CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Les points forts

  • Pour les PME, se développer via une alliance stratégique représente une « troisième voie » par rapport à la croissance endogène ou à la croissance externe.
  • Les alliances observées sur le terrain à l’occasion d’une étude menée en Franche-Comté relèvent de logiques très diverses.
  • La compatibilité humaine et l’adaptation du mode de gouvernance aux objectifs de l’alliance sont deux importants facteurs clefs de succès

1Dans la compétition internationale, l’économie française souffre d’une structure déséquilibrée de son tissu d’entreprises. Dominé par quelques grands groupes, il est essentiellement constitué de petites et moyennes entreprises, qui, pour plus de 90 % d’entre elles, ne dépassent pas 50 salariés.

2Cette caractéristique structurelle pénalise deux stratégies essentielles, le développement international et l’innovation. Important pour les entreprises dotées d’un produit propre, ce handicap l’est encore plus pour les sous-traitants, qui doivent à la fois relever les défis de l’indépendance vis-à-vis de leurs donneurs d’ordre tout en les accompagnant dans leur stratégie d’externalisation en proposant une offre étendue et d’internationalisation en s’implantant à proximité de leurs sites de production dans les pays à « bas coûts » !

3Dans un tel contexte, la croissance organique s’avère souvent insuffisante pour relever les défis dans un délai compatible avec l’évolution de plus en plus rapide des marchés et les exigences toujours plus pressantes des clients. L’alternative de la croissance externe est également difficile à mettre en œuvre par les PME qui, souvent peu capitalisées, ne disposent ni des ressources, ni forcément des compétences ou de l’expérience nécessaires au pilotage de telles opérations, a fortiori à l’international. Le recours à des partenariats, alliances et groupements devient alors un levier stratégique clé de pérennité et de développement.

4Permettant de partager les coûts, de développer des synergies commerciales ou technologiques, de proposer une offre étendue ou globale aux clients, ces stratégies de développement ne sont pas exemptes de risques pour leurs initiateurs et animateurs.

5Nous nous intéressons aux stratégies de groupement entre PME–PMI ayant pour objectif central le développement d’activités économiques, sources de croissance pour chacune des entreprises membres, ce qui exclut du champ d’analyse les groupements uniquement de moyens. Conduite en 2009, l’étude [1] approfondie de 25 cas de groupements de PME – PMI dans différents secteurs d’activité et dans plusieurs régions françaises, a permis d’identifier leurs enjeux, de caractériser leur diversité et de proposer des recommandations de mise en œuvre.

Des alliances aux groupements

6Les PME–PMI sont au cœur des défis liés à la mondialisation, à l’innovation et aux restructurations de leurs filières. Diversité de ces enjeux, complexité de leur maîtrise simultanée et nécessité d’aller vite influencent les PME–PMI dans le choix de leurs leviers de développement. S’appuyant sur les ressources internes de l’entreprise, la croissance organique reste le modèle de développement dominant des PME–PMI. Moins pratiquée, la croissance externe permet d’acquérir rapidement des ressources, des savoir-faire, des compétences, une position sur un marché ou un accès à un nouveau territoire. A ces deux possibilités traditionnelles s’ajoute la voie de l’alliance. Il ne s’agit ni de vouloir tout faire soi-même, ni de tout contrôler, mais de partager des ressources, des risques et des actions au service d’objectifs communs bien définis.

7Pierre Dussauge et Bernard Garette [2] définissent les alliances comme « des associations entre entreprises qui choisissent de mener à bien un projet ou une activité spécifique de manière conjointe ». Cette approche des alliances met en évidence deux caractéristiques identitaires de ce mode de développement, d’une part la garantie de l’indépendance juridique de chaque partenaire et, d’autre part, un processus de coordination et de gestion fondé sur des décisions conjointes mobilisant et engageant l’ensemble des membres.

8Dans sa définition de l’alliance, Ernst & Young [3] insiste sur la notion « d’engagement réciproque, limité, progressif et réversible entre les partenaires pour acquérir un avantage concurrentiel décisif », montrant à la fois le caractère stratégique du projet commun et l’instabilité permanente qui résulte d’une logique de coopération, dont le sens étymologique est « travailler ensemble, conjointement », et non d’une logique d’autonomie – croissance interne – ou d’autorité – croissance externe.

9Anis Bouayad [4] définit l’alliance stratégique comme un rapport de forces construit autour d’un préalable, l’intention, et de trois axes majeurs, le projet, la relation et le contrat. L’intention représente la vision commune et partagée des partenaires et leur bon vouloir. Le projet définit la stratégie poursuivie par les alliés. La relation désigne l’ensemble des liens noués entre les partenaires pour répondre à des questions simples mais essentielles. Qui fait quoi ? Où ? Quand ? Comment ? Le contrat est la formalisation du projet et de la relation. Anis Bouayad conclut en considérant que le projet est supérieur à la relation, laquelle est supérieure au contrat, mettant en évidence la primauté de la stratégie sur l’organisation et sur le formalisme juridique.

10L’alliance stratégique peut être définie de la façon suivante :

11La notion de conduite conjointe du projet est particulièrement importante parce qu’elle suppose le partage du pouvoir entre les membres de l’alliance, ce qui ne constitue pas une posture naturelle de tout entrepreneur ou dirigeant de PME PMI, davantage habitué à son autonomie de décision et d’action.

12L’observation des alliances développées par les PME – PMI révèle une grande diversité tant au niveau des projets que des formes de gouvernance.

13Anis Bouayad [5] distingue les alliances stratégiques et les alliances tactiques, selon que le projet est impliquant, important et s’inscrivant dans la durée ou au contraire « léger », peu impliquant et circonstanciel. Objet central de notre réflexion, les alliances stratégiques ne constituent pas pour autant une catégorie homogène.

Figure 1. Alliance stratégique

Alliance stratégique: Conduite conjointe d’un projet de développement (partage des objectifs, des décisions, des moyens, des risques et des résultats) par deux entreprises ou plus. Fondée sur l’engagement et la coopération de tous les partenaires, l’alliance respecte l’indépendance juridique de chacun. Chaque alliance se définit par un objet, son projet, et par une forme, sa gouvernance, c’est-à-dire son organisation, notamment juridique, et son mode de fonctionnement.
Groupement : Ensemble d’entreprises engagées dans une stratégie d’alliance.
Figure 2

Axes structurant l’objet de l’alliance

Figure 2

Axes structurant l’objet de l’alliance

14Le Guide européen des alliances entre PME de la sous-traitance [6] met en exergue la distinction entre les alliances concurrentielles et les alliances complémentaires. Les premières s’inscrivent plutôt dans une logique de compétitivité et de concentration tandis que les secondes procèdent davantage d’une logique de développement, de diversification ou d’innovation. Mais la distinction n’est pas toujours aisée. En effet, comment qualifier une alliance entre entreprises du même domaine développant une offre fondée sur l’exploitation des spécificités de chaque entreprise en termes de savoir-faire et / ou d’équipements pour des clients actuels ou nouveaux ? Concurrentes par le métier, elles sont aussi complémentaires par leurs spécialisations respectives.

15Les praticiens des alliances différencient souvent les projets selon leur caractère défensif ou offensif. Les alliances défensives sont construites pour pallier des menaces (pressions sur les prix, demandes de délocalisation, restructurations du panel fournisseurs, disparition de clients). Les alliances offensives sont construites pour développer un nouveau marché, un nouveau territoire ou une nouvelle technologie. Là aussi, la frontière est parfois ténue parce que la conquête d’un nouveau marché peut répondre simultanément à un enjeu de réduction de la dépendance sectorielle et à un objectif de croissance. Par ailleurs, il n’est pas rare de trouver dans un groupement des membres animés par un objectif offensif et d’autres en position plus défensive. Cette double dimension, offensive et défensive, relève davantage des motivations de l’entreprise et de son dirigeant que du projet lui-même.

16A l’instar des activités de l’entreprise définies selon la matrice d’Abell, l’objet de l’alliance est évidemment très fortement lié à la nature de l’offre, au marché et au territoire géographique. Un projet d’alliance projets peut combiner les axes, par exemple une offre étendue fondée sur les compétences complémentaires des membres du groupement en direction d’un nouveau marché.

17Cette cartographie permet d’identifier quelques grandes logiques à l’origine des différentes alliances stratégiques :

  • Alliances de compétitivité : rechercher une meilleure compétitivité (synergies de coût) pour consolider la position concurrentielle des membres. Ces alliances peuvent être inspirées, voire prédéterminées, y compris dans leur géométrie, par les clients ou donneurs d’ordres dans le cadre de leur stratégie de transfert de responsabilité sur un nombre limité de fournisseurs de rang 1.
  • Alliances de renforcement de l’offre : rassembler des compétences complémentaires pour proposer une offre étendue, voire globale. Les entreprises maintiennent ainsi leur position chez leurs clients et dans leur filière industrielle.
  • Alliances de diversification marché : conquérir ensemble de nouveaux domaines d’application. Les entreprises souhaitent réduire une dépendance sectorielle ou client ou développer de nouveaux relais de croissance.
  • Alliances d’innovation : développer de nouvelles compétences scientifiques et technologiques sur la base des savoir-faire des différents partenaires et, éventuellement, de laboratoires de recherche.
  • Alliances internationales : se développer à l’international soit au travers d’une conquête de marchés étrangers, soit en partageant des localisations communes pour des clients implantés à proximité ou pour bénéficier d’avantages de coûts.
Les caractéristiques fondatrices du projet d’alliance en termes d’objectifs, de mobilisation de ressources, de risques et d’espoir de résultat lui confèrent une dynamique très proche de celle de la création d’entreprise, bien que ses porteurs soient déjà des entrepreneurs, parfois depuis de nombreuses années. Démarche stratégique, l’alliance est un véritable projet entrepreneurial dont le groupement des entreprises membres et de leurs dirigeants est le porteur. Le groupement est l’entrepreneur de l’alliance.

Les hommes, un préalable à tout projet d’alliance stratégique

18Dans un groupement, les dirigeants découvrent de nouvelles postures et de nouveaux rôles vis-à-vis de leurs pairs. Ils doivent apprendre à mieux se connaître, reconnaître leurs limites, accepter la remise en cause et définir leur rôle en fonction de leurs compétences clés, qu’il s’agisse de savoir (connaissances), de savoir-faire (capacités et aptitudes à faire) ou de savoir être (attitudes et comportements). Ils ne pourront pas calquer le pilotage du groupement sur leur propre style de direction, puisqu’il s’agit d’un projet collectif fondé sur l’adhésion et la participation des autres dirigeants. Ils devront démontrer :

  • une capacité à ménager des espaces de liberté à chaque membre du groupement bien que l’organisation soit a priori instable,
  • une capacité à conduire le changement de façon constructive anticipant les situations critiques avant qu’elles n’apparaissent ou s’exacerbent,
  • une attitude d’objectivité et d’impartialité,
  • une capacité à des positions les plus partagées possibles au sein du groupe.
Les groupements sont un lieu de confrontation et/ou de synergie entre des personnalités généralement bien affirmées. Les valeurs d’échange et de partage entre les membres sont centrales parce qu’elles participent directement au dynamisme du groupement. Il convient donc de privilégier le collectif à l’individuel, l’intérêt partagé à l’ambition personnelle.

19Au cœur de ce projet entrepreneurial collectif, ces dirigeants de PME PMI doivent développer de fortes qualités personnelles qu’au vu de notre observation et de notre expérience, nous résumerons autour de deux points essentiels :

20Garantir une forte disponibilité individuelle pour le projet : chaque dirigeant doit pouvoir consacrer tout le temps nécessaire au projet d’alliance stratégique en le jugeant au moins aussi prioritaire que ses autres projets de développement ou d’investissement. Le manque de disponibilité se manifeste rarement dans les tous premiers contacts entre les porteurs du projet, mais les urgences techniques, clients ou managériales viennent au fil du temps et des évènements questionner l’engagement opérationnel du chef d’entreprise dans un projet, qui, par définition, ne concerne qu’un aspect de sa stratégie globale. De la réponse individuelle de chacun dépend fortement la capacité du groupe à progresser collectivement et du projet à se construire.

21Dire ce que l’on fait et faire ce que l’on dit ! Quelque peu familière, cette expression exprime clairement la nécessité de tenir ses engagements vis-à-vis des autres membres du groupement. Une communication absente, insuffisante ou trop implicite génère des incompréhensions, des doutes, des suspicions, voire des conflits interpersonnels, qui minent la confiance et conduisent le projet d’alliance à l’échec. Le respect des décisions collectives auxquelles chaque dirigeant a pris part est évidemment essentiel, à commencer par le calendrier défini ensemble !

Créer et développer un groupement

22Projet entrepreneurial collectif, le développement d’un groupement de PME – PMI repose sur un préalable et deux étapes essentielles :

  • le préalable de la compatibilité humaine et stratégique,
  • la construction du projet stratégique du groupement,
  • l’élaboration du système de gouvernance du groupement.

Valider la compatibilité humaine et stratégique

23Le préalable de la double compatibilité humaine et stratégique s’apparente à une analyse de faisabilité du projet, prenant en compte à la fois la dimension humaine et relationnelle des porteurs et la dimension stratégique des entreprises impliquées.

24La compatibilité humaine a pour objectif central de valider la capacité des porteurs du projet d’alliance à travailler ensemble; c’est-à-dire à débattre, décider et mettre en œuvre collectivement et dans la confiance mutuelle les actions du groupement. Mieux se connaître et mieux connaître les autres membres du groupement au travers de démarches et d’outils d’objectivation des profils de personnalité permet à la fois de valider la compatibilité globale et de définir des conditions et des règles garantissant de plus grandes chances de succès.

Figure 2

Processus de création d’un groupement

Figure 2

Processus de création d’un groupement

25La compatibilité stratégique vise à montrer d’une part l’intérêt et la cohérence du projet d’alliance avec les enjeux et les objectifs de chaque entreprise partenaire et d’autre part la spécificité relative du projet par rapport au champ d’activité global de chaque entreprise, qui ne doit pas se confondre en totalité avec l’objet du projet d’alliance. Sinon mieux vaut envisager directement une absorption ou une fusion. Ceci suppose que chaque entreprise clarifie au préalable sa propre stratégie et que son dirigeant soit prêt à l’expliciter devant ses partenaires.

26Une fois cette double compatibilité prouvée, reste à construire le projet d’alliance proprement dit et à donner corps au groupement. Les deux étapes de construction du projet d’activité et d’élaboration de la gouvernance peuvent être quasiment conduites en parallèle.

Construire le projet stratégique

27Le projet stratégique vise d’abord à définir le contenu précis de l’activité développée par le groupement. Comme pour toute entreprise, l’activité du groupement peut être envisagée autour de trois dimensions structurantes :

  • l’offre en termes de produits, technologies, services,
  • le marché en termes de domaines d’applications, types de clients,
  • le territoire en termes de couverture géographique.
S’appuyant sur un ou quelques domaines d’activité stratégique précis, le groupement doit définir ensuite le positionnement concurrentiel visé sans jamais oublier que ses concurrents ne sont pas forcément de même nature que les concurrents traditionnels de chacune des entreprises partenaires. Cette recherche de positionnement passe naturellement par l’identification d’un avantage concurrentiel spécifique au groupement. Qu’est-ce que le groupement apporte en plus ou fait mieux qu’une entreprise intégrée ? Répondre concrètement à cette question centrale garantit que l’offre du groupement ne sera pas seulement une juxtaposition de savoir-faire et de moyens, mais une proposition globale disposant de sa propre cohérence et unité. La définition d’objectifs quantifiés et le dimensionnement des ressources nécessaires, que ce soit en termes d’investissements, de moyens commerciaux, techniques ou administratifs permettent à la fois de construire un véritable plan d’activité et de s’assurer que chacun partage bien ces objectifs et intègre les enjeux qui en découlent pour lui.

28La quantification et l’élaboration du plan d’activité vont conduire les partenaires à s’interroger sur les processus opérationnels de commercialisation, de production et de gestion du groupement et donc à choisir l’organisation la mieux adaptée en termes de structure et de mode de fonctionnement. L’élaboration des processus opérationnels est d’autant plus importante que, par définition, les différents acteurs sont indépendants et éloignés les uns des autres.

29Construire une démarche commerciale efficace suppose à la fois une information réciproque, une coordination des ressources et des actions de façon à garantir un seul discours vis-à-vis des prospects et des clients. Au sein des groupements de PME – PMI, les dirigeants jugent souvent leur capacité commerciale insuffisante et préfèrent cette fonction à un commercial. Travaillant souvent pour des clients de taille beaucoup plus importante et proposant par le truchement du groupement une offre nouvelle, ils ne peuvent rester totalement à l’écart de l’action de promotion de leur initiative. Premiers ambassadeurs de leurs entreprises respectives, ils sont aussi les mieux placés pour représenter le groupement qu’ils ont eux-mêmes initié.

30Deuxième process opérationnel clé, le traitement d’une affaire est souvent sous-estimé, chacun considérant qu’il est un bon professionnel répondant à la fois en termes de qualité, de délai et de compétitivité. Or la réponse du groupement n’est pas la juxtaposition des offres de chacun. Construire et réaliser une offre commune et globale suppose un effort important de transparence et de coordination entre les différents membres. Cet effort implique notamment la mobilisation des équipes opérationnelles de chaque entreprise, qui doivent traiter la commande pour le groupement comme celle d’un client à part entière. L’enjeu de coordination est d’autant plus important que la réalisation de l’offre globale exige des contributions successives et interdépendantes des différents membres du groupement. Construire les processus opérationnels de commercialisation, de production et de mise à disposition de l’offre globale contribue directement à l’organisation et à la structuration du groupement.

Définir la gouvernance

31Souvent posée dès les tout premiers échanges, la question du choix de la structure juridique ne devient pertinente qu’une fois l’objet de l’alliance clairement défini et le périmètre du groupement stabilisé. La forme juridique n’est pas une garantie de succès et des groupements informels peuvent très bien contribuer à développer des activités pérennes dès lors qu’un ou plusieurs membres sont en mesure de porter les affaires, notamment sur le plan du risque financier et de la responsabilité vis-à-vis du client.

32La formalisation juridique peut recouvrir trois formes principales : contractuelle, associative ou capitalistique. Le choix se fait en fonction de deux dimensions majeures, d’une part le niveau d’investissement requis et, d’autre part les attentes des clients et des marchés visés par le groupement. Plus l’investissement et / ou l’exigence des clients d’avoir un seul et unique responsable est élevé, plus la création d’une société de capitaux sera nécessaire. Plus flexible et permettant une gestion plus aisée des mouvements d’entrée et de sortie, la structure associative est intéressante dans les phases de lancement du projet dès lors que l’investissement initial est faible. La formalisation au travers de contrats constitue une troisième possibilité, plus souvent utilisée pour des opérations ponctuelles que pour la création d’une activité pérenne. Le tableau ci-dessous permet de synthétiser les axes et les choix possibles en termes de structure juridique du groupement.

33Pour important qu’il soit, le choix de la structure juridique n’est pas figé dans le temps. Comme toute entreprise, un groupement peut changer de structure juridique en fonction de l’évolution de son projet et du développement de ses activités. La migration d’une structure associative mise en place pour initier et expérimenter la réalisation d’affaires à plusieurs vers une société de capitaux pour assurer la pérennité de l’activité commune est parfaitement envisageable.

34Parallèlement au choix de la forme juridique, le groupement doit décider de sa gouvernance, c’est à dire de son mode de fonctionnement. Entrepreneur collectif de l’alliance, le groupe des dirigeants assume le pilotage et organise la mise en œuvre du projet. Prendre les décisions, répartir les tâches, rendre-compte des actions et manager les salariés du groupement participent directement et quotidiennement à la vie du projet. Définir ensemble le mode opératoire en s’appuyant sur les compétences spécifiques et sur les objectifs des uns et des autres est d’autant plus indispensable que chaque dirigeant conserve ses responsabilités dans sa propre entreprise et que le temps s’avère être non seulement une denrée rare, mais souvent un véritable ennemi en ce sens qu’il manque pour agir aussi vite que ce que le projet exige. Cette définition doit évidemment recueillir l’assentiment de tous et sa formalisation permet de préparer le futur tant pour les membres existants que pour de nouveaux partenaires. La rédaction d’une charte de fonctionnement dès le lancement du projet s’avère fort utile et son actualisation dans le temps est garante d’une certaine façon du maintien de l’engagement de chacun et de la convergence des visions et des pratiques au sein du groupement au fur et à mesure que le projet d’activité se développe et évolue. La charte définit les responsabilités de chacun et régule le fonctionnement collégial en précisant les modes d’élection ou de nomination, les règles d’entrée et de sortie du groupement ainsi que les modalités de contribution et de rétribution, par exemple sur le plan commercial. Le commissionnement de l’apport d’affaires commerciales par un membre est souvent pratiqué mais n’est pas obligatoire et en définir formellement à la fois le principe et les modalités évite tout malentendu, qui peut devenir rapidement source de conflit. De même la répartition des responsabilités vis-à-vis du personnel salarié du groupement mérite une clarification car autant un salarié ne peut pas dépendre hiérarchiquement de tous les membres du groupement, autant il doit travailler pour le projet du groupement et en aucun cas de façon exclusive pour le membre qui le manage ! Enfin, la charte prévoit les modalités d’arbitrage en cas de conflit au sein du groupement.

Figure 3

Choix de la structure juridique du groupement

Figure 3

Choix de la structure juridique du groupement

Figure 4

Matrice d’évaluation stratégique d’un groupement

Figure 4

Matrice d’évaluation stratégique d’un groupement

35Comme toute entreprise, le groupement est soumis aux aléas et aux opportunités de l’environnement. De par son origine, il est aussi concerné par tous les évènements qui affectent la vie de chacune des entreprises membres, par exemple, cession, succession, dépôt de bilan.. Nécessairement évolutif et dynamique, le groupement doit régulièrement s’interroger sur son avenir en évaluant sa position par rapport à ses deux dimensions fondatrices que sont son projet stratégique et sa gouvernance. La matrice d’évaluation stratégique [7] permet d’orienter la réflexion et de formuler les axes de changement prioritaires.

36Lorsque le projet stratégique est à la fois pertinent et porteur et lorsque la gouvernance est adaptée à la logique de l’activité, aux objectifs des partenaires et est efficace, le groupement est clairement engagé dans une phase de développement. Si au contraire projet et gouvernance affichent des faiblesses manifestes, le groupement est en danger et mieux vaut parfois acter le déclin ou envisager un rebond dans une configuration différente, notamment en termes de géométrie. Une gouvernance forte et efficace peut permettre de dépasser les difficultés rencontrées dans la réalisation du projet stratégique. Le redéploiement doit intervenir rapidement et en tout cas avant que les difficultés liées à l’activité ne provoquent tensions et conflits au sein du groupement. Malgré un projet stratégique à potentiel et bien construit, certains groupements rencontrent des difficultés de fonctionnement important. La dégradation de la gouvernance peut rapidement dégénérer en conflit et mettre en échec le projet dans son ensemble. Consolider la gouvernance en interrogeant le choix de structure, l’organisation, les règles de fonctionnement et/ou la nécessité de renforcer les ressources et les compétences dédiées au groupement.

37Exercice collectif, le pilotage d’un groupement exige de chaque membre un engagement individuel important, une forte capacité personnelle d’adaptation et de remise en cause ainsi que toutes les qualités de volonté, de persévérance et d’audace de l’entrepreneur.

Notes

  • [1]
    Ingénierie des groupements entre PME – PMI, DATA MASTER pour la DRIRE Franche-Comté en collaboration avec la DGCIS (Ministère de l’Economie, de l’Industrie et de l’Emploi), Septembre 2009.
  • [2]
    Les Stratégies d’Alliance, Editions d’Organisation, pp 264,265, (1995)
  • [3]
    Guide européen des alliances entre PME de la sous-traitance, Commission Européenne (1998)
  • [4]
    Les alliances stratégiques, Dunod, (2007)
  • [5]
    Cf. page 3
  • [6]
    Cf. page 3
  • [7]
    Cf. p2
Français

Résumé

Une étude approfondie de 25 cas de groupements de PME-PMI met en évidence leur très grande diversité, tant sur le plan des objectifs que sur celui des modalités. Cet exercice d’entrepreneuriat collectif est particulièrement exigeant pour ceux qui le mettent en œuvre.

Michel Berthelier
Michel Berthelier est professeur de management stratégique à EM Lyon Business School
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Mis en ligne sur Cairn.info le 24/11/2011
https://doi.org/10.3917/entin.009.0069
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