at MIT”, R&D Management, vol.33, n°2, p.135-147.
-
[14]
Souitaris V., Zerbinati S., Al-Laham A. (2007), “Do entrepreneurship programmes raise entrepreneurial intention of science and engineering students? The effect of learning, inspiration and resources”, Journal of Business Venturing, 22(4), p. 566-591.En ligne
-
[15]
Les mesures sont faites sur une échelle de 1 à 7 ; nous indiquons dans ces tableaux les valeurs moyennes.
-
[16]
Fayolle A. (1996), Contribution à l’étude des comportements entrepreneuriaux des ingénieurs français, Thèse de doctorat en sciences de gestion, université Jean Moulin de Lyon.
-
[17]
Les résultats présentés ici ne concernent que l’expérimentation lyonnaise.
-
[18]
Voir Fayolle et Gailly (2008) pour une application de la notion de modèle d’enseignement au domaine de l’entrepreneuriat. Fayolle A., Gailly B. (2008), « From craft to science : teaching models and learning processes in entrepreneurship education », Journal of European Industrial Training, vol.32, n°7, p.569-593.En ligne