Introduction
1Le système socio-fiscal français est critiqué pour sa complexité et son manque de cohérence globale qui se traduisent par un non-recours à certaines prestations ainsi qu’une forte variation des taux marginaux d’imposition (TMI) au niveau individuel [1] (Lehmann [2016]). En particulier, l’architecture des minima sociaux en France compte parmi les plus complexes en Europe (Frazer et Marlier [2015]). En 2016, il est possible de dénombrer dix dispositifs ayant chacun leurs propres logiques et leurs règles particulières (Sirugue, Cadoret et Grobon [2016]).
2Dans ce cadre, plusieurs travaux ont cherché à proposer des voies de réformes alternatives visant à simplifier le système actuel [2]. Une première préconisation consiste à instaurer un revenu universel (RU) prenant la forme d’une allocation individuelle, universelle, sans condition de ressources et sans contrepartie en termes d’activité. Plusieurs chiffrages ont été réalisés sur ce point (OCDE [2017] ; Hyafil et Laurentjoye [2016] ; Basquiat [2011] ; Mylondo [2010]) et cette proposition a connu une dynamique nouvelle dans le débat public dans la mesure où elle figurait dans le programme de Benoît Hamon à la présidentielle française de 2017. Une seconde voie de réforme consiste en une fusion de certaines prestations au sein d’une allocation unique (AU) qui demeurerait conditionnelle aux ressources et à des efforts en termes de travail et d’insertion. Les travaux menés par la commission Sirugue (Sirugue, Cadoret et Grobon [2016]) et par Bargain et al. [2017] s’inscrivent directement dans cette perspective.
3Sur le fond, il est possible de souligner que ces deux dispositifs sont en fait très proches (Ben Jelloul et al. [2018]). Ils constituent tous les deux un revenu minimum garanti et diffèrent principalement sur leur mode de versement : le RU implique un versement similaire à chacun financé par un prélèvement proportionnel sur les revenus des individus, tandis que l’AU est un versement net. Pour Sterdyniak [2017], une différence apparaît cependant lorsque l’on introduit la dimension familiale, puisque le RU est logiquement individuel tandis que l’AU peut être familialisée et dépendre de la composition du foyer.
4Qu’il s’agisse du RU ou de l’AU, il est possible de noter que les analyses disponibles ne permettent pas d’appréhender de manière précise les implications de ces dispositifs au regard des deux objectifs centraux des aides à destination des bas revenus, à savoir la lutte contre la pauvreté et l’incitation à l’activité. Le premier objectif n’est abordé qu’à partir du seul indicateur du taux de pauvreté sans qu’aucune décomposition ne soit proposée par catégorie de bénéficiaires. Or, une limite potentielle de la logique d’uniformisation est de générer des pertes importantes parmi les populations qui bénéficient aujourd’hui de dispositifs spécifiques comme les mères célibataires (Clerc [2016]). De même, l’incidence sur les incitations à l’activité n’a pas été documentée dans les travaux sur le sujet alors que le système actuel est caractérisé par une hétérogénéité forte des TMI dans les bas revenus et des effets de seuil qui peuvent avoir des effets néfastes sur l’offre de travail (Fourcot, Rioux et Sicsic [2017] ; Lehmann [2016]).
5Dans ce cadre, cet article a pour objectif d’estimer l’impact d’une réforme visant à simplifier les aides à destination des ménages modestes sur la pauvreté et les incitations à l’activité. Ce travail, réalisé à partir du modèle de microsimulation Myriade (encadré 1), n’a pas pour ambition d’émettre des préconisations de politiques publiques. Il cherche à évaluer si une simplification des prestations pour les bas revenus peut permettre des améliorations significatives sur la pauvreté et les incitations à l’activité, sans surcoût pour les finances publiques et en conservant certaines caractéristiques du système français, notamment sa dimension familialisée. Ainsi, afin de compléter la littérature sur le sujet, nous nous basons sur des indicateurs permettant de décomposer les indicateurs de pauvreté et produisons une estimation des effets de la réforme sur la distribution des taux marginaux d’imposition.
6L’analyse proposée dans cet article porte sur un dispositif de type allocation unique regroupant le revenu de solidarité active (RSA), la prime d’activité, les aides au logement (AL), l’allocation aux adultes handicapés (AAH), l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA) et la plupart des prestations à destination des familles modestes. Cette approche permet de disposer d’une enveloppe large qui laisse davantage de latitude dans la redistribution tout en intégrant des prestations familiales qui contribuent largement à l’irrégularité des taux marginaux d’imposition. Par ailleurs, le choix de retenir une AU plutôt qu’un RU est justifié pour deux raisons. D’une part, le RU tel qu’il est promu n’est pas d’actualité, contrairement aux dispositifs de type allocation unique qui sont au cœur du « plan pauvreté » annoncé le 13 septembre 2018 par Emmanuel Macron [3]. D’autre part, le système français est largement familialisé (Sterdyniak [2011]) et repose sur des prestations quérables auprès des caisses d’allocations familiales. L’AU analysée dans cet article permet d’apprécier les effets de la simplification des dispositifs indépendamment de la remise en cause de ces caractéristiques institutionnelles du système français.
7L’article est organisé comme suit. Dans un premier temps, nous discutons la pertinence des dispositifs pour les bas revenus en France en les mettant en perspective avec la théorie de la taxation optimale et précisons quelques pistes de réformes visant à surmonter les incohérences du système actuel. Dans un deuxième temps, nous délimitons le champ des prestations fusionnées et posons les principes d’une AU familialisée et ouverte aux moins de 18 ans. Dans une troisième partie, nous présentons deux paramétrages « polaires » de l’AU et illustrons leurs effets sur des cas types. Enfin, dans un quatrième temps, nous évaluons l’impact de cette réforme sur la pauvreté et la distribution des taux marginaux d’imposition.
Encadré 1. Le modèle de microsimulation Myriade
La version de Myriade utilisée ici s’appuie sur l’enquête Revenus fiscaux et sociaux (ERFS) 2011 représentative des ménages ordinaires de la France métropolitaine. L’ERFS consiste en un appariement statistique du fichier de l’enquête Emploi en continu EEC (données du 4e trimestre de l’année N) avec les fichiers fiscaux (déclarations des revenus) de la direction générale des Finances publiques de l’année N et les données sur les prestations perçues au cours de l’année N et collectées auprès des caisses de Sécurité sociale. Le modèle Myriade est actualisé pour être représentatif d’une année donnée : il recalcule les éléments du système redistributif en fonction de la législation en vigueur. Compte tenu de la source sur laquelle est basé le modèle (ERFS), le recalcul porte sur la fiscalité directe (impôt sur le revenu, cotisations sociales) et sur les prestations sociales monétaires (prestations familiales, allocations logement, minima sociaux). Sont donc exclus de l’analyse les revenus de remplacement (pensions de retraite, allocations chômage), les prestations en nature (éducation, etc.) et les impôts indirects (TVA par exemple). Le recalcul des dispositifs sociaux et fiscaux repose sur l’hypothèse que les ressources des individus sont identiques d’une année sur l’autre et que ces derniers ne connaissent pas de changement de situation professionnelle ou familiale.
Dans cet article, la législation appliquée est celle de 2015 après une actualisation des données entre 2011 et 2015 à structure de population inchangée. Les simulations intègrent également la prime d’activité même si celle-ci n’est entrée en vigueur qu’au 1er janvier 2016. Le recours à la prime d’activité est ici fixé à 50 % conformément à l’hypothèse gouvernementale (Favrat, Lignon et Reduron [2015]). La simulation de l’AU nécessite la création d’un module supplémentaire qui permet de simuler plusieurs scénarios et de tenir compte de la variabilité des revenus en cours d’année.
Les politiques de soutien aux bas revenus : cadrage théorique et propositions de réformes dans le cas français
8Cette partie a tout d’abord pour objectif de discuter brièvement les dispositifs d’incitation à l’activité en France au regard de la théorie de la taxation optimale. Nous examinons ensuite les travaux français qui, dénonçant l’enchevêtrement des dispositifs à destination des bas revenus, proposent des réformes des prestations sociales sous la forme d’un RU ou d’une AU.
Les dispositifs d’incitation à l’activité en France : des taux marginaux non pertinents au regard de la théorie de la taxation optimale
9Les dispositifs de soutien aux bas revenus poursuivent généralement deux objectifs : garantir un montant de base aux individus sans ressources et inciter à l’activité. En économie, le cadre théorique standard pour analyser ces politiques combinant incitations et redistribution est celui proposé par la théorie de la taxation optimale (Mirrlees [1971]) dont l’objet est d’identifier les déterminants d’une imposition optimale des revenus (Lehmann [2013]). L’idée est la suivante : une plus grande progressivité dans la taxation des revenus se traduit par des gains en termes d’équité, car elle permet davantage de redistribution, mais elle introduit des distorsions dans les gains à l’activité qui peuvent inciter les individus à diminuer leur offre de travail. Cette contrainte s’inscrit notamment dans le cadre du « triangle d’impossibilité » selon lequel il n’est pas possible d’accroître la redistribution et les incitations à l’activité sans augmenter les dépenses publiques (Ben Jelloul et al. [2018]). Autrement dit, à budget constant, une plus grande redistribution vers les bas revenus se traduit nécessairement par une baisse des incitations à l’activité. La littérature empirique sur l’offre de travail (Heckman [1993] ; Saez [2002]) décompose généralement les choix d’offre de travail en une marge « extensive » (le fait de travailler ou non) et une marge « intensive », (c’est-à-dire le nombre d’heures travaillées une fois en poste). Selon que les réponses concernent davantage l’une ou l’autre des marges, les dispositifs optimaux à mettre en place peuvent varier. Dans ce cadre, les analyses sur l’optimalité des taux marginaux d’imposition préconisent des taux constants (Mankiw, Weinzierl et Yagan [2009]) ou en forme de U (Saez [2001]).
10En termes de politiques publiques, ces travaux ont inspiré plusieurs dispositifs. Aux États-Unis, l’earned income tax credit (EITC) est le principal dispositif de soutien aux bas revenus. Il s’agit d’un crédit d’impôt bénéficiant aux foyers dans lequel au moins un individu travaille. Ce crédit d’impôt varie selon la composition de la famille et son barème est calé de façon à favoriser la réponse extensive, c’est-à-dire le passage du non-emploi à l’emploi. L’EITC a inspiré en France la prime pour l’emploi (PPE) qui, avec la composante activité du revenu de solidarité active (RSA activité), constituaient, jusqu’en 2015, les principaux instruments d’incitation à l’activité [4]. Depuis le 1er janvier 2016, la prime d’activité s’est substituée au RSA activité et à la PPE. Son versement est mensuel et repose sur une déclaration trimestrielle des revenus : il s’agit donc d’un droit quérable auprès des caisses d’allocations familiales. La prime d’activité a été calibrée de sorte à garantir, avec le RSA socle (qui lui est maintenu) un taux de cumul de 62 % avec les revenus d’activité (soit un taux marginal de 38 %), quelle que soit la composition familiale. Ce barème est en outre complété par une bonus de 67 euros pour toute personne du foyer dont les revenus sont compris entre 0,5 et 0,8 SMIC.
11Si l’objectif de ces réformes est de rendre le « travail payant », force est de constater que la multiplicité des dispositifs existant pour les bas revenus, notamment la combinaison prime d’activité, RSA socle, aides au logement conduit à des taux marginaux d’imposition qui divergent des préconisations de la théorie de la taxation optimale. Sur une législation antérieure à la prime d’activité, Fourcot, Rioux et Sicsic [2017] montrent que les taux marginaux d’imposition sont très variables pour un niveau de revenu donné dans le bas de la distribution et très peu pour des niveaux de revenus élevés. Cette hétérogénéité trouve sa source dans les éléments autres que le revenu d’activité, notamment les revenus non salariaux, les prestations familiales, le nombre de personnes à charge et la situation conjugale [5].
12Sur le plan théorique, l’irrégularité des taux marginaux d’imposition (variations fortes avec le revenu) et leur hétérogénéité (dispersion importante pour un niveau de revenu donné) peuvent avoir plusieurs effets négatifs sur les incitations à l’activité. L’irrégularité des TMI constitue tout d’abord une entrave aux politiques visant à baisser les taux d’imposition moyens : les effets de seuil peuvent en effet pousser les individus à ne pas modifier leur offre de travail malgré la baisse apparente du taux moyen. De même, la variation des TMI avec le revenu peut accentuer les phénomènes de circularité (Lehmann [2013]) dus à l’endogénéité des comportements d’offre de travail. Ainsi, une diminution du taux marginal peut conduire à une augmentation du revenu qui implique à son tour une variation du taux marginal en raison de la non-linéarité de la taxation marginale. Enfin, une hétérogénéité forte des taux marginaux à configuration donnée peut introduire une dissonance entre les taux marginaux réels et ceux perçus par les agents (Lehmann [2016]) qui a pour conséquence de rendre inefficaces les canaux par lesquels les décideurs publics peuvent jouer sur l’offre de travail.
Des propositions visant à simplifier le système en termes de redistribution et d’incitation à l’activité
13La variabilité des taux marginaux d’imposition se combine à un manque de lisibilité du système de prestations. Comme souligné en introduction, il est possible de dénombrer en France près de dix minima sociaux. Dans ce cadre, le rapport Sirugue de 2016 propose plusieurs scénarios de réformes qui vont de simples ajustements paramétriques à une refonte plus globale des prestations existantes. S’inspirant du « crédit universel » britannique (universal credit) [6], un des scénarios de ce rapport suggère notamment de fusionner l’ensemble des minima sociaux au sein d’une AU afin d’offrir une couverture socle commune simplifiée et plus lisible. Dans la lignée de ce rapport, plusieurs préconisations sont allées dans le sens d’une simplification des dispositifs à destination des bas revenus. Ces préconisations se présentent sous la forme d’une AU ou d’un RU.
14Bargain et al. [2017] proposent par exemple des réformes incrémentales visant à unifier le RSA, la prime d’activité, l’allocation de solidarité spécifique (ASS), l’AAH et l’ASPA au sein d’un revenu de base avec des majorations logement, handicap et personnes âgées ainsi qu’une ouverture aux moins de 25 ans. Cette allocation simplifiée présenterait un surcoût de 8 milliards d’euros par rapport au système actuel et serait conditionnée à la recherche d’un emploi. Côté revenu universel, Basquiat [2016] suggère d’introduire un revenu de base individualisé et inconditionnel dont les montants sont différenciés selon l’âge (200 euros pour les individus de moins de 14 ans, 270 euros pour ceux âgés de 14 à 24 ans et 470 euros pour les adultes de plus de 24 ans). Ce revenu viendrait en remplacement des dispositifs ciblés sur les plus pauvres. Il serait entièrement cumulable avec les aides au logement et financé par un impôt proportionnel de 23,5 %. Hyafil et Laurentjoye [2016], du Mouvement français pour un revenu de base (MFRB), proposent quant à eux une généralisation du RSA financée en partie par une fusion de la CSG et de l’impôt sur le revenu avec un système de taxation dès le premier euro de revenu perçu. Mylondo [2010] préconise un revenu de base d’un montant égal au seuil de pauvreté, soit 1 000 euros par mois pour un coût égal à 710 milliards d’euros financé par une hausse de 46,5 points de la CSG.
15Ces scénarios, notamment ceux qui portent sur l’introduction d’un revenu inconditionnel, ont donné lieu à plusieurs critiques (Allègre et Sterdyniak [2017] ; Allègre [2017] ; Clerc [2016]) qui soulignent notamment que les faibles montants de revenu associés à ces propositions ont potentiellement des effets très limités sur la distribution des revenus, et ce, malgré les profonds changements du système socio-fiscal qu’exigent de telles mesures. En particulier, ces travaux ne fournissent pas d’élément sur les ménages qui « perdent » ou « gagnent » à la réforme [7]. Sur ce point, une évaluation de l’OCDE menée en 2017 (OCDE [2017]) montre que la mise en place d’un RU neutre pour les finances publiques (456 euros par adulte et 100 euros par enfant accompagné d’une suppression des prestations familiales, des minima sociaux, des dispositifs de type « prime d’activité » et de l’assurance chômage) conduit à générer de nombreux perdants dans les bas revenus. Plus récemment, un rapport de l’Institut des politiques publiques (IPP) propose la mise en place d’un revenu de base (725 euros pour une personne seule locataire) versé de manière automatique et fusionnant aides au logement, RSA et prime d’activité sur une base individuelle (Ben Jelloul et al. [2018]). Au regard du « triangle d’impossibilité », les simulations de l’IPP consistent à limiter le nombre de perdants : la fusion des différents dispositifs est estimée à 8,6 milliards d’euros auxquels s’ajoutent 6,1 milliards associés à l’abaissement de l’âge minimal d’éligibilité à 21 ans. Dans ces conditions, l’ensemble des déciles de niveau de vie présentent des gains moyens positifs (notamment 59 % de gagnants dans le premier décile pour un gain moyen de 176 euros), mais le coût de la mesure semble difficile à assumer dans le cadre d’une contrainte budgétaire forte.
16Au regard des éléments théoriques présentés précédemment, ces analyses méritent d’être complétées, car elles ne permettent pas d’appréhender dans quelle mesure les dispositifs de RU et d’AU contribuent à modifier le profil des taux marginaux d’imposition et notamment à limiter leur hétérogénéité. De même, les implications en termes de pauvreté ne sont appréhendées qu’à un niveau agrégé. La suite de cet article propose d’effectuer cette analyse sur la base d’une réforme d’AU à destination des ménages modestes.
Un essai de réforme des aides à destination des ménages modestes construite à coût constant et sur une base familialisée
17Cette partie vise à poser les principes d’une réforme des aides à destination des bas revenus, qui serait construite à coût constant pour les finances publiques et ne remettrait pas en cause le caractère familialisé du système français.
Une fusion des prestations à destination des ménages modestes
18Le dispositif d’AU analysé dans cet article est construit à coût constant, contrairement à ce que proposent certaines évaluations (Ben Jelloul et al. [2018] ; Bargain et al. [2017]). Cette hypothèse est justifiée du point de vue des contraintes actuelles reposant sur les finances publiques. Elle permet d’identifier s’il est possible d’obtenir des améliorations significatives en termes de lutte contre la pauvreté et d’incitation à l’activité sans surcoût pour les finances publiques.
19La démarche que nous retenons consiste ainsi à identifier les prestations qui sont majoritairement destinées aux ménages modestes et à les recycler au sein d’un dispositif unique. Ce choix est différent de celui de Sirugue, Cadoret et Grobon [2016] qui préconisent de fusionner uniquement les minima sociaux. Il a néanmoins l’avantage de porter sur un champ plus large de prestations qui permet davantage de latitude dans le paramétrage de l’AU et accroît son potentiel redistributif. De plus, certaines prestations familiales sous conditions de ressources expliquent pour partie les variations importantes des TMI (cf. cas types) : les intégrer permet ainsi de limiter ces irrégularités.
20Les ménages modestes sont ici définis sur la base de critères statistiques : nous proposons de déterminer un seuil de revenu par unité de consommation (UC) [8] en deçà duquel il est possible de recenser une proportion importante de ménages bénéficiaires des minima sociaux actuels (RSA, AAH, ASPA) ou des aides au logement, ces dernières constituant une allocation de masse concentrée sur les bas revenus (Sécurité sociale [2016]). Cette définition permet de recenser l’ensemble des prestations qui sont majoritairement ciblées sur les ménages les plus pauvres. Les revenus retenus pour calculer le seuil des « ménages modestes » sont considérés avant transferts pour ne pas intégrer les distorsions de niveaux de vie [9] liées aux dispositifs socio-fiscaux actuels : il s’agit donc principalement des revenus déclarés (salaires, revenus de remplacement, revenus financiers, etc.). Un loyer fictif est par ailleurs imputé aux revenus déclarés des propriétaires (17 millions de ménages) : cette opération permet de tenir compte de l’avantage dont bénéficient les propriétaires vis-à-vis des locataires en termes de dépenses de logement [10].
21Par convention, le seuil retenu correspond au niveau de revenu en deçà duquel 85 % de ménages bénéficiaires d’une AL, du RSA socle, de l’AAH ou de l’ASPA sont concentrés [11]. Sur cette base, nous incluons dans l’enveloppe les prestations qui sont majoritairement destinées aux ménages modestes (tableau 1) [12], à savoir les AL, le RSA, la prime d’activité, l’ASPA, l’AAH, la majoration pour la vie autonome (MVA), le complément familial (CF), l’allocation de rentrée scolaire (ARS), l’allocation de base (AB) et l’allocation de soutien familial (ASF). Les allocations familiales (AF) ne sont quant à elles pas incluses, car moins de 46 % des ménages bénéficiaires d’AF sont des ménages modestes. Ce choix garantit en outre une certaine déconnexion entre les objectifs des politiques de lutte contre la pauvreté et ceux des politiques familiales [13]. L’intégration de l’AB et de l’ASF dans l’enveloppe permet un transfert des ménages non modestes vers les ménages modestes. En intégrant la part des prestations retenues dans le champ, il est possible d’évaluer une enveloppe financière allouée à l’allocation unique de 45,4 milliards d’euros.
Les prestations à destination des ménages modestes

Les prestations à destination des ménages modestes
Champ : Ménages ordinaires de France métropolitaine.Encadré 2. Les prestations fusionnées dans l’allocation unique (législation 2015)
– Aides au logement (AL) : les aides au logement ont pour objectif d’aider les foyers modestes payant un loyer ou remboursant un prêt pour leur résidence principale. Le montant des aides varie en fonction de la dimension de la famille, de ses revenus, du niveau du loyer ou de la mensualité de remboursement du prêt ainsi que de la localisation du logement.
– Revenu de solidarité active (RSA) : le revenu de solidarité active permet de garantir un revenu minimum aux foyers dont les ressources sont faibles. Il est ouvert à partir de 25 ans (à l’exception des individus ayant des charges de famille qui peuvent en bénéficier avant cette limite d’âge). Il est de 524 euros pour une personne seule sans revenu d’activité. Les simulations intègrent la suppression du volet activité du RSA remplacé en janvier 2016 par la prime d’activité.
– Prime d’activité (PA) : la prime d’activité vise à compléter la rémunération des travailleurs ayant des revenus d’activité modestes. Elle est ouverte dès 18 ans.
– Allocation aux adultes handicapés (AAH) : elle est destinée à assurer un revenu minimum aux personnes de 20 ans jusqu’à l’âge légal de départ en retraite ayant un taux d’incapacité supérieur à 80 % ou compris entre 50 et 80 %, et reconnues dans l’incapacité de se procurer un emploi. Elle s’élève pour une personne seule sans revenu d’activité à 800 euros. Elle peut être complétée pour les personnes allocataires d’une aide au logement dont le taux d’incapacité est supérieur à 80 % d’une majoration pour la vie autonome (MVA) d’un montant de 105 euros par mois destinée à prendre en charge des dépenses de logement.
– Allocation de solidarité pour les personnes âgées (ASPA) : il s’agit d’un minimum social versé aux personnes à partir de 65 ans ayant de faibles revenus afin de leur garantir un revenu minimal. Elle est de 800 euros pour une personne seule.
– Allocation de base (AB) : elle vise à aider les foyers à assurer les dépenses liées à l’entretien et à l’éducation des enfants en bas âge. Elle est versée sous conditions de ressources (taux plein à 185 euros par mois, taux partiel à 92 euros), pendant trois ans à compter de la naissance de l’enfant.
– Complément familial (CF) : il concerne les familles modestes d’au moins trois enfants de plus de 3 ans. Son montant de base est de 170 euros et il est porté à 202 euros par mois pour les ménages les plus modestes.
– Allocation de soutien familial (ASF) : elle est versée pour un enfant recueilli par des tiers ou élevé par seulement un de ses parents sans soutien financier de l’autre parent. Dans ce dernier cas, elle est de 100 euros par enfant à charge. En l’absence de recul, les simulations n’intègrent pas l’ASF complémentaire généralisée en avril 2016 dans le cadre de la garantie des impayés de pensions alimentaires (GIPA) qui prévoit le versement d’une aide différentielle pour les enfants percevant des montants de pension inférieurs à l’ASF.
– Allocation de rentrée scolaire (ARS) : versée sous conditions de ressources, elle a pour objectif d’aider les familles modestes à assumer le coût de la rentrée scolaire. Elle est modulée en fonction de l’âge des enfants (363 euros pour les 6-11 ans, 383 euros pour les 11-15 ans et 396 euros pour les 15-18 ans).
Une prestation familialisée et ouverte aux jeunes de moins de 18 ans ayant décohabité
22Un choix important qui se pose dans la conception des prestations sociales est celui de leur caractère plus ou moins familialisé. En effet, au-delà de son impact sur le mode de calcul du montant versable, cette dimension a des enjeux importants en termes d’équité horizontale (Sterdyniak [2011]). La question de la familialisation d’une prestation s’apprécie à deux niveaux : l’unité de versement de la prestation d’une part (individuelle ou familiale) et la prise en compte de la taille et de la composition de la famille dans le barème de la prestation d’autre part (base ressources de la prestation, différentiels liés à la présence d’un conjoint ou d’enfants à charge).
23La familialisation du barème d’une prestation a pour objectif principal de tenir compte des économies d’échelle qui sont réalisées au travers de la mise en couple. Concrètement, cela renvoie à l’idée que les couples mettent en commun une partie de leurs ressources (partage de la même chambre, des frais alimentaires, des transports, etc.) et réalisent par ce biais des « économies » vis-à-vis des foyers composés par exemple de deux célibataires. Ces économies d’échelle sont prises en compte dans certains dispositifs comme le RSA. En termes de comportements économiques, la familialisation repose sur une approche « unitaire » des ménages (Becker [1981]) et en particulier l’hypothèse selon laquelle les couples mettent en commun l’ensemble de leurs ressources. À l’inverse, l’individualisation consiste à attribuer un même montant à tous les individus quelles que soient leurs caractéristiques familiales. Elle est notamment promue par les partisans du revenu universel (Basquiat [2016] ; Hyafil et Laurentjoye [2016]) qui fondent leur choix sur l’idée que l’individualisation met fin aux contrôles, parfois intrusifs, dans la vie privée des bénéficiaires.
24En France, le système socio-fiscal est aujourd’hui largement familialisé (Sterdyniak [2011]) : la perspective retenue dans cet article consiste à maintenir cette familialisation, afin d’évaluer les effets de l’AU sans remettre en cause cette caractéristique forte du système français. La familialisation des prestations trouve par ailleurs certaines justifications, en particulier pour les dispositifs à destination des bas revenus. En termes d’économies d’échelle, il apparaît tout d’abord que, selon Ponthieux [2012], 72 % des couples du premier quartile de niveau de vie déclarent mettre en commun leurs revenus, ce qui justifie la prise en compte des économies d’échelle. Concernant l’égalité femmes-hommes, Allègre [2017] souligne que la mise en place d’une allocation individualisée n’est pas neutre dans la mesure où les femmes accomplissent la majorité des tâches domestiques : offrir un revenu identique aux femmes et aux hommes pourrait conduire les femmes à réduire leur temps de travail, renforçant ainsi les inégalités entre sexes sur les marchés du travail. Sur le plan méthodologique, cette familialisation est par ailleurs en ligne avec les différentes mesures de la pauvreté qui retiennent une approche familialisée du revenu dans la mesure où elles sont calculées sur la base du niveau de vie : différencier la familialisation des prestations de la mesure du niveau de vie n’est ainsi pas neutre du point de vue de la mesure des taux de pauvreté (Sterdyniak [2011]).
25Concernant les critères d’âge, compte tenu de la familialisation du système français, certaines aides fusionnées au sein de la prestation ne sont pas ouvertes aux moins de 25 ans ou sous des conditions restrictives (c’est notamment le cas pour le RSA ou les étudiants avec la prime d’activité), alors que d’autres sont assez largement destinées à cette tranche d’âge, en particulier les aides au logement (2,2 milliards d’euros selon le modèle Myriade). Le choix d’ouvrir une allocation de type « minimum social » aux jeunes de moins de 25 ans peut impliquer un coût important pour les finances publiques (Sirugue, Cadoret et Grobon [2016] ; Haut Conseil de la famille [2016]). À l’inverse, exiger un âge minimal parallèlement à la suppression des aides au logement peut avoir pour effet de diminuer le niveau de vie des jeunes de 18-25 ans qui sont déjà fortement touchés par la pauvreté. Dans le cadre de notre analyse, nous retenons donc un choix médian basé sur l’idée qu’un foyer « allocation unique » est constitué d’individus qui mettent en commun leurs revenus. Dans cette logique « revenu », l’allocation est ouverte aux jeunes de moins de 25 ans à partir du moment où ils ne partagent plus leurs ressources avec leurs parents. Nous considérons que cette condition est remplie dès lors que les jeunes ont décohabité du foyer parental et ne sont plus fiscalement à charge de leurs parents.
26L’entrée en vigueur d’une AU basée sur ce modèle pourrait inciter les jeunes à quitter le foyer parental et à devenir autonomes d’un point de vue fiscal, notamment dans le cas où les diminutions d’impôts dont bénéficient leurs parents en raison de la présence d’un jeune à charge sont inférieures aux gains que retirent ce dernier avec l’AU. Si ces effets sont ici difficiles à mesurer, on peut noter que le coût de l’AU pourrait être important en cas de décohabitation massive. Sur ce point, il est possible de souligner que des modalités d’ouverture aux jeunes différentes de celles proposées dans les scénarios simulés pourraient être envisagées. En l’état, le montant attribué aux jeunes de 18-25 ans dans le scénario AU2 est de près de 6 milliards d’euros, soit un montant supérieur à ce dont ils bénéficient avant réforme (3,8 milliards d’euros pour les prestations perçues en propre) : des marges financières existent et pourraient être mobilisées par un redéploiement des aides publiques familialisées qui transitent par les parents (estimées à 7 milliards d’euros d’après le Haut Conseil de la famille en 2016).
Des dispositifs d’allocation unique polaires au regard des objectifs d’incitation et de lutte contre la pauvreté
27Sur la base des principes définis précédemment, cette partie propose un paramétrage de deux AU aux effets différenciés sur la pauvreté et les incitations à l’activité.
Un paramétrage calé sur les dispositifs remplacés et visant à garantir une revenu minimal constant par unité de consommation
28Le mode de calcul de l’AU retenu dans cet article s’appuie sur la logique d’un revenu garanti commune aux minima sociaux et prévoit des majorations en fonction de différentes caractéristiques. Afin d’appréhender la mesure dans laquelle l’introduction d’incitations financières à l’activité (et donc, à enveloppe constante, la baisse du montant forfaitaire) contribue à modifier les effets de l’AU, deux scénarios sont analysés.
29Le premier scénario (AU1) consiste à mettre en place une allocation strictement différentielle sans abattement sur les revenus d’activité. Dans ce cadre, l’incitation à l’activité est nulle jusqu’à ce que les revenus de l’individu soient supérieurs au montant forfaitaire. En effet, pour un euro de revenu perçu, le niveau de l’allocation diminue d’autant (soit un taux marginal d’imposition de 100 %). Ce scénario – difficilement applicable d’un point de vue politique – permet de disposer d’un benchmark de type « RMI généralisé ou RSA socle » où le montant forfaitaire est maximisé pour les ménages ne percevant aucun revenu. Le montant forfaitaire de cette allocation, calibré pour répondre à la contrainte financière, est majoré en fonction de plusieurs caractéristiques. Certaines majorations permettent de tenir compte des économies d’échelle et du coût lié à la présence d’enfants. D’autres sont introduites afin de tenir compte de la zone d’habitation, de l’âge et du handicap. Si FAU1 correspond au montant forfaitaire de l’AU1, C aux caractéristiques du foyer et R aux ressources du ménage, alors l’AU est calculée trimestriellement comme suit :
31Le second scénario simulé (AU2) introduit un abattement sur les revenus d’activité et un bonus pour chaque membre du foyer percevant des revenus d’activité. Dans une logique proche de l’actuelle prime d’activité, ce dispositif permet un cumul partiel des revenus d’activité avec l’AU. Ce cumul est fixé par convention à 50 % compte tenu du triangle d’impossibilité : s’il paraît moins favorable que celui de la prime d’activité, il débouche sur des taux d’imposition qui demeurent inférieurs à ceux résultant de la dégressivité AL-prime d’activité dont le niveau est d’environ 70 % (cf. cas types). Ce cumul de 50 % permet par ailleurs de garantir, à revenu nul, un montant équivalent ou supérieur au système actuel. Cette incitation se double d’un bonus calé sur la prime d’activité : il est nul jusque 0,5 SMIC et croissant entre 0,5 et 0,8 SMIC où il atteint un plafond de 67 euros. Les majorations appliquées sont identiques au scénario AU1. Si FAU2 correspond au montant forfaitaire de l’AU2, S aux revenus d’activité du ménage et B aux bonifications attribuées, alors l’AU est calculée trimestriellement comme suit :
33Les ressources retenues pour calculer l’AU sont, abattements mis à part, identiques dans les deux scénarios. Elles comprennent les revenus d’activité, les pensions de retraite, les allocations chômage, les pensions alimentaires reçues, les revenus fonciers, les revenus financiers, les revenus accessoires et les revenus imposés à l’étranger. Les loyers fictifs sont par ailleurs intégrés dans la base « ressources » de l’allocation afin de ne pas biaiser à la hausse la redistribution vers les propriétaires non accédants.
34Le niveau mensuel du montant forfaitaire est calibré afin de respecter l’enveloppe financière allouée à la prestation. Il dépend donc du scénario et des majorations imputées. En particulier, en raison de l’abattement sur les revenus d’activité, le scénario AU2 concerne davantage de foyers que le scénario AU1 : son montant forfaitaire est donc inférieur à ce dernier. Comme nous l’avons souligné précédemment, les majorations appliquées au montant forfaitaire visent à tenir compte de la composition de la famille et de la spécificité des dispositifs fusionnés dans la nouvelle prestation. Ainsi, dans les deux scénarios, le montant forfaitaire de l’allocation unique est majoré en fonction des caractéristiques suivantes : vie en couple, présence d’enfant(s) à charge, isolement (monoparentalité), personne(s) handicapée(s) vivant dans le foyer, personnes âgées et zone d’habitation.
35Concernant la présence d’un conjoint ou d’enfants à charge, nous nous basons sur les échelles d’équivalence de l’Insee en cherchant à garantir un niveau de vie constant par unité de consommation. Ces échelles permettent notamment de garantir une certaine cohérence avec les mesures de la pauvreté. Sur cette base, la majoration liée à la présence d’un conjoint est fixée à 50 % du montant forfaitaire. Dans la mesure où les allocations familiales ne sont pas supprimées, les majorations pour enfant sont également paramétrées de sorte que, cumulées avec les allocations familiales, elles garantissent un niveau de vie constant par UC : le taux de ces majorations varie donc avec le niveau du montant forfaitaire. Cette propriété, associée à l’exclusion des prestations familiales de la base « ressources », permet de garantir une certaine indépendance des politiques familiales : même si la combinaison AU-allocations familiales vise à assurer un certain revenu par unité de consommation, toute augmentation potentielle des prestations familiales ne serait pas déduite des minima sociaux, comme c’est le cas aujourd’hui.
36Une critique souvent adressée aux échelles d’équivalence est qu’elles ne tiennent pas compte du fait que le coût de l’enfant est plus élevé pour les familles monoparentales que pour les couples avec enfants (Martin et Périvier [2018]). Les inégalités femmes-hommes peuvent ainsi s’en trouver accentuées dans la mesure où cette configuration concerne dans 85 % des cas des mères vivant seules avec leurs enfants. Afin d’en tenir compte, une majoration « parent isolé » est introduite : elle est calibrée à 20 % du montant forfaitaire, ce qui permet, pour l’AU2, d’avoir, à revenu nul, une allocation unique couvrant le montant cumulé des AL, du RSA, de l’ARS et de l’ASF. Elle est versée dès lors qu’un parent élève seul son enfant, sans condition d’âge.
37Les bénéficiaires de l’AAH et de l’ASPA disposent dans le système actuel de montants mensuels supérieurs au RSA. Dans les scénarios simulés, une majoration est donc attribuée pour chaque personne handicapée du foyer : cette majoration est calibrée à 40 % de manière à couvrir, sur la base du montant forfaitaire du scénario AU2, le montant cumulé des aides au logement (montant médian de 257 euros selon le fichier FILEAS de la Cnaf de 2015) et de l’AAH (800 euros). En outre, pour compenser la suppression de l’ASPA, une majoration « personnes âgées » est attribuée pour les plus de 65 ans : elle s’élève à 30 % lorsque l’allocataire a plus de 64 ans et 15 % supplémentaires si son conjoint respecte également cette condition, en raison des économies d’échelle. Cette majoration est inférieure à celle appliquée à l’AAH dans la mesure où le montant d’aides au logement est inférieur pour les personnes âgées (montant médian de 147 euros selon le FILEAS 2015).
38Enfin, une majoration « logement » vise à tenir compte des disparités de loyer entre les différentes zones géographiques. Son calcul porte sur l’ensemble du montant forfaitaire (après imputation des autres majorations). Elle est évaluée sur la base des différences de loyers entre les zones 1 à 3, en considérant que la part de ceux-ci dans les charges totales du foyer représente 30 % du total. Afin de la calibrer, nous nous sommes basés sur les loyers médians des allocataires d’aides au logement (divisés par le nombre de personnes couvertes dans le logement) issus du fichier FILEAS 2015 de la Cnaf. Après application de la pondération de 30 %, cette majoration peut être estimée à 4,5 % pour les personnes vivant en zone 1 et à 3 % pour celles vivant en zone 2.
39Le paramétrage retenu pour les scénarios AU1 et AU2 est présenté dans le tableau 2. Les majorations et les montants forfaitaires sont calibrés avec un taux de recours de 90 %, ce qui permet de dégager une marge financière (compte tenu de l’enveloppe, le montant avec un plein recours serait de 50 milliards d’euros). En effet, si la prise en compte du non-recours n’a pas lieu d’être dans un RU, elle l’est davantage dans le cadre d’une AU dont on suppose ici qu’il s’agit d’un droit quérable. Le taux de non-recours de 10 % est implémenté comme un non-recours frictionnel aléatoire : le non-recours en masse financière est similaire au non-recours en bénéficiaires (90 % de non-recours).
Paramétrage des deux scénarios d’AU
Paramétrage des deux scénarios d’AU
Note : Calibré sur la base du modèle Myriade – ERFS2011.Champ : Ménage ordinaire de France métropolitaine.
Lecture : Dans le scénario AU1, le montant forfaitaire est de 904 euros et la majoration couple de 50 %. Pour un célibataire sans enfant vivant en zone 2 et n’ayant pas de ressources, le montant de l’AU est de 931 € dans le scénario 1 et de 753 euros dans le scénario 2.
Cas types de l’impact des dispositifs sur les montants de prestations versés et les taux marginaux d’imposition
40Afin d’illustrer l’impact d’une fusion des aides à destination des ménages modestes sur le montant versé et les taux marginaux d’imposition, il est possible de recourir à des cas types simplifiés [14] (figure 1). Trois configurations sont analysées : la situation d’un célibataire sans enfant, celle d’une famille monoparentale avec un enfant de 10 ans et celle d’un couple avec trois enfants de plus de 3 ans. Comme indiqué précédemment, le TMI est le taux d’imposition qui s’applique à la dernière unité de revenu perçue. Il est calculé comme suit [15] :
42où R correspond au revenu disponible de l’individu et S à son salaire net.
Décomposition du niveau de prestation et des taux marginaux d’imposition par configuration familiale
Célibataire sans enfant

Célibataire sans enfant
Famille monoparentale avec un enfant (10 ans)

Famille monoparentale avec un enfant (10 ans)
Couple avec trois enfants de plus de 3 ans

Couple avec trois enfants de plus de 3 ans
Décomposition du niveau de prestation et des taux marginaux d’imposition par configuration familiale
Lecture : Pour un niveau de salaire nul, un célibataire sans enfant (non retraité et hors situation de handicap) perçoit 452 euros de RSA et 272 euros d’aides au logement. Le taux marginal d’imposition est par ailleurs de 38 %.43Pour une comparaison plus directe des résultats, seules les prestations fusionnées sont représentées : les prestations inchangées telles que les allocations familiales ne sont donc pas illustrées. À revenu nul, la somme des aides versées à un célibataire vivant en zone 2 avant réforme est de l’ordre de 724 euros contre 931 euros avec l’AU1 et 753 euros avec l’AU2. Ces gains sont observables pour quasiment n’importe quel niveau de revenu pour l’AU2 dont le point de sortie est à 1,5 SMIC. La forte dégressivité des aides avec l’AU1 induit un point de sortie (niveau de revenu à partir duquel la prestation devient nulle) à 0,8 SMIC. Pour une personne seule avec un enfant de moins de 10 ans, l’AU1 implique des gains supérieurs à 300 euros à revenu nul mais elle est moins avantageuse que le système avant réforme dès 0,5 SMIC. Concernant l’AU2, elle est quasiment toujours supérieure au montant des prestations avant réforme jusqu’à son point de sortie (2,1 SMIC), seuil à partir duquel elle génère des pertes en lien avec le versement de l’ASF. Enfin, concernant les couples avec trois enfants percevant le CF, l’AU1 est associée à des gains jusque 0,65 SMIC tandis que l’AU2 est quasiment toujours supérieure aux dispositifs actuels jusque 2,3 SMIC, point à partir duquel les pertes par rapport à la situation avant réforme sont équivalentes à 229 euros, soit le montant du CF et de l’ARS dont les points de sortie se situent respectivement à 2,9 et 2,8 SMIC.
44Les cas types sur les taux marginaux d’imposition montrent que le système avant réforme produit des taux irréguliers avec le niveau de revenu et variés entre les situations familiales. Ainsi pour un célibataire, le TMI est de 38 % sur les premiers euros gagnés (en raison de l’abattement sur les revenus salariaux de la prime d’activité), puis varie fortement (de 43 % à 76 %) entre 0,3 et 1,3 SMIC du fait de l’interaction entre la fin du RSA socle, la décroissance des AL et le bonus de la prime d’activité. À partir de 1,3 SMIC, la sortie de la prime d’activité engendre une baisse du taux marginal d’imposition à 13 % suivie d’une augmentation à 28 % liée à un effet décote [16] lorsque l’individu devient imposable à l’impôt sur le revenu. Cette irrégularité des taux marginaux d’imposition est encore plus marquée pour les foyers percevant des prestations familiales sous conditions de ressources. Ainsi, la sortie de l’ARS à 1,95 SMIC pour les familles monoparentales avec un enfant produit un pic dans les taux marginaux à 70 %. L’exclusion du CF et de l’ARS pour les couples avec trois enfants de plus de 3 ans est quant à elle associée à un taux marginal qui dépasse 300 % à 2,9 SMIC.
45Comme nous l’avons vu précédemment, cette variabilité des TMI n’est pas justifiée d’un point de vue économique et résulte de l’enchevêtrement des dispositifs. Dans ce cadre, la fusion des minima sociaux, des AL et des prestations familiales sous conditions de ressources tend à lisser fortement ces taux. Comme attendu, le scénario AU1 crée une « trappe à bas revenu » qui s’étend de 0 à 0,8 SMIC (point de sortie de l’AU1) avec un TMI de 100 % (non incitatif à l’activité) qui chute à 0 % avant que la décote de l’impôt ne se déclenche. De son côté, l’AU2 affiche un profil très proche du cumul AL-RSA-prime d’activité tout en améliorant sensiblement la lisibilité des transferts socio-fiscaux : le taux marginal à 50 % n’est perturbé que par le déclenchement du bonus et sa combinaison avec la décote de l’impôt (TMI de 70 %). Ainsi, il est possible d’observer que, sur cas types, les TMI associés aux réformes d’AU sont fortement lissés et permettent d’éviter les effets de seuil engendrés par les prestations familiales. Seul l’effet décote vient perturber ce lissage à 1,7 SMIC pour les familles monoparentales avec un enfant.
46Si elle permet de bien illustrer les mécanismes sous-jacents aux différentes prestations, l’analyse par cas types présente des limites importantes pour évaluer les effets des politiques publiques car ils ne reflètent pas l’hétérogénéité des configurations. Dans ce cadre, la section suivante propose d’approfondir l’analyse d’une réforme des prestations à destination des ménages modestes à partir d’une analyse basée sur un échantillon représentatif.
Les effets de l’allocation unique sur la pauvreté et l’incitation à l’activité : une analyse sur échantillon représentatif
47Sur la base du modèle Myriade, cette partie a pour objectif d’évaluer les effets de l’unification des prestations à destination des ménages modestes au regard des objectifs de lutte contre la pauvreté et d’incitation à l’activité. Après avoir présenté l’impact de l’AU sur les bas revenus et décomposé la contribution des différentes catégories familiales aux indicateurs de pauvreté, nous analysons son effet sur la distribution des TMI.
Une diminution de la pauvreté qui dépend des caractéristiques du foyer
La fusion des prestations à destination des ménages modestes génère un nombre important de perdants dans les bas revenus mais diminue les taux de pauvreté et les inégalités
48Les scénarios d’AU que nous avons paramétrés sont centrés sur les ménages modestes et poursuivent un objectif de réduction de la pauvreté sans redistribution en dehors du périmètre des ménages modestes. Pour mieux comprendre les effets redistributifs de la réforme, il est tout d’abord possible de caractériser les ménages qui « gagnent » ou « perdent » (figure 2) [17]. De façon cohérente avec les cas types, l’analyse gagnants/perdants par niveau de vie initial (avant réforme) montre que les deux scénarios d’AU impliquent une redistribution vers les ménages les plus pauvres. L’AU1 est associée, compte tenu de son montant forfaitaire, à une proportion importante de gagnants dans le premier décile (76 %) qui est cependant compensée par une part de perdants plus élevée à partir du deuxième décile. Ce constat résulte directement du dilemme redistribution/incitation à l’activité évoqué précédemment. Le scénario AU2 tend également à mieux cibler les bas revenus avec 72 % de ménages gagnants dans le premier décile. Il a par ailleurs des effets plus diffus sur le reste de la distribution. En effet, si l’on met en perspective les gagnants avec les perdants « hors assiette », on constate qu’avec l’AU2, la part de gagnants dans les deuxième et troisième déciles (respectivement 41 % et 29 %) est supérieure à la part de perdants « hors assiette » (respectivement 25 % et 17 %). Dans le scénario AU2, les perdants des premiers déciles sont principalement des ménages percevant des revenus qui ne bénéficient pas de l’abattement de 50 % (retraite, allocations de chômage, etc.). Pour ces derniers, le point de sortie de l’allocation intervient en effet plus tôt que pour les salariés.
Part de gagnants/perdants par décile de niveau de vie

Part de gagnants/perdants par décile de niveau de vie
Champ : Ménages ordinaires de France métropolitaine (personne de référence non étudiante et revenu déclaré positif). Les déciles sont calculés en population générale sur les niveaux de vie initiaux avant réforme.Lecture : Dans le scénario AU1, 76 % des ménages du premier décile de niveau de vie gagnent à la réforme et 20 % sont perdants (dont 7 % sont perdants « hors assiette »).
49En termes de pauvreté, les effets du ciblage sur les premiers déciles de niveau de vie dépendent de l’indicateur retenu (tableau 3) [18]. Si l’on calcule le taux de pauvreté [19] en considérant l’évolution du seuil de pauvreté avec la nouvelle distribution des revenus (seuil relatif), les deux scénarios analysés contribuent – à enveloppe constante – à diminuer la pauvreté de 0,3 point pour l’AU1 et de 2,1 points pour l’AU2. En raisonnant à seuil constant (seuil calculé sur les niveaux de vie initiaux), la part d’individus pauvres tend à croître avec le scénario AU1 (+ 0,2 point) et diminue avec l’AU2 (– 0,4 point). Les effets ambigus du premier scénario s’expliquent par son ciblage sur des individus qui se situent bien en deçà du seuil de pauvreté et sa forte dégressivité qui tend à pénaliser ceux proches de celui-ci. À l’inverse, la redistribution plus lisse opérée par l’AU2 produit des résultats non négligeables sur le nombre de personnes pauvres. Ce dispositif d’AU a par ailleurs tendance à diminuer sensiblement les inégalités mesurées par l’indicateur de Gini (de 29,1 % à 27,5 %) et le rapport interdécile (de 3,54 à 3,29). Les effets de l’AU1 semblent aller dans ce sens mais demeurent très faibles (29 % pour l’indicateur de Gini et 3,46 pour l’écart interdécile).
Impact d’une fusion des prestations sur le niveau de vie, le taux de pauvreté et les inégalités
Avant réforme | AU 1 | AU 2 | |
---|---|---|---|
Niveau de vie (y compris loyers fictifs) | |||
Moyenne | 26 248 € | 26 180 € | 25 073 € |
Médiane | 22 645 € | 22 394 € | 21 849 € |
1er décile | 12 126 € | 12 415 € | 12 337 € |
9e décile | 42 895 € | 42 901 € | 40 607 € |
Taux de pauvreté à 60 % | |||
Seuil relatif | 14,8 % | 14,5 % | 12,7 % |
Seuil constant (avant réforme) | 14,8 % | 15 % | 14,4 % |
Inégalités | |||
Rapport interdécile (D9/D1) | 3,54 | 3,46 | 3,29 |
Gini | 29,1 % | 29,0 % | 27,5 % |
Impact d’une fusion des prestations sur le niveau de vie, le taux de pauvreté et les inégalités
Champ : Ménages ordinaires de France métropolitaine (personne de référence non étudiante et revenu déclaré positif).La décomposition des indicateurs de pauvreté : des réformes qui désavantagent certaines catégories fragiles de la population
50Pour mieux comprendre les effets hétérogènes des dispositifs d’AU sur la pauvreté, il est possible de recourir à des indicateurs de classe FGT (Foster, Greer et Thorbecke [1984]) qui permettent de décomposer la contribution de différents sous-groupes à la pauvreté.
51Si l’on considère une population composée de n individus avec y le vecteur de niveau de vie de ces individus, z le seuil de pauvreté, q le nombre d’individus pauvres et gi l’écart au seuil de pauvreté (gi = z – yi) alors les indicateurs décomposables de classe FGT notés Pa sont définis comme suit :
53Le paramètre a peut être appréhendé comme un paramètre d’aversion à la pauvreté : il permet d’accorder plus ou moins d’importance à l’intensité de pauvreté, c’est-à-dire aux individus qui sont éloignés du seuil de pauvreté. Ainsi, P0 correspond au taux de pauvreté et P1 est une mesure normalisée de l’écart au seuil de pauvreté. Pour décomposer ces indicateurs, il suffit de les pondérer par les effectifs des sous-groupes étudiés. Ainsi, si la population est divisée en m groupes d’individus j = 1,…,m, où y(j) est le vecteur de niveau de vie des nj individus appartenant au groupe j, on a :
55Les indicateurs calculés pour chacune des situations sont présentés dans le tableau 4. Le seuil de pauvreté z est celui obtenu avant réforme [20]. L’indicateur FGT1 (qui peut s’interpréter comme une mesure de l’intensité de pauvreté) montre que l’AU1, si elle ne parvient pas à réduire le nombre de personnes pauvres, permet de limiter la grande pauvreté en raison de son ciblage sur les très bas revenus (indicateur FGT1 de 0,026 contre 0,033). L’AU2 permet également d’atténuer l’écart de pauvreté par rapport à la situation initiale mais dans une moindre mesure (0,029).
Indicateurs de classe FGT et contribution à la pauvreté
Avant réforme | AU 1 | AU 2 | |
---|---|---|---|
Indicateurs FGT | |||
FGT0 (taux de pauvreté) | 14,84 % | 15,02 % | 14,37 % |
FGT1 (écart de pauvreté) | 0,033 | 0,026 | 0,029 |
Contribution à la pauvreté (FGT1) | |||
Famille | |||
1. Isolé sans enfant | 20 % | 19 % | 24 % |
2. Monoparentale | 19 % | 17 % | 21 % |
3. Couple sans enfant | 11 % | 11 % | 11 % |
4. Couple avec enfant | 44 % | 51 % | 41 % |
5. Autres | 6 % | 3 % | 3 % |
Âge | |||
1. Moins de 25 ans | 47 % | 45 % | 43 % |
2. 25-39 ans | 21 % | 23 % | 20 % |
3. 40-54 ans | 19 % | 20 % | 20 % |
4. 55-64 ans | 8 % | 9 % | 10 % |
5. 65 ans et plus | 5 % | 4 % | 8 % |
Prestation spécifiques | |||
1. AAH | 6 % | 6 % | 9 % |
2. ASPA | 4 % | 3 % | 6 % |
3. Autres | 90 % | 91 % | 85 % |
Indicateurs de classe FGT et contribution à la pauvreté
Champ : Ménages ordinaires de France métropolitaine (personne de référence non étudiante et revenu déclaré positif).Lecture : Avant réforme, les couples avec enfant contribuent à 44 % à l’intensité de pauvreté.
56En termes de contribution à FGT1 [21], les résultats obtenus montrent que dans la situation initiale, ce sont les couples avec enfant (notamment ceux qui ont plus de trois enfants) qui, compte tenu de leurs effectifs, contribuent davantage à la pauvreté (contribution de 44 %), suivis des isolés sans enfant (20 %), des familles monoparentales (20 %) et des couples sans enfant (11 %). L’analyse par âge indique que la contribution à la pauvreté est strictement décroissante avec l’âge (47 % pour les moins de 25 ans contre 5 % pour les plus de 65 ans). La décomposition que nous effectuons montre que les réformes d’AU ont tendance à modifier la répartition des effets entre les différents sous-groupes. Ainsi, l’AU1 diminue la contribution de toutes les configurations familiales au détriment des couples avec enfant (passage de 44 % à 51 %). L’AU2 accroît de son côté la contribution des familles monoparentales (de 19 % à 21 %), des anciens bénéficiaires de l’AAH (de 6 % à 9 %) et du minimum vieillesse (de 4 % à 6 %). Cette augmentation de la contribution à FGT1 ne signifie pas forcément que la réforme accroît l’intensité de la pauvreté. En effet, l’AU1 diminue l’intensité de l’ensemble des configurations tandis que l’AU2 désavantage les bénéficiaires de l’AAH et de l’ASPA (augmentation respective de l’intensité de 32 % et 34 %). Concernant les familles monoparentales, l’AU2 semble n’avoir aucun effet significatif.
57Ce résultat suggère qu’au regard des indicateurs produits, les familles monoparentales sont relativement moins ciblées dans l’objectif de lutte contre la pauvreté que les autres configurations. Du point de vue des gains et des pertes, des résultats produits par ailleurs montrent que si la proportion de gagnants avec AU2 parmi les familles monoparentales est toujours supérieure aux perdants « hors assiette », ces derniers représentent entre 10 et 20 % sur les cinq premiers déciles pour des pertes moyennes de 200 euros par mois, ce qui n’est pas négligeable. Ce résultat est lié à la suppression de l’ASF et à celle du cumul entre les prestations familiales et les AL. De même, concernant l’AAH, la proportion de gagnants dans les deux premiers déciles est proche de 90 % tandis que celle des perdants est de 50 % dans le deuxième décile (avec des pertes de l’ordre de 240 euros et 480 euros par mois). Ce résultat est principalement lié à l’absence d’abattement (l’AAH implique certains abattements spécifiques sur les allocations chômage par exemple).
Les impacts sur l’incitation à l’activité : une approche par les taux marginaux d’imposition
58Comme nous l’avons souligné, les propositions qui s’intéressent à la fusion des aides aux ménages modestes ont, parallèlement à la réduction de la pauvreté, un objectif d’incitation à l’activité. Afin d’appréhender cette dimension, nous retenons l’indicateur du TMI assez courant dans les approches par microsimulation (Fourcot, Rioux et Sicsic [2017] ; Legendre, Lorgnet et Thibault [2003]). En reprenant la notation de Fourcot, Rioux et Sicsic [2017], le taux marginal d’imposition pour un individu i appartenant au ménage m peut être défini comme suit :
60avec Rm le revenu disponible du ménage m, Si le revenu d’activité net de l’individu i, Tm et Pm respectivement les prélèvements et les prestations du ménage m. Dans cet article, nous simulons un choc positif sur les revenus de 3 % : il s’agit d’un taux médian de la littérature sur le sujet permettant d’éviter les effets de seuil et les taux marginaux d’imposition artificiellement élevés (Fourcot, Rioux et Sicsic [2017]). Les chocs sont appliqués au revenu net (après cotisations salariales et patronales) de chaque individu du ménage indépendamment : notre champ porte donc exclusivement sur les individus percevant des revenus d’activité positifs. Pour apprécier l’effet plein sur les TMI, nous supposons par ailleurs un recours total au RSA, à la prime d’activité et aux dispositifs d’AU.
61Il convient de noter que cet article ne permet pas de traiter les questions relatives aux réactions extensives de l’offre de travail puisque les chocs ne concernent par définition que les individus en emploi : les gains à la reprise d’emploi ne sont donc pas étudiés ici. Par ailleurs, nous ne tenons pas compte des ajustements qu’engendrerait une augmentation de 3 % des revenus sur l’offre de travail avant réforme et, au-delà, l’effet d’une modification des TMI avec l’introduction de l’AU. Cette prise en compte nécessite de simuler des réactions comportementales que les modèles de microsimulation portant sur la redistribution ne prennent pas en compte aujourd’hui.
62L’analyse que nous proposons n’en demeure pas moins originale dans la littérature et l’évaluation des effets de premier tour permet d’éclairer sur de potentiels ajustements d’offre de travail. Les résultats présentés dans cette section peuvent être interprétés comme des TMI ex ante qui, dans l’hypothèse où les individus peuvent les observer, président à leurs choix de modifier leur participation au marché du travail. Comme le souligne Lehmann [2016], les travaux sur la taxation optimale pointent une dissonance entre les TMI réellement appliqués et les TMI intégrés par les agents compte tenu de la complexité des barèmes : ces derniers ne répondent donc pas forcément à la distribution des TMI mais seulement au barème qu’ils ont compris. De ce point de vue, estimer la distribution des TMI avant et après réforme permet d’appréhender si une simplification des prestations à destination des bas revenus, se traduit réellement par moins d’hétérogénéité et de variabilité dans les taux marginaux ex ante, ce qui permettrait potentiellement de réduire le décalage entre les TMI appliqués et ceux intégrés par les agents.
63La figure 3 présente l’hétérogénéité des taux marginaux d’imposition avant et après réforme en fonction du centile de revenu net par unité de consommation. Ces résultats sont proches de ceux présentés par Fourcot et Sicsic [2017] [22], ce qui suggère que l’entrée en vigueur de la prime d’activité n’a pas profondément modifié le profil des TMI. Concernant les réformes d’AU, les résultats sur les taux médians montrent que la fusion de prestations à destination des ménages modestes ne permet pas de lisser les taux marginaux d’imposition. En particulier, jusqu’au trentième centile de revenu net, l’AU2 affiche un taux médian plus irrégulier que dans la situation avant réforme. La simplification des aides à destination des ménages modestes pourrait ainsi conduire à des phénomènes de circularité tels que nous les avons définis précédemment. De même, l’introduction des dispositifs d’AU ne limitent pas – ou peu – la dispersion des TMI. Du fait de l’amplitude des taux pratiqués (dégressivité à 100 %), l’AU1 est associée à la distribution dont l’étendue est la plus importante. Du fait du plafonnement du taux marginal à 50 %, l’AU2 permet de diminuer l’hétérogénéité, notamment en raison de l’existence de taux à 70 % avant réforme liés au cumul AL-prime d’activité.
Distribution des taux marginaux d’imposition par centile de revenu net par unité de consommation


Distribution des taux marginaux d’imposition par centile de revenu net par unité de consommation
Champ : Individus percevant des revenus d’activité positifs et appartenant à des ménages ordinaires de France métropolitaine.Lecture : Parmi les individus appartenant au cinquantième centile de revenu net par UC, 25 % ont un taux marginal supérieur ou égal à 20 % avant réforme et avec l’AU1.
64Ces résultats sur l’irrégularité et la variabilité, qui n’est pas sensiblement améliorée avec le système d’AU, contrastent fortement avec les cas types présentés ci-avant. Ils s’expliquent principalement par la complexité de la composition des ressources des ménages. À titre d’exemple, un individu non imposable qui perçoit des revenus non salariaux ne lui permettant pas de bénéficier de l’AU peut avoir un TMI nul. De même, les différences entre l’unité du ménage et l’unité du foyer d’AU peut conduire à des situations non prévues par les cas types (deux foyers pouvant exister dans un même ménage). Compte tenu de ces éléments, l’uniformisation des prestations à bas revenu ne garantit pas un TMI uniformisé. Ainsi, après réforme, l’hétérogénéité demeure forte dans les bas revenus et plus faible dans le haut de la distribution, ce qui confirme les résultats mis en évidence pour Fourcot, Rioux et Sicsic [2017], y compris après entrée en vigueur de la prime d’activité.
Conclusion
65Cet article a pour objectif de prolonger les analyses sur les dispositifs de simplification des aides aux ménages modestes. Pour ce faire, nous avons proposé l’analyse d’un dispositif d’allocation unique neutre pour les finances publiques et ne remettant pas en cause certaines caractéristiques du système français, notamment sa dimension familialisée. Sur la base d’une enveloppe de 45,4 milliards d’euros correspondant au montant total des prestations fusionnées dans la nouvelle AU, deux scénarios ont été testés. Ces derniers répondent à des modes de calcul similaires reposant sur un montant forfaitaire majoré en fonction de plusieurs caractéristiques (configuration familiale, handicap, etc.), mais ils diffèrent sur la manière dont ils tiennent compte des revenus d’activité : seul le second scénario permet un cumul de l’AU avec les revenus tirés du marché du travail. Dans ce cadre, l’apport de notre démarche est de produire des indicateurs permettant d’apprécier finement l’impact d’une simplification des prestations au regard des objectifs de lutte contre la pauvreté et d’incitation à l’activité. Sur ce dernier point, l’article propose notamment une évaluation originale des effets d’une allocation unique sur la distribution des TMI.
66Les résultats obtenus montrent qu’il est possible de simplifier les aides à destination des ménages modestes à coût constant tout en diminuant de manière significative la pauvreté et les inégalités. Le second scénario diminue par exemple le taux de pauvreté de – 0,4 point à seuil constant et l’indicateur de Gini de 29,1 % à 27,5 %. La décomposition de ces indicateurs montre cependant que certaines catégories fragiles de la population sont défavorisées par ce type de dispositif, notamment les bénéficiaires de l’AAH et de l’ASPA pour lesquels l’intensité de la pauvreté augmente de plus de 30 %. Concernant les familles monoparentales, l’effet sur la pauvreté semble neutre mais l’introduction de l’AU est associée à un nombre important de perdants (entre 10 % et 20 % sur les cinq premiers déciles pour des pertes moyennes de 200 euros par mois). Cet effet de l’AU peut être difficile à assumer d’un point de vue politique, et ce, même si la pauvreté globale est diminuée. De ce point de vue, comme le proposent Ben Jelloul et al. [2018], il est possible d’envisager d’accroître l’enveloppe financière à destination des bas revenus, mais cette option, si elle est souhaitable au regard des indicateurs produits, semble difficile à envisager dans le contexte budgétaire actuel.
67En termes d’incitation à l’activité, les résultats que nous obtenons montrent que la simplification des dispositifs ne va pas forcément de pair avec des taux marginaux d’imposition plus réguliers et plus homogènes. Les taux médians observés dans le scénario 2 sont même plus variables avec le revenu que ne l’est le système avant réforme, et ce malgré l’inclusion dans l’AU de prestations familiales qui produisent des effets de seuil importants. Ce constat résulte de l’interaction de l’AU avec des éléments autres que les revenus salariaux, notamment le nombre de personnes à charge, la situation conjugale et les ressources des autres membres du ménage. Au regard de la théorie de la taxation optimale, l’AU ne permet pas de rendre les TMI cohérents et elle est susceptible de générer des phénomènes de circularité et d’accroître le décalage entre TMI réels et TMI compris par les agents. Cette analyse pourrait faire l’objet de développements ultérieurs en intégrant des réactions d’offre de travail aux nouvelles distributions de TMI.
68De manière plus générale, il demeure bien entendu possible de recalibrer les scénarios proposés afin d’en rééquilibrer les effets pour les catégories perdantes de la population. Ces recalibrages sont néanmoins susceptibles de réduire l’intérêt simplificateur d’un dispositif unique qui, dans son barème et ses modalités de mise en œuvre, pourrait se révéler aussi complexe que l’amoncellement des dispositifs actuels.
Cet article a été réalisé lorsque l’auteur était en poste à la direction des Statistiques, des Études et de la Recherche de la Caisse nationale des allocations familiales. Les jugements et opinions exprimés par l’auteur n’engagent cependant que lui-même et non les institutions auxquelles il appartient ou a appartenu.
Notes
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[1]
Le taux marginal d’imposition reflète la proportion de revenu d’activité qui est captée par le système socio-fiscal, après une variation de celui-ci. Autrement dit, il s’agit du taux d’imposition appliqué à la dernière unité de revenu d’activité perçue. Ce TMI est un indicateur permettant d’apprécier les incitations à l’activité du système socio-fiscal (Mankiw, Weinzierl et Yagan [2009]).
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[2]
Ces travaux recouvrent par exemple des rapports gouvernementaux (Sirugue, Cadoret et Grobon [2016]), des recommandations issues d’organismes de recherche (Ben Jelloul et al. [2018] ; Allègre et Sterdyniak [2017]) ou encore de fondations (Groupe de travail Revenu universel de la Fondation Jean-Jaurès [2017] ; Fondation iFRAP [2016] ; Chérèque et al. [2016]).
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[3]
Plus précisément, ce plan (« Stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté ») prévoit la création en 2020 d’un revenu universel d’activité ayant pour objectif de fusionner le plus grand nombre possible de prestations. Même si l’intitulé de la mesure laisse penser qu’il s’agit d’un RU, le caractère conditionnel du dispositif renvoie davantage aux caractéristiques d’une allocation unique.
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[4]
La PPE était un crédit d’impôt individualisé et sans condition d’âge, versé automatiquement par l’administration fiscale à partir des déclarations de revenus. La PPE à laquelle les individus pouvaient prétendre était diminuée du montant de RSA activité perçu l’année précédente.
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[5]
L’entrée en vigueur de la prime d’activité, si elle contribue à simplifier les taux marginaux en fusionnant RSA activité et PPE, ne parvient pas à limiter de manière importante cette hétérogénéité (cf. infra).
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[6]
Le « crédit universel » est une prestation entrée en vigueur au Royaume-Uni en 2012 qui a pour objectif principal de rendre le système social plus lisible pour les allocataires et d’accroître les incitations à l’activité.
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[7]
À titre d’exemple, Basquiat [2016] illustre les gains financiers dans les bas déciles à partir d’indicateurs exprimés « en moyenne » sans tenir compte de l’hétérogénéité des effets étudiés.
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[8]
Les unités de consommation attribuent 1 UC au premier adulte du ménage, 0,5 UC aux autres personnes de 14 ans ou plus et 0,3 UC aux enfants de moins de 14 ans.
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[9]
Le niveau de vie est égal au revenu disponible du ménage divisé par le nombre d’UC. Le niveau de vie est donc le même pour tous les individus d’un même ménage.
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[10]
Les loyers fictifs sont intégrés à hauteur de 100 % pour les propriétaires non accédants et 50 % pour les propriétaires accédants : en effet, ne disposant pas de données sur le montant du capital remboursé par les propriétaires accédants, on suppose que ces derniers sont uniformément répartis.
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[11]
Cette borne permet d’exclure les situations singulières dans lesquelles des ménages appartenant à des déciles supérieurs bénéficient de minima sociaux. Il est possible de noter par ailleurs que retenir une borne de 90 % n’aurait pas d’implication sur le périmètre des prestations fusionnées.
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[12]
Il convient de noter que sont exclues, d’une part, les allocations chômage et les pensions de retraites qui relèvent des régimes d’assurance (y compris l’allocation de solidarité spécifique versée par Pôle emploi) et, d’autre part, les dispositifs d’allègement des cotisations sociales patronales ou salariales, qui relèvent plutôt de la politique de l’emploi.
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[13]
De même, l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé (AEEH) n’est pas intégrée car elle a une visée spécifique et bénéficie à 40 % de ménages non modestes.
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[14]
Ces cas types ne tiennent compte que des salaires perçus et non des autres sources de revenus (allocations chômage, pensions de retraites, revenus du patrimoine, etc.). On suppose par ailleurs une réaction immédiate du montant des aides aux variations de salaires.
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[15]
Dans cet article, nous rapportons la variation de revenu disponible au salaire net : le taux marginal d’imposition illustre alors uniquement l’effet des prestations et de l’impôt sur le revenu. Il ne tient donc pas compte des cotisations sociales, de la CSG et de la CRDS qui ont un impact sur le passage du salaire brut au salaire net.
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[16]
La décote est une réduction d’impôt octroyée aux foyers dont l’impôt ne dépasse pas un certain plafond. Pour une discussion sur ce point, voir Lehmann [2016].
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[17]
Les gagnants (perdants) sont définis ici comme les ménages dont la variation du revenu disponible après réforme est supérieure (respectivement inférieure) à 1 %. Parmi les perdants, nous distinguons la catégorie des perdants « hors changement d’assiette » qui ne sont ni propriétaires ni accédants.
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[18]
Ces indicateurs sont calculés sur un niveau de vie modifié, c’est-à-dire en incluant les loyers fictifs pour les propriétaires. Ce choix garantit une certaine cohérence avec le mode de calcul de l’AU qui prend en compte ces revenus.
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[19]
Part des individus dont le niveau de vie est inférieur à 60 % du niveau de vie médian.
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[20]
Ainsi, les résultats obtenus pour une valeur nulle de a sont identiques à ceux sur les taux de pauvreté à seuil constant du tableau 4.
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[21]
Les taux de contribution des différentes classes à FGT0 fournissent des résultats sensiblement proches.
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[22]
Voir notamment l’annexe de Fourcot et Sicsic [2017]. Les taux présentés ici sont plus élevés dans la mesure où nous supposons un plein recours aux prestations quérables.