1Les changements dans les procédures d’inspection des établissements en Angleterre au cours de la dernière décennie s’inscrivent dans une évolution plus globale des modes de régulation du système éducatif dans ce pays. Deux logiques sont en fait à l’œuvre. La première vise à accroître le poids des usagers par la constitution de “quasi-marchés” éducatifs fondés sur le libre choix de l’école et la concurrence entre des établissements dotés d’une forte autonomie ?nancière et pédagogique (van Zanten, 1998). La deuxième vise à renforcer le pouvoir de contrôle de l’État par la constitution d’un curriculum national et le développement d’évaluations au niveau central (Broadfoot, 1996). Les nouvelles procédures d’inspection se situent au croisement de ces deux logiques. En effet, d’une part, la publication des résultats de l’inspection systématique de chaque établissement à intervalles réguliers a pour but of?ciel de rendre compte aux usagers de leur fonctionnement pour mieux informer leur choix. D’autre part, les inspections ont aussi pour ?nalité de permettre à l’État central de mieux saisir les facteurs d’inef?cacité et de différenciation au sein du système d’enseignement et d’assurer un pilotage plus rapproché de celui-ci. Les effets de ce nouveau dispositif sur l’équilibre des pouvoirs entre les professionnels de l’éducation, l’État et les usagers, mais aussi sur l’activité des enseignants et sur le fonctionnement global du système sont mal connus du public français. C’est pourquoi nous avons voulu les analyser brièvement dans ce texte en nous appuyant sur un entretien conduit en janvier 2001 auprès de M. Richard Page-Jones, Her Majesty’s Inspector (HMI) et directeur du département international d’OFSTED, ainsi que sur quelques travaux en langue anglaise sur ce sujet.
Une nouvelle alliance entre les usagers et l’État pour transformer l’école ?
2La mise en place Outre-Manche d’un nouveau système d’inspection des établissements en 1992 a été fortement encouragée par des préoccupations d’ordre économique concernant la qualité de la scolarisation par rapport à celle d’autres systèmes nationaux. Dans le contexte politique et social des années 1980 et 1990, la position jugée médiocre de l’Angleterre dans un certain nombre de comparaisons internationales a été interprétée comme la conséquence de la prédominance d’une oligarchie de pourvoyeurs du service public d’éducation — englobant les représentants de l’administration, les services nationaux d’inspection, les Local Educational Authorities (LEAs) et les établissements— peu soucieuse d’ef?cacité. Pour faire évoluer cet état de choses les pressions furent d’abord indirectes. Parallèlement à l’introduction d’une logique de marché et au développement d’un système national d’évaluation des élèves et des établissements, les LEAs furent fortement encouragées — y compris ?nancièrement— à mettre en place des systèmes permettant de suivre et d’évaluer les performances des élèves. Toutefois, si certaines d’entre elles se convertirent assez rapidement à une nouvelle “culture de l’évaluation”, une enquête conduite en 1986-1987 montra que la fonction de conseil primait encore largement dans leur activité (Stilman & Grant 1989). L’arrivée de John Major au gouvernement entraîna alors une réforme de plus grande ampleur concrétisée dans l’Education (Schools) Act de 1992 qui déposséda les LEAs et les services nationaux d’inspection de leurs prérogatives antérieures et instaura un nouveau système coordonné par l’Of?ce for Standards of Education (OFSTED).
3Les choix effectués dans la mise en place de ce nouveau dispositif témoignent de la mé?ance à l’égard d’inspections conduites par des membres du système qui auraient tendance à défendre leurs propres intérêts au détriment de ceux des usagers et à occulter les informations susceptibles de leur attirer des jugements défavorables. Ainsi, les inspecteurs recrutés directement par les administrations nationales et locales ont été remplacés par des équipes indépendantes d’inspecteurs ayant passé un contrat avec l’OFSTED. Ces équipes sont composées d’un inspecteur agréé par l’État ( Registered Inspector ou RgI), d’inspecteurs de base, pour la plupart d’anciens enseignants, dont le nombre et le degré de spécialisation varient en fonction de la taille des établissements et du niveau d’enseignement, et d’un inspecteur profane ( Lay Inspector ) sans lien direct avec le système scolaire mais exerçant souvent un métier proche de l’éducation comme travailleur social ou bibliothécaire. En outre, la procédure d’inspection comporte désormais l’interrogation systématique de tous les acteurs éducatifs, y compris des parents qui sont consultés oralement lors d’une réunion et souvent par écrit à l’aide d’un questionnaire. Le résultat ?nal est rendu public dans un rapport transmis aux représentants du conseil d’administration de chaque établissement, qui doivent y répondre par un plan d’action, mais aussi aux média et aux bibliothèques de la localité. Il est en outre accessible à tous sur le site web d’OFSTED. Un résumé est également élaboré à l’attention de tous les parents de chaque établissement qui doivent aussi être mis au courant du contenu du rapport par le chef d’établissement au cours de la réunion annuelle de rentrée.
4Toutes ces démarches semblent témoigner d’une plus grande sensibilité ( responsiveness) à l’égard des attentes des parents et des représentants des intérêts locaux. Toutefois, un examen plus approfondi du déroulement et des effets des inspections laisse apercevoir des tentatives d’instrumentalisation de l’opinion parentale et de l’opinion publique en vue de renforcer le contrôle étatique. Plusieurs travaux sociologiques ont montré que les membres du conseil d’administration délèguent une grande partie de leurs prérogatives au chef d’établissement qui est en fait perçu comme le seul véritablement compétent pour prendre des décisions en matière de pédagogie et d’organisation (Deem & al. 1994). Le responsable que nous avons interviewé reconnaît d’ailleurs que celui-ci est en fait leur véritable interlocuteur. Il est par ailleurs conscient du fait que les inspections sont rarement utilisées pour faire pression sur les enseignants ou le chef d’établissement par des parents qui se déclarent, pour la très grande majorité, satisfaits de la qualité de l’enseignement dans les établissements. Par ailleurs, en l’absence d’informations systématiques, sa connaissance informelle des processus de choix des établissements le conduit également à supposer, comme l’ont mis en évidence de nombreux travaux sociologiques, que les inspections et les évaluations of?cielles ne sont qu’une des composantes du choix, dont l’importance varie fortement suivant les familles (Ball et Vincent 1998):
“Je ne sais pas combien de familles utilisent le rapport pour orienter leur choix, je ne suis pas sûr. J’imagine que les parents utilisent plusieurs sources, des connaissances locales, les visites d’écoles, des impressions recueillies en regardant les établissements, en écoutant les chefs d’établissements. C’est une combinaison. Les résultats (de l’inspection et des évaluations des élèves) ne sont pas la dimension la plus importante. Beaucoup de parents cherchent une école où ils pensent que leur enfant sera heureux.”
6En fait, tout au long de l’entretien, l’accent a été plutôt mis sur le rôle des inspections dans le pilotage étatique des établissements, l’objectif central poursuivi par le nouveau système d’inspection étant de recentrer l’activité de ces derniers sur l’amélioration des résultats. Une telle démarche impliquait, de la part des responsables, de séparer les fonctions d’évaluation et de conseil qui se trouvaient réunies dans le système précédent, comme elles le sont encore dans la plupart des pays. Des consignes strictes sont données aux inspecteurs dans ce sens lors des séances d’entraînement :
“Nous encourageons les inspecteurs à donner un compte-rendu honnête aux établissements. Ils doivent dire ce qu’il en est. Ils ne sont pas là pour encourager les établissements, ils sont là pour fournir une bonne évaluation des établissements.”
8À plusieurs reprises, notre interlocuteur est revenu sur ce principe qui remplit à son avis une double fonction : celle de permettre aux évaluateurs de produire des jugements objectifs et de pointer crûment les faiblesses de chaque établissement; celle de donner aux établissements plus d’autonomie dans le choix des plans d’action, des méthodes pédagogiques et des ressources publiques et privées les mieux adaptées. Dans ce “pilotage à distance”(Weiler 1990), l’État en fait n’intervient qu’a posteriori dès lors que des établissements rencontrent des dif?cultés majeures. En effet, un système de “mesures spéciales” est prévu pour les établissements en échec ou dans lesquels l’inspection a permis de repérer des faiblesses importantes dont les plans d’action sont étroitement surveillés et évalués au niveau central. A contrario, l’État n’intervient que très peu dès lors que les résultats sont satisfaisants, une procédure “allégée” ayant été mise en place pour les établissements performants.
Les effets des nouveaux modes d’inspection sur l’activité des enseignants
9Mais si le nouveau système d’inspection est présenté par ses responsables comme un moyen de respecter l’autonomie des établissements, telle ne semble pas être la vision de nombreux enseignants. Des enquêtes conduites sur ce sujet soulignent plusieurs types d’effets négatifs. Ainsi, dans une étude menée pendant trois ans dans six écoles primaires, Jeffrey et Woods ( 1998) ont mis en évidence l’anxiété et le stress que suscitent chez les enseignants des jugements extérieurs et partiels qui ne tiennent pas compte du caractère émotionnel, complexe et mouvant de l’acte éducatif. Des formes de résistance individuelle émergent alors naturellement, d’autant plus vives que la légitimité pédagogique des inspecteurs et de leur travail n’apparaît pas au-dessus de tout soupçon. On peut notamment souligner que ces derniers, certes pour la plupart d’anciens enseignants, ne reçoivent qu’un court entraînement de cinq jours à titre de formation initiale et une formation continue assez légère et que leur travail est relativement peu contrôlé par les responsables d’OFSTED au-delà des normes énoncées dans un document destiné à cadrer les évaluations. D’ailleurs plusieurs observateurs ont souligné le caractère peu scienti?que et peu contextualisé des observations de leçons par les inspecteurs. On peut en effet critiquer l’inadéquation des échantillons, le caractère subjectif des appréciations et leur manque de cohérence interne ainsi que la faible prise en compte du contexte individuel (la place de séances observées dans le curriculum propre à chaque enseignant) et collectif (l’organisation des séances en lien avec l’organisation d’ensemble des activités d’enseignement dans les établissements) (Fitz-Gibbon & Stephenson 1996, Wilcox et Gray 1996). Toutefois, les jugements que porte l’équipe d’inspection ne sont pas négociables, même s’ils sont discutés avec les enseignants, et ne peuvent faire l’objet d’une réclamation sauf à faire la preuve qu’il y a eu “malfaçon” dans la conduite de l’inspection.
10Le travail des nouvelles équipes d’inspection a également été analysé comme une forme de “déprofessionnalisation”des enseignants qui sont placés dans une position d’exécutants devant se soumettre à un regard normatif élaboré à l’extérieur. Et il ne fait pas de doute que l’autonomie professionnelle des enseignants anglais, si l’on compare la situation actuelle à celle qui prévalait dans les années 1970, où existait une alliance claire entre le Département d’Éducation, les LEAs et les syndicats enseignants et où les inspecteurs locaux ou nationaux jouaient essentiellement un rôle d’impulsion et de conseil, a été considérablement réduite. Le nouveau système d’inspection s’intègre en effet dans un système de School-Based Management à dominante administrative dont on a pu montrer qu’il est le moins susceptible de mobiliser les enseignants (Leightwood & Menzies 1998). Le responsable que nous avons interviewé en est d’ailleurs parfaitement conscient, mais il perçoit ce processus comme une conséquence logique de l’accent mis sur l’élévation de la qualité et la nécessité de rendre des comptes sur les effets de l’action éducative à l’extérieur, la fonction d’aide et de soutien des enseignants devant être déléguée à d’autres intervenants :
“C’est sûr que les écoles évoquent les pressions de l’inspection. Certains disent qu’il s’agit d’un système oppressif, de photographies instantanées de leur travail qui démoralisent les enseignants et produisent de l’anxiété. Mais nous ne sommes pas là pour aider à leur développement professionnel. Ça, c’est le travail de quelqu’un d’autre. Une partie du budget des établissements doit être consacrée à ça.”
12Depuis quelques années cependant, les responsables de l’OFSTED, ayant pris conscience des résistances des établissements à s’emparer des résultats de l’inspection pour améliorer leur fonctionnement, encouragent également des formes d’autoévaluation, conduites par les professionnels de l’éducation eux-mêmes et donc plus susceptibles de recueillir une acceptation plus large.
13De façon parallèle, d’autres observateurs ont souligné les effets des réformes du système d’inspection sur le développement d’un climat de compétition entre les professionnels de l’éducation au sein des établissements. Il apparaît en effet que la notation des enseignements — qui devient en fait une notation des enseignants et ce d’autant plus que, si elle n’est pas rendue publique, elle est quand même communiquée con?dentiellement au chef d’établissement—, l’accent mis sur la responsabilité individuelle et l’importance accordée au regard extérieur ont créé, notamment dans les établissements les plus mal évalués, un fort sentiment d’isolement, de culpabilité et une tendance à l’accusation mutuelle chez les enseignants (Jeffrey & Woods 1998). De même, l’accent mis sur l’importance du management interne dans l’ef?cacité des établissements a contribué à accentuer les con?its d’intérêts entre les enseignants de base et ceux qui occupent des positions de responsabilité, par exemple à la tête des départements. Poursuivant le processus enclenché par l’introduction des logiques de marché depuis le début des années 1980, l’inspection semble également avoir renforcé les clivages entre les éthiques professionnelles des chefs d’établissements tournés vers l’extérieur et celles des enseignants tournés vers la classe par l’importance accordée au management au détriment du contenu des activités d’enseignement (Ball 1994, Grace 1995, Ball & van Zanten 1998). L’analyse des rapports d’inspection réalisée par Wilcox et Gray ( 1996) montre d’ailleurs que les recommandations des équipes d’inspecteurs portent bien davantage sur le rôle de la direction que sur ce que doivent faire les enseignants. Une même impression se dégage de la lecture de la brochure intitulée Lessons Learned from Special Measures publiée par OFSTED en 2000. Le responsable que nous avons interviewé a lui aussi insisté sur le rôle central de ces managers intermédiaires que seraient les chefs d’établissement et sur la nécessité d’en attirer de meilleurs dans les écoles en dif?culté en leur offrant des salaires comparables à ceux du secteur privé et en leur accordant plus de ?exibilité encore dans le recrutement et la gestion des enseignants.
L’impact des inspections sur l’ef?cacité et l’équité du système d’enseignement
14Mais si beaucoup d’études se sont intéressées aux effets du nouveau système d’inspection sur les acteurs au niveau local, il faut souligner que les inspections régulières des établissements — tous les quatre ans au départ et tous les six ans depuis 2000— ont surtout pour fonction of?cielle de contribuer à la régulation globale du système. Dans cette optique, un effort important a été consacré à l’uniformisation des procédures d’inspection au travers notamment de la constitution du guide d’inspection que nous avons évoqué précédemment. Ce guide dé?nit les ?nalités de l’inspection, les relations entre l’équipe d’inspection et les différents groupes représentés dans les établissements et les principaux thèmes à aborder lors de la visite. Ceux-ci peuvent être regroupés en quatre rubriques :
- la qualité de l’offre éducative;
- le niveau des élèves;
- l’utilisation des ressources ?nancières;
- le développement spirituel, moral, social et culturel des élèves.
15À partir de données supposées comparables sur ces questions, l’OFSTED rédige des rapports annuels sur l’état de l’école en Angleterre. Ceux-ci, ainsi que des rapports concernant des thèmes plus spéci?ques — l’apprentissage de la lecture ou les nouveaux systèmes de certi?cation dans l’enseignement technique et professionnel— permettent à l’OFSTED, qui est un organisme indépendant de l’administration, de mettre à disposition du Secrétariat d’État à l’éducation des informations nécessaires pour reconduire ou modi?er les dispositifs d’action ou en dégager de nouveaux. Bien qu’ils se défendent de participer à la construction des politiques, les responsables d’OFSTED contribuent ainsi, de façon importante, au pilotage à distance du système d’enseignement : “Nous ne faisons pas la politique éducative. Nous sommes indépendants par rapport au département d’éducation, les plus indépendants des systèmes d’inspection à travers l’Europe. Nous apportons les éléments empiriques sur la façon dont les politiques sont appliquées et jugées et leurs effets; le gouvernement choisit la direction; le département construit des politiques autour de cette orientation.”
16L’objectif principal des rapports annuels est de mesurer les progrès accomplis dans l’amélioration de la qualité de l’enseignement. Plusieurs indicateurs suggèrent que ces progrès sont signi?catifs. Ainsi, d’après notre interviewé, alors que 30% des leçons observées étaient jugées insatisfaisantes au début de la nouvelle procédure, ce n’est le cas que de 5% aujourd’hui. Par ailleurs, les résultats des élèves au General Certi?cate of Secondary Education (GCSE) se sont fortement améliorés, de même qu’a augmenté la proportion d’élèves obtenant au moins deux “A” aux examens d’Advanced level, passés deux ans après le GCSE (Meuret, Broccholichi & Duru-Bellat 2001). Plusieurs enquêtes laissent néanmoins supposer qu’une partie de ces progrès est due à l’adaptation du système aux nouvelles demandes d’“ef?cacité”, adaptation pouvant se traduire par le fait de noter moins sévèrement à l’examen ou de faire travailler les élèves étroitement en lien avec les exigences des épreuves en sacri?ant toutes les activités d’enseignement non directement “rentables”. Une même optique semble présider à la préparation des enseignants à l’inspection qui se fonde principalement sur l’observation de leçons et l’examen des travaux des élèves. De façon plus générale, il est possible d’avancer l’idée que les logiques de l’inspection et celles de la constitution d’un “marché scolaire” par le libre choix de l’établissement se combinent pour encourager les établissements à prêter une grande attention à la fabrication d’une “image positive” re?étant de façon plus ou moins ?dèle leur fonctionnement réel (Ball 1997). Si ces considérations n’invalident pas la possibilité qu’il y ait des effets positifs associés aux nouveaux modes de contrôle, elles mettent en garde contre les effets pervers possibles de la priorité donnée à la qualité de l’enseignement et à l’élévation de standards dé?nis de façon étroite et sans la participation des professionnels de l’éducation.
17Mais si les préoccupations en termes d’ef?cacité sont dominantes dans la politique suivie par l’OFSTED, celles concernant l’équité ne sont pas absentes. En effet, la mise en place d’un système plus ambitieux d’inspection au niveau national avait aussi pour but de réduire les écarts entre les établissements. L’importance de ces écarts apparaît clairement dans les évaluations nationales et internationales, mais les autorités ont peu de moyens d’évaluer leurs causes car il n’existe pas en Angleterre des indicateurs de valeur ajoutée comme ceux qui ont été mis au point en France par la Direction de la Prospective et du Développement (DPD), les comparaisons entre établissements étant surtout entreprises en rapprochant les résultats d’établissements à publics comparables. Or, si d’après notre interlocuteur, ces écarts semblent se réduire dans le primaire, notamment en ce qui concerne les résultats en lecture et écriture, ils s’accroissent dans l’enseignement secondaire. On y constate une polarisation plus grande entre des établissements qui ont de bons résultats, qui attirent les parents les plus préoccupés par la réussite de leurs enfants et les meilleurs enseignants et qui continuent de s’améliorer, et des établissements — à peu près un dixième de l’ensemble— qui ont des performances médiocres et sont fuis aussi bien par les parents que par les professionnels de l’éducation et dont la situation ne cesse d’empirer. Cette aggravation de la situation d’une proportion limitée, mais signi?cative, d’établissements, pour la plupart situés dans des zones urbaines défavorisées, est attribuée par notre interlocuteur plus à la logique de marché et au rôle des parents qu’à un échec des procédures d’inspection même s’il reconnaît l’impact limité des “mesures spéciales” et de la menace de fermeture sur la capacité de ces établissements à intégrer à nouveau le circuit normal.
Conclusion
18Est-il possible et souhaitable d’imaginer une transposition du système anglais d’inspection ou de certains de ses dispositifs dans le contexte français ? Une diffusion des principes qui le sous-tendent, encouragée par diverses instances internationales comme l’OCDE, est perceptible dans le discours de certains responsables administratifs et de certains “experts”. En effet, comme en témoignent plusieurs articles de ce numéro, la nécessité des évaluations et de nouveaux modes de régulation par les résultats fait l’objet d’un débat scienti?que, sinon politique, en France. En même temps, la territorialisation et la décentralisation des politiques éducatives ont suscité de nouvelles demandes de transparence d’accès à l’information, stimulé la constitution d’indicateurs nationaux du fonctionnement des établissements et favorisé la multiplication d’évaluations menées à l’échelle locale par les acteurs les plus divers (Demailly & al. 1998). Pourtant, dans le fonctionnement des établissements, l’évaluation et les inspections — qu’il s’agisse de l’inspection des établissements menée de façon sélective par l’Inspection Générale ou de l’inspection individuelle des enseignants menée par des corps d’inspection académiques et départementaux— ont encore un faible pouvoir de régulation externe notamment dans l’enseignement secondaire. Leur contribution à la régulation globale n’est pas négligeable, mais elle intervient davantage au niveau interne des processus, par le biais de recommandations, de jugements et de conseils qui reposent largement sur des points de vue individuels et qui s’adressent à la responsabilité morale des professionnels de l’éducation. Cette situation n’est pas satisfaisante car les injonctions éthiques ne peuvent tenir lieu de politique (van Zanten 2001). Il existe néanmoins de nombreuses barrières politiques, administratives et culturelles à une transposition à l’identique de modes d’intervention radicalement différents d’un pays à l’autre (van Zanten & Ball, 2000, Broadfoot 2000). S’inspirer partiellement du modèle anglais d’inspection supposerait en outre d’être en mesure de départager ce qui relève des nouvelles procédures d’inspection et ce qui relève d’autres politiques appliquées conjointement comme le libre choix de l’établissement. Mais surtout, pour limiter l’émergence des effets négatifs dont il a été question ici, il paraît nécessaire de combiner différents modes de contrôle et de mobilisation des acteurs qui, sans limiter leur responsabilité vis-à-vis de l’État et des usagers, favorisent et valorisent leur autonomie professionnelle.