Les points forts
- L’entrepreneur est a priori favorable à la participation des investisseurs présents à son capital dans les décisions stratégiques.
- En même temps, il réclame toujours davantage d’indépendance et de latitude entrepreneuriale par rapport à ces partenaires investisseurs.
- Dans les jeunes sociétés innovantes, la gouvernance dans une optique de contrôle de gestion n’est pas une priorité.
1Selon la définition de l’OCDE, les biotechnologies sont « l’application des sciences et des techniques sur des organismes vivants, des parties ou des produits de ceux-ci, en vue de transformer du matériel, d’origine vivante ou non, afin de produire de nouvelles connaissances ou de développer de nouveaux produits ou procédés ». Certains cabinets d’études et de conseil comme Ernst et Young proposent une définition plus large, se référant de manière plus générale aux « applications technologiques issues des sciences de la vie ». D’autres recherches s’appuient sur une définition plus précise, centrée autour de l’ingénierie génétique ou des techniques de fermentation et de ses dérivées, en fonction du secteur et des applications qui sont envisagées.
2Au-delà de ces différences de définition, les critères retenus pour identifier les entreprises de biotechnologie sont également très variables. Nous nous intéressons ici aux Jeunes Entreprises Innovantes de Biotechnologies (JEIB). Les JEIB peuvent être définies comme des structures entrepreneuriales de petite taille (moins de 50 salariés) à très forte croissance, dont l’activité principale consiste à produire de nouveaux savoirs (scientifiques) destinés à l’industrie des sciences de la vie.
3Si la question de leur gouvernance a bien suscité l’intérêt des chercheurs [1], il est encore trop tôt pour parler d’un modèle dominant de gouvernance, encore moins d’une théorie établie. C’est précisément pour enrichir le débat autour de la question de la gouvernance dans ce type de structures que nous avons décidé d’interroger les entrepreneurs tant sur leur perception que sur leur pratique de la gouvernance.
La gouvernance des jeunes pousses de la biotechnologie
4La gouvernance dans les grandes firmes est un champ d’étude bien documenté [2]. Dans ce vaste programme, la Corporate Governance (CG) est largement centrée sur la « big firm » managériale et notamment sur les problèmes qui sont posés aux seuls apporteurs de fonds dans ce type de structure, avec un management relativement routinier dans des métiers bien établis sur des marchés bien circonscrits. Or ces modèles se révèlent de moins en moins efficaces, voire inadaptés, face à la nouvelle donne de l’innovation déchaînée et de l’hypercompétition. Ainsi des auteurs comme B. Nooteboom [3] ont préconisé, dès le début des années 1990, de dynamiser les approches dites classiques de la gouvernance. Après tout, « les organisations en savent plus que leurs contrats n’en disent [4] »
Les principaux acteurs
5• L’entrepreneur est considéré par nombre d’économistes et en premier lieu par Schumpeter comme le moteur de l’activité économique. L’entrepreneur schumpétérien est un aventurier avide de nouveauté. Il crée des richesses par l’introduction d’innovations sur le marché. Cette vision « héroïque » de l’entrepreneur n’est plus au goût du jour. Elle doit être relativisée, a fortiori dans le contexte économique et social actuel. Par exemple, dans les sociétés de biotechnologies qui nous concernent, les fondateurs ne sont pas toujours des star scientists, à l’image d’un Nicolas Negroponte. Nombre d’études menées en Europe comme aux Etats-Unis en témoignent [5]. En réalité, il n’existe pas de figure-type de l’entrepreneur dans les petites et moyennes entreprises en général, ni dans les structures de type JEIB. Selon les circonstances, il se montre tantôt schumpétérien (par son audace), kirznerien (par sa vigilance), tantôt penrosien (avec des traits cognitifs saillants).
6• Le conseil d’administration (CA) remplit dans le cadre de la gouvernance classique une fonction principalement disciplinaire. Avec les nouvelles théories cognitives, en revanche, il n’est plus question de limiter l’étude à la seule relation actionnaires-dirigeants (approche actionnariale) ou à la relation dirigeants-parties prenantes (approche partenariale). Le rôle de l’actionnaire va bien au-delà du simple rôle d’investisseur financier : il est effectivement porteur d’une collection de savoirs et de compétences qui peuvent être valorisée par les entrepreneurs, parfois d’une expertise qui peut leur conférer un avantage concurrentiel. Cette valeur ajoutée est d’autant plus déterminante pour les sociétés de type JEIB dont les ressources sont généralement réduites.
7Dans ce type de structures, les membres du CA assument des fonctions de soutien et de coordination qui peuvent aller jusqu’à l’élaboration de la stratégie avec le dirigeant. Le caractère « actif » des administrateurs dans les entreprises entrepreneuriales est mis en avant par nombre de travaux [6] : les administrateurs peuvent imposer des réunions « formelles » avec les entrepreneurs et décider de la fréquence et des sujets de ces réunions. Le conseil d’administration peut alors promouvoir des stratégies de développement et d’apprentissage organisationnel dans les entreprises grâce à des membres actifs et productifs. C’est précisément le rôle du conseil d’administration, comme le rappelle à juste titre Gérard Charreaux, que de produire des connaissances en vue d’aider les dirigeants à développer l’apprentissage organisationnel, de favoriser la coordination des schémas de pensée et de réduire les « coûts cognitifs ».
8• Le capital-investissement se décline en plusieurs formes : les sociétés de capital-risque (pour financer le démarrage de nouvelles entreprises), le capital-développement (destiné à financer le développement de l’entreprise), le capital-transmission, nommé aussi LBO (destiné à accompagner la transmission ou la cession de l’entreprise), le capital-retournement (pour aider au redressement d’une entreprise en difficulté). Les JEIB font appel à des capital-risqueurs car leurs ressources (humaines et financières) ne leur permettent pas d’assurer convenablement leur développement (notamment la phase d’amorçage, période durant laquelle l’entreprise et le dirigeant ont besoin d’aide). Le risque associé à l’activité de ces entreprises et leur implication dans des projets de recherche à long terme font qu’elles ont du mal à lever des fonds auprès des banques classiques. Tout comme les entrepreneurs, les capital-risqueurs sont considérés comme des acteurs clés de la gouvernance dans les jeunes firmes innovantes. Les JEIB font appel aux capital-investissement en raison de la présence de ce type d’acteurs considérée comme un « signal » positif pour les autres parties prenantes.
9• Les Business Angels (BA) sont des investisseurs personnes physiques qui placent leurs capitaux personnels dans des entreprises innovantes. Cela signifie qu’ils peuvent intervenir dans le management et dans la stratégie de l’entreprise. Ils suivent aussi de près les projets d’innovation et de création de valeur. Les BA sont pour la plupart d’anciens entrepreneurs dotés d’une expérience professionnelle reconnue dans leurs domaines d’investissent. De surcroît, ils sont actifs au sein des sociétés dans lesquelles ils placent leur argent. Hormis le soutien financier, les BA apportent surtout leur expérience aux sociétés de biotechnologies. Ils prodiguent des conseils aux jeunes entrepreneurs et leur offrent leurs réseaux relationnels.
10Les BA adoptent toutefois un comportement différent de celui des autres investisseurs (notamment les sociétés de capital-risque) : ils établissent un climat de confiance avec les dirigeants et apportent leur soutien sous forme de conseil, notamment lors des réunions du conseil d’administration ou de surveillance. Les BA se distinguent aussi par des préoccupations au-delà de l’aspect scientifique ou financier. Leur rôle ne se limite pas au seul contrôle disciplinaire des dirigeants. Ils doivent siéger dans le conseil d’administration. Leur entrée dans le capital des JEIB les autorise précisément à s’engager directement dans les décisions stratégiques. Cette proximité les amène d’ailleurs souvent à passer d’un simple actionnaire à de véritables conseillers-accompagnateurs. C’est ainsi que les entrepreneurs (souvent les fondateurs) voient une partie de leur pouvoir décisionnel passer entre les mains de nouveaux actionnaires, ce qui peut parfois provoquer des réactions hostiles de part et d’autre.
Prologue Biotech : une pépinière à la loupe
11Prologue Biotech est une pépinière d’entreprises dédiée aux biotechnologies (la 1ère en Midi-Pyrénées et l’une des toutes premières en France) qui a ouvert ses portes à l’automne 2002 à Labège-Innopole. Les entreprises y ont accès à un ensemble de services communs qui leur permettent de diminuer leurs investissements et leurs charges : (1) services « techniques » partagés permettant l’accès aux zones techniques communes (chambre froide, chambre chaude, pièce noire…) ; (2) services « tertiaires » partagés (accueil téléphonique, animation collective, documentation, bases de données, salles de réunion…) ; conseils personnalisés et confidentiels (aide au projets émergents, mise en relation avec les premiers partenaires, aide au montage de projets et de dossiers de financement, aide au business développement des entreprises créées, représentation en convention d’affaires pour la recherche de clients et de partenaires, mise en relation avec un réseau d’experts pour aides spécialisées, suivi du développement, aide à l’installation post-pépinière…).
12Prologue Biotech veille à conforter le savoir-faire éprouvé du Sicoval [7] en matière d’implantation et d’accompagnement d’entreprises de haute technologie. A travers l’expérience de Prologue, le Sicoval a permis en quinze ans la création et le développement de plus de 145 entreprises innovantes, qui ont généré plus de 1500 emplois et justifient d’un taux de pérennité particulièrement élevé.
13Une étude exploratoire a été réalisée auprès de cinq entreprises de biotechnologies à travers une série d’entretiens semi-directifs impliquant différents acteurs de la gouvernance (Tableau 1). Les thématiques abordées ont porté principalement sur le financement, l’implication des stakeholders dans la stratégie d’entreprise et le type de relations qui lient les entrepreneurs aux autres acteurs de gouvernance. Afin de préserver l’intégrité des réponses, l’ensemble des entretiens a été enregistré, puis entièrement retranscrit. Ces entretiens ont fait l’objet d’un codage manuel et d’une analyse. Il s’agit d’une analyse de contenu thématique, croisant analyse verticale et analyse horizontale, ce qui a permis de mettre en avant un certain nombre de points présentés ici.
Présentation des personnes rencontrées

Présentation des personnes rencontrées
Des entrepreneurs soucieux de garder le contrôle
14L’analyse des entretiens a permis d’isoler trois points clés : la volonté d’indépendance et de latitude des entrepreneurs vis-à-vis des investisseurs, la conscience des dirigeants quant à l’apport de ces investisseurs et enfin la perception de la gouvernance par les entrepreneurs comme étant un problème « secondaire ».
15Latitude entrepreneuriale. L’étude montre une claire volonté d’indépendance des entrepreneurs. Ils n’hésitent guère à affirmer leur « autorité » vis-à-vis des autres acteurs et leur intention de « garder le contrôle de l’entreprise », en limitant par exemple les levées de fonds. Cette stratégie de contrôle trouve sa place au cœur même du modèle d’affaires, expliquent les dirigeants. Certains d’entre eux vont plus loin encore en suggérant que les investisseurs sont tenus de s’aligner sur la vision stratégique de l’entreprise. L’arrivée de nouveaux investisseurs, il est vrai, peut affecter les décisions stratégiques des entrepreneurs. Ainsi, une augmentation de capital, impliquant l’entrée en jeu de nouveaux acteurs – en particulier dans le conseil d’administration – peut entraîner, le cas échéant, des ajustements plus ou moins importants dans la politique de l’entreprise.
16Les relations entre entrepreneurs et investisseurs peuvent être conflictuelles. Pour certains entrepreneurs, les capital-risqueurs se situent le plus souvent davantage du côté capital que du côté risqueurs. Pour eux, seul l’entrepreneur est un véritable risk taker (à la Schumpeter). Il s’agit alors de trouver un juste milieu, cette fois-ci le moins risqué. D’autres déplorent le fait que, bien souvent, certains compromis se font au détriment de la créativité et de l’innovation. Ils regrettent aussi le manque d’intérêt que les investisseurs peuvent parfois porter à leurs sociétés en dehors du « cash flow ». On peut comprendre que ce comportement n’incite pas forcément les dirigeants au partage. Cette méfiance s’explique aussi par des facteurs d’ordre managérial, tels que la gestion des ressources et des finances qui fait parfois défaut aux entrepreneurs. Dès lors, ils sont tenus de combler ces lacunes sous peine de perdre encore plus le contrôle.
17Les entrepreneurs appréhendent du coup l’arrivée de nouveaux investisseurs plus expérimentés de crainte d’être dépossédés de leur société : « j’ai choisi de ne pas faire appel à ces gens car je veux contrôler ma société… », témoigne ainsi un entrepreneur. Cette réserve est d’autant plus forte que les investisseurs sont impliqués dans le recrutement des cadres. Ainsi, certains dirigeants se sont montrés plutôt inquiets à l’idée que leurs salariés se demandent qui est le « vrai » patron dans la société. « C’est ma fierté qui est en jeu… », nous a confié un autre entrepreneur. Question de dignité, en somme.
Témoignage : « ces gens-là détestent le risque ! »
G.C, Entrepreneur 4 : « Pour moi je mise sur des personnes … Quand je vois un investisseur je regarde ce qu’il fait, comment il le fait et s’il va s’adapter à ma stratégie »
B.T, Entrepreneur 2 : « Néanmoins je tiens à dire que «risqueurs» ne convient pas pour qualifier ce type d’investisseurs ; tout simplement parce que ces gens-là détestent le risque (…) ; ils vous donnent l’argent et ils disent : si l’entreprise est vendue on veut être les premiers servis ; si l’entreprise fait faillite on veut être remboursés avant les autres investisseurs (…) Ils veulent des retours très élevés de leurs investissements avec un minimum de risque. Malheureusement, aujourd’hui, nous nous trouvons dans une situation où ils sont dans une position dominante, de force, ils réussissent alors à imposer leurs règles au détriment des fondateurs » (…) - « Je n’ai aucune envie qu’un jour mes salariés se demandent qui les dirigent vraiment (…) c’est quand même moi leur patron (…) »
18Les dirigeants des jeunes entreprises innovantes sont donc très soucieux de leur indépendance et se montrent par là même rétifs à toute intervention (directe) de la part des investisseurs dans la gestion de l’entreprise. Cela peut paraître paradoxal dès lors que l’on considère leur manque d’expérience en matière de management (dans le cas des entrepreneurs-scientifiques par exemple). Par ailleurs, la plupart des entrepreneurs rejettent tout contrôle disciplinaire strict, c’est-à-dire sous la forme d’une surveillance étroite de la part des autres acteurs. En revanche, ils restent favorables à la notion accompagnement et/ou conseil. D’où l’importance de la dimension « cognitive » (évoquée préalablement) notamment dans une logique d’aide à la décision. Le rôle du conseil d’administration consisterait, dans ce cas, à aider les dirigeants à enrichir leurs connaissances et compétences (managériales).
19Les relations avec les autres acteurs. En théorie, les dirigeants font appel à des investisseurs de prestige surtout pour des raisons « commerciales ». Ils espèrent de ce fait avoir accès à de nouveaux clients par le biais du réseau relationnel des nouveaux investisseurs, sinon en tirant profit de leur réputation. Le fait qu’un investisseur ou cadre ait déjà collaboré avec une entreprise ou un laboratoire prestigieux importe pour le dirigeant. Les entrepreneurs valorisent également l’expérience des investisseurs concernant les démarches institutionnelles vis-à-vis desquelles ils éprouvent des difficultés. Une expérience avec les pouvoirs publics ou un savoir-faire en matière de dépôt de brevet sont des atouts pour l’entrepreneur.
L’importance du réseau relationnel
C.D, Responsable administratif et financier : « De même le relationnel de M. Xavier et son expérience (trente années) dans le domaine des sciences (la chimie) nous ont aidés à biens démarrer notre activité. Aussi, ses connaissances avec le monde des industriels des groupes pharmaceutiques et son expérience, par exemple à déposer des brevets (de par son expérience au CNRS), nous a évité beaucoup de pièges et a été d’une grande utilité pour le fonctionnement de notre société. Tous ces atouts ont permis aussi d’éliminer toutes les barrières face à l’arrivée des sociétés de capital-risque ».
B.M, Entrepreneur 3 : « C’est important d’avoir une bonne relation avec nos investisseurs (…) mais il faut aussi qu’ils respectent nos choix stratégiques ».
20Perception de la gouvernance par les entrepreneurs. Il n’est pas étonnant que la question de la gouvernance apparaisse comme « secondaire » dans le discours des dirigeants des JEIB. Cela ne veut pas dire qu’ils en méconnaissent la nature ou l’objet. Loin s’en faut. « C’est une question de priorité », affirment-ils. Les questions les plus urgentes concernent le financement et les stratégies de développement. En réalité, les entrepreneurs sont peu préoccupés par les réunions du conseil d’administration ou de surveillance (qu’ils trouvent « superficielles »), voire inutiles. S’ils reconnaissent volontiers les mécanismes de gouvernance spontanés et non intentionnels, les entrepreneurs insistent sur une forme de « formalisation » des systèmes de gouvernance, là encore, sans grande surprise, pour des raisons de maîtrise et de contrôle au sein de la société. Comment ? Par exemple, faire porter le « projet de la gouvernance » par l’entrepreneur par le modèle d’affaires en amont (conseil) et en aval (protection). Ainsi, la promotion de la gouvernance par l’entrepreneuriat (ou par le business model) peut être un angle d’approche judicieux pour l’entrepreneur soucieux de maîtriser l’ensemble de la chaîne de valeur.
Le projet d’abord
P.B, Directeur scientifique : « (…) pour moi les séances du conseil c’est une sorte de tour de table pour échanger un peu nos avis (…) ; il y a des fois où j’ai l’impression que c’est vraiment superficiel ».
H.K, Entrepreneur 4 : « Les questions de gouvernance ça a toujours existé chez nous. Maintenant il faudra formaliser tous ça et trouver des modes de fonctionnement communs. Nous sommes entrain de le faire (…) ».
Les leçons de l’étude
21A partir des résultats de l’enquête, il est possible de faire valoir quelques enseignements à l’usage des entrepreneurs et des cadres dirigeants. Ils concernent principalement la communication et la transparence, le rôle des administrateurs indépendants et la gestion du risque.
Communication et transparence
22Les dirigeants des jeunes entreprises innovantes doivent avant tout veiller à la transparence des informations envers les autres parties prenantes (les investisseurs notamment) en vue d’assurer le financement de leurs programmes de recherche. C’est d’autant plus impératif au vu des nombreuses faillites et des scandales financiers qui ont marqué les deux dernières décennies. La gouvernance s’est voulue, dans cette perspective, un programme pour restaurer la confiance, notamment celle des investisseurs dans les marchés de capitaux. Il apparaît clairement que le financement (des stratégies de croissance et des programmes de recherche) figure au premier chef des préoccupations des dirigeants des JEIB. Ces derniers devraient précisément conjurer les conflits avec les investisseurs et apporteurs de capitaux. Pour ce faire, ils peuvent (doivent) impliquer l’ensemble des acteurs dans la gouvernance de leur société, par exemple au travers des réunions du conseil d’administration, des réunions formelles et informelles, etc.
23Le fait de tirer profit des savoirs et savoir-faire apportés par les parties prenantes devient désormais un enjeu stratégique déterminant pour les entrepreneurs. Néanmoins, ils sont tenus, en contre partie, d’accepter une limitation en termes de latitude managériale en même temps qu’une remise en question cette fois-ci en termes de pouvoir de décision.
L’apport des administrateurs indépendants
24Dans les JEIB, le conseil d’administration est composé majoritairement des dirigeants (souvent les fondateurs) et de quelques investisseurs. Il serait pertinent que l’on puisse y voir davantage de d’administrateurs indépendants (comme dans le cas des grandes entreprises). Ces derniers apporteront leurs savoirs et leur expérience aux jeunes entreprises innovantes en vue de leur conférer (ou conforter) une certaine crédibilité sur le marché, mais aussi auprès des pairs (communautés scientifiques). Rappelons à ce propos les termes du rapport de Daniel Bouton : « Un administrateur est indépendant lorsqu’il n’entretient aucune relation de quelque nature que ce soit avec la société, son groupe ou sa direction, qui puisse compromettre l’exercice de sa liberté de jugement ». Ce type d’administrateurs doit jouer un rôle actif et non faire de la figuration. D’ailleurs, les entrepreneurs eux-mêmes en sont conscients, bien qu’ils aient leurs propres préférences (voir encadré). Comme l’ont montré plusieurs études [8], les dirigeants sont généralement favorables au soutien des investisseurs indépendants dans la conception et dans le développement de leurs objectifs stratégiques. Par ailleurs, leur volonté de faire appel à des administrateurs externes montre qu’ils visent également une croissance durable. Enfin, il convient de donner la possibilité aux administrateurs indépendants de prodiguer de réels conseils, une expertise en matière de résolution de problèmes, notamment lors des réunions.
25Parallèlement, certains entrepreneurs se sont montrés favorables à l’idée de mettre en place un comité de risque dans les sociétés de biotechnologies. Ce type de comité existe déjà dans les grandes entreprises. De par la spécificité de l’environnement dans lequel évoluent les firmes innovantes, la création d’un comité de risque (incluant par exemple des scientifiques de renom) relève des pratiques de « bonne » gouvernance.
26Enfin, la gouvernance des jeunes entreprises (innovantes) ne doit pas se résumer à un impératif « esthétique », comme l’ont exprimé nombre d’entrepreneurs et de dirigeants. Les entreprises doivent, au contraire, engager une communication efficace pour convaincre les investisseurs et les apporteurs de capitaux. Pour ce faire, la transparence et la confiance sont des conditions nécessaires. Sur le plan externe, cela permet concrètement d’instaurer (ou de restaurer) un climat de confiance entre entrepreneurs et investisseurs. Un effort de part et d’autre s’impose donc. Si le dirigeant est tenu d’accepter la présence et l’implication (dans la stratégie, l’organisation et la gestion) des investisseurs, ces derniers devraient, à leur tour, respecter ses choix et opter pour la démarche la moins « agressive » (prodiguer des conseils, transférer des connaissances, partager des réseaux relationnels, etc.). Ces mesures permettront d’éviter aussi bien les conflits dits d’agence que les conflits dits cognitifs.
- Les entrepreneurs peuvent renoncer à une partie de leur latitude au nom (et au profit) de la confiance et du partage de connaissances.
- Les entrepreneurs peuvent solliciter la présence d’administrateurs indépendants dans les conseils (CA, CS, etc.) en vue de capitaliser sur leurs savoirs et leur expérience.
- Les entrepreneurs devraient envisager la mise en place d’un comité de risque en vue de conforter leur crédibilité auprès des investisseurs.
- Les entrepreneurs doivent entretenir une communication efficace et une transparente totale auprès des autres parties prenantes. La gouvernance ne doit, en aucun cas, relever d’une mode managériale à visée esthétique.
27Nous avons souhaité enrichir le débat naissant autour de la gouvernance dans les petites entreprises entrepreneuriales. Notre étude montre finalement que l’entrepreneur exige toujours davantage d’indépendance et de latitude entrepreneuriale à l’égard des investisseurs tout en restant favorable à leur participation dans les décisions stratégiques. Parallèlement, si la question de la gouvernance per se ne se pose pas vraiment dans ce type d’environnement, le discours des uns et des autres adresse des problèmes qui sont pourtant liés à la gouvernance. Enfin, la perception et la pratique de la gouvernance dans les JEIB invoque des modes de gouvernance d’ordre à la fois contractuel et cognitif. Une hypothèse qui a suscité récemment un programme de recherche stimulant dans le domaine management stratégique [9] et qui constitue pour nous une piste de développement parmi d’autres.
Notes
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[1]
Depret, M-H et Hamdouch, A. (2004), « La gouvernance des jeunes entreprises innovantes : un éclairage analytique à partir du cas des sociétés de biotechnologie », Finance Contrôle Stratégie, 7 : 2, 67-94.
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[2]
Voir par exemple, Bouton D., (2002), « Pour un meilleur gouvernement des entreprises cotées », Rapport du groupe de travail présidé par Bouton, Medef ; Shleifer A. et Vishny R. (1997), « A survey of corporate governance », Journal of Finance, 52, 737-783.En ligne
-
[3]
Nooteboom B. (1992), « Towards a dynamic theory of transactions », Journal of Evolutionary Economics, 2, 281-299.En ligne
-
[4]
Kogut, B. et Zander, U., (1996), « What Firms Do? Coordination, Identity and Learning », Organization Science, 7:5, 502-518.En ligne
-
[5]
Les travaux de Audretsch B.D. et Stephan P. (1996), « Company-scientist Locational Linkages : The Case of Biotechnology », American Economic Review, n° 86, p. 641-652 ; Catherine D. et Corolleur F. (2001), « Nouvelles entreprises de biotechnologies et géographie de l’innovation : Des fondateurs à leur business models », Revue d’Économie Régionale et Urbaine, n° 5, p. 785-808. En ligne
-
[6]
Gabrielsson, J. et Huse, M. (2002), The venture capitalist and the board of directors in SMEs: Roles and processes, Venture Capital, 4:2, 125-146.En ligne
-
[7]
La Communauté d’Agglomération du Sicoval comprend aujourd’hui 36 communes du Sud-Est toulousain associées pour élaborer et conduire, ensemble, un projet commun de développement mêlant urbain et rural. Leurs richesses sont aussi bien économiques, associatives, humaines que culturelles.
-
[8]
Daily, C. et Dalton, D. (1992), The relationship between governance structure and corporate performance in entrepreneurial firm, Journal of Business Venturing, 7:5, 375-386 ; Rosenstein, J., Bruno, A., Bygrave, W et Taylor, N. (1993), The CEO, venture capitalists, and the board, Journal of Business Venturing, 8 : 2, 99-113 ; Deakins, D., O’Neill, E. et Mileham, P. (2000), The role and influence of external directors in small, entrepreneurial companies: some evidence on VC and non-VC appointed external directors, Venture Capital, 2:2, 111-127.En ligne
-
[9]
Foss, N.J. (2007), « The emerging knowledge governance approach: challenges and characteristics », Organization, 14:1, 29-52 ; Alvarez, S. et Barney, Jay. (2007), « The Entrepreneurial Theory of the Firm », Journal of Management Studies, 44:7, 0022-2380.En ligne