CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Les points forts

  • Le recours à une pédagogie active semble particulièrement adapté pour enseigner l’entrepreneuriat.
  • La situation-problème est un outil qui permet à l’enseignant d’organiser sa formation en entrepreneuriat en mobilisant deux approches complémentaires, la première étant procédurale et la seconde émotionnelle.
  • Cette démarche permet la responsabilisation de l’étudiant et sa mise en action. Elle oblige à la coopération entre les étudiants eux-mêmes et entre les étudiants et leurs enseignants. Enfin, elle facilte la réflexivité.

1Les méthodes pédagogiques utilisées pour enseigner l’entrepreneuriat sont en partie fondées sur un apprentissage déterministe [1]. Pourtant, en dehors des enceintes scolaires, le caractère incertain du futur et l’évolution permanente de l’environnement invite l’entrepreneur à modérer l’usage des méthodes déterministes. En effet, prédire ne suffit pas pour réussir ses actions entrepreneuriales. L’enseignante chercheuse Sarasvathy [2] considère ainsi l’incertitude de l’avenir comme une composante de l’action entrepreneuriale. Car l’entrepreneur est conduit à s’adapter en permanence en mobilisant intelligemment les ressources présentes dans son environnement. Il doit également savoir utiliser ses connaissances acquises dans et par l’expérience. Ainsi, pour enseigner l’entrepreneuriat en tenant compte de ces critères, il apparaît opportun d’utiliser une pédagogie active qui attribue un rôle central à l’étudiant.

2Par exemple, dans les études de cas, les simulations, les projets, ou encore les jeux de rôle, les étudiants sont invités à construire eux-mêmes les connaissances nécessaires pour résoudre un problème. L’enseignant endosse alors le rôle de référent d’apprentissage [3].

3Dans ce contexte, la situation-problème constitue un cadre d’actions particulièrement intéressant pour aider l’étudiant à acquérir des connaissances entrepreneuriales. Cependant, bien qu’elle soit de plus en plus utilisée dans des cours d’entrepreneuriat, nous connaissons peu les apports réels de la situation-problème. En d’autres termes, la situation-problème est un outil prometteur actuellement sous-exploité. Or nous pensons qu’une meilleure utilisation de son potentiel contribuerait à améliorer la performance des cours d’entrepreneuriat. Mais avant d’aborder ce sujet, revenons d’abord sur les origines du concept en éducation tel qu’il a été développé par Piaget [4] et formulé par Meirieu [5].

Le problème, declencheur d’un apprentissage actif

4Lorsqu’un individu se trouve face à un problème, il ressent un sentiment d’inconfort. Or ses connaissances ne lui permettent pas toujours de trouver mécaniquement la solution. Il est donc incité à s’adapter en cherchant des éléments de réponse qu’il assemblera par lui-même. Ce processus d’adaptation constitue, selon Piaget, le centre d’un apprentissage actif qui aide l’étudiant à développer son intelligence. L’auteur qualifie également de « déséquilibre cognitif » cette phase de remise en question des savoirs antérieurs.

5Pour trouver une solution à cette situation d’incompréhension, l’individu utilise ses acquis antérieurs (les «schèmes cognitifs») qu’il combine avec de nouvelles informations provenant de son environnement, qu’il interprète, et qu’il s’approprie par un processus d’assimilation ou d’accommodation. Dans le premier cas, il intègre une information qui vient compléter des connaissances déjà structurées (l’assimilation). Dans le second, les nouvelles informations qu’il découvre et qu’il s’approprie contribuent à la création d’une nouvelle structure de connaissances (l’accommodation). Déséquilibré par une situation initiale incompréhensible et inconfortable, l’individu tente donc de rétablir un équilibre perdu momentanément, ce que Piaget nomme l’ « équilibration majorante ».

6Nous schématisons ainsi le modèle d’apprentissage piagétien de la manière suivante :

figure im1

7Le franchissement d’une période peut être assimilé à celui de la marche d’un escalier dont le point culminant serait déterminé par l’objectif didactique [6] de l’apprentissage. Le déséquilibre cognitif [7] se renouvelle chaque fois qu’une nouvelle marche apparaît. Placé dans cette situation d’inconfort, l’étudiant doit raisonner pour tenter de décrypter et de comprendre le problème perturbateur. Cette forme de rationalisation suppose ainsi pour l’étudiant de réaliser un effort organisé et stratégique qui s’oppose au raisonnement reliant directement l’interprétation avec la résolution du problème.

8Dans la vie réelle, l’entrepreneur se trouve donc incité à mobiliser des ressources internes [8] et externes [9] pour comprendre et résoudre le problème rencontré dans une situation inédite. Il « bricole » avec les moyens dont il dispose et crée ses propres procédures de résolution. Dans ce sens, le problème constitue moins un obstacle à contourner, qu’un élément déclencheur dans le processus d’apprentissage.

9Replacé dans un contexte d’enseignement, le travail réalisé par l’étudiant autour d’un problème suppose une mise en situation organisée par l’enseignant. La situation-problème place ainsi l’étudiant dans l’obligation de retrouver un équilibre perdu. Pour cela, celui-ci va devoir agir dans un jeu d’essais/erreurs. Sa compréhension du problème progresse alors au fil des tâches qu’il entreprend pour le résoudre.

10Quelques décennies après Piaget, Meirieu définit la situation-problème comme une « situation didactique dans laquelle il est proposé au sujet une tâche qu’il ne peut mener à bien sans effectuer un apprentissage précis. Cet apprentissage, qui constitue le véritable objectif de la situation-problème, s’effectue en levant l’obstacle à la réalisation de la tâche. Ainsi, la production impose l’acquisition, l’une et l’autre devant faire l’objet d’évaluations distinctes. Comme toute situation didactique, la situation-problème doit être construite en s’appuyant sur une triple évaluation diagnostique des motivations, des compétences et des capacités[10] ».

Apprendre la stratégie de résolution de problème

11Entreprendre la réalisation de tâches suppose au préalable de posséder un objectif : l’idée de problème est liée à celle du projet de retrouver un état final satisfaisant. Or pour atteindre ce but, l’étudiant doit prendre conscience de l’idée qu’il se fait de l’état initial, de l’état final, et des chemins pour y parvenir.

12Mayer [11] (1977) définit ainsi le problème à partir de trois caractéristiques :

  • un état initial (la situation de départ, jugée inconfortable et assimilée au déséquilibre cognitif) ;
  • un état objectif (la situation finale qui rétablit l’équilibre cognitif et qui demande une réflexion pour y parvenir) ;
  • les obstacles (identification des difficultés et des méthodes de résolution appropriées pour passer de l’état initial à l’état final).
Fabre souligne à ce propos que « la compréhension consiste dans la (re)construction de l’espace-problème, alors que la résolution concerne la découverte d’un chemin reliant l’état initial à l’état final [12] ».

13Considérée sous cet angle, la situation-problème permet à l’étudiant d’acquérir avec son mode de raisonnement des connaissances qu’il s’approprie davantage. C’est ce que défendent les adeptes de l’enseignement stratégique qui priorisent le transfert et l’application des connaissances dans d’autres contextes, hors des murs scolaires [13]. Dans ce but, l’un des rôles de l’enseignant consiste à aider l’étudiant à comprendre quand, comment et pourquoi ces stratégies sont utiles dans d’autres situations.

14De ce fait, la situation-problème permet à l’enseignant d’organiser sa formation en entrepreneuriat en mobilisant deux approches complémentaires : la première est procédurale et la seconde émotionnelle. [14]

L’approche procédurale

Selon cette approche, le but ultime consistant à résoudre le problème nécessite une phase de problématisation que Dewey14 définit en cinq étapes :
  1. la perception du problème ;
  2. sa détermination ou sa construction ;
  3. la suggestion de solutions possibles ;
  4. l’examen raisonné des suggestions et de leurs conséquences ;
  5. le test des hypothèses.
Plus récemment, des travaux de recherche sur les stratégies de résolution de problème ont mis en lumière trois étapes complémentaires :
  1. la formulation de l’objectif ;
  2. la définition de la situation (analyse de la situation initiale, identification des obstacles, représentation du problème)
  3. la planification (sélection d’une stratégie, exécution ou mise en œuvre, suivi-évaluation).

15L’utilisation de l’approche procédurale [15] offre la possibilité d’aider l’étudiant à prendre conscience des procédures d’actions nécessaires à mettre en œuvre pour identifier le problème et savoir y faire face. Celles-ci renvoient ainsi à trois questions importantes : quel est le problème ? [16] comment se définit-il ? [17] comment le résoudre ? [18]. Identifier le problème traduit la prise de conscience d’un manque ou d’un dysfonctionnement. Le construire pose la question du passage à l’acte [19]. Enfin, le résoudre suppose d’élaborer des hypothèses qui seront testées puis, au final, sélectionnées selon leur efficacité pour résoudre le problème initialement posé.

16Poser la « question du comment » invite également l’enseignant à comprendre les raisonnements utilisés par l’étudiant pour trouver la ou les solutions au problème initial. Mais cela ne suffit pas pour comprendre et évaluer les résultats de son apprentissage. En effet, les voies empruntées par l’étudiant pour résoudre le problème ne s’expliquent pas seulement par des facteurs rationnels et totalement objectivables.

Tenir compte de ses émotions

17L’utilisation de la situation-problème permet de s’interroger sur la nature du changement opéré entre un état initial insatisfaisant et un état final satisfaisant. En d’autres termes, elle permet à l’enseignant de mieux prendre en considération l’idée que l’étudiant se fait de l’état initial, de l’état final, et des chemins pour y parvenir. Or la « satisfaction », « l’insatisfaction », « l’idée qu’il se fait » sont indéniablement liées à des facteurs émotionnels et une à représentation personnelle de son propre cheminement pour apprendre.

18Ainsi, dans la vie réelle, l’entrepreneur agit et prend des décisions à partir de sa propre perception de la réalité. Ses choix sont aiguillés par ses émotions emmagasinées depuis son plus jeune âge à travers son expérience personnelle et professionnelle. Au final, les décisions de l’entrepreneur résultent d’un mariage subtil entre l’influence de ses émotions, la capitalisation de son expérience et la mobilisation de ses connaissances. L’activité mentale qui en résulte concoure au développement de ce que Piaget nomme « la pensée opératoire [20] ». Celle-ci est nourrie par des métacomposants affectifs, idiosyncratiques [21] et des connaissances fondamentales.

Situation-problème et éducation entrepreneuriale

19La situation-problème offre aux enseignants la possibilité d’améliorer l’utilisation de leur boîte à outils pour aider l’étudiant à acquérir activement ses connaissances. Cependant, l’attention accordée aux techniques d’enseignement (la pédagogie) ne doit pas occulter la nature des connaissances à transmettre (la didactique). Dans ce sens, la pédagogie sert la didactique. L’efficacité de la situation-problème [22] est donc liée à la qualité de la définition des résultats d’apprentissage attendus [23].

20Durkheim [24] souligne à ce propos qu’avant même de rencontrer les problèmes dans un apprentissage élaboré à cet effet, la pédagogie doit se définir par la gestion des problèmes. Avant de développer de nouveaux outils pédagogiques, l’enseignant doit ainsi s’interroger préalablement sur la nature des connaissances produites et attendues à l’issue du cours. En prenant exemple dans le monde culinaire, les ustensiles de cuisine [25] sont indispensables pour réaliser un bon plat, mais à condition de savoir initialement quel plat préparer [26] ! D’autre part, cela ne suffit pas : le cuisinier doit également rechercher et utiliser les ingrédients appropriés. Leur combinaison sera ainsi déterminante dans la réussite du plat savoureux imaginé au départ. Le rôle du cuisinier, faut-il le rappeler, est donc central !

21Dans la continuité de cet exemple, la réussite d’un enseignement qui mobilise la situation-problème repose sur l’usage des ustensiles de cuisine (la pédagogie), la détermination du plat à préparer (la didactique) et le tour de main du cuisinier (le savoir-faire de l’enseignant).

22Pour aider l’enseignant à « savoir-faire », Deleuze [27] propose de prendre en compte trois dimensions essentielles et nécessaires pour former ce qu’il nomme une « proposition logique » cohérente. Il s’agit de la signification, de la référence et de la manifestation.

23La signification porte sur la cohérence entre le contenu de l’apprentissage et la nature du savoir à transmettre. Celle-ci concerne donc en priorité le traitement didactique du savoir. Par exemple, l’utilisation du plan d’affaires comme outil pédagogique pour enseigner le processus de création d’entreprise nécessite de savoir au préalable quelles sont les connaissances à acquérir [28].

figure im2

24La référence se définit par le sens extrascolaire attribué aux savoirs enseignés : quels rapports ces derniers entretiennent-ils avec le monde réel [29] ? Cette dimension nous invite à ne pas oublier le pragmatisme nécessaire des méthodes d’apprentissage de l’entrepreneuriat. Par exemple, dans quelle mesure l’étudiant utilise-t-il ses connaissances apprises dans un cours en stratégie hors des enceintes de l’établissement ? [30]

25Enfin, la manifestation s’intéresse particulièrement à la relation de l’étudiant au savoir. Elle se traduit souvent par la motivation et l’envie. La manifestation représente donc un enjeu majeur dans la réussite d’un enseignement qui utilise la situation-problème. Elle constitue en effet le moteur émotionnel qui permet à l’étudiant en entrepreneuriat d’avoir envie de s’engager dans ce type d’apprentissage fondé sur le franchissement d’obstacles.

26Les composantes de la proposition logique de Deleuze nous semblent ainsi particulièrement utiles pour aider l’enseignant à mieux exploiter la situation-problème. Concrètement, elles montrent que l’amélioration de l’utilisation de la situation-problème dans la construction des connaissances entrepreneuriales suppose, pour l’enseignant, 1) de savoir quelle est la nature des connaissances à transmettre (signification) 2) de s’interroger sur la manière dont l’étudiant peut transférer ses connaissances hors cadre scolaire (la référence) 3) de se demander comment motiver l’étudiant dans son apprentissage ? (la manifestation).

27Dans ce sens, nous schématisons cette forme active d’apprentissage de la manière ci-dessus.

28La construction des connaissances entrepreneuriales (Cce) repose sur trois dimensions de premier niveau : la manifestation, la signification et la référence. Chaque dimension entre en interaction avec les deux autres.

29Par exemple, concevoir de façon exclusive une situation-problème à partir de la manifestation (Ma) peut engendrer une perte de signification du savoir enseigné (Si). Cela peut-être le cas, par exemple, lors de l’utilisation excessive de supports ludiques qui provoque une dissonance entre le support utilisé pour motiver l’étudiant et les connaissances acquises visées à l’issue de la formation.

30De la même façon, focaliser son regard sur la signification (Si) sans porter une attention sur la manifestation (Ma) et la référence (Re) risque d’affaiblir l’appropriation du savoir et le fonctionnement du mécanisme de construction des connaissances de l’étudiant. C’est le cas, par exemple, lorsque certains cours ou formations entrepreneuriales sont perçus par les participants comme étant trop magistraux ou théoriques.

31Enfin, trop privilégier la référence (Re) peut entraîner une perte de signification finale du savoir enseigné (Si), ou un affaiblissement de la motivation (Ma). Par exemple, l’usage intensif de la situation-problème via des jeux de simulation plonge les étudiants dans l’action permanente et l’attente des gains issus du jeu. Dans ce contexte, l’enseignement des apports théoriques tout comme l’acquisition des connaissances par l’étudiant sont plus difficiles. En conséquence, le maintien d’une cohérence pourtant essentielle, entre la pédagogie utilisée et les objectifs didactiques visés initialement (Si), devient difficile.

32La combinaison subtile de ces trois dimensions dans la mise en œuvre d’une formation en entrepreneuriat peut ainsi permettre à l’enseignant de développer son savoir-faire en la matière. Nous constatons également que l’efficacité de la « proposition logique » de Deleuze dépend de la clarté de la définition de l’objectif initial de la formation et des outils pédagogiques utilisés. Si nous reprenons notre exemple culinaire, la réussite du tour de main du cuisiner (le savoir-faire) dépend de la définition du plat (les objectifs didactiques) et des ustensiles de cuisine à disposition pour le réaliser (les outils pédagogiques).

33Par exemple, cela conduit à se demander quelles connaissances techniques (connaissances déclaratives) l’enseignant souhaite que les étudiants apprennent ? Ou quelles acquisitions de savoir-faire sont envisagées (connaissances procédurales) ? Ou encore, quels états de stress, de joie, d’auto-satisfaction, ou de motivation sont visés (connaissances émotionnelles) ?

34Dans notre schéma, nous montrons que les connaissances déclaratives, procédurales ou émotionnelles peuvent constituer des dimensions de second niveau. Elles jouent un rôle essentiel pour l’enseignant dans la formalisation et la classification des objectifs attendus. Du côté de l’étudiant, elles peuvent également constituer des repères méthodologiques qui le guident dans la conduite de sa stratégie d’apprentissage.

35L’approche de Deleuze fournit ainsi des informations particulièrement pragmatiques et applicables dans le champ de l’enseignement de l’entrepreneuriat. Celles-ci peuvent notamment aider l’enseignant dans l’élaboration d’un outil analytique visant à formaliser avec davantage de précision le contenu d’une formation qui repose sur l’usage de la situation-problème. D’autre part, cet outil de départ pourrait également faire office d’outil d’évaluation pendant et après la formation dispensée [31].

Mettre en œuvre la situation- problème dans la pédagogie

36L’utilisation de la situation-problème est également intéressante pour faciliter le développement de pédagogies innovantes qui décentrent le rôle de l’enseignant dans l’accès à la connaissance. Autrement dit, tout en continuant d’avoir un rôle clé dans la conduite de l’apprentissage de l’étudiant, il figure en périphérie du savoir acquis.

37Attrayante, cette approche est aussi complexe. Des écueils peuvent donc entraver et, à l’extrême, occulter les apports de la démarche initiale.

38En premier lieu, l’enseignant doit définir les marges d’autonomie et d’initiative de l’étudiant dans son apprentissage. Dans le cas contraire, une relation ambiguë peut rapidement naître entre l’enseignant et l’étudiant ; une relation dans laquelle ni l’un ni l’autre ne connaît véritablement les limites entre l’activité gérée par l’étudiant face à un problème donné et le niveau de connaissance à acquérir. Dans le même sens, il serait fort risqué de concevoir des formations à l’entrepreneuriat qui iraient jusqu’à demander à l’étudiant d’être l’inventeur de ses propres problèmes.

39En second lieu, l’utilisation de la situation-problème suppose, nous l’avons vu, de prendre en compte l’activité de problématisation de l’étudiant. L’enseignant joue ainsi un rôle de régulateur dans le processus de construction ou de reconstruction des problèmes, sans toutefois devoir faire le travail à la place de l’étudiant. Par exemple, dans un jeu de simulation, un étudiant à qui l’enseignant demande de réaliser un exercice financier, observe un écart entre la trésorerie réelle de son entreprise et le bilan annuel qu’il essaie de finaliser. Dans ce cas de figure, l’étudiant a conscience du problème, mais le temps étant compté, il ne parvient pas à progresser. Un stress affiché par l’étudiant commence à naître. Celui-ci s’accentue au fil du temps qui s’écoule. Le rôle de l’enseignant est à ce moment très important, car il touche trois types de connaissances. Il doit tout d’abord aider l’étudiant à prendre de la distance face à la situation dans laquelle il se trouve. Cette prise de recul a pour objectif de l’aider à relativiser l’importance du problème en le replaçant dans le contexte de la formation. Il agit ainsi sur la diminution de son stress. Ensuite, l’enseignant analyse la situation et transmet des suggestions pour aider l’étudiant à revoir ses procédures d’actions afin de trouver la solution au problème donné. Enfin, une fois le problème résolu et l’étudiant réconforté, l’enseignant l’accompagne dans la réalisation d’une auto-analyse menée a-posteriori afin de l’aider à prendre conscience de l’ensemble des connaissances acquises [32].

40La tâche de l’enseignant est donc complexe. Pour cette raison, le manque de moyens [33] ou de compétences peut contribuer à minimiser le travail d’accompagnement. Dans ce cas, les connaissances tacites [34] produites par l’activité cognitive et métacognitive [35] de l’étudiant sont faiblement apparentes. Dans ce sens, le manque d’accompagnement affaiblirait significativement l’efficacité attendue de la situation-problème dans la construction des connaissances de l’étudiant.

41Ainsi, pour éviter certains écueils, nous soulignons le rôle important de l’enseignant qui 1) définit le but de la formation 2) organise la situation d’apprentissage 3) identifie les contraintes et les ressources [36] permettant d’apprendre par soi-même 4) accompagne individuellement et collectivement les étudiants dans leur cheminement en vue les objectifs qu’il a déterminés initialement 5) mesure les écarts entre les objectifs d’acquisition de connaissances initialement définis et l’acquisition de ces connaissances exprimées finalement par les étudiants.

42Ces remarques étant faites, il nous semble important de revenir sur les contributions de la situation-problème dans la construction des connaissances entrepreneuriales.Tout d’abord, la situation-problème peut être utilisée de différentes manières dans l’éducation entrepreneuriale. Elle peut en effet être intégrée dans un module spécifique d’enseignement afin d’approfondir un thème donné [37] ou être utilisée de manière transversale. Par exemple, l’enseignant peut utiliser la situation-problème [38] pour inciter les étudiants à puiser dans leurs connaissances apprises via des cours spécialisés afin de résoudre le problème donné. Il s’agit dans ce cas d’aider l’étudiant à mettre en cohérence les connaissances acquises (et à créer du lien entre elles) au cours d’une période donnée et sur des thèmes bien définis.

43D’autre part, l’utilisation d’une taxonomie pragmatique [39] peut aider à clarifier la nature des connaissances que l’enseignant souhaite transmettre, la méthode utilisée pour y parvenir et la mesure des résultats obtenus. Cela faciliterait corollairement la définition d’indicateurs d’évaluation qui font cruellement défaut actuellement.

44De même, l’utilisation de la situation-problème implique de considérer les connaissances déclaratives, procédurales et émotionnelles dans un même ensemble. Les séparer arbitrairement inhibe la performance d’un apprentissage actif au centre duquel figure l’étudiant, son expérience son environnement socio-économique et sa personnalité.

45Plus généralement, l’usage de la situation-problème dans des programmes d’éducation entrepreneuriale offre la possibilité de faciliter 1) la responsabilisation, en plaçant l’étudiant en situation de résolution, par lui-même, des difficultés rencontrées, 2) la mise en action, car l’étudiant est contraint d’agir pour progresser dans son apprentissage, 3) la coopération entre les étudiants eux-mêmes, et entre les étudiants et leurs enseignants, 4) la réflexivité, l’étudiant se trouvant incité, avec l’aide de l’enseignant, à développer un apprentissage cognitif et métacognitif de second niveau [40].

46En d’autres termes, l’emploi de la situation-problème pour construire les connaissances entrepreneuriales s’avère fort utile pour la mise en place d’une pédagogie entreprenante, telle que la définissent Bernard Surlemont et Paul Kearney [41].

Notes

  • [1]
    Qui se définit, par exemple, par le franchissement de chacune des étapes constituant l’élaboration du projet entrepreneurial ou par l’enseignement technique dispensé dans un cours de finance entrepreneuriale.
  • [2]
    Sarasvathy (Saras D.), “Causation and effectuation: toward a theorical shift from economic inevitability to entrepreneurial contingency”, The Academy of Management review, 2001 (26, 2), p. 243-263.
  • [3]
    Le référent est celui qui oriente, suggère, facilite l’auto-analyse et constitue plus généralement le point de repère de l’étudiant dans sa progression au sein de la formation qu’il a conçue et qu’il dirige.
  • [4]
    Piaget (Jean), “Psychologie et pédagogie”, Denoël-Gonthier, Paris, 1969.
  • [5]
    Meirieu (Philippe), « Apprendre oui, mais comment », ESF éditeur, Paris, 1992.
  • [6]
    La didactique se définit par la nature des connaissances à enseigner. Elle se différencie de la pédagogie, qui fait référence aux techniques utilisées pour permettre l’acquisition des connaissances.
  • [7]
    Ou la remise en question des connaissances antérieures.
  • [8]
    Ses connaissances et son expérience antérieures.
  • [9]
    Les informations présentes dans l’environnement.
  • [10]
    Meirieu (Philippe), « Apprendre oui, mais comment », ESF éditeur, Paris, 1992, p. 190.
  • [11]
    Mayer (R. E.), “Thinking and problem solving: An introduction to human cognition and learning”, Glenview, IL: Scoot, Foresman, 1977.
  • [12]
    Fabre (Michel), « Situations-problèmes et savoir scolaire », Paris, PUF, 1999.
  • [13]
    Contrairement au but classique de l’éducation fondé sur la transmission de connaissances déclaratives (connaissances relevant de la science exacte, considérée comme « dures » et souvent assimilées aux connaissances techniques).
  • [14]
    Dewey (John), « Comment pensons-nous ? », Paris, éditions Flammarion, 1925.
  • [15]
    Dominée par la question du « comment ».
  • [16]
    Processus d’identification du problème.
  • [17]
    Processus de construction du problème.
  • [18]
    Processus de résolution du problème.
  • [19]
    Comment, une fois le problème posé, agir pour le résoudre ?
  • [20]
    Piaget (Jean), « L’épistémologie génétique », Paris, éditions PUF, 1970.
  • [21]
    Liés au caractère, au tempérament de la personne.
  • [22]
    Qui permet la mobilisation d’outils pédagogiques.
  • [23]
    Les résultats d’apprentissage attendus sont liés à la didactique définie par la nature des connaissances à transmettre.
  • [24]
    Durkheim (Emile), “Education et sociologie”, Paris, Presses Universitaires de France, 1985.
  • [25]
    Qui sont assimilables aux outils pédagogiques dans le contexte de l’enseignement.
  • [26]
    Assimilable à la question « quelles connaissances voulons-nous que les étudiants acquièrent ? » (objectifs didactiques).
  • [27]
    Deleuze (Gilles), “Logique du sens”, Paris, éditions Minuit, 1969.
  • [28]
    Notamment quelles connaissances techniques (par exemple juridiques, fiscales, sociales, financières) ou procédurales (par exemple, les techniques de réalisation d’une étude de marché ou de montage d’un compte de résultat prévisionnel).
  • [29]
    Hors des enceintes de l’établissement.
  • [30]
    La prise en compte de la notion de référence nous amène à poser la question plus générale de la manière dont l’éducation à l’entrepreneuriat contribue à rendre intelligibles et pragmatiques les savoirs enseignés.
  • [31]
    Par exemple, par la mesure des écarts entre les connaissances procédurales attendues dans la partie « référence » (définies par l’enseignant) et les connaissances que l’étudiant pense réellement avoir acquises sur le sujet.
  • [32]
    Des connaissances qui, dans cet exemple, sont d’ordre émotionnel (la gestion du stress), procédural (la révision de ses procédures d’actions) et technique (la vérification de la cohérence d’une trésorerie).
  • [33]
    En temps notamment.
  • [34]
    Qui ne sont pas directement formulées par l’étudiant et nécessitent, pour émerger, l’accompagnement de l’enseignant.
  • [35]
    La cognition fait référence à un travail d’apprentissage de premier niveau (par exemple la lecture d’un texte). La métacognition est un apprentissage de second niveau illustré par une activité qui consiste à apprendre à apprendre (par exemple, savoir se doter des outils nécessaires et d’un environnement favorable pour lire un texte). Dans ce sens, la métacognition s’apparente davantage avec la stratégie d’apprentissage.
  • [36]
    Notamment les outils pédagogiques.
  • [37]
    Par exemple la gestion d’entreprise.
  • [38]
    Via une étude de cas ou un jeu de simulation.
  • [39]
    Elaborée sur la base des critères que nous avons présentés précédemment dans notre schéma.
  • [40]
    En prenant conscience de ses connaissances et de ses expériences antérieures et, d’autre part, en analysant et en ajustant ses propres stratégies pour apprendre.
  • [41]
    Surlemont (Bernard) et Kearney (Paul), « Pédagogie et esprit d’entreprendre », Bruxelles, De Boeck, 2009.
Français

Résumé

La situation-problème constitue un moyen attrayant pour aider l’étudiant à acquérir des connaissances entrepreneuriales. Cependant, nous connaissons peu ses apports réels. Dans cet article, nous exposons d’abord ce que nous savons sur les incidences provoquées par l’utilisation de la situation-problème dans l’apprentissage de l’étudiant. Nous présentons ensuite un outil dont l’objectif est double : aider l’enseignant dans le montage d’une formation entrepreneuriale qui utilise la situation-problème et ouvrir des pistes pour évaluer l’impact de la situation-problème dans l’apprentissage de l’entrepreneuriat.

Olivier Toutain
Olivier Toutain est chercheur associé au Centre de Recherche en Entrepreneuriat à l’EM Lyon Business School et professeur associé de Management/Entrepreneuriat à l’ESC Dijon.
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/05/2012
https://doi.org/10.3917/entin.011.0127
Pour citer cet article
Distribution électronique Cairn.info pour De Boeck Supérieur © De Boeck Supérieur. Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent article, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.
keyboard_arrow_up
Chargement
Chargement en cours.
Veuillez patienter...