CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Les points forts

  • La plupart des universités européennes ont mise en place des systèmes de soutien aux spin off issus de leurs laboratoires de recherche.
  • Ces dispositifs ont été largement calqués sur les pratiques américaines, alors même que le contexte et les objectifs diffèrent parfois radicalement.
  • Le cas des régions Lorraine et Wallonie, dont l’écosystème entrepreneurial apparaît relativement pauvre, apparaît emblématique des difficultés rencontrées.

1Dès le moment où l’entreprise se définit comme ‘le moteur de l’économie’, la recherche universitaire se doit d’être l’un de ses carburants » (CREF, 1996: 6) [1].

2Cette phrase caractérise la prise de conscience qui s’est opérée ces quinze dernières années au niveau des institutions universitaires. Ces dernières se préoccupent désormais davantage de leur intégration dans l’environnement socio-économique et des nouvelles attentes dont elles font l’objet. A l’origine de cette remise en question (de cette évolution), il y a tout d’abord un contexte budgétaire catastrophique qui a poussé naturellement les entités universitaires à trouver un levier de financement alternatif, comme la valorisation des connaissances produites en leur seing. Au-delà de cette nécessité financière, la volonté d’alimenter le moteur économique s’inscrit dans une perspective historique au cours de laquelle les institutions universitaires se sont progressivement ouvertes au monde des affaires.

3Cette politique de valorisation peut prendre deux formes principales. La première porte sur l’encouragement des collaborations industrie-université au travers de relations contractuelles, de partenariats et de l’octroi de licences et brevets. La seconde vise la création d’entreprises nouvelles, appelées spin-offs universitaires. Il s’agit d’entreprises créées à partir d’une université aux fins d’exploiter des connaissances qui y ont été développées par le biais d’activités commerciales.

4Motivées par une volonté d’ouverture et d’insertion dans leur environnement économique proche, les universités ont été amenées à prendre des dispositions spécifiques de manière à stimuler les vocations entrepreneuriales de leurs chercheurs et à soutenir activement la création de spin-offs universitaires.

5Début 2000, les politiques d’essaimage universitaire étaient encore considérées comme des phénomènes émergents manquant singulièrement de visibilité et de consistance. Dans le contexte français, la loi sur l’innovation du 12 juillet 1999 marque sans doute le point de départ de la mise en œuvre. Son promoteur, Claude Allègre, dans son discours à l’Assemblée nationale le 3 juin 1999, affirme alors que l’apport des travaux de la recherche publique est de plus en plus fondamental pour le dynamisme de l’économie.

6Les universités européennes n’avaient pas encore une vision claire et précise des exigences et implications qu’une telle politique pourrait avoir sur leurs institutions respectives. Elles ne disposaient d’aucune référence pour les aider dans leur démarche, ni d’aucun repère pour les orienter dans leur réflexion et, à l’évidence, nombre d’entre elles ont été prises au dépourvu dès lors qu’il s’est agi de passer de l’intention à l’action.

7Étant dans l’expectative quant à la manière d’initier et d’opérationnaliser une politique d’essaimage en leur sein, la plupart des universités européennes se sont donc tournées vers les institutions pionnières en la matière (Boston, Stanford, etc.) afin d’y trouver sinon un modèle à copier tel quel, à tout le moins une source d’inspiration, voire une référence.

8Eu égard aux nombreuses retombées positives pour l’économie, les pouvoirs publics ont, en collaboration avec les universités, mis en place des dispositifs d’essaimage visant à soutenir plus particulièrement les spin-offs universitaires « à fort potentiel ». Dix ans plus tard, on observe que les acteurs qui avaient été initialement mis en place pour soutenir les spin-offs à fort potentiel de croissance inscrivent désormais leurs actions dans une perspective de redéploiement économique régional. Leur portefeuille de dossiers comprend à la fois des projets à fort potentiel (projet d’innovation) mais également des projets qui en ont moins (projet innovant). En conséquence, on constate une sorte de nivellement par le bas où les quelques (rares) projets à très fort potentiel ne reçoivent pas toujours toute l’attention qu’ils mériteraient d’avoir tandis que les projets à moindre potentiel reçoivent quant à eux peut-être trop d’attention eu égard à leur (très) faible potentiel. S’inscrivant dans cette perspective, nous posons donc la question des espoirs suscités autour de ces dispositifs de valorisation par spin-off avec en toile de fond une mise en évidence d’un possible décalage entre le discours idéaliste tenu par les autorités (politiques, universitaires, etc.) et la réalité concrète mise en œuvre sur le terrain par les acteurs tant en France qu’en Belgique.

Le potentiel universitaire des régions Lorraine et Wallonie

9Les pouvoirs publics ont décidé d’engager une action forte pour encourager l’appui à la création d’activités nouvelles au départ de l’université compte tenu d’un véritable potentiel universitaire (Cf. Tableau 1).

Tableau 1

Situation démographique et universitaire des régions lorraine et wallonne en 2008

Tableau 1
Région lorraine Région wallonne Superficie (km²) 23 547 16 822 Population (millions d’hab.) 2,4 3,4 Nombre d’universités 4 9 Nombre d’étudiants universitaires 66 000 69 723

Situation démographique et universitaire des régions lorraine et wallonne en 2008

10En revanche, si nous avons pu suivre l’évolution de la dynamique de valorisation par spin-off dans ces régions, c’est principalement en raison de notre immersion au plus près du terrain et ce, pendant plusieurs années (Encadré 1).

Dispositifs régionaux de valorisation par spin-off : un approfondissement possible à partir de publications académiques[2]

BARES F., FOURNIER M. et KUHN A. (2002), « Eléments sur la politique publique de soutien à la création d’entreprise : le cas de l’agglomération nancéienne », Contrat de recherche G.R.E.F.I.G.E.
BARES F. (2007), Contribution à la connaissance du processus entrepreneurial au départ de l’Université. Etude des représentations au travers des discours de créateurs et acteurs locaux du développement territorial, Thèse de doctorat en Sciences de Gestion, Université de Nancy 2.
PIRNAY F. (2001), La valorisation économique des résultats de recherche universitaires par création d’activités nouvelles (spin-offs universitaires) : proposition d’un cadre procédural d’essaimage, Thèse de doctorat en Sciences de Gestion, Université de Lille.
PIRNAY F., SURLEMONT B., DEGROOF J.J. (2006), Les déterminants de la croissance des spin-offs universitaires, Contrat de recherche HEC-ULg.

11Cette proximité entre le chercheur et son terrain d’étude est d’autant plus importante qu’il s’agit ici de rappeler une situation sur Nancy et Liège imposant le suivi de dispositifs de soutien en phase d’émergence puis de construction.

12L’étude du fonctionnement de ces deux dispositifs laisse apparaître quatre constats principaux. Cette partie vise à les présenter et à montrer en quoi ils peuvent induire des effets pervers en raison de spécificités propres à l’innovation comme par exemple sa temporalité et son irréversibilité.

Premier constat : une confusion sémantique

13Il y a souvent une confusion, un amalgame entre les concepts de spin-off, de start-up et de gazelle. Le concept de « spin-off » renvoie à des projets dont l’origine (universitaire ou industrielle) est clairement établie, indépendamment de leur potentiel de croissance ; le concept de « start-up » renvoie à des projets entrepreneuriaux avec des ambitions de croissance clairement établies, indépendamment de leur origine ; le concept de « gazelles » renvoie à des entreprises ayant réellement connu une période de forte croissance, indépendamment de leur origine et de leur potentiel de croissance.

14Si une spin-off exhibe un potentiel de croissance et une volonté de l’exploiter, elle est assimilée à une start-up; si une start-up concrétise ses ambitions de croissance, elle est assimilée à une gazelle. Cela étant, il convient toutefois de rappeler que les spin-offs ne sont pas toutes des start-ups et que les start-ups ne deviennent pas toutes des gazelles. A cet égard, il semble bien que certaines autorités n’aient pas pris conscience de cette distinction et aient fait l’amalgame « spin-off = start-up = gazelle »

Deuxième constat : la non prise en compte des contigences contextuelles

15Il importe de rappeler qu’à la fin des années 90, les autorités universitaires de nos deux régions ne disposaient d’aucune institution faisant référence en matière de politique d’essaimage réussie dans leur environnement proche. Par conséquent, elles ont adopté une démarche qu’il est possible de qualifier de benchmarking international afin d’identifier des bonnes pratiques et de les adapter au sein de leur propre institution.

16Or, les conditions dans lesquelles ces politiques ont été initiées avec succès dans certaines régions ne sont à quelques rares exceptions près jamais rencontrées dans nos deux régions. Les contextes sont différents (tant au niveau culturel que structurel) :

  1. La présence d’un écosystème entrepreneurial riche. Il existe autour de ces universités une multitude d’acteurs spécialisés (cabinets de conseils, consultants, financiers, VC, entrepreneurs expérimentés, business angels, etc.) qui collectivement constituent une offre de services couvrant une large palette de besoins rencontrés dans tout projet entrepreneurial, quel qu’en soit le potentiel ; il y a donc un vivier de prestataires de services fonctionnant selon une logique de marché (les acteurs sont en concurrence, les acteurs ont la liberté de choisir avec qui ils souhaitent entrer en relation ; il y a négociation sur les termes de leur relation (prix, délais, nature des prestations, rencontre entre offre et demande, etc.))
  2. Un deal flow quantitativement plus important et qualitativement plus diversifié. Les masses critiques de certaines universités américaines font en sorte qu’elles sont en mesure d’identifier au sein de leurs labos un grand nombre de projets de valorisation dont elles peuvent décider de n’en soutenir que quelques-uns, les autres étant pris en charge par l’écosystème.
  3. Culturellement, il y a une plus grande empathie et une meilleure compréhension de ce que le modèle d’entreprises de type start-up recouvre et surtout de ce que ce modèle implique au niveau de la manière dont il faut s’en occuper au niveau de l’opportunité, de l’équipe et des ressources.
En revanche, dans nos universités européennes « régionales » (e.g. Nancy et Liège), que constate-t-on ? D’abord que l’écosystème entrepreneurial est assez pauvre ; ensuite que les masses critiques ne sont pas assez importantes ; que culturellement, le modèle dominant est celui de la PME traditionnelle et que très peu de gens sont familiers avec le modèle de la start-up. Ce manque de prise en compte des différences de contexte va induire que la mise en œuvre des dispositifs en région wallonne et lorraine repose sur deux principes de fonctionnement (principe de territorialité et principe d’égalité de traitement) qui auront chacun des effets pervers.

Troisième constat : le principe de territorialité

17Le principe de territorialité postule qu’il faut que les acteurs d’un dispositif soient tous localisés géographiquement à proximité des projets qu’ils sont censés soutenir.

18On a ainsi assisté à la mise en place de dispositifs de valorisation autour de chaque université, indépendamment de considérations liées à la masse critique ou au potentiel de recherches à valoriser. Le seul critère de sélection était le fait qu’il y ait une volonté exprimée de la part des autorités universitaires à mettre en place en leur sein un dispositif de valorisation. Dans le contexte euphorisant de la fin du 20ème siècle (nouvelle économie, économie de la connaissance, etc.), aucun Président ou Recteur d’université n’aurait en effet été assez capable (honnête) de s’opposer à la mise en place au sein de son institution d’un dispositif spécifique dédié à la valorisation des résultats de recherches en prétextant ne pas disposer de suffisamment de résultats de recherches à valoriser.

19C’est ainsi donc que l’on vit fleurir autant de dispositifs qu’il n’y avait d’universités, chacune disposant de sa propre cellule de prospection interne (il faut en effet détecter les projets les plus prometteurs) ; de son propre service de propriété intellectuelle (il faut en effet protéger les technologies les plus prometteuses) ; de son propre service de coaching (il faut en effet accompagner les projets de manière à ce qu’ils puissent mûrir technologiquement et commercialement), de son propre outil de financement (il faut en effet doter les jeunes spin-offs ainsi créées de moyens financiers leur permettant soit de terminer leur phase de développement technico-commercial, soit de démarrer leurs activités industrielles et commerciales) ; de ses propres structures d’hébergement (il faut en effet que ces jeunes spin-offs puissent démarrer leurs activités dans les meilleures conditions matérielles), etc.

20Sous l’impulsion de subventions publiques, les universités se sont dotées d’outils et d’organismes figurant dans les dispositifs de valorisation mis en place dans les universités pionnières qui avaient connu le succès, avec pour mission de soutenir la création de spin-offs universitaires en général, et les projets de type start-up en particulier.

21Or, comme évoqué précédemment, nos deux régions sont dans un écosystème entrepreneurial pauvre, tant culturellement que structurellement :

  • culturellement, très peu de gens sont familiers avec le modèle de la start-up. En effet, Nancy et Liège se situent au cœur de régions où se sont développées des industries lourdes (industries du fer, de l’acier, du textile, etc.). La création d’entreprises a donc longtemps été freinée par la présence de grands groupes et ce, malgré de profondes mutations et un réel besoin de redynamisation des territoires. A cela, il importe encore d’ajouter que ces régions souffrent, au regard d’autres métropoles, d’un déficit de services supérieurs, s’expliquant principalement par ce tissu productif dominé par des activités à faible valeur ajoutée et contrôlé par de grands groupes consommant des services hors région.
  • structurellement, l’expertise requise pour accompagner ce type de projets (start-up) et répondre à leurs spécificités n’est pas disponible sous la forme d’un marché de prestataires de services organisés. Il y a bien sûr des experts, mais ils sont éparpillés et travaillent pour le compte d’entreprises déjà établies qui ont les moyens de se payer leurs services.
Le tableau 2 ci-dessous montre en quoi le modèle de la TPE/PME se différencie de celui de la start-up sur plusieurs éléments (liste non exhaustive).

Tableau 2

Modèle TPE/PME vs Modèle Start-up

Tableau 2
CARACTERISTIQUES TPE/PME START-UP porteur de projet Individu Équipe motivation Créer son propre emploi Réaliser une plus-value financière objectifs Pérennité & rentabilité Croissance & sortie actionnariat Stable avec peu de changements Ouvert avec des entrées et des sorties conseil d’administration Fermé (comprenant uniquement des représentants des actionnaires) Ouvert à d’autres personnes que les représentants des actionnaires équipe de direction Généraliste (polyvalente) Expertise professionnelle (profils complémentaires pointus) gestion Centralisée/paternaliste Par délégation et par objectifs stratégie émergente et peu formalisée délibérée et formalisée trajectoire progression linéaire progression décousue (par paliers) marché national international export pays géographiquement les plus proches pays commercialement les plus porteurs développement orienté produits orienté clients

Modèle TPE/PME vs Modèle Start-up

22Pour pallier les carences du marché (« market failures »), les pouvoirs publics ont été contraint tantôt à s’appuyer sur certains acteurs déjà existants (invests, interfaces, etc.) qui ont vu le périmètre de leur mission s’étendre au soutien à la création de spin-offs, tantôt à mettre en place de nouveaux acteurs dont la mission ne pouvait être confiée à un opérateur existant (incubateurs, coaching, etc.).

23L’application de ce principe de territorialité a conduit à une multiplication du nombre d’acteurs ; à un morcellement des ressources publiques et à l’absence de masse critique au niveau des acteurs de soutien. Même si par la suite, ces différents acteurs se sont rassemblés au sein de fédérations et d’associations, ce n’est pas tant pour mettre en commun leurs ressources et redéfinir le périmètre de leur attribution que pour se réunir entre eux, échanger leurs bonnes pratiques respectives, garantir la pérennité de leur source de financement et partant assurer leur propre existence individuelle.

Quatrième constat : le principe de soutien égalitaire

24Ce principe postule que la croissance est un objectif (une finalité, un attribut) qui ne peut se révéler/se concrétiser qu’ex post (une fois que l’entreprise a été créée) et qu’il est illusoire de vouloir établir ex ante une sélection entre « projets à fort potentiel » et « projets à moindre potentiel ». Sous le prétexte qu’il n’y a aucun critère fiable permettant d’apprécier ex ante le potentiel d’un projet de spin-off, les dispositifs estiment que tous les projets méritent d’être soutenus, et ce quel que soit leur potentiel de croissance.

25Ainsi, les dispositifs d’aide aux spin-offs ne tiennent pas assez compte du potentiel de croissance des projets qu’ils sont censés aider. Ils considèrent que les problématiques rencontrées dans les processus d’innovation et de création entrepreneuriale sont universelles et utilisent des méthodes (outils, techniques, routines, procédures, etc.) qui ne sont pas toujours bien adaptées au potentiel des projets qu’ils sont censés aider.

26Le principe de soutien égalitaire consiste par conséquent à placer un grand nombre de projets au début du dispositif, à leur proposer un soutien « standardisé » de type « généraliste » et à attendre que les meilleurs projets émergents sous l’effet d’un processus de sélection naturelle (Darwin).

27Cette logique présente certains avantages : elle est équitable (au départ, tous les projets sont mis sur un même pied d’égalité, ce qui évacue la question de la sélectivité), elle est uniforme (tous les projets bénéficient du même dispositif de soutien, ce qui évacue la question du traitement différencié), elle est implémentable au niveau local (ce qui justifie que chaque université dispose localement de son propre dispositif).

28Cette logique présente toutefois quelques effets pervers, dont les deux principaux sont qu’elle incite à la quantité au détriment de la qualité des spin-offs (=> faible sélectivité) et qu’elle n’offre pas de soutien spécifique à certains projets à fort potentiel (=> soutien indifférencié et inadapté aux projets s’inscrivant dans une véritable logique de start-up, ce qui bride les performances de ces jeunes spin-offs).

Faible sélectivité

29Les dispositifs incitent à la quantité au détriment de la qualité des spin-offs. Confiné à une université, leur périmètre d’action est trop étroit pour leur permettre d’identifier un nombre suffisant de projets à haut potentiel, ce qui induit dans le chef des acteurs en place une propension à accepter d’accompagner tous les projets qui leur sont soumis, indépendamment de leur potentiel.

30Les acteurs se rabattent sur des projets à moindre potentiel (business plus traditionnel se rapprochant de ce qu’ils connaissent bien : le modèle TPE/PME).

31Ces acteurs qui avaient été initialement mis en place pour soutenir les spin-offs à fort potentiel de croissance inscrivent désormais leurs actions dans une perspective de redéploiement économique régional. Leur portefeuille de dossiers comprend à la fois des projets à fort potentiel (projet d’innovation) mais également des projets qui en ont moins (projet innovant).

32Ce faisant, ils renforcent leur légitimité dans le dispositif local en communiquant qu’ils se sont occupés de X dossiers par an et qu’ils ont contribué à la création de Y spin-offs, mais en omettant de parler des (faibles) performances affichées par ces dernières.

Soutien inadapté

33Le principe darwinien (consistant à mettre tous les projets sur un pied d’égalité et à attendre que les meilleurs projets sortent de la mêlée) n’est pas efficient dans la mesure où certains projets à fort potentiel n’ont pas bénéficié de toute l’attention qu’ils auraient du/pu recevoir tandis que d’autres projets ont reçu trop de soutien, eu égard à leur potentiel.

34Cela a pour conséquence d’empêcher les projets les plus prometteurs non pas de sortir de la mêlée (la plupart y arriveront toujours eu égard à leur potentiel intrinsèque), mais cela les empêche de se mettre en position d’exploiter pleinement leur potentiel dès les premières phases du processus de valorisation. Le soutien initial n’étant pas optimal, cela requiert des arbitrages en termes d’allocation des ressources limitées, ce qui peut provoquer lenteur et retard par rapport à un timing idéal [3].

35En conséquence, on constate une sorte de nivellement par le bas où les quelques (rares) projets à très fort potentiel ne reçoivent pas toujours toute l’attention qu’ils mériteraient d’avoir tandis que les projets à moindre potentiel reçoivent quant à eux peut-être trop d’attention eu égard à leur (très) faible potentiel.

36Nos résultats attestent ainsi qu’il y a une ambiguïté (voire un décalage) entre les intentions et les faits, entre le type de projets qu’ils souhaiteraient soutenir et le type de projets qu’ils soutiennent effectivement. Il n’y a rien de répréhensible si ce n’est que le discours tenu par certains acteurs en place devrait être explicite quant aux types de projets qu’ils soutiennent et aux objectifs qu’ils entendent poursuivre.

37Ce décalage entre ce qui était initialement souhaité et ce qui est actuellement réalisé doit être corrigé dans la mesure où il donne l’illusion que les dispositifs en place sont capables de soutenir des projets à fort potentiel alors qu’ils n’en ont ni la possibilité (confinés à une université, leur périmètre d’action est trop étroit pour leur permettre d’identifier un nombre suffisant de projets à haut potentiel), ni la capacité (ils n’ont pas d’empathie avec ce que le modèle de la start-up implique), ni le réseau (ils entretiennent peu de contacts avec des acteurs spécialisés disposant de relais/expertise pointues dont leurs start-up pourraient bénéficier pour trouver des sources de financement, pour recruter des managers expérimentés, pour établir des partenariats commerciaux avec des entreprises étrangères, etc.).

38Nous ne sommes pas les seuls à conclure que les dispositifs mis en place actuellement ne sont ni efficaces, ni efficients et plusieurs recherches récentes menées en Europe en attestent (Voir encadré 2).

Encadré 2. Les travaux européen : principales références retenues

En Italie :
COLOMBO M., WRIGHT M., MUSTAR P. (2010), « Dynamics of Science-based entrepreneurship », Journal of Technology Transfer (35), 1–15.
Aux Pays-Bas :
Van GEENHUIZEN M., SOETANTO D.P. (2009), « Academic spin-offs at different ages: A case study in search of key obstacles to growth », Technovation, doi:10.1016/j.technovation.2009.05.009.
Aux Royaume-Uni et en France :
WRIGHT M., MUSTAR P. (2010), « Convergence or path dependency in policies to foster the creation of university spin-off firms? A comparison of France and the United Kingdom », Journal of Technology Transfer (35), 42–65.

39Au final, toutes ces études estiment qu’il faut revoir au plus vite la manière dont ces dispositifs sont configurés (en termes d’objectifs, de type de projets, de ressources, etc.).

Des pistes pour réformer les dispositifs existants

40Nous proposons quelques pistes pouvant être envisagées pour remédier aux décalages et effets pervers évoqués plus haut.

Différencier le soutien en fonction du potentiel des projets

41Il convient d’abolir le principe d’égalité de soutien des projets et de reconnaître que derrière le concept de « spin-off » se cache une hétérogénéité de projets dont quelques-uns -une poignée- s’inscrivent dans une logique de start-up et requièrent une attention particulière eu égard aux besoins spécifiques liés à leur fort potentiel de croissance. Or, la plupart des dispositifs existants (financement, aides, accompagnement, etc..) se concentrent essentiellement sur la phase de création des spin-offs. Il n’existe aucun dispositif qui soit spécifiquement réservé pour profiler des jeunes spin-offs vers une forte croissance, avec tout ce que cela implique comme soutien et accompagnement spécifique. Certes, le potentiel de croissance d’un projet n’est pas aisément identifiable ex ante, mais est-ce un argument suffisant pour traiter tous les projets de la même manière et leur proposer les mêmes mécanismes d’aides et de soutien, indépendamment de leur potentiel ? Nous ne le pensons pas.

Elever la masse critique

42Individuellement, chaque université ne dispose pas de la masse critique de recherche suffisante pour pouvoir générer des projets à fort potentiel en nombre suffisant. Il convient d’abolir le principe de territorialité et faire éclater les frontières délimitant géographiquement la zone d’intervention de chaque acteur spécifique.

43Force est toutefois de constater que l’on ne peut mettre en œuvre une politique de soutien de la croissance qu’au niveau régional et non plus au niveau des universités prises isolément. Certes les dispositifs qui pourraient être mis en œuvre ne doivent évidemment pas se limiter aux spin-offs universitaires car ils sont également pertinents pour toute entreprise à fort potentiel de croissance, mais les masses critiques minimales imposent de situer la réflexion au niveau, au minimum, régional. De même, il serait irrationnel de mettre en place, au niveau de chaque université, de tels dispositifs. Soulignons que ce diagnostic ne remet, en aucune manière, en cause les dispositifs actuels, qui ont leur raison d’être pour soutenir la création des spin-offs et suivre la grande majorité des spin-offs qui n’ont pas nécessairement une ambition de croissance exceptionnelle. Ces entreprises ont, en effet, des profils beaucoup plus proches des PME traditionnelles qui constituent l’essentiel du tissu économique de nos régions et le « core business » des agences locales de développement.

Agir sur la culture

44Faire comprendre aux acteurs de l’écosystème ce que le modèle de la start-up implique et en quoi il se distingue du modèle de la PME traditionnelle, sans toutefois dénigrer celui-ci, est fondamental. Il convient d’ajouter à cela que nous vivons dans des régions de la culture du « vivons heureux, vivons cachés ». Cela signifie que les « role models » sont souvent très frileux lorsqu’il s’agit d’évoquer leur réussite, d’expliquer comment et pourquoi ils sont parvenus à rencontrer le succès,… Dans de telles conditions, en l’absence de repères et dans une culture où la réussite reste trop souvent perçue comme suspecte, il n’est pas surprenant que les entrepreneurs qui pilotent les spin-offs et les conseillers qui les accompagnent n’aient que très peu de références pour se projeter sur les voies qu’il conviendrait d’emprunter pour prétendre à une forte croissance. Une fois encore le problème n’est pas propre à notre région. C’est un mal européen. Est-ce finalement un hasard si de nombreuses success stories européennes telles que Logitech ou Business Object ont été fondées par des entrepreneurs qui ont vécu dans la Silicon Valley ?

Difficultés et résistances au changement

45Cela fait maintenant dix ans que les premières mesures ont été initiées en France et en Belgique, que l’on a mis en place une série de nouveaux acteurs autour de chaque université. Certes, ces acteurs ont connu un démarrage assez lent de leurs activités, notamment en raison du manque de référence et de modèle locaux. Chaque acteur a dû trouver sa place sur l’échiquier et se forger une légitimité au sein du dispositif. Pour ce faire, ils ont construit leurs propres modèles d’affaires (business model) à la fois en s’inspirant de ce que d’autres acteurs avaient mis en place avant eux (apprentissage par observation : benchmarking) et en se confrontant aux porteur de projets qui s’adressaient à eux et auxquels ils devaient apporter une réponse la mieux adaptée à leurs besoins (apprentissage par l’action directe sur le terrain). Cette démarche, nécessairement itérative, a pris un certain temps avant que chaque acteur ne soit véritablement opérationnel. Ceux qui sont toujours en place dix ans plus tard sont ceux qui ont trouvé le moyen de pérenniser leur activité par le biais de financements publics récurrents (subsides, …) et/ou par le biais d’activités commerciales effectuées pour le compte de clients qui les payent pour les prestations effectuées. Avec le temps, ces acteurs font désormais partie d’un dispositif qui fonctionne comme un système au sein duquel chacun a son rôle à jouer.

46Il est difficile de remettre en cause un système établi, de bousculer les habitudes prises par les acteurs de terrain, de leur faire comprendre que dans sa configuration actuelle le système n’est pas calibré et qu’il ne donne pas les résultats attendus, de faire en sorte qu’ils acceptent de redéfinir leur mission, leur rôle et leur territoire d’intervention dans la configuration actuelle. Bref, il faut s’attendre à de fortes résistances au changement de la part des acteurs en place.

47Ces résistances ne pourront être levées que si les autorités politiques ont une vision claire du nouveau dispositif, une série d’arguments solides pour justifier les adaptations liées à ce nouveau dispositif et une volonté ferme de le mettre en œuvre dans des délais courts…

48Il n’est pas encore trop tard pour réformer nos dispositifs en douceur… mais plus le temps passe, plus la réforme se fera dans la douleur. Alors, autant s’y mettre dès maintenant !

Notes

  • [1]
    Le CREF est un organisme (Conseil des Recteurs des universités Francophones de Belgique) qui publie régulièrement des avis et des notes d’analyses sur des sujets touchant aux universités. www.cref.be
  • [2]
    Pour éviter d’alourdir inutilement l’article avec des considérations particulières à l’une ou l’autre des deux régions étudiées, nous avons pris le parti de ne pas présenter de façon détaillée ces dispositifs de valorisation régionaux et de renvoyer le lecteur intéressé à nos précédents travaux.
  • [3]
    À cet égard, la littérature sur les projets à fort potentiel (start-up) révèle que ces projets s’inscrivent dans des logiques temporelles qui leurs sont propres et qu’ils peuvent être confrontés très précocement à des phénomènes d’irréversibilité.
Français

Résumé

La mise en place de politiques d’essaimage à partir des laboratoires de recherche universitaire a suscité beaucoup d’espoir en Europe. Une analyse approfondie des pratiques des régions Lorraine et Wallonie en la matière montre que la non prise en compte de l’écosytème entrepreneurial, le décalage entre les intentions et les actes ou le peu de sélectivité des processus ont produit des résultats décevants.

Mots-clés

  • spin-off universitaire
  • innovation
  • accompagnement
  • politiques publiques de soutien
Franck Barès
Franck Barès est responsable du Département Stratégie et Entrepreneuriat d’ICN Business School
Fabrice Pirnay
Fabrice Pirnay, est professeur associé au département management de HEC-ULg Management School (Université de Liège)
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 24/11/2011
https://doi.org/10.3917/entin.009.0029
Pour citer cet article
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