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Introduction

1Parmi les objectifs de développement durable adoptés par les Nations unies en 2015, l’objectif 11 cible en particulier le renforcement de l’urbanisation durable. Les critiques de l’étalement urbain portent à la fois sur des enjeux internes aux espaces urbains – risque de déclin des centres-villes, éloignement des emplois générant des mobilités très importantes, tri socio-spatial et coûts économiques renforcés par l’étalement, congestion automobile – et externes : caractère énergivore de l’étalement urbain, émissions de gaz à effet de serre (GES), destruction de la biodiversité, surconsommation d’espace et de ressources (Emelianof [2008]). Cette évolution conceptuelle et théorique a beaucoup contribué à renouveler les principes de planification urbaine désormais largement orientés vers la lutte contre l’étalement urbain et la recherche de la forme urbaine durable. La densité est ainsi devenue le critère phare de la ville durable et son corollaire, le modèle de la ville compacte, considéré comme une alternative à la ville étalée (Guérois [2003]). Ce critère et ces modèles guident les principales politiques et doctrines de densification [1], telles que la Loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite loi SRU (2000). Face aux coûts de l’urbain étalé et fragmenté, la ville compacte présente de nombreux avantages : une économie des sols non urbanisés, une économie d’énergie et de la quantité de polluants et de GES émis par tête grâce à une réduction des déplacements, des avantages en termes de mixité et de cohésion sociale et enfin une réduction des coûts d’urbanisation ; autant d’éléments intégrés dans les théories d’urbanisme compact telles que le nouvel urbanisme ou la densification pavillonnaire (BIMBY, Build in my backyard) (Darley et Touati [2013]). Alors que de nombreux travaux se sont penchés sur les impacts environnementaux ou sociaux de l’étalement urbain (voir Ahlfeldt et Pietrostefani [2017] pour une revue de littérature), peu d’études se sont intéressées aux liens entre densification, forme urbaine et coûts d’urbanisation, a fortiori sur le cas français (Calvet [2010]). Cet article vise à estimer l’impact de la densification sur les finances locales, c’est-à-dire comment la densification affecte le coût des infrastructures et services fournis par les communes et leurs regroupements. La démarche est avant tout exploratoire, notamment par l’intégration de variables de forme intra-urbaine peu utilisées dans les spécifications économétriques. Il s’agit d’alimenter les réflexions des maires ou présidents de communauté quant à leur intérêt financier à densifier leurs territoires, en montrant que les effets sont dépendants du contexte géographique. La densification est en effet susceptible de modifier les coûts de fourniture des infrastructures et services publics à travers : 1) des coûts de saturation et congestion des équipements et infrastructures, 2) la construction de nouveaux réseaux ou infrastructures (canalisations d’eau, écoles, etc.) et enfin 3) la diversification de la gamme d’infrastructures et services publics avec l’augmentation de la taille de la collectivité, renvoyant à un « effet zoo » (Oates [1988]). Nous pouvons enfin attendre des économies d’échelle ou de densité (Ladd [1994]), permises par un usage plus cohérent du sol et une optimisation de la gestion des réseaux techniques (Da Cunha et al. [2005]). L’impact financier dépend ainsi de l’importance des coûts et économies relatifs à la densification.

2Cette problématique présente un double défi théorique et méthodologique. Premièrement, les coûts de fourniture de la plupart des infrastructures et services publics ne sont généralement pas observables et ne sont donc pas comparables entre collectivités locales. Les dépenses, en revanche, sont observables mais ne peuvent être comparées directement, car des différences de dépenses par tête entre communes peuvent provenir de différences de coûts mais aussi refléter des différences de niveaux de services publics offerts qui dépendent de la diversité des préférences locales des ménages ou des entreprises, ou encore du niveau de saturation et de vieillissement des équipements. Ainsi, une approche généralement retenue par les économistes consiste à estimer un modèle économétrique expliquant les dépenses par tête, en fonction de la densité comme variable d’intérêt, avec des variables de contrôle censées expliquer les différentes sources d’inégalités dans la formation des dépenses des collectivités (Ladd [1992]).

3Deuxièmement, les économistes s’intéressant à l’impact de la densification sur les dépenses publiques réduisent, généralement, la densité au simple rapport entre un nombre (habitants, entreprises ou emplois) et la superficie totale de l’unité d’observation. Cependant, dans les domaines de la géographie et de l’urbanisme, cette mesure fait l’objet de débats théoriques, et des mesures différentes, rendant mieux compte de l’hétérogénéité interne des espaces bâtis, sont discutées. Le choix du dénominateur, i.e. unité spatiale (unité de logement, surface de terrain brute ou nette ou autres indicateurs de superficie), est particulièrement sensible. On distingue ainsi la densité nette, qui prend en compte l’ensemble des surfaces occupées uniquement par une affectation donnée (urbain, logement, activité, commerce, équipement…), à l’exclusion des autres affectations, de la densité brute, qui prend en compte l’ensemble de la surface, sans exclusion. Le recours à une densité nette pour étudier l’impact de la densité sur les dépenses locales présente plusieurs avantages. Elle retranscrit précisément l’intensité de l’occupation du sol par les activités, car seul l’espace effectivement occupé est pris en compte. Ensuite, la densité nette permet, dans une certaine mesure, de s’affranchir du biais d’hétérogénéité spatiale lié au découpage administratif puisque la problématique liée à la grande variabilité de la taille des unités spatiales est en partie évacuée : il est sinon délicat de comparer les densités de communes de tailles variables et hétérogènes. Enfin, la densité nette n’est pas biaisée par le caractère urbain ou rural de la commune qui influence grandement l’utilisation du sol. Des territoires très différents en termes d’usage du sol sont comparés sur la base de caractéristiques communes (Girard [2016]). Le choix du numérateur peut également varier, totalisant au choix les résidents, les actifs, les emplois ou bien d’autres catégories. Par ailleurs, les formes urbaines, les densités mesurées pour le bâti peuvent ne pas être en relation directe avec les densités de population ou d’emploi. Ainsi des formes urbaines similaires peuvent correspondre à des densités de population très différentes. Inversement, une densité identique peut correspondre à des configurations locales de concentration, dispersion ou fragmentation des distributions spatiales très hétérogènes (Le Néchet [2015]), qui affectent la disposition et la saturation des équipements publics, notamment selon leur répartition sur le territoire.

4Cet article, qui réunit économistes et géographes, vise à montrer dans quelle mesure les résultats sont sensibles 1) à la mesure de la densité et 2) à la forme urbaine. Plus précisément, dans un périmètre correspondant aux dix aires urbaines françaises les plus peuplées, nous avons collecté des données au niveau communal et au niveau intercommunal pour l’année 2015. Nous retenons deux mesures différentes de densité humaine nette (population + emplois) reposant sur deux méthodes distinctes de calcul de la surface urbanisée. La première consiste à sommer à l’échelle communale la surface au sol des bâtiments à usage résidentiel et non résidentiel présents dans la BD TOPO. La seconde, proposée par le Centre d’études sur les réseaux, les transports, l’urbanisme et les constructions publiques (CERTU) s’appuie sur une méthode de dilatation-érosion des éléments de la BD TOPO pour reconstituer une tache urbaine. En outre, comme le recommandent Guérois [2003] et Le Néchet [2015], au-delà de l’effet pur de la densification, il convient d’analyser les effets de la forme urbaine, ce que nous faisons à travers trois variables : l’indice de Gini de la densité nette de population, la distance moyenne entre deux habitants et la part de la surface urbanisée. Pour chacune des deux mesures de densité, en contrôlant par les trois variables de forme urbaine, nous estimons une fonction de dépenses consolidées au niveau du bloc communal (commune + son groupement intercommunal), où les dépenses sont alternativement les dépenses de fonctionnement et d’investissement. Afin de capter le potentiel impact non linéaire de la densité sur ces dépenses, nous estimons des spécifications flexibles basées sur des fonctions splines. Nous introduisons également des interactions entre nos mesures de densité et nos mesures de forme urbaine. Enfin, nous corrigeons le biais de simultanéité avec une stratégie d’estimation basée sur la méthode des variables instrumentales (Holcombe et Williams [2008] ; Goodman [2017]). Cette contribution s’inscrit donc méthodologiquement dans les travaux économétriques pionniers de Morlet [2001] sur 248 communes d’Île-de-France et de Guengant [2005] sur le district de Rennes, ainsi qu’à la classification de Guelton et Navarre [2010] sur 76 communes des départements du Morbihan et de l’Ille-et-Vilaine.

5L’article s’organise de la façon suivante. Nous analysons d’abord les enjeux méthodologiques, à l’aune de la littérature en économie et en géographie. Nous présentons ensuite le périmètre et les données, puis les résultats de l’étude, avant de discuter ces résultats et de conclure.

L’impact de la densité sur les coûts de fourniture des infrastructures et services publics : enjeux méthodologiques et revue de littérature

La spécification économétrique

6Pour déterminer l’impact de la densité et de variables caractérisant la forme urbaine sur les coûts, le point de départ consiste à estimer des fonctions de dépenses par tête en contrôlant par différents indicateurs démographiques, sociaux, économiques et géographiques expliquant les inégalités dans la formation des dépenses des collectivités. Formellement, l’équation à estimer est la suivante :

8e, qui représente les dépenses par tête du bloc communal à l’échelle de la commune (i.e. dépenses du groupement à fiscalité propre ventilées au prorata de la population des communes membres + dépenses de la commune), est une fonction f de la densité D retenue, des trois variables U caractérisant la forme urbaine, d’un ensemble de variables de contrôle X et d’effets inobservés ε. Depuis Ladd [1992], les variables de contrôle X sont typiquement regroupées en trois catégories : 1) des variables mesurant la demande (revenu par habitant, taxe foncière…), 2) des variables mesurant les coûts (la population, sa structure par âge et son taux de croissance, le nombre d’emplois par tête, le salaire dans le secteur manufacturier, des caractéristiques socio-économiques de la zone, etc.) et 3) des variables captant les transferts intergouvernementaux (dotations de l’État, etc.).

9Afin d’interpréter directement le coefficient comme l’élasticité de la dépense par rapport à la densité, nous avons opté pour une spécification log-log, qui s’écrit comme suit :

11ei est le montant par tête associé à un poste de dépenses pour l’unité i ; α est la constante du modèle ; β est l’élasticité de la dépense par tête par rapport à la densité ; γ est la semi-élasticité de la dépense par tête par rapport aux autres variables de forme urbaine ; δ et θ sont des vecteurs de paramètres inconnus ; τj est l’effet fixe associé au périmètre de l’aire urbaine j auquel appartient l’unité i et εi est le terme d’erreurs du modèle. Nous incluons également des termes d’interaction entre la densité et les variables de forme urbaine.

12Afin de capter la non-linéarité de l’effet de la densité et d’autres variables de forme urbaine sur les coûts, nous employons des B-splines (Hastie et Tibshirani [1990]), plus flexibles que les fonctions polynomiales par morceaux employées par Ladd [1992] ou Goodman [2017]. Elles consistent à estimer des fonctions polynomiales par morceaux avec une contrainte de lissage aux points de rupture, appelés les nœuds. Les fonctions B-splines appellent un choix exogène du nombre de nœuds et de l’ordre de la fonction spline. Nous avons choisi d’estimer des fonctions cubiques avec un nombre de nœuds variables selon les fonctions. La spécification estimée prend alors la forme suivante :

14g est la fonction B-spline appliquée au logarithme de la densité.

15Il convient par ailleurs de corriger le potentiel biais de simultanéité engendré par la présence de la variable de densité humaine et des autres variables impliquant la population. En effet, si la densité a un impact sur les coûts de fourniture des infrastructures et services publics, la relation inverse est également vraisemblable notamment via les nouvelles infrastructures de transport améliorant l’accessibilité. Les collectivités locales les mieux gérées, avec une pression fiscale faible ou des services publics de qualité, peuvent ainsi bénéficier d’un solde migratoire plus important et voir leur densité augmenter. Nous appuyant sur Holcombe et Williams [2008] et Goodman [2017], nous avons corrigé ce potentiel biais de simultanéité par une stratégie d’estimation basée sur la méthode des variables instrumentales en utilisant comme instrument la densité mesurée pour l’année 2006. Pour les mêmes raisons, d’autres variables explicatives impliquant la population sont instrumentées par leur retard à dix ans (cf. infra). Enfin, nous basons l’inférence statistique sur des écarts types robustes ajustés par cluster au niveau de chaque périmètre d’étude.

Quelles mesures de la densité et de la forme urbaine ?

16Au centre de la spécification 1 se trouve le choix relatif à la densité, « un problème faussement simple » selon Derycke [1979]. La densité exprime un rapport théorique entre une quantité ou un indicateur statistique et l’espace occupé. Tout calcul de densité pose dès lors la question de la surface de référence prise en compte au dénominateur (unité de logement, surface de terrain brute ou nette…) et des éléments recensés au numérateur (résidents, actifs, emplois, autres). Les numérateurs les plus fréquemment utilisés sont la population, qui conduit à une densité de population, et la somme de la population et des emplois, qui conduit à une densité humaine. Comme les schémas de développement urbain dépendent à la fois des usages résidentiels et non résidentiels, la densité humaine regroupant population résidente et emplois nous apparaît comme étant la mesure la plus appropriée.

17Le choix du dénominateur conduit généralement à distinguer la densité nette de la densité brute. La densité nette rapporte la population à l’étendue effectivement occupée : c’est une mesure de l’étalement urbain. On retient les surfaces occupées par une ou plusieurs affectations données (logement, activité, équipement…). Elle se distingue de la densité brute, qui considère l’ensemble de l’unité spatiale, sans exclusion (et donc sans retrancher les espaces non bâtis, forêts, zones non constructibles, etc.). Toutefois, nous faisons l’hypothèse que l’hétérogénéité interne des espaces bâtis impose également de contrôler les mesures de densité en fonction de la forme urbaine. Les travaux qui s’intéressent aux mesures de la tache urbaine, ou surface urbanisée, en général à partir du bâti, de l’utilisation du sol ou d’imagerie satellitaire, ont caractérisé les propriétés de l’étalement urbain, en fonction de la compacité ou des formes de l’étalement urbain (en « tache d’huile », ou en « doigt de gant ») : une synthèse de ces approches a été proposée par Guérois [2003]. Développant les aspects intra-urbains, une application aux mesures de densités carroyées est proposée par Le Néchet [2015], soit avec des mesures géométriques (compacité, élongation, comme chez Haggett [1973]), soit à partir de la forme des polygones (Boyce et Clark [1964]), voire des dimensions fractales (Frankhauser [1994]). Nous retenons pour cette étude les indicateurs définissant une tache urbaine, soit par la morphologie du bâti, soit à partir d’une information topographique numérisée (Bailly [1996]), soit via l’imagerie satellitaire et le mode d’occupation du sol (Weber [2001]). Ces indicateurs permettent de rendre compte de la définition des agglomérations qui, par exemple en France, intègre une contrainte de distance de 200 m entre les bâtiments : on a recours à l’application d’une enveloppe dilatée aux espaces bâtis, sous la forme d’une zone tampon (Bailly [1996] ; Guérois [2003]). Nous considérons, de plus, alternativement deux densités, qui diffèrent par leur dénominateur. La première, la densité relative à l’emprise au sol, consiste à sommer à l’échelle communale la surface au sol des bâtiments à usage résidentiel et non résidentiel présents dans la BD TOPO. La seconde, la densité relative à la tache urbaine[2], s’appuie sur une méthode de dilatation-érosion (cf. figure 1) des éléments de la BD TOPO mise au point par le CERTU pour reconstituer une tache urbaine à partir de cette base de données (Loriot [2008]). Les deux modes de calcul sont présentés en détail dans l’annexe I (cf. annexe en ligne, DOI : https://doi.org/10.3917/reco.703.0345).

Figure 1

La méthode de dilatation-érosion

Figure 1

La méthode de dilatation-érosion

18Le passage à la tache urbaine permet de mesurer les surfaces artificialisées et d’introduire dans le calcul des densités des éléments susceptibles de supporter des activités et donc de l’emploi qui ne sont pas présents lorsqu’on utilise les seules surfaces bâties : la voirie infracommunale et les emprises associées aux principales infrastructures de transport ou à d’autres équipements publics (traitement de l’eau, des déchets, etc.), différents espaces ouverts dédiés aux activités économiques (chantiers, parkings, etc.) ou aux loisirs (espaces verts, terrains de sport, etc.). Cette mesure permet une meilleure restitution des surfaces occupées par les activités, lesquelles sont a fortiori souvent des postes de dépenses locales.

19L’impact de la densité sur les coûts de fourniture des infrastructures et services publics est essentiellement abordé dans la littérature dans un contexte de comparaison entre différentes formes urbaines, en l’occurrence la ville compacte et la ville caractérisée par l’étalement urbain ou ville diffuse (Guérois [2003]). Cependant, la densité est d’abord une mesure « verticale », indiquant combien d’individus ou d’emplois sont présents au sein d’une surface donnée (Wassmer [2008] ; Goodman [2017]). Afin d’identifier l’impact propre de la densification, en d’autres termes l’impact d’une augmentation d’une unité de la densité, quelques articles introduisent comme variable explicative la surface urbanisée, qui influence à la fois la densité et l’étendue de la croissance horizontale (Carruthers et Ulfarsson [2002], [2003], [2008] ; Solé-Ollé et Bosch [2005] ; Benito, Bastida et Guillamón [2010] ; Hortas-Rico et Solé-Ollé [2010]) ou le pourcentage de surface urbanisée (Bastida, Guillamón et Benito [2013] ; Goodman [2017] ; Fregolent et Tonin [2016]), sans qu’il soit toujours précisé ce que recouvre la notion de surface urbanisée. D’autres mesures de formes urbaines ou d’étalement urbain ont été proposées : Lieske et al. [2012] et Lieske, McLeod et Coupal [2015] construisent un indicateur de forme urbaine pour chaque type d’usage de sols à l’aide de statistiques locales d’autocorrélation spatiale ; Ihlanfeldt et Willardsen [2017] fondent leur analyse sur un indice de Gini pour évaluer comment la distribution spatiale de la densité des différents usages du sol au sein des juridictions locales affecte les coûts.

20Nous introduisons de plus une dimension géographique relative à l’hétérogénéité de la distribution des surfaces urbanisées et des densités au sein même des unités considérées. De telles mesures sont peu utilisées dans la littérature, alors que cette hétérogénéité peut fortement affecter les coûts. Dans un contexte où la fragmentation spatiale des périphéries domine le paysage, Carruthers et Ulfarsson [2008] analysent l’impact de l’étalement suburbain sous forme compacte sur les coûts d’urbanisation, à travers la doctrine d’urbanisme de smart growth, qui vise à accroître la densité et à favoriser la contiguïté entre des ensembles bâtis sinon fragmentés. Southworth et Owens [1993] avaient analysé le rôle des formes des réseaux viaires, culs-de-sac et détours des lotissements dans les coûts d’urbanisation en périphérie. En d’autres termes, la densité moyenne n’est pas la seule variable qui détermine les coûts d’urbanisation : dans le périurbain par exemple, le degré de concentration ou de fragmentation d’une population n’aura pas les mêmes effets sur la congestion des rues, la saturation des services collectifs, les coûts d’acheminement, selon que la forme est fortement dispersée (périurbain lâche, mitage) ou concentrée (lotissements récents plus denses) dans la commune. On s’attend notamment à ce que ces effets soient particulièrement puissants dans les communes périurbaines éloignées, où les formes de l’étalement fragmenté (lotissements, tissu pavillonnaire lâche) sont particulièrement présentes (Southworth et Owens [1993]). La question pour l’étude est alors la manière dont la distribution de la population (ou morphologie spatiale) conditionne les résultats issus des modèles économétriques, notamment en clarifiant les biais des mesures de densité qui ne prennent pas en considération la distribution spatiale de la population sur la surface (concentration ou dispersion de la population) : jusqu’où, mais aussi sous quelle forme peut-on densifier ?

21La plupart des mesures de densité partent du présupposé d’un gradient en fonction de la distance au centre. Dans le cadre de métropoles polycentriques, aux formes de peuplement et d’emploi plus fragmentées, cette hypothèse est discutable, notamment lorsque la part des emplois et des habitants résidant dans les pôles périphériques et diverses formes de l’étalement est significative, voire supérieure à la part de la population résidant dans la zone centrale. Dans une analyse des relations entre morphologie urbaine et soutenabilité, Le Néchet [2015] fait ce constat et développe les méthodes d’analyse de la forme urbaine, permettant de construire une typologie des configurations internes des métropoles européennes. Une même mesure de densité moyenne correspond à différents cas de figure de concentration (commune monocentrique type bourg avec formes d’étalement selon un gradient centre-périphérie), homogène (équi-répartition de la population), dispersée (distribution aléatoire de l’habitat, dans le cas du mitage des terres agricoles par exemple) ou selon une grille plus ou moins régulière mais fragmentée (lotissements). Considérer les communes périphériques comme s’inscrivant simplement dans le gradient de densité est donc un présupposé partiellement erroné, car plus on s’éloigne du centre, plus les configurations spatiales internes deviennent hétérogènes. Le Néchet [2015], dans une synthèse de la littérature, propose plusieurs mesures : un indice de concentration classique (Gini), des indices d’autocorrélation spatiale (Moran), des indices d’entropie, des indices reposant sur des hypothèses de polycentrisme des formes urbaines, des mesures d’acentrisme ou de dimension fractale de la tache urbaine. À titre exploratoire, nous retenons deux mesures de forme urbaine pour cet article, en plus de la part de la surface bâtie communale, construites à partir de la grille de 200 m de l’Insee :

22– L’indice de Gini, utilisé fréquemment pour caractériser la concentration de la population ou sa dispersion (Cirilli et Veneri [2009] ; Schwarz [2010]). Cet indice est très proche des indicateurs d’inégale répartition tels que l’indice d’entropie : pour notre échantillon de métropoles étudiées, la corrélation entre l’indice de Gini et l’indice d’entropie se monte à plus de 99 %.

23– La distance moyenne entre habitants, afin de mieux contrôler les formes du semi-urbain (s’agissant par exemple du mitage ou des formes de dispersion). Cette mesure de l’éloignement moyen entre habitants est adaptée aux configurations polycentriques, une valeur élevée de cet indicateur suggère une structure peu compacte : elle ne nécessite pas de définition préalable d’un centre et d’une distance à celui-ci (Bertaud et Malpezzi [2003] ; Grasland [2009]). Cette mesure, exprimée en mètres, a été standardisée afin de pouvoir la comparer entre des aires urbaines de taille très différente.

Quel impact de la densité sur les coûts de fourniture des infrastructures et services publics ?

24Les résultats concernant l’impact de la densité sur les coûts de fourniture des infrastructures et services publics sont contrastés tant du point de vue de l’ampleur des effets trouvés que du signe de la relation (tableau AL3, annexe II en ligne). En effet, si la relation entre densité et coûts de fourniture des infrastructures et services publics existe, sa nature et son ampleur dépendent largement de 1) la mesure de la densité utilisée (brute ou nette), 2) la présence de variables de contrôle de la forme urbaine permettant d’isoler l’effet de la densité (surface urbanisée, % de la surface urbanisée, etc.), 3) la nature des services publics considérés dans les études dont les effets sont d’autant plus difficiles à capter que leurs définitions sont loin d’être homogènes à l’échelle nationale, voire internationale (de nombreux équipements et investissements de Paris sont déterminés par sa position de métropole mondiale). Cependant, lorsque la densité est mesurée à travers une densité nette et que les variables de contrôle, notamment des variables de forme urbaine, sont introduites, les études semblent converger vers un effet négatif ou non linéaire de la densité sur les dépenses, excepté pour certains services/infrastructures très spécifiques tels que la sécurité, le logement ou encore l’assainissement et la gestion des déchets pour lesquels, parfois, un effet positif est relevé.

25Ainsi, Carruthers et Ulfarsson [2002], [2003], [2008] sur le cas des comtés états-uniens et avec des spécifications économétriques différentes, trouvent un effet négatif et significatif de la densité humaine nette sur les dépenses totales et sur la plupart des postes de dépenses qu’ils considèrent. Sur des échantillons de communes espagnoles, Solé-Ollé et Bosch [2005], Hortas Rico et Solé-Ollé [2010], Benito, Bastida et Guillamón [2010] et Bastida, Guillamón et Benito [2013] trouvent également un effet négatif de la densité sur les dépenses totales, de fonctionnement et d’investissement. Quelques travaux, qui procèdent par régression linéaire par morceaux ou qui intègrent la densité sous forme quadratique ou cubique, trouvent un impact non linéaire de la densité sur les dépenses. Ainsi, Ladd [1992], [1994] sur des comtés états-uniens trouve une relation significative en forme de U entre la densité brute de population et les dépenses par tête révélant ainsi l’existence d’un optimum de densité en termes de dépenses publiques. Goodman [2017], aussi sur des comtés états-uniens, trouve quant à lui une relation plus complexe entre la densité humaine nette et les dépenses par tête : celle-ci est d’abord négative pour les faibles densités, puis devient positive pour les densités intermédiaires avant de devenir négative pour les fortes densités. Enfin, Solé-Ollé et Bosch [2005] et Hortas Rico et Solé-Ollé [2010] trouvent également une relation non linéaire mais toujours décroissante entre la densité et les dépenses dans leur application portant sur des communes espagnoles.

26Pour autant, il convient de souligner que peu d’articles sont explicites quant à la définition de la surface urbanisée qu’ils utilisent et ce qu’elle recouvre vraiment, alors que cette définition n’est pas neutre. En outre, ces travaux, à partir d’un niveau spatial donné (comté, commune, etc.), construisent les indicateurs de densité et de formes urbaines sans analyser l’hétérogénéité de la distribution des surfaces urbanisées et des densités au sein même des unités spatiales. Notre analyse vise donc à combler cette lacune.

Périmètre et données

27Le périmètre de l’étude, qui s’insère plus largement dans le cadre d’un contrat pour la Société du Grand Paris sur les conséquences de l’urbanisation sur le coût des infrastructures et services publics, comprend les dix aires métropolitaines les plus peuplées au recensement de la population (RP) de 2013. Plus précisément, pour six d’entre elles, nous retenons les limites des aires urbaines, car celles-ci permettent d’inclure le périmètre du groupement à fiscalité propre (GFP) d’appartenance de la commune-centre de l’aire urbaine. Pour trois aires urbaines (Nice, Marseille/Aix-en-Provence et Lille), le périmètre du GFP central déborde par rapport à celui de l’aire urbaine, ce qui nous conduit à retenir le périmètre de l’aire urbaine augmenté des communes du GFP situées au-delà. Enfin, l’aire urbaine augmentée de Paris englobe l’ensemble des communes des GFP dont tout ou partie du périmètre est situé dans l’aire urbaine. Ce choix permet d’intégrer dans l’analyse une grande diversité de formes urbaines (tissus urbains centraux et périphériques) [3]. Au total, nos estimations portent sur un échantillon de 4 254 communes et couvre 34 % de la population française. Les variables et les sources de données mobilisées pour les construire sont présentées dans le tableau 1 et les statistiques descriptives associées dans le tableau AL4 (annexe III en ligne).

Tableau 1

Description des variables et des sources mobilisées

VariableDescriptionSource/année
Dépenses cumulées (euros/hab)
FONCTOTDépenses de fonctionnement/hab des communes et des GFP.DGFiP, 2015
INVTOTDépenses d’investissement/hab des communes et des GFP. Les dépenses sont lissées en calculant la dépense moyenne sur la période 2013-2015.DGFiP, 2013-2015
Variables de densité et de forme urbaine
DENS13
(DENS06)
Population + emplois en 2013 (2006) divisés par la surface urbanisée en 2015 (2005) (hab/ha). La surface urbanisée est calculée à partir de l’emprise au sol des bâtiments.RP Insee, 2006, 2013
BD TOPO IGN, 2005, 2015
DENS13_C
(DENS06_C)
Population + emplois en 2013 (2006) divisés par la surface urbanisée en 2015 (2005) (hab/ha). La surface urbanisée est calculée à partir de la méthode du CERTU permettant la constitution d’une tache urbaine.RP Insee, 2006, 2013
BD TOPO IGN, 2005, 2015
SURFURBPart de la surface communale urbanisée en 2015 (%). La surface urbanisée est calculée à partir de l’emprise au sol des bâtiments.BD TOPO IGN, 2015
GEOFLA IGN, 2015
SURFURB_CPart de la surface communale urbanisée en 2015 (%). La surface urbanisée est calculée à partir de la méthode du CERTU permettant la constitution d’une tache urbaine.BD TOPO IGN, 2015
GEOFLA IGN, 2015
GINIIndice de Gini sur la densité nette de population calculée dans un carroyage de 200 m de côté.BD TOPO IGN, 2015
RP Insee, 2013
DISTMOYDistance moyenne entre deux habitants mesurée à partir de la population ventilée dans un carroyage de 200 m de côté. La variable est standardisée en divisant la distance moyenne par le rayon d’un disque de même superficie que la commune.BD TOPO IGN, 2015
RP Insee, 2013
SURFSurface de la commune (km2).GEOFLA IGN, 2015
Variables de coûts, de demande et de variation de la demande
REVRevenu disponible médian par unité de consommation (en milliers d’euros).FILOSOFI, Insee, 2013
POP65PPart des 65 ans et + (%).RP Insee, 2013
POP0010Part des 0-10 ans (%).RP Insee, 2013
POP1117Part des 11-17 ans (%).RP Insee, 2013
POP1824Part des 18-24 ans (%).RP Insee, 2013
SURFSurface totale de la commune (km2).GEOFLA IGN, 2015
EMPLNombre d’emplois divisé par la population municipale.RP Insee, 2013
EVOPOPTaux d’évolution annuel moyen de la population 2008-2013.RP Insee, 2008, 2013
EVOEMPTaux d’évolution annuel moyen de l’emploi 2008-2013.RP Insee, 2008, 2013
CHOMTaux de chômage des 15-64 ans (%).RP Insee, 2013
ETRANGPart des étrangers (%).RP Insee, 2013
SUPPart des diplômés du supérieur (%).RP Insee, 2013
DIPLMINPart des sans diplôme (%).RP Insee, 2013
TOURISTaux de fonction touristique (nbre de lits/1000 hab).RP Insee, 2013
HLMPart du logement social (%).RP Insee, 2013
DISTVCDistance routière en heure creuse à la commune-centre de l’aire urbaine d’appartenance (min).Odomatrix, INRA-CESAER
Variables de transfert et d’intégration intercommunale
SUBINVSubventions d’investissement/hab des communes et des GFP.DGFiP et DGCL, 2015
ANNUIDETTEAnnuités de la dette/hab (euros/hab).DGFiP et DGCL, 2015
NATJURNature juridique du GFP d’appartenance de la commune (CU et métropole (modalité de référence) ; CA et SAN ; Com. de communes).DGCL, 2015
PMUN_GFPPopulation municipale du GFP d’appartenance.RP Insee, 2013
NBCOM_GFPNombre de communes membres du GFP d’appartenance.DGCL, 2015
MUTUADEPPart des dépenses du GFP dans les dépenses totales (communes + GFP) (%).DGCL, 2015

Description des variables et des sources mobilisées

Note : Les variables comptables suivantes sont consolidées par les budgets annexes des communes et des GFP : DEPFONC et SUBINV ; les variables DEPINV, ANNUIDETTE et MUTUADEP sont consolidées par les budgets annexes uniquement pour les GFP.

Données relatives aux dépenses du bloc communal

28Les dépenses de fonctionnement sont issues des comptes de gestion des communes et de leurs GFP pour l’année 2015, qui sont diffusés par la direction générale des Finances publiques (DGFiP). Les dépenses d’investissement proviennent d’une base de données aspirée sur le site de la direction générale des Collectivités locales (DGCL) par l’association Regards citoyens.

29Ces données ont fait l’objet de deux types de traitement afin de reconstituer les dépenses cumulées du bloc communal (communes + GFP) à l’échelle de chaque commune. D’une part, nous avons additionné les dépenses des budgets principaux et des budgets annexes pour chaque collectivité, sauf pour les dépenses d’investissement à l’échelle communale, car les données n’étaient pas disponibles avant 2015, ce qui conduit à une sous-estimation des dépenses communales d’investissement. Les flux croisés entre budgets principaux et budgets annexes ont été neutralisés pour les GFP en fonctionnement comme en investissement, mais pas pour les dépenses de fonctionnement des communes, ce qui conduit à une surestimation des dépenses communales. D’autre part, nous avons sommé les dépenses de chaque commune et les dépenses désagrégées (au prorata de la population en 2013 des communes membres [4]) de son GFP. Les dépenses d’investissement étant très cycliques d’une année sur l’autre, nous les avons lissées pour retenir la dépense moyenne sur la période 2013-2015. Nous obtenons ainsi les deux variables dépendantes de nos estimations : les dépenses de fonctionnement par tête en 2015 (FONCTOT) et les dépenses d’investissement par tête lissées 2013-2015 (INVTOT) des communes et de leurs GFP, calculées à l’échelle communale.

Données relatives aux densités et aux indices de forme urbaine

30Comme les schémas de développement urbain dépendent à la fois des usages résidentiels et non résidentiels, nous retenons comme numérateur la densité humaine, qui regroupe la population résidente et les emplois. Nous sommons la population municipale et l’emploi au lieu de travail à partir des données du RP de l’Insee de 2013. Quant au dénominateur, deux variables de densité sont définies (cf. figure 1) : DENS13 à partir de l’emprise au sol du bâti et DENS13_C pour la tache urbaine à partir de la méthode du CERTU (érosion-dilatation). Ces deux variables posant des problèmes d’endogénéité, les mêmes variables sont construites à partir des données de population et d’emplois de 2006 et des surfaces urbanisées de 2005 pour disposer d’instruments (DENS06 et DENS06_C).

31À titre illustratif, la figure AL1 (annexe IV en ligne) cartographie la distribution des densités urbaines obtenues à partir de la méthode du CERTU, et la figure AL2 (annexe V en ligne) représente le rapport entre les surfaces urbanisées mesurées par la tache urbaine du CERTU et par l’emprise au sol du bâti. Ces deux méthodes livrent des images contrastées de la structuration spatiale des aires urbaines. Ainsi, de manière contre-intuitive, il apparaît qu’à l’échelle d’une aire urbaine, les communes périphériques éloignées et rurales, avec des formes d’habitat historiquement concentrées et peu concernées par le desserrement résidentiel et économique des espaces urbains, ont généralement une surface de tache urbaine qui est resserrée sur le périmètre de la tache bâtie et peu modifiée par la dilatation-érosion : la population et l’emploi de la commune, y compris en zone rurale, étant affectés sur une surface restreinte, ces communes périphériques ont donc une densité nette qui donne l’apparence d’être très importante. Tel est le cas de l’aire urbaine parisienne pour les communes de la Beauce. Cependant, une lecture inverse du gradient centre-périphérie se produit également, pour de nombreuses communes périurbaines aux tissus pavillonnaires, structurées par des lotissements, zones d’activités et zones commerciales, de nombreuses activités économiques consommatrices d’espaces sont rejetées hors des espaces urbains denses. Ce faisant, on observe pour les communes périurbaines matures une forte augmentation de leur surface bâtie avec la méthode du CERTU. Par conséquent, leur densité CERTU est plus faible par rapport à celle déterminée à partir de l’emprise au sol des bâtiments, les fonctions et l’habitat consommant une plus grande surface (équipements, infrastructures, parkings…). Ces deux méthodes livrent donc, logiquement, des résultats contrastés selon les aires urbaines. Ainsi, les aires urbaines des littoraux atlantique et méditerranéen (particulièrement Nice) voient la surface bâtie de nombreuses communes périphériques augmenter fortement sous l’effet d’une périurbanisation diffuse et des emprises de la base économique résidentielle dans les communes littorales. À l’inverse, les aires urbaines de Strasbourg ou de Lille à l’urbanisation continue connaissent globalement de faibles différences de leur surface bâtie.

32Par ailleurs, nous dissocions l’impact de la densification (formulé comme une augmentation d’un pour cent de la densité), de l’impact de la forme urbaine, dont trois dimensions sont analysées. La première, à l’instar de Bastida, Guillamón et Benito [2013] et Fregolent et Tonin [2016], est la part de la surface communale urbanisée (SURFURB et SURFURB_C), qui correspond à la surface urbanisée communale (calculée selon les deux méthodes mentionnées précédemment) divisée par la surface totale de la commune. Les deux autres visent à contrôler l’hétérogénéité du peuplement au niveau infracommunal, à partir d’une ventilation de la population des IRIS et des surfaces bâties dans un carroyage de 200 m de côté. Nous calculons un indice de Gini (GINI) sur la densité nette mesurée dans les mailles appartenant à la même commune, et une distance moyenne entre deux habitants [5] (DISTMOY), mesurée à partir de la population de chaque maille. Cette dernière dépend de la surface des communes et est donc standardisée en divisant la distance moyenne par le rayon d’un disque de même surface que la commune.

Les variables de contrôle

33Nous construisons enfin un ensemble de variables destinées à contrôler les différentes sources d’inégalités dans la formation des dépenses des collectivités.

34Pour capter la demande de services publics locaux, nous utilisons le revenu disponible médian par unité de consommation pour l’année 2013. Le signe attendu est positif, la demande de biens publics locaux augmentant généralement avec la richesse détenue par la population.

35Pour contrôler les coûts de fourniture des biens publics locaux, nous introduisons un ensemble de variables décrivant les caractéristiques démographiques, sociales et économiques des communes. Ces variables sont toutes issues du RP de l’Insee pour l’année 2013.

36Parmi les variables démographiques, nous retenons l’évolution de la population entre 2008 et 2013 (EVOPOP), la structure par âge de la population (POP65P, POP0010, POP1117 et POP1824) et le niveau de diplôme (SUP et DIPLMIN). Le signe du taux d’évolution de la population est une question ouverte puisque la littérature montre à la fois des effets positifs, négatifs et non linéaires. Pour les autres variables, on attend a priori un signe positif associé au fait que plus le nombre d’usagers potentiels présentant des besoins spécifiques augmente, plus les dépenses augmentent.

37Nous intégrons également des variables destinées à capter l’effet du contexte social sur les coûts de fourniture des services publics locaux : le taux de chômage des 15-64 ans (CHOM), la part des étrangers dans la population totale (ETRANG) et la part de logements sociaux (HLM). Le signe attendu pour ces variables est toujours positif.

38Nous introduisons deux variables économiques prenant en compte l’effet de potentiels usagers non-résidents sur les dépenses. Le nombre d’emplois par habitant (EMPL), potentiellement endogène et instrumenté par son retard à dix ans, permet d’isoler l’impact des migrations pendulaires sur les dépenses et le taux de fonction touristique [6], celui des variations de population liées au tourisme (TOURIS). L’impact attendu pour ces deux variables est positif. Comme pour la population, nous intégrons également le taux de variation du nombre d’emplois entre 2008 et 2013 (EVOEMP).

39La position des unités spatiales au sein des aires urbaines est également susceptible d’affecter les dépenses publiques. Le signe attendu est incertain : d’un côté, les charges de centralité pourraient conduire à une baisse des dépenses à mesure que l’on s’éloigne du centre, d’un autre côté, l’éloignement aux services publics centraux est susceptible d’amener les collectivités périphériques à proposer elles aussi des services similaires. On estime cet effet de la distance à partir d’une métrique de distance-temps ; la distance routière en heure creuse entre les communes et la ville-centre de l’aire urbaine d’appartenance (DISTVC) est calculée à l’aide du logiciel Odomatrix (INRA-CESAER).

40Pour quantifier l’impact sur les dépenses des transferts financiers en provenance de l’État, nous retenons les seules subventions d’investissement (SUBINV) qui comprennent les subventions destinées à financer un équipement ou un ensemble d’équipements déterminés ou une partie des intérêts de la dette des collectivités, ainsi que les fonds affectés par la loi à des opérations d’équipements tels que la dotation d’équipement des territoires ruraux. Comme cette variable correspond à des ressources supplémentaires pour les collectivités, l’effet attendu sur les dépenses est positif. La dotation globale de fonctionnement (DGF) n’a pas été retenue, car d’autres variables explicatives captent son effet (principalement la population et la surface communale).

41Nous retenons également les annuités de la dette (ANNUIDETTE) qui permettent de mesurer le poids de la dette dans les budgets des collectivités à moyen et long terme. L’effet attendu de cette variable sur les deux variables dépendantes est positif, car elles grèvent le budget de fonctionnement de dépenses récurrentes et traduisent un comportement dépensier passé. Comme pour les dépenses de fonctionnement et d’investissement, nous consolidons par les budgets annexes (sauf pour les annuités de la dette des communes) et nous agrégeons les données relatives aux communes et aux GFP.

42Enfin, quatre variables construites à l’échelle des GFP permettent d’évaluer l’impact sur les dépenses des modalités de la coopération intercommunale. La nature juridique des GFP (NATJUR) capte l’importance démographique (partiellement) et l’étendue des compétences obligatoires assurées à l’échelle intercommunale, celles-ci augmentant de manière croissante avec les principales structures suivantes : communautés de communes, communautés d’agglomération, communautés urbaines et métropoles. Si des formes d’intégration plus avancées (par exemple, communautés urbaines, métropoles) sont susceptibles d’engendrer une baisse des dépenses cumulées plus importante que des formes de coopération moins contraignantes (communautés de communes) en raison des économies d’échelle, l’existence d’un « effet zoo » (Oates [1988]) selon lequel la gamme des services publics augmenterait avec la taille de la collectivité peut conduire, à l’inverse, à des dépenses cumulées plus élevées. La population totale du GFP (PMUN_GFP) permet de prendre en compte plus finement l’effet taille. Le nombre de communes-membres du GFP (NBCOM_GFP) peut également avoir un impact sur les dépenses. Plus le nombre de communes est élevé, plus la mutualisation des équipements est susceptible de réduire les coûts, mais aussi plus des surcoûts liés à des problèmes de coordination et de pilotage de la structure intercommunale peuvent exister. Enfin, nous intégrons la part des dépenses des GFP dans les dépenses cumulées (communes et GFP) réalisées sur le périmètre des GFP (MUTUADEP), une plus forte mutualisation laissant présager une plus forte réduction des dépenses.

43Dans la mesure où, tout comme la densité, les variables relatives à la structure par âge de la population d’une part, et le nombre d’emplois par habitant d’autre part, sont susceptibles d’être endogènes, nous utilisons leur retard à dix ans comme instrument. À l’instar de la littérature, nous supposons que les autres variables de contrôle sont prédéterminées pour notre spécification. Les variables de coût, de demande et de variation de la demande sont par ailleurs mesurées pour 2013, ce qui limite l’impact d’une endogénéité potentielle.

Résultats

La densification entraîne dans l’ensemble une baisse des dépenses publiques, selon les modalités et une intensité qui varient avec la mesure de densité utilisée et la spécification

44La densification réduit les dépenses de fonctionnement et les dépenses d’investissement, lorsque la densité est introduite sous forme linéaire (cf. tableau 2). Cependant, pour les dépenses de fonctionnement, l’impact négatif de la densité est significatif uniquement pour une densité mesurée par la tache urbaine, une augmentation de 1 % de la densité entraîne alors une baisse de 0,03 % des dépenses de fonctionnement. L’effet de la densité sur les dépenses d’investissement est quant à lui significativement négatif pour les deux mesures de densité. Une augmentation de 1 % de la densité entraîne une baisse de 0,067 % des dépenses d’investissement quand elle est basée sur l’emprise au sol des bâtiments et de 0,078 % quand elle est basée sur la tache urbaine.

Tableau 2

Régressions sur les dépenses de fonctionnement et d’investissement par tête (en log) pour différentes mesures de densités

Tableau 2
Dépenses de fonctionnement/hab Dépenses d’investissement/hab Emprise au sol du bâti Tache urbaine Emprise au sol du bâti Tache urbaine (1) (2) (3) (4) (5) (6) (7) (8) ln(Densité humaine nette (hab+emp./ha)) – 0,007 (0,047) – 0,030* (0,018) – 0,067*** (0,019) – 0,078*** (0,025) ln(Densité humaine nette (1)) – 0,988*** (0,335) – 1,917*** (0,347) – 0,044 (0,355) – 1,598*** (0,325) ln(Densité humaine nette (2)) 0,406 (0,260) – 0,400*** (0,127) 0,267* (0,148) – 0,538*** (0,171) ln(Densité humaine nette (3)) – 1,141*** (0,201) – 1,377*** (0,170) – 0,974*** (0,367) – 1,440*** (0,203) % surf. bâtie 2015 0,008*** (0,003) 0,014*** (0,003) 0,004*** (0,001) 0,003*** (0,001) 0,005 (0,005) 0,014*** (0,005) 0,002** (0,001) 0,002 (0,001) Gini sur les densités 0,047 (0,062) 0,107** (0,053) 0,163*** (0,062) 0,154*** (0,059) 0,094 (0,067) 0,157** (0,068) 0,163** (0,065) 0,157** (0,067) Distance moy. entre hab – 0,082*** (0,031) – 0,076** (0,030) – 0,095*** (0,029) – 0,084*** (0,029) – 0,020 (0,036) – 0,005 (0,036) – 0,031 (0,027) – 0,022 (0,029) Contrôle oui oui oui oui oui oui oui oui Observations 4254 4254 4254 4254 4254 4254 4254 4254 R² ajusté 0,691 0,694 0,699 0,694 0,505 0,505 0,507 0,505 Weak instrument test Ln(Densité) 8754*** 1:3427*** 2:6901*** 3:7388*** 1992*** 1:1425*** 2:1634*** 3:2713*** 8754*** 1:3427*** 2:6901*** 3:7388*** 1992*** 1:1425*** 2:1634*** 3:2713*** % + 65 ans 1053*** 805*** 1026*** 794*** 1053*** 805*** 1026*** 794*** % 0-10 ans 173*** 132*** 174*** 130*** 173*** 132*** 174*** 130*** % 11-17 ans 297*** 224*** 304*** 232*** 297*** 224*** 304*** 232*** % 18-24 ans 276*** 209*** 263*** 199*** 276*** 209*** 263*** 199*** Nbre emplois/hab 23128*** 17394*** 22867*** 17206*** 23128*** 17394*** 22867*** 17206*** Wu-Hausman test 21,69*** 16,8*** 11,92*** 14,46*** 11,86*** 8,95*** 9,96*** 9,14***

Régressions sur les dépenses de fonctionnement et d’investissement par tête (en log) pour différentes mesures de densités

Lecture : Les écarts types estimés sont présentés entre parenthèses au-dessous des coefficients ; * effet significatif à 10 % ; ** effet significatif à 5 % ; *** effet significatif à 1 %. Les modèles 1 à 4 portent sur les dépenses de fonctionnement et les modèles 5 à 8 sur les dépenses d’investissement. Les modèles 1, 2, 5 et 6 introduisent la densité mesurée par l’emprise au sol du bâti et les modèles 3, 4, 7 et 8 celle mesurée par la tache urbaine selon la méthode du CERTU. Les modèles 2, 4, 6 et 8 incluent la densité sous la forme de fonctions B-splines de degré 3.
Champ : Communes appartenant au périmètre des dix aires urbaines les plus peuplées.
Source : Cf. tableau 1.

45Nous introduisons ensuite l’effet de la densité sous forme non linéaire : les coefficients associés aux différents éléments de la fonction spline sont significatifs (cf. col. 2, 4, 6 et 8). Comme le montre la figure 2 qui représente l’évolution des dépenses estimées en fonction de la densité, pour les densités intermédiaires, la forme de la relation diffère peu selon la mesure de densité considérée, à la fois pour les dépenses de fonctionnement et les dépenses d’investissement. Lorsque la densité est mesurée par l’emprise au sol des bâtiments, son impact sur les dépenses de fonctionnement par habitant est décroissant jusqu’à un point de retournement se situant pour une densité de 75 habitants + emplois par hectare. À partir de ce seuil, qui correspond aux 83 % de communes les plus denses, une augmentation de la densité entraîne une hausse des dépenses de fonctionnement et donc des déséconomies d’échelle. Quand la densité est mesurée par la tache urbaine, le point de retournement se situe à 13 habitants + emplois par hectare, correspondant aux 61 % de communes les plus denses. Pour les dépenses d’investissement, quand la densité est mesurée par l’emprise au sol du bâti, la courbe est décroissante et presque linéaire. Quand la densité est mesurée par la tache urbaine, la relation entre densité et dépenses d’investissement est décroissante, en particulier pour les communes peu denses, en deçà de 15 habitants + emplois par hectare, soit la moitié des communes (au-delà, les intervalles de confiance sont trop importants pour tirer des conclusions).

Figure 2

Impact de la densité sur les dépenses de fonctionnement et d’investissement par tête pour différentes mesures de densités

Figure 2

Impact de la densité sur les dépenses de fonctionnement et d’investissement par tête pour différentes mesures de densités

Lecture : La courbe noire représente l’effet de la densité sur les dépenses de fonctionnement (en haut) et d’investissement (en bas) par tête. La courbe est présentée entre le 1er décile et 9e décile de la densité. La zone grisée correspond aux intervalles de confiance à 5 %. Ces graphiques sont issus de la spécification économétrique 3.

46Ce qui diffère en fonction de la mesure de densité retenue est donc le seuil de retournement. Ainsi, une mesure de la densité basée sur l’emprise au sol du bâti conduira à recommander la densification pour moins de communes qu’une mesure de la densité basée sur la tache urbaine. Cette différence de résultats confirme que choisir la mesure de la densité est un problème « faussement simple [7] ». En particulier, l’impact plus longtemps décroissant de la densité sur les dépenses de fonctionnement, quand elle est mesurée par la tache urbaine, traduit, toutes choses égales par ailleurs, une représentation plus fiable des effets liés à la distribution de la population + emploi. La tache urbaine indique en effet qu’il y a un bénéfice à la densification dans les communes de faibles densités et densités intermédiaires, où infrastructures et équipements consomment beaucoup de surface.

Le choix de la mesure de la densité affecte peu l’impact des formes urbaines et des variables de contrôle

47Nous n’observons pas de différences majeures quant aux coefficients associés aux mesures de formes urbaines et aux autres variables de contrôle (cf. tableau AL5, annexe VI, pour ces dernières).

48Dans toutes les spécifications, à l’exception de deux (dépenses d’investissement pour la densité mesurée par l’emprise au sol du bâti introduite en linéaire et mesurée par la tache urbaine introduite en spline), la part de la surface communale urbanisée a un effet significatif positif sur les dépenses de fonctionnement et d’investissement, quoique plus prononcé quand la densité est mesurée à partir de l’emprise au sol des bâtiments. Une augmentation d’1 point de la surface urbanisée engendre une hausse des dépenses de fonctionnement comprises entre 0,8 et 1,4 % (entre 0,5 et 1,4 % pour les dépenses d’investissement) pour une densité mesurée par l’emprise au sol du bâti et entre 0,3 et 0,4 % (0,2 % pour les dépenses d’investissement) pour une densité calculée à partir de la tache urbaine.

49S’agissant de l’hétérogénéité dans la répartition de la population communale, mesurée par l’indice de Gini, on note un effet positif sur les deux types de dépenses, celui-ci étant plus marqué quand la densité est mesurée par la tache urbaine. Une plus grande concentration (augmentation de 0,1 de l’indice de Gini) entraîne une hausse des dépenses de fonctionnement comprises entre 0,47 et 1,07 % (entre 0,94 et 1,57 % pour l’investissement) pour une densité mesurée par l’emprise au sol des bâtiments et entre 1,54 et 1,63 % (entre 1,57 et 1,63 % pour l’investissement) pour une densité mesurée par la tache urbaine [8]. En d’autres termes, que la mesure soit l’emprise au sol ou la tache urbaine, les communes avec des pics de densité sont soumises à des effets importants grevant les dépenses, en particulier pour celles dont les densités relatives à la tache urbaine sont les plus fortes.

50Enfin, une plus grande dispersion de la population, mesurée par la distance moyenne entre deux habitants, a un effet négatif sur les dépenses de fonctionnement, quelle que soit la mesure de la densité retenue. Cet effet est toutefois légèrement plus important lorsque la densité est mesurée à partir de la tache urbaine. Dans ce cas, une augmentation d’une unité de la distance entraîne une diminution des dépenses de fonctionnement comprise entre 8,4 et 9,5 % (contre 7,6 et 8,2 % pour la densité basée sur l’emprise au sol du bâti). En revanche, aucune relation significative n’est trouvée entre la distance moyenne et les dépenses d’investissement.

51Les résultats d’estimation sur les variables de contrôle sont stables quelle que soit la mesure de densité utilisée ou quel que soit le mode d’introduction de celle-ci (cf. tableau AL5, annexe VI en ligne). La surface de la commune, le nombre d’emplois, le revenu médian, le taux de fonction touristique, la part d’étrangers et de logements sociaux ont un impact positif sur les dépenses de fonctionnement. Un plus grand éloignement au centre de l’aire urbaine se traduit également par une augmentation des dépenses par tête. Le taux de croissance de la population et le pourcentage des 11-17 ans ont un effet négatif. Le taux de chômage ou encore les diplômes n’ont aucun effet significatif. Les éléments budgétaires, à travers le montant des subventions d’investissement et le niveau d’endettement, exercent une pression à la hausse sur les dépenses de fonctionnement. Enfin, les caractéristiques du GFP ressortent toutes significativement. Appartenir à une communauté d’agglomération ou à un syndicat d’agglomération nouvelle, et de manière plus marquée appartenir à une communauté de communes, conduit à des dépenses de fonctionnement beaucoup plus faibles (environ 18 % pour la première et 32 % pour la seconde) qu’appartenir à une métropole ou à une communauté urbaine. Ce résultat est confirmé par le coefficient positif associé à la taille de la population du GFP. Plus le GFP est peuplé, plus les dépenses de fonctionnement par tête sont élevées. La mutualisation élevée de dépenses au sein du GFP se traduit également par des surcoûts au niveau du bloc communal. En revanche, plus les communes sont nombreuses au sein du même GFP, plus les dépenses de fonctionnement diminuent.

52De la même manière, l’effet des variables de contrôle sur les dépenses d’investissement est stable, avec toutefois quelques différences avec les dépenses de fonctionnement. Ainsi, à la différence de ces dernières, elles ne sont pas affectées par le taux de fonction touristique ou la distance au centre mais elles augmentent fortement avec le revenu médian. L’effet des variables budgétaires et relatives à la coopération intercommunale ont des effets similaires, à l’exception de la nature juridique du GFP qui n’a aucun impact sur les dépenses d’investissement. Logiquement, les subventions d’investissement ont un impact plus marqué sur les dépenses d’investissement.

53Trois séries d’estimations ont été réalisées pour évaluer la robustesse des résultats : la première porte sur un échantillon de communes ne comprenant pas les villes-centres des aires urbaines, la deuxième uniquement sur les communes de l’aire urbaine de Paris et la dernière sur les communes des aires urbaines de province. Les résultats sont présentés dans le tableau AL6 pour les dépenses de fonctionnement et d’investissement et le tableau AL7 pour les dépenses totales (cf. annexe VII en ligne), avec une mesure de surface calculée selon le critère de la tache urbaine. La densité exerce toujours un effet négatif et significatif sur les dépenses de fonctionnement et d’investissement, qu’elle soit introduite sous forme linéaire ou non linéaire lorsque les villes-centres sont retirées ou lorsqu’on ne considère que l’aire urbaine de Paris. Dans le cas des aires urbaines de province, la densité a un impact négatif et significatif sur les dépenses de fonctionnement et sur les dépenses totales si, outre Paris, l’aire urbaine de Toulouse est également retirée et si elle est introduite sous forme non linéaire. Pour les dépenses d’investissement, c’est dans un échantillon d’aires urbaines privé de Rennes que la densité garde un impact négatif et significatif dans le cas linéaire. Les résultats concernant les autres variables de forme urbaine sont globalement cohérents avec ceux obtenus pour l’échantillon complet, mais quelques différences sont à noter. Ainsi dans l’aire urbaine de Paris, les variables de forme n’ont plus d’impact significatif pour les dépenses d’investissement, probablement car ces dépenses dépendent d’autres facteurs d’économie métropolitaine, indépendants de la distribution de la population, et la distance moyenne par habitant n’affecte plus les dépenses de fonctionnement mais détermine de façon négative (à 10 %) les dépenses d’investissement en province. En revanche, ces variables ont toutes un effet significatif et convergent sur les dépenses totales, et ce, pour l’ensemble des spécifications. Ces variations, ainsi que la non-linéarité, pouvant résulter d’interactions plus complexes entre la densité et les variables de forme urbaine, nous explorons ce point en détail dans la section suivante.

La densification produit des effets hétérogènes selon la forme urbaine

54L’introduction dans la spécification d’interactions entre la densité et chacune des trois variables de formes urbaines permet d’explorer l’hétérogénéité de l’effet de la densité sur les dépenses en fonction de différents paramètres de formes urbaines (l’extension des tissus urbanisés, la plus ou moins grande concentration de la population et la distance moyenne entre deux habitants). L’objectif est ici d’identifier les types de tissus urbains sur lesquels une politique de densification procurera des bénéfices ou des surcoûts importants en termes de dépenses publiques. Cette information présente un intérêt pour le décideur, car elle permet d’identifier les « gisements de densification » sur lesquels l’intervention publique, par exemple à travers les documents d’urbanisme ou de planification (PLU, SCOT, etc.), aura une efficacité importante pour la réduction des dépenses.

55Partant du principe que la densité mesurée par la tache urbaine fournit une représentation plus réaliste de l’intensité de l’occupation de l’espace par les activités humaines que celle introduisant l’emprise au sol du bâti, nous n’interpréterons dans cette section que les résultats pour cette mesure et seulement pour nos variables d’intérêt. Par ailleurs, nous nous focalisons sur les résultats obtenus lorsque la densité est introduite sous forme linéaire, les graphiques dans le cas des splines étant similaires. Les résultats détaillés sont fournis dans le tableau AL8 (annexe VIII en ligne).

56Le coefficient d’interaction entre la part de la surface communale bâtie et la densité est négatif et significatif à la fois pour les dépenses de fonctionnement et d’investissement. La représentation graphique de cette relation (cf. figure 3) montre que la baisse des dépenses de fonctionnement induite par la densification ne concerne que les 20 % de communes les plus urbanisées, car ce n’est qu’à partir du 8e décile de la part de surface bâtie dans la commune que la relation entre la densité et les dépenses de fonctionnement devient négative : il y a donc un intérêt à densifier uniquement des zones déjà très urbanisées. La forme de la relation pour les dépenses d’investissement est similaire pour les zones déjà très urbanisées (cf. figure 4).

Figure 3

Impact de la densité mesurée par la tache urbaine sur les dépenses de fonctionnement par tête en fonction de la forme urbaine

a

Part de la surface urbanisée

a

Part de la surface urbanisée

b

Indice de Gini

b

Indice de Gini

Impact de la densité mesurée par la tache urbaine sur les dépenses de fonctionnement par tête en fonction de la forme urbaine

Lecture : La courbe noire représente l’effet de la densité sur les dépenses de fonctionnement en fonction de la part de la surface bâtie (figure a) et de l’indice de Gini (figure b). Il a été calculé sur la base de la formule 2 equation im7: La zone grisée correspond aux intervalles de confiance à 5 %. L’effet est estimé pour différentes valeurs des indices de forme figurant dans l’entête des graphiques (SURF_BAT et GINI). Les valeurs présentées correspondent de gauche à droite aux 1er décile, 1er quartile, médiane, 3e quartile, 9e décile.
Champ : Communes appartenant au périmètre des dix aires urbaines les plus peuplées.
Source : Cf. tableau 1.
Figure 4

Impact de la densité mesurée par la tache urbaine sur les dépenses d’investissement par tête en fonction de la forme urbaine

a

Part de la surface urbanisée

a

Part de la surface urbanisée

b

Indice de Gini

b

Indice de Gini

Impact de la densité mesurée par la tache urbaine sur les dépenses d’investissement par tête en fonction de la forme urbaine

Lecture : La courbe noire représente l’effet de la densité sur les dépenses de fonctionnement en fonction de la part de la surface bâtie (figure a) et de l’indice de Gini (figure b). Il a été calculé sur la base de la formule 2 equation im10: La zone grisée correspond aux intervalles de confiance à 5 %. L’effet est estimé pour différentes valeurs des indices de forme figurant dans l’entête des graphiques (SURF_BAT et GINI). Les valeurs présentées correspondent de gauche à droite aux 1er décile, 1er quartile, médiane, 3e quartile, 9e décile.
Champ : Communes appartenant au périmètre des dix aires urbaines les plus peuplées.
Source : Cf. tableau 1.

57Le coefficient d’interaction entre la densité et l’indice de Gini est également significatif et négatif pour les deux types de dépenses. La baisse des dépenses induite par la densification croît donc avec le niveau de concentration de la population. Toutefois, la représentation graphique (figures 3 et 4) montre des relations différentes pour les deux types de dépenses. La densité a un effet très positif sur les dépenses de fonctionnement pour les faibles valeurs de l’indice de Gini (surtout pour les communes de très faibles densités), puis un effet positif moins prononcé, jusqu’à un indice de Gini de 0,72. Ensuite, la relation devient d’autant plus décroissante que l’indice de Gini est élevé. Les coûts de la densification pour les dépenses de fonctionnement concerneraient donc plutôt des communes rurales ou périurbaines au tissu fragmenté ou mité, qui augmentent significativement quand la densité s’accroît ; en revanche, quand la population est concentrée, les effets induits par la densification s’inversent. On peut en conclure un bénéfice à densifier des communes dans les centres urbains ou celles déjà dotées d’une centralité infracommunale (par exemple une commune périurbaine dotée d’un centre-bourg). Pour les dépenses d’investissement, aucune relation n’est visible entre la densité et la concentration de la population pour les communes à la population dispersée (Gini inférieur à 0,64). Pour les autres types de communes, les effets induits par la densification sont similaires.

58Enfin, le coefficient d’interaction entre la densité et la distance moyenne entre deux habitants n’est pas significatif, que ce soit pour les dépenses de fonctionnement ou les dépenses d’investissement. Nous ne représentons donc pas les graphiques associés.

59Nous caractérisons enfin les tissus urbains concernés par les bénéfices ou les coûts de densification, avec une typologie morphologique des communes. Celle-ci est construite sur la base d’une analyse en composantes principales couplée à une classification ascendante hiérarchique sur les quatre variables de formes urbaines : la densité humaine nette mesurée par la tache urbaine, la part de la surface communale urbanisée, l’indice de Gini et la distance moyenne entre deux habitants. Différentes variables illustratives permettent de mieux caractériser les classes (population municipale, rapport emploi/habitant, pourcentage de logements collectifs, pourcentage de logements individuels, pourcentage de logements construits avant 1945, entre 1946 et 1970, entre 1971 et 1990 et après 1990). Une description et une cartographie des classes sont fournies dans le tableau AL9 et les figures AL3 et AL4 (annexe IX en ligne).

60Les trois premières classes regroupent des communes des franges rurales et périurbaines qui se caractérisent d’abord par le degré de dispersion de leur population : la classe 1 rassemble des communes dotées d’une centralité unique de type centre-bourg (fort indice de Gini à 0,84, au-delà des valeurs seuils observées dans les figures 3 et 4 et faible distance moyenne, égale à 0,33) ; la classe 2 correspond à des communes associant bourgs et hameaux (fort indice de Gini à 0,82 mais une distance moyenne plus élevée que précédemment à 0,64) ; la classe 3 caractérise les communes au peuplement dispersé et à faible densité, selon des formes de l’habitat rural ou du mitage pavillonnaire (faible indice de Gini à 0,68 et forte distance moyenne à 0,90). Les deux classes suivantes regroupent des communes qui se distinguent principalement par leur proximité aux centres urbains et la présence de tissus pavillonnaires caractéristiques des phases de périurbanisation : la classe 4 est caractérisée par la présence de l’habitat pavillonnaire récent et la classe 5 par une association logements collectifs et habitat pavillonnaire plus ancien. Enfin, les trois dernières classes se distinguent principalement par leur densité et leur part de surface urbanisée ; il s’agit des espace centraux et de première couronne, mais dont la diversité est importante. La classe 6 regroupe des communes de banlieue et certains centres urbains peu denses qui disposent de tissus urbains associant logements collectifs et pavillonnaire ancien. La classe 7 regroupe des communes de la petite couronne parisienne et les centres urbains denses et compacts de Lyon et de Lille, la présence du logement collectif et notamment des grands ensembles y est plus marquée. Enfin, la classe 8 concerne uniquement le centre urbain de Paris dans lequel les logements individuels sont très peu nombreux.

61Nous croisons la typologie des formes urbaines avec les effets marginaux de la densité sur les dépenses, calculés pour chaque commune du périmètre et estimés sur la base des modèles linéaires avec interaction. Le tableau 3 présente les résultats pour les huit classes, à la fois pour les dépenses de fonctionnement et d’investissement, et les figures AL5 et AL6 (annexe IX en ligne) fournissent les résultats détaillés par aire urbaine.

Tableau 3

Moyenne des effets marginaux de la densité sur les dépenses de fonctionnement et d’investissement pour les différents types de tissus urbains communaux

Tableau 3
Dépenses de fonctionnement/modèle linéaire Classes Moy Min Max Écart type % positif % négatif 1) Communes avec centres-bourgs à faible densité – 0,0013 – 0,1608 0,0837 0,0229 43,41 56,59 2) Communes avec bourgs et hameaux à faible densité 0,0281 – 0,0737 0,1023 0,0239 89,04 10,96 3) Communes au peuplement dispersé à faible densité 0,0778 – 0,2024 0,1921 0,0386 97,74 2,26 4) Tissu pavillonnaire récent 0,0472 – 0,3147 0,1626 0,0541 83,65 16,35 5) Tissu pavillonnaire ancien 0,0420 – 0,3906 0,2136 0,0861 70,06 29,94 6) Communes de banlieue ou centres urbains peu denses – 0,0462 – 0,2903 0,1328 0,0749 27,51 72,49 7) Banlieue de Paris ou centres urbains denses – 0,1186 – 0,1964 – 0,0358 0,0316 0,00 100,00 8) Centre urbain de Paris – 0,1246 – 0,1563 – 0,0933 0,0274 0,00 100,00 Total 0,0276 – 0,3906 0,2136 0,0608 71,42 28,58 Dépenses d’investissement/modèle linéaire Classes Moy Min Max Écart type % positif % négatif 1) Communes avec centres-bourgs à faible densité – 0,0458 – 0,2213 0,0496 0,0254 4,72 95,28 2) Communes avec bourgs et hameaux à faible densité – 0,0145 – 0,1266 0,0679 0,0266 28,12 71,88 3) Communes au peuplement dispersé à faible densité 0,0399 – 0,2706 0,1673 0,0430 84,15 15,85 4) Tissu pavillonnaire récent 0,0078 – 0,3923 0,1362 0,0598 63,75 36,25 5) Tissu pavillonnaire ancien 0,0024 – 0,4756 0,1925 0,0953 55,66 44,34 6) Communes de banlieue ou centres urbains peu denses – 0,0947 – 0,3642 0,1050 0,0829 13,38 86,62 7) Banlieue de Paris ou centres urbains denses – 0,1747 – 0,2611 – 0,0837 0,0348 0,00 100,00 8) Centre urbain de Paris – 0,1814 – 0,2162 – 0,1460 0,0304 0,00 100,00 Total – 0,0143 – 0,4756 0,1925 0,0670 40,48 59,52

Moyenne des effets marginaux de la densité sur les dépenses de fonctionnement et d’investissement pour les différents types de tissus urbains communaux

Lecture : Le tableau présente les statistiques descriptives des effets marginaux pour les différentes classes de la typologie. De gauche à droite : la moyenne, le minimum, le maximum, l’écart type, le % de communes présentant un effet positif et le % de communes présentant un effet négatif.
Champ : Communes appartenant au périmètre des dix aires urbaines les plus peuplées.
Source : Cf. tableau 1.

62S’agissant des dépenses de fonctionnement (tableau 3 et figure AL5), il apparaît que, pour les communes de faibles densités, les effets marginaux augmentent en moyenne selon le degré de dispersion de la population, de la classe 1 à la classe 3. L’effet est donc généralement positif dans les grandes périphéries des villes ; seule la moyenne des effets marginaux des communes dotées d’une centralité unique (classe 1) est négative, car dans l’aire urbaine parisienne, les bénéfices marginaux de la densification concernent ces communes. Ailleurs, notamment à Toulouse, Lille, Rennes, Nantes, les surcoûts peuvent être importants. La classe 2, communes rurales avec bourgs et hameaux, est associée à des effets marginaux en moyenne positifs mais toutefois inférieurs à ceux de la classe 3. En effet, les communes au peuplement le plus dispersé (classe 3) présentent l’effet positif moyen le plus élevé parmi toutes les classes de la typologie et pour l’ensemble des aires urbaines. C’est aussi la classe où le pourcentage d’effets marginaux négatifs est le plus faible.

63Dans les espaces périurbains caractérisés par les tissus pavillonnaires (classe 4 et 5) la densification engendre des surcoûts importants. En effet, après la classe 3, les coûts de densification les plus importants en moyenne sont observés dans ces communes. Seules les communes du pavillonnaire mature ou ancien (classe 5) de Paris et de Strasbourg présentent des effets négatifs. Finalement, les bénéfices les plus évidents de la densification concernent les communes de banlieue et les centres urbains (classes 6, 7 et 8) et ils sont d’autant plus importants que la densité y est élevée et que la ville est au sommet de la hiérarchie urbaine (Paris, Lyon, Lille). Seule la zone centrale de l’aire urbaine de Marseille présente des effets marginaux positifs : on sait que celle-ci est particulière, car la commune de Marseille, très étendue, comporte des tissus bâtis à la fois centraux, de banlieue, pavillonnaire, mitigeant les effets attendus.

64Pour les dépenses d’investissement, la structure des coûts-bénéfices demeure entre les classes (tableau 3 et figure AL6) : les bénéfices de la densification sont toutefois plus élevés et concernent un nombre plus important de communes, le pourcentage d’effets marginaux négatifs étant plus élevé. La densification des communes de faible densité avec centre-bourg (classe 1) conduit dans toutes les aires urbaines à une réduction des dépenses, inversant l’observation faite pour le fonctionnement. En moyenne, les communes dotées d’une centralité principale et de hameaux (classe 2) présentent des effets marginaux négatifs en moyenne. Toutefois, cette situation n’est observée que dans la moitié des aires urbaines étudiées. Comme pour les dépenses de fonctionnement, les faibles densités dispersées (classe 3) présentent les effets marginaux positifs les plus importants, sauf à Bordeaux où le proche pavillonnaire présente des valeurs supérieures. La densification des espaces périurbains occasionne également des surcoûts, mais moins importants que pour les dépenses de fonctionnement. Dans les aires urbaines de Paris, Marseille, Strasbourg et Lille (proche périurbain), ces tissus urbains sont même associés à des effets marginaux négatifs en moyenne. Enfin, comme pour les dépenses de fonctionnement, les bénéfices les plus importants sont observés dans les zones centrales (banlieue et centres urbains) des aires urbaines, et ce, pour l’ensemble des aires considérées.

Conclusion

65À partir d’une base de données budgétaires des communes et de leurs groupements appartenant aux dix aires métropolitaines les plus peuplées, nous montrons d’abord que la mesure de la densité n’est pas neutre : si la densification entraîne dans l’ensemble une baisse des dépenses publiques, les modalités et l’intensité varient avec cette mesure. Notre contribution précise également l’influence des caractéristiques de forme urbaine de la commune. Alors que la surface urbanisée est une variable communément analysée dans la littérature, l’hétérogénéité de la distribution infracommunale des densités n’est habituellement pas considérée. Nos résultats montrent qu’elle affecte pourtant fortement les coûts et permet en outre d’éclairer la question du mode optimal de densification. Ainsi, il apparaît que les bénéfices attendus de la densification sur l’investissement et le fonctionnement sont liés à la concentration de la population : les coûts de densification concernent plutôt les communes périurbaines, les dépenses baissent avec la concentration de la population, notamment dans les pôles métropolitains. Les résultats de l’analyse des effets marginaux de la densification à partir d’une typologie des morphologies spatiales confirment ces éléments : si globalement les coûts marginaux de la densification concernent les communes où l’habitat est le plus dispersé, ils sont aussi significatifs dans les tissus pavillonnaires, en particulier anciens (moins bien équipés). Les tissus urbains centraux présentent d’importants bénéfices marginaux à la densification.

66Du point de vue des politiques publiques de densification, ces travaux pointent la nécessité d’incorporer des mesures fines et infracommunales de la distribution spatiale de la population. Ces résultats ouvrent plusieurs perspectives d’études portant sur la manière dont les formes d’urbanisation des métropoles concernées, plus ou moins agglomérées ou dispersées, présentes à l’origine de la densification ou projetées dans ce cadre, peuvent expliquer les écarts de résultats entre métropoles. D’autres perspectives s’ouvrent également sur le rôle spécifique des changements en matière d’accessibilité induits par une modification du réseau des transports publics et affectant les schémas de densité et, par suite, les dépenses des collectivités. Plus généralement, ces résultats pointent la nécessité de « densifier » les liens entre économistes et géographes, permettant d’associer, d’une part, les paradigmes disciplinaires relevant de l’économie et de l’économétrie et, d’autre part, des questions relatives à la structure des données spatiales et de leurs implications théoriques. Ces enjeux sont particulièrement sensibles s’agissant, comme ici, de travaux d’économie géographique dont la variable principale d’intérêt est la densité, et dont la nouvelle économie spatiale avait pressenti les difficultés (Derycke [1979]), mais aussi par exemple des questions relatives aux données locales telles que les marchés immobiliers et à leurs représentations ; un secteur où l’information géographique disponible est de plus en plus variée et complexe à analyser. De manière plus générale, on estime que ce type de travaux s’inscrit dans une approche des sciences sociales intégrant les données et les contraintes méthodologiques de l’analyse spatiale (Goodchild et Janelle [2004]), quand il s’agit de prendre en compte la distribution spatiale des phénomènes et des effets complexes de la distance et de l’espacement.

Notes

  • [1]
    La densification peut être définie comme une augmentation de la densité existante. Elle consiste à faire vivre davantage de population dans le tissu urbain existant de manière à limiter les extensions périphériques à l’origine de l’étalement urbain. La densification douce, par opposition à la densification forte, consiste à densifier le tissu pavillonnaire existant par l’insertion de nouveaux logements qui ne changent pas de manière significative les formes urbaines du quartier en mutation et qui ne nécessitent pas de destruction du parc existant. Elle peut prendre des formes diverses : division parcellaire et construction sur parcelle détachée, construction d’appartements accessoires, division interne des pavillons, surélévation/extension/restructuration interne avec ou sans remembrement foncier (PUCA [2013]). La densification peut donc être globale (augmentation du rapport population + emplois / surface) pour l’ensemble de la commune. Cependant, le plus souvent, du fait des procédures d’urbanisme, elle se traduit surtout par une densification locale sous la forme d’une redistribution de la population et des emplois au sein d’un ensemble (concentration au centre, autour de quartiers de gare, ou à la faveur de la rénovation d’un quartier).
  • [2]
    L’expression de tache urbaine est parfois utilisée par les urbanistes pour désigner les formes bâties plus ou moins fragmentées issues de l’étalement urbain à l’échelle de l’aire urbaine. Pour Guérois [2003], elle reflète l’extension de l’agglomération bâtie et peut être assimilée à une forme géométrique d’un seul tenant, fermée et homogène, caractérisée par sa disposition générale et par l’allure de ses contours, indépendamment de sa taille et de son orientation.
  • [3]
    Le choix de ces aires urbaines s’appuie sur les seuils des dix plus grandes aires urbaines (population de 2013), d’après l’Insee (« Villes et communes de France », dans Tableaux de l’économie française. Édition 2017, https://www.insee.fr/fr/statistiques/2569312/). À l’exception de Nice, ces grandes aires urbaines constituent un niveau supérieur de maillage du territoire, intégrées en 2015 comme métropoles par la Loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles du 27 janvier 2014 : Lyon, Toulouse, Marseille-Aix, Bordeaux, Rennes, Nantes, Lille, Strasbourg.
  • [4]
    La répartition des dépenses intercommunales au prorata des populations communales est évidemment limitative, du fait de l’existence de charges de centralité et de la distribution géographique non homogène des équipements financés (lignes de tramway, grands équipements culturels…), mais elle reste la plus objective, en l’absence de données plus fines. Des estimations similaires à celles présentées dans la section suivante ont été réalisées sur les seules dépenses communales et conduisent à des résultats identiques à ceux obtenus en intégrant les dépenses intercommunales.
  • [5]
    La distance moyenne entre deux habitants est égale à :
    equation im14

    où N représente le nombre total de cellules dans la commune, S est la surface de la commune, ni la population de la cellule i et dij la distance entre une cellule i et j.
  • [6]
    Le taux de fonction touristique d’un territoire, exprimé en nombre de lits touristiques pour 1 000 habitants, est égal au rapport entre le nombre total de lits touristiques et la population résidente du territoire. Les hébergements touristiques pris en compte sont les hôtels, campings et résidences secondaires. Une chambre d’hôtel compte pour deux lits, un emplacement de camping pour trois lits, une résidence secondaire pour cinq lits.
  • [7]
    Les différences sont plus marquées lorsqu’une densité humaine brute est introduite dans les estimations. Dans ce cas, l’effet de la densité sur les dépenses de fonctionnement et d’investissement est positif (significatif uniquement pour les dépenses de fonctionnement). Une augmentation d’1 % de la densité brute entraîne une hausse de 0,034 % des dépenses de fonctionnement.
  • [8]
    Rappelons qu’un Gini faible correspond à des populations plutôt dispersées ou équiréparties, alors qu’un Gini fort traduit une forte concentration de la population organisée selon une structure centre-périphérie, comme un bourg ou un pic de centralité autour d’une gare dans la commune.
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Français

Cet article analyse l’impact de la densité, mesurée alternativement par l’emprise au sol du bâti et la tache urbaine, et des formes urbaines (surface urbanisée, indice de Gini et distance moyenne entre deux habitants) sur les dépenses de fonctionnement et d’investissement à l’échelle des communes pour dix aires urbaines françaises en 2015. Nous montrons que la densification entraîne dans l’ensemble une baisse des dépenses publiques mais que ses effets sont hétérogènes et complexes selon la forme urbaine. Les bénéfices de la densification pour les dépenses de fonctionnement, et également de façon moins prononcée pour les dépenses d’investissement, concernent surtout les zones centrales et les communes de faible densité dotées d’un centre-bourg.
Classification JEL : C26, H72, R12, R51.

Mots-clés

  • densité
  • dépenses publiques
  • forme urbaine

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Marie-Laure Breuillé
CESAER, AgroSup Dijon, INRA, Univ. Bourgogne Franche-Comté. Correspondance : 26 boulevard Petitjean, 21079 Dijon Cedex, France.
Camille Grivault
CESAER, AgroSup Dijon, INRA, Univ. Bourgogne Franche-Comté. Correspondance : 26 boulevard Petitjean, 21079 Dijon Cedex, France.
Julie Le Gallo
CESAER, AgroSup Dijon, INRA, Univ. Bourgogne Franche-Comté. Correspondance : 26 boulevard Petitjean, 21079 Dijon Cedex, France.
Renaud Le Goix
UMR Géographie-cités 8504, Université Paris Diderot Paris 7. Correspondance : Bâtiment Olympe de Gouge, rue Albert Einstein, 75013 Paris, France.
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Mis en ligne sur Cairn.info le 24/05/2019
https://doi.org/10.3917/reco.703.0345
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