1Psychanalyste anglais, John Bowlby a développé, à partir de ses travaux auprès des enfants séparés de leurs parents, un nouveau paradigme de compréhension du développement précoce avec la théorie de l’attachement. Il avait à cœur de développer sa théorie dans une approche psycho-dynamique en intégrant les découvertes de ses contemporains dans des domaines aussi vastes que l’éthologie ou la cybernétique tout en gardant toujours une démarche scientifique. Si le premier article qu’il a signé utilisant le terme d’attachement date de 1958, cette théorie n’a été reconnue que bien plus tard en France malgré les travaux communs entrepris après la guerre de 1939-1945 avec Jenny Aubry, Myriam David et Geneviève Appell.
2Nicole et Antoine Guédeney, tous deux pédopsychiatres à Paris ont grandement contribué à faire connaître les apports de cette théorie en France en initiant le premier Diplôme Universitaire sur l’attachement à l’Université Paris Diderot-Paris 7 à partir de 2003 et en coordonnant l’ouvrage de référence sur cette théorie publié chez Masson, plusieurs fois mis à jour et dont la prochaine édition est prévue pour début 2016.
3C’est maintenant un outil conceptuel dont s’emparent les professionnels de l’enfance car il se révèle particulièrement pertinent pour comprendre les enjeux des relations interpersonnelles et la place des adultes dans le développement de l’enfant. L’expérience éprouvée par l’enfant de la disponibilité d’une figure d’attachement (le ou les parents le plus souvent) et de la réponse qui lui est donnée lorsqu’il est en détresse contribue à lui permettre de se rassurer en retrouvant un sentiment de sécurité interne. Selon la qualité de ces expériences interpersonnelles précoces, il intègre des modes de relations plus ou moins sécures que Mary Ainsworth (1978) a décrit avec la situation étrange. Le style d’attachement de l’enfant, reflet de l’intériorisation de ces expériences relationnelles (sécure ou insécure) déjà évaluable à 12 mois, contribue alors au développement de représentations de soi et d’autrui de plus en plus élaborées avec l’âge, ce sont les modèles internes opérants. Mais ces représentations, si elles sont finalement assez stables au cours de la vie, peuvent aussi évoluer en fonction d’événements de vie et de nouvelles rencontres.
4Après une présentation des concepts-clés de la théorie et de son historique, nous évoquerons la façon dont, à chaque période du développement de l’enfant, la question de l’attachement est sollicitée et se réaménage. Nous aborderons également la façon dont le sujet va investir les différents environnements dans lesquels il évolue en fonction de ses représentations d’attachement à tous les âges de la vie.
5Anne-Sophie Barbey-Mintz et Romain Dugravier, pédopsychiatres, présentent la théorie de l’attachement développée par John Bowlby (1969) qui modélise la dynamique des relations interpersonnelles. Bowlby considérait que l’attachement est un système motivationnel parmi d’autres, comme le sont aussi le système exploratoire et le système de caregiving. Le jeune enfant dispose de comportements innés d’attachement qui doivent lui permettre d’obtenir la proximité avec sa figure d’attachement lorsqu’il est en état d’alarme ou de détresse. Ces expériences interpersonnelles répétées de réponse par sa figure d’attachement principale et ses figures d’attachement alternatives à ses demandes de réconfort lui permettent d’élaborer son modèle interne opérant en construisant ses représentations de soi et des autres. Ces patterns sont importants en clinique car les styles d’attachement sécures ou insécures constituent des facteurs de risque ou de protection psychologiques face aux défis du développement et parfois à l’adversité.
6Un des premiers univers sociaux que va investir l’enfant est celui de l’école maternelle. En France, l’école maternelle a la fonction de séparer le jeune enfant de sa famille pour lui permettre d’accéder aux savoirs scolaires. Ève Leleu-Galland, inspectrice de l’Éducation nationale, mettra en perspective ce moment d’autonomisation de l’enfant qui ne peut se faire sans des liens et des échanges concrets avec les parents. Il doit être mis en œuvre par les enseignants avec un certain nombre de stratégies qui permettront à l’enfant de vivre en toute sécurité ce moment d’accession à son statut d’élève. Cette première expérience de scolarisation conditionne un parcours scolaire de qualité pour l’enfant.
7Anne-Sophie Barbey-Mintz, pédopsychiatre, propose une approche de la vie scolaire à l’école élémentaire comme activant le système d’attachement des enfants. Ces derniers expriment alors leurs besoins d’attachement et les adultes doivent les comprendre et y répondre pour permettre à l’enfant d’explorer l’univers scolaire en toute sécurité (émotionnelle). En ce sens, on considérera que l’enseignant constitue une figure d’attachement alternative investie donc en fonction des premières expériences d’attachement de l’enfant.C’est ainsi que l’attachement s’invite à l’école et influence l’adaptation des enfants à ce milieu de vie.
8Frédéric Atger, pédopsychiatre, aborde la période de l’adolescence qui se caractérise par des transformations corporelles et relationnelles (dont l’autonomisation progressive) non dénuées d’enjeu du point de vue de l’attachement. Un attachement insécure, s’il ne représente pas un trouble psychopathologique en soi, peut constituer un facteur de vulnérabilité qui va favoriser le développement de troubles à cet âge. Les liens entre psychopathologie et attachement insécure à l’adolescence sont évoqués à partir d’une situation clinique, ainsi que des réflexions sur les implications thérapeutiques.
9Les divorces sont fréquents dans notre société contemporaine et ce, avec des enfants de plus en plus jeunes. Nombre d’entre ces parents consultent un psychologue afin d’aider leurs enfants à vivre au mieux leur séparation. Catherine Rabouam, psychologue, rappelle que ces situations suscitent toujours des émotions fortes chez chacun des protagonistes, professionnels compris. La théorie de l’attachement donne un éclairage intéressant pour aider à la compréhension de ce qui se joue et favoriser la prise en charge lors de ces situations de vie difficiles pour les familles.
10Dans un entretien avec Anne Tardy, juge des enfants, Martine de Maximy et Romain Dugravier, la question des aides éducatives (aed, aemo) et des placements est examinée avec la grille de lecture des styles d’attachements au regard des besoins spécifiques des enfants et adolescents à des moments particuliers de leur vie ainsi que de celle de leur famille.
11Liliane Daumas, chef du service Mode d’accueil familial au Conseil général du Vaucluse, présente la théorie de l’attachement comme un cadre utile pour réfléchir à la pratique du travail en accueil familial. Par la définition des dimensions d’un « caregiving » thérapeutique et des effets des systèmes de représentations de l’attachement chez l’adulte, elle postule que cela permet d’affiner ce qui doit être recherché lors du recrutement des familles d’accueil. Elle aborde également les déclinaisons d’un accompagnement professionnel des assistants familiaux, informé par cette théorie, autour d’une formation et d’un soutien ciblés. Enfin les modalités d’intervention des équipes ont été interrogées en intégrant l’idée qu’une partie de leurs missions est d’offrir une base de sécurité aux familles d’accueil.
12Bénédicte Boyer-Vidal et Susana Tereno, psychologues, postulent que la théorie de l’attachement offre un cadre théorique pour orienter les pratiques des acteurs de la protection de l’enfance. Elles illustrent cette perspective en s’appuyant sur l’expérience professionnelle de l’une d’elles en Maison d’enfants à caractère social. Le rôle de chaque professionnel est ici conçu comme celui d’un caregiver qui offre une nouvelle expérience de relations d’attachement qui serait plus sécure. Pour cela, les éducateurs doivent pouvoir identifier les modalités d’un caregiving de bonne qualité, définies par M. Ainsworth, ainsi que ce qui se joue au niveau de leur propre système d’attachement. Ainsi ils pourront adapter leur posture et personnaliser les prises en charge au bénéfice de chaque jeune.
13Un des domaines qui interroge de façon préférentielle la théorie de l’attachement est celui de la protection de l’enfance. Adeline Provoost, psychologue ayant longtemps travaillé à l’ase, témoigne que dans les familles dysfonctionnelles, les modalités d’attachement sont souvent problématiques – au point que la question d’une séparation d’avec le milieu familial se pose. Pour les professionnels confrontés à ce type de situation, les décisions ne sont jamais faciles à prendre. Sachant l’importance de la continuité relationnelle dans le développement de l’enfant, il leur faut naviguer entre ces deux interrogations : doivent-ils tout tenter pour soutenir les parents dans leurs difficultés ou au contraire donner une chance à l’enfant de se construire dans un environnement plus adéquat ? Quand le placement devient-il une nécessité qui ne doit pas être évitée ? De telles questions se posent avec d’autant plus d’acuité que l’enfant est petit. Il ne peut y avoir de réponse systématique. La théorie de l’attachement contribue alors à enrichir la grille de lecture de ces situations extrêmes.
14Comment être un caregiver sensible lors de l’accueil d’une famille en hôpital de jour ? Anne Véron, éducatrice spécialisée, se questionne sur son propre type d’attachement, qui conditionne sa capacité à nouer une relation de plus ou moins bonne qualité avec les parents. Pour faciliter le soin en hôpital de jour des enfants, l’alliance thérapeutique entre les parents et les soignants est indispensable. Cet article, par son témoignage, donne une illustration pratique de certains aspects de la théorie de l’attachement. Les difficultés à « prendre soin de ceux qui prennent soin » incitent à interroger les apports de cette théorie dans la compréhension des comportements d’attachement : que ce soient ceux des parents envers leurs enfants, envers la structure soignante, mais aussi ceux des soignants eux-mêmes en retour. Cela amène à expliciter les modifications de certaines postures professionnelles. Il est original de pointer le type d’attachement des parents en pédopsychiatrie, plutôt que celui de l’enfant, ce qui conduit l’équipe accompagnante à mieux s’identifier aux parents.
15Les institutions sont des structures sociales dotées d’une stabilité dans le temps et orientées vers une finalité. Celle de l’institution hospitalière est de soulager la souffrance des malades. Pourtant, ceux qui soignent sont rendus eux-mêmes vulnérables à la souffrance psychique par l’exposition prolongée à la douleur de l’autre et au stress professionnel. Ils peuvent avoir besoin d’une source de soutien et de réconfort. À la lumière de la théorie de l’attachement et à partir d’une situation clinique, Lissa Claudia Yajima Dupuis, interne en psychiatrie, réfléchit à l’institution hospitalière en tant que figure d’attachement pour les soignants. Les dysfonctionnements institutionnels pourraient, dans cette perspective, être appréhendés comme un défaut de satisfaction d’un besoin fondamental de protection. Seraient ainsi remises au centre des valeurs profondément humaines que sont la considération et l’engagement. L’attention commune dirigée vers le patient s’en trouverait dès lors renforcée.
16Ce bref panorama de situations cliniques plus ou moins complexes et sévères permet d’entrevoir ce que nous a apporté la théorie de l’attachement pour une meilleure compréhension des enfants et de leurs besoins de sécurité émotionnelle dans les relations qu’ils engagent avec les adultes. Chaque période de la vie est faite de rencontres et d’expériences collectives ; certaines sont particulièrement complexes et douloureuses et la théorie de l’attachement peut contribuer à améliorer l’accompagnement proposé à l’enfant ou à l’adolescent.