Pour Ambre, Werner et Wilhelm
Introduction
1Au cours des vingt dernières années, de nombreux travaux empiriques se sont intéressés aux transferts qui circulent au sein des familles. Ces flux privés prennent de multiples formes au cours du cycle de vie. Argent de poche, aides financières pour les études, dons ponctuels liés à des événements familiaux (mariages et naissances par exemple), prêts informels, donations et héritages en sont autant d’illustrations si l’on se restreint aux seuls flux monétaires. Ces derniers mettent en jeu des sommes considérables, plus de 40 milliards d’euros en France pour les transferts officiels que sont les donations et les héritages, et ils sont fréquemment observés. Au début de l’année 2004, environ un ménage sur huit avait déjà effectué une donation au bénéfice de ses enfants et près d’un sur deux avait apporté une aide financière (Cordier et al. [2007]). Deux dimensions de ces transferts ont plus particulièrement retenu l’attention des économistes.
2D’un côté, plusieurs études se sont intéressées aux conséquences plurielles de ces transferts pour les ménages concernés. Les aides vont assez naturellement réduire la pauvreté de ceux qui en bénéficient (Dimova et Wolff [2008]) ; elles vont favoriser l’accession à la propriété et permettent d’acheter des logements de plus grande taille tout en empruntant moins (Engelhardt et Mayer [1998], Spilerman et Wolff [2011]) ; elles vont également influencer les comportements d’offre de travail. Lorsqu’elles bénéficient de la garde de leurs jeunes enfants par leurs propres parents, les mères ont une probabilité plus élevée de travailler (Dimova et Wolff [2011]). Le fait de recevoir des héritages importants peut aussi réduire les incitations à travailler (Joulfaian et Wilhelm [1994]). De l’autre, une large littérature s’est intéressée aux motivations de ces transferts [1].
3Deux hypothèses principales ont été développées pour expliquer les comportements d’aides des parents. La première fait référence à l’altruisme parental (Becker [1991]). Les parents sont supposés prendre en compte le bien-être de leurs enfants, et les aides qu’ils versent conduisent à une réallocation à la fois inter et intragénérationnelle des ressources. La seconde hypothèse met en jeu des comportements de réciprocité. Les parents qui versent de l’argent peuvent recevoir en contrepartie des services de leurs enfants (Cox [1987]) ou bien être remboursés par d’autres transferts monétaires s’il s’agit de prêts familiaux (Cox [1990]). La réciprocité peut également être indirecte et impliquer l’existence d’une troisième génération. Dans le sens ascendant, les parents vont aider leurs propres parents pour recevoir de l’aide dans le futur de leurs enfants (Cox et Stark [2005], Mitrut et Wolff [2009]).
4De multiples travaux ont cherché à tester la pertinence de ces modèles théoriques sur la base de données collectées auprès des ménages, comprenant de l’information sur les aides versées et/ou reçues ainsi que sur les caractéristiques des ménages concernés (aidants et/ou aidés). Au-delà de la diversité des conclusions auxquelles elles parviennent, toutes ces études conduisent à un résultat commun : les prédictions les plus fortes du modèle altruiste ne sont jamais validées (Altonji et al. [1997], Wolff[2000]). Faut-il dès lors en conclure à l’absence d’altruisme de la part des parents à l’égard de leurs enfants ? Rien n’est moins sûr, et le présent article cherche à mettre en perspective les résultats empiriques obtenus à ce jour autour de la question suivante : existe-t-il des facteurs particuliers qui conduiraient à minorer l’importance des motivations altruistes des parents, en admettant que celles-ci existent bien ?
5Pour répondre à cette interrogation, nous commençons par mettre en évidence deux principales limites des tests qui ont été réalisés à ce jour. D’un côté, dans le modèle beckérien, les transferts sont justifiés par le désir de rapprocher les niveaux de vie des différentes générations. Or, pour les populations habituellement retenues dans les enquêtes, les écarts de niveau de vie sont souvent limités. Lorsque les générations retenues sont installées dans la vie active, elles disposent, dans la plupart des cas, de ressources suffisantes pour ne pas avoir réellement besoin de l’aide de leurs parents. De l’autre, les transferts financiers sont généralement mal mesurés dans les enquêtes, et il est très difficile de pouvoir en établir une équivalence en termes de flux réguliers d’argent. Au final, il paraît peu surprenant d’« observer » des comportements parentaux éloignés de l’altruisme.
6Nous proposons alors un réexamen de la validité de l’hypothèse d’altruisme en France sur la base des données de l’enquête « Conditions de vie des étudiants », réalisée par l’Observatoire de la vie étudiante en 2006. Cette source statistique offre de multiples avantages au regard de la question posée. Elle cible notamment des populations pour lesquelles le soutien parental apparaît essentiel ; elle comprend des caractéristiques détaillées (incluant les ressources) pour les deux générations concernées, parents et enfants, et l’échantillon associé à cette enquête est de grande taille. Les résultats de notre analyse économétrique sont sans équivoque. Pour les transferts réguliers observés dans l’enquête, nous trouvons des résultats beaucoup plus favorables à l’hypothèse d’altruisme que tous ceux obtenus à ce jour pour la France.
7La suite de cet article est organisée de la façon suivante. Nous présentons brièvement le modèle altruiste dans la section suivante et insistons sur les limites des tests réalisés à ce jour. La section 3 présente les données utilisées et décrit la relation entre les sommes versées par les parents et les ressources dont disposent respectivement les parents et leurs enfants. Dans la section 4, nous testons la validité des prédictions du modèle altruiste et commentons les résultats de l’analyse économétrique. Enfin, la section 5 conclut.
Le modèle altruiste : une synthèse
Cadre d’analyse
8L’hypothèse d’altruisme revient à admettre que les parents prennent en compte le bien-être de leurs enfants lorsqu’ils maximisent leur propre niveau de satisfaction, quelle que soit la période du cycle de vie considérée (Becker [1991], Becker et Tomes [1986]). Un des grands intérêts de ce modèle est qu’il donne lieu à des prédictions théoriques facilement testables.
9Pour la présentation, on considère deux générations, chacune représentée par un agent unique : un parent p et un enfant k. Chaque agent se caractérise par des préférences propres, respectivement u et v, et les fonctions d’utilité sont retenues sous une forme logarithmique. Pour chaque génération, le niveau de satisfation dépend du niveau de consommation privée (Cp et Ck), sachant que l’utilité parentale dépend aussi de celle de l’enfant par définition même de l’altruisme. Le parent dispose d’un revenu Yp. Les ressources que l’enfant peut mobiliser pour financer sa consommation privée sont d’un côté un revenu exogène Yk et de l’autre un possible transfert d’argent obtenu de ses parents noté T (avec la contrainte de non-négativité T ? 0). Les contraintes budgétaires sont donc :


12Lorsque le transfert a lieu (T > 0), la consommation familiale totale Cp + Ck dépend de la somme des revenus individuels Yp + Yk. Soit ?p le degré d’altruisme parental tel que 0 < ?p < 1 [2]. Le problème pour le parent consiste alors à maximiser U = 1n(Yp - T) + ?k ln(Yk + T). D’après la condition de premier ordre correspondante,

14l’utilité marginale de consommation du parent u? est égale à l’utilité marginale de consommation pondérée de l’enfant ?pv?. Le montant de transfert optimal s’écrit :

16On peut alors déterminer l’influence du revenu de chaque génération sur le transfert versé :


19si bien que la différence vérifie l’égalité suivante :

21L’interprétation de ces résultats est la suivante. Si le parent a effectivement un comportement altruiste (au sens beckérien), alors les deux propriétés suivantes doivent être vérifiées [3]:
- propriété de compensation : le transfert est plus important lorsque le parent se caractérise par un revenu élevé et l’enfant par des ressources limitées ;
- propriété de neutralité : à revenu familial donné, un prélèvement d’un euro du parent au bénéfice de l’enfant diminue le transfert versé par le parent d’un euro.

23Compte tenu de cette sélection, les montants versés aux enfants vont eux-mêmes être plus importants puisque l’aide est une fonction croissante du degré d’altruisme parental [4].
24D’un point de vue empirique, il convient d’estimer l’incidence des revenus par rapport aux transferts en tenant compte du fait que les propriétés de compensation et de neutralité sont valides seulement pour T > 0. Le recours à un modèle de sélection à la Heckman [1979] n’est pas possible dans la mesure où il existe une non-séparabilité entre les préférences et le revenu [5]. Soit f (?p) la densité de ?p et F = [ ; 1 ] un intervalle comprenant les valeurs de ?p telles que T > 0. La solution proposée par Altonji et al. [1997] consiste à estimer l’espérance de la différence des dérivées :

26qui est égale à 1 d’après la propriété de neutralité puisque . Après simplification (Altonji et al. [1997]), la dérivée
est donnée par :

28Conditionnellement à la réalisation d’un transfert, l’espérance de la dérivée du transfert par rapport au revenu est égale à la somme de la dérivée de l’espérance du transfert par rapport au revenu estimée sur la seule population des bénéficiaires et d’un terme correctif qui dépend du montant moyen transmis. En cas d’altruisme, le signe de ce second terme doit être positif pour le parent et négatif pour l’enfant puisque le transfert est d’autant plus probable que le parent est riche et l’enfant peu fortuné [6].
29Si le modèle précédent considère le cas d’un transfert parental sans en spécifier d’usage particulier, certains travaux ont proposé des modèles intertemporels où les aides sont destinées au financement du capital humain. L’investissement peut apparaître comme une simple consommation (Ermisch [1996]) ou bien donner lieu à un arbitrage pour le parent entre investir dans le capital humain de l’enfant et verser un transfert matériel (Becker et Tomes [1986]). Si l’on admet que les parents financent l’éducation de leurs enfants, alors les contraintes budgétaires deviennent Cp = Yp – E – T pour le parent (avec E les dépenses d’éducation) et Ck = Yk + w (E) + (1 + r)T pour l’enfant, où w (E) est la rémunération de l’enfant avec w? > 0 et w? < 0 et r est le taux d’intérêt.
30Deux cas sont alors à distinguer. Lorsque T > 0, la résolution des conditions du premier ordre conduit à l’égalisation du rendement marginal des transferts en capital humain et financier tel que w? (E) = (1 + r). Le parent investit ici dans le capital humain jusqu’à ce que le rendement marginal de l’éducation soit égal au taux d’intérêt du marché. Au-delà de ce point, le parent verse un transfert matériel. Dans ce scénario, le choix d’éducation optimal devient seulement déterminé par la valeur du taux d’intérêt r et E ne dépend pas du tout des caractéristiques familiales. À l’inverse, lorsque T = 0, le rendement marginal de l’éducation est tel que w? (E) > 1 + r et les ressources du parent et de l’enfant influencent le niveau d’investissement en capital humain.
Pourquoi les tests rejettent-ils toujours l’hypothèse d’altruisme ?
31Sur le plan empirique, de nombreuses études ont cherché à tester la validité des propriétés du modèle altruiste. Idéalement, les données doivent comprendre de l’information à la fois sur les transferts financiers versés par les parents et sur la distribution jointe des revenus des parents et des enfants. Cette seconde contrainte n’est que très rarement satisfaite puisque les enquêtes auprès des ménages privilégient largement l’interrogation d’une seule personne. Dans certains cas, la personne de référence peut toutefois être amenée à préciser les revenus de ses enfants et le recours à des panels permet également d’avoir de l’information sur deux générations [7].
32Dès lors, les travaux réalisés à ce jour se sont surtout intéressés à l’effet du revenu des bénéficiaires sur les sommes d’argents reçues. Si l’on se restreint au cas de la France, les résultats obtenus à ce jour sont les suivants :
- Il existe une corrélation positive entre le revenu des bénéficiaires et les transferts reçus des parents (Arrondel et Wolff [1998], Arrondel et Laferrère [2001], Wolff [2000]).
- La différence des dérivées des transferts par rapport aux revenus est négative et de très faible intensité, autour de - 0,003 après correction des différents biais (Wolff [2000]).
33Une première remarque porte sur la définition des transferts pris en compte. Dans le test des modèles, la mise en correspondance des transferts et des revenus se fait sur une unité de temps donnée (par exemple l’année). Or, si les revenus correspondent à des flux de ressources réguliers, il n’en est pas de même pour les transferts financiers. Il est dès lors difficile de connaître l’ampleur des sommes d’argent réellement reçues par les enquêtés au cours du cycle de vie. Certaines sommes importantes reçues du vivant des enquêtés peuvent l’être très tardivement, notamment lorsqu’il s’agit de larges donations, et les sommes d’argent reçues au décès des parents (ou tout du moins l’équivalent monétaire de ces héritages) sont en moyenne encore plus importantes.
34Faute de disposer d’une équivalence en termes de flux réguliers de ces transferts qui sont plutôt de nature patrimoniale, les aides des parents vont être largement sous-estimées dans les enquêtes, et ce d’autant plus que l’on considère de jeunes générations [9]. Par ailleurs, pour des raisons fiscales, certains transferts peuvent être non déclarés dans les enquêtes, notamment s’ils auraient dû faire l’objet d’une déclaration administrative. Cette discussion qui porte sur la mesure elle-même des transferts n’est en fait qu’un retour au débat sur l’importance de la richesse héritée dans l’accumulation patrimoniale (Kessler et Masson [1988], Kotlikoff [1988], Modigliani [1988]).
35Une seconde remarque porte sur les populations étudiées dans les travaux empiriques cités précédemment. Dans l’absolu, pour que les transferts aient effectivement lieu, les parents doivent être suffisamment riches par rapport à leurs enfants comme l’indique la condition (8). Dès lors, il sera fort difficile d’observer des aides altruistes si l’on considère des générations suffisamment âgées puisque leurs revenus sont en moyenne plus faibles que ceux de leurs enfants. Par exemple, d’après l’enquête « Revenus fiscaux et sociaux de 2007 », le revenu moyen disponible par ménage s’élevait à 16 720 € pour les 18-24 ans, 29 370 pour les 25-34 ans, 36 860 pour les 35-44 ans et 39 640 pour les 45-54 ans.
36Au-delà, le revenu moyen tend à décroître : 37 170 € pour les 55-64 ans, 29 650 pour les 65 à 74 ans, et 24 890 pour les 75 ans et plus [10]. Ce profil de revenu par âge est à mettre en correspondance avec les âges moyens auxquels les personnes reçoivent des transferts en France. Au milieu des années 1990, l’âge moyen à l’héritage était de 51 ans pour l’ensemble des héritiers (et 45 ans pour les seuls enfant héritiers) et de 38 ans pour les donataires (Accardo [1997]). Ces situations où les générations qui reçoivent de l’argent de leurs parents sont en moyenne plus riches avant transfert que leurs aînées sont par définition peu compatibles avec l’hypothèse d’altruisme. Le contexte semble en revanche beaucoup plus favorable pour les jeunes générations, qui sont, elles, en moyenne moins fortunées que leurs parents.
37Fort de ce constat autour de cette double interrogation, régularité des transferts des parents et richesse relative des générations, il est manifeste que la population retenue importe pour tester la validité de l’hypothèse d’altruisme. Dans la suite, nous nous plaçons volontairement dans des conditions où l’altruisme est plus à même de s’appliquer (et donc d’être observé). Nous privilégions un échantillon d’étudiants pour l’analyse empirique. Ceux-ci disposent de peu de ressources propres et ils sont nombreux à recevoir une aide financière régulière de leurs parents. En revanche, ce choix ne permet pas de prendre en considération les aides reçues tout au long du cycle de vie en lien avec le revenu permanent des deux générations.
Les données
38Nous utilisons l’enquête « Condition de vie des étudiants » réalisée par l ’Observatoire de la vie étudiante en 2006. Créé en 1989 par le ministre de l’Éducation nationale, cet observatoire a pour mission d’apporter un éclairage sur le déroulement des études et les conditions de vie des étudiants. Cette enquête statistique est représentative de l’ensemble de la population étudiante. Le questionnaire aborde notamment le déroulement des études, les ressources et les dépenses des étudiants, leurs conditions de logement, leurs emplois du temps, leurs pratiques culturelles ou bien encore leur santé. L’information d’intérêt pour cette étude est la suivante.
39En ce qui concerne les transferts, chaque étudiant indique si ses parents lui versent des sommes dont il dispose librement et/ou s’il reçoit de l’argent correspondant à des frais précis [11]. Une question précise alors le montant des sommes reçues des parents au cours du mois de février de l’année universitaire en cours, ce qui définit notre variable T de montant reçu des parents (T = 0 lorsque l’étudiant ne reçoit pas d’argent). À côté de ces transferts, les étudiants disposent de deux autres sources de revenus. La première est liée à de possibles activités rémunérées au cours de l’année universitaire. Dans l’affirmative, chaque étudiant indique le montant total perçu pour ses différentes activités au cours du mois dernier.
40La seconde concerne les différents transferts publics que peut recevoir l’étudiant, pour lesquels on dispose d’une indicatrice de réception et, le cas échéant, du montant mensuel : bourse sur critères sociaux, allocation d’études, allocation logement, allocation chômage, allocations familiales, autres aides régulières. La somme de tous ces transferts publics et des revenus d’activité définit les ressources propres de l’étudiant Yk [12]. Les données permettent également de construire d’autres variables de contrôle qui peuvent influencer l’aide reçue, en particulier le sexe de l’étudiant, le nombre de frères et sœurs ainsi que l’existence d’une mention au baccalauréat qui peut être vue comme un indicateur de performance scolaire.
41Dans la dernière partie du questionnaire, l’étudiant indique plusieurs caractéristiques relatives à ses parents : s’ils sont mariés ou non, leurs niveaux d’éducation, s’ils ont eu une période de chômage de plus d’un an au cours des cinq dernières années, et enfin leurs revenus mensuels, à la fois pour le père et pour la mère. Ces derniers sont enregistrés suivant neuf catégories ordonnées : de 0 à 450 €, de 451 à 750 €, …, plus de 4 500 €. Nous avons alors obtenu des valeurs continues à partir de cette information en tranches pour chaque observation suivant la méthode des résidus simulés (Gouriéroux et al. [1987]).
42Dans son ensemble, l’échantillon comprend 25 952 questionnaires complétés par des étudiants dont l’âge varie de 16 à 74 ans. Nous retenons pour notre étude une population étudiante beaucoup plus homogène en termes d’âge, en sélectionnant uniquement les étudiants âgés de 17 à 25 ans, tous inscrits dans des cursus post-baccalauréat. Nous obtenons finalement un échantillon de 21 440 étudiants pour lesquels nous connaissons à la fois les transferts financiers qu’ils reçoivent, leurs ressources propres ainsi que les revenus de leurs parents. Il est alors possible de tester les prédictions du modèle altruiste.
43Les différentes variables d’intérêt pour les parents et les enfants sont décrites dans le tableau 1. Pour les parents, le père et la mère ne vivent pas ensemble dans près de 20 % des cas, 28,6 % des chefs de famille sont diplômés du supérieur, et dans un cas sur six (16 %), au moins un des parents a été une fois au chômage pendant les cinq dernières années. Le revenu moyen du ménage (correspondant à la somme des revenus du père et de la mère) est de 3 173 € par mois. En ce qui concerne les étudiants, les filles sont largement surreprésentées dans l’échantillon retenu (67,8 %). L’âge moyen des étudiants est de 20,4 ans, 56,8 % d’entre eux ayant au plus 20 ans. 8,3 % n’ont pas de frères et sœurs, 41,8 % en ont un et 32,3 % en ont deux.
Description de l’échantillon

Description de l’échantillon
(distribution en %)44Le revenu moyen des étudiants s’élève à 313 € par mois, tandis que le revenu médian est de 218 €. Parmi les jeunes, 24,6 % ont des ressources propres nulles et ne vivent donc qu’avec le soutien de leurs parents. Si l’on exclut ces observations, le revenu moyen par enfant est alors de 415 €. En termes de composition, le transfert public moyen reçu (179 € par étudiant) excède le revenu moyen du travail (134 € par étudiant). Toutefois, pour ceux qui exercent une activité rémunérée, ces ressources sont significatives puisqu’elles représentent en moyenne 349 € par an [13]. Ces éléments suggèrent, en tout cas, que les parents bénéficient indirectement des transferts publics aux étudiants comme l’ont montré Laferrère et Le Blanc [2004].
45D’après les données, la réception d’argent des parents s’observe très fréquemment pour les étudiants : 77,5 % d’entre eux en bénéficient. Le montant moyen reçu est de 194 €, mais avec de fortes inégalités puisque le montant médian est de 100 €. Pour ceux qui bénéficient d’une aide, le montant moyen par bénéficiaire est plus élevé, autour de 250 €. Comme l’illustre la figure 1, il existe de fortes disparités selon l’âge des étudiants. Le pourcentage de bénéficiaires diminue sensiblement au fur et à mesure que les étudiants deviennent plus âgés. Plus de 85 % des étudiants sont aidés par leurs parents lorsqu’ils ont 18 ans ou moins, mais cette proportion n’est plus que de 77 % à 21 ans, 62 % à 24 ans et même 50 % à 25 ans. Dans le même temps, le montant moyen par bénéficiaire croît régulièrement, de 177 € à 18 ans jusqu’à 379 € à 24 ans [14].
L’importance des aides des parents

L’importance des aides des parents
46Cet effet très significatif de l’âge contraste avec la moindre sensibilité de la proportion de bénéficiaires en fonction du cursus suivi. Si la proportion d’étudiants aidés diminue très légèrement avec le cursus jusqu’au grade de master, de 80 % pour des études à bac + 1 à 75 % pour un bac + 5, elle est surtout beaucoup plus faible pour ceux qui poursuivent leurs études au-delà du diplôme de master (53 %). une explication tient sans aucun doute aux opportunités de financement plus systématiques dont peuvent disposer les doctorants. Toutefois, pour ceux qui reçoivent de l’argent, le montant moyen croît sensiblement avec le cursus suivi.
47Le tableau 1 décrit l’incidence des caractéristiques à la fois des parents et de l’enfant sur la réception d’argent. Outre l’effet de l’âge précédemment commenté, un étudiant est plus souvent aidé lorsqu’il est enfant unique ou a un seul frère ou une seule sœur. Il n’existe en revanche aucune différence entre les garçons et les filles. Les étudiants qui ont obtenu une mention à leur baccalauréat bénéficient plus souvent de l’argent de leurs parents. La proportion d’étudiants aidés est de 74,1 % pour ceux qui n’ont pas obtenu de mention à leur baccalauréat, 80,5 % dans le cas d’une mention assez bien et 82,9 % pour une mention bien (mais 79,6 % pour ceux qui ont une mention très bien). Enfin, la proportion d’étudiants qui ont un travail rémunéré est plus importante parmi ceux qui ne reçoivent pas d’argent de leurs parents.
48L’aide est moins fréquente dans les cas où les deux parents ne vivent pas ensemble. Le taux de transfert croît régulièrement avec le diplôme des parents : autour de 70 % lorsque le parent de référence n’a pas le baccalauréat, 80,9 % lorsqu’il a le baccalauréat, et 86,9 % lorsque le parent est diplômé du supérieur. Dans le même temps, le taux de transfert est fortement réduit lorsqu’au moins un parent est au chômage (65,2 % au lieu de 79,8 %). Le tableau 1 précise enfin pour les étudiants aidés et non aidés leur revenu moyen ainsi que celui de leurs parents. En moyenne, le revenu des enfants net des éventuels transferts est plus de deux fois plus élevé pour ceux qui ne reçoivent pas d’aide (537,6 au lieu de 247,6 €), alors que le revenu des parents est à l’inverse plus important lorsqu’il y a transfert (3 404,8 au lieu de 2 374,5 €).
49La figure 2 présente les résultats d’une analyse non paramétrique de la relation entre les sommes mensuelles versées par les parents et les niveaux de revenus des parents et des enfants. Les résultats obtenus vont dans le sens des prédictions du modèle altruiste. D’un côté, le montant versé tend à croître assez sensiblement avec le niveau de revenu dont disposent les parents. De l’autre, les données mettent en évidence une relation négative entre les ressources propres de l’enfant et l’aide financière reçue des parents. Autrement dit, sans aucun contrôle des caractéristiques familiales, les sommes d’argent dont bénéficient les étudiants sont compatibles avec la propriété de compensation. Nous nous tournons à présent vers l’analyse économétrique pour mesurer l’incidence des revenus sur les transferts financiers reçus toutes choses égales par ailleurs.
Analyse non paramétrique de la relation entre aides parentales et revenus

Analyse non paramétrique de la relation entre aides parentales et revenus
Analyse économétrique
50Nous étudions tout d’abord la probabilité pour un étudiant de recevoir de l’argent de ses parents. Nous estimons à cet effet un modèle Probit et incluons dans la régression à la fois les caractéristiques des enfants et des parents, les revenus étant introduits sous une forme logarithmique. La probabilité d’être aidé, qui ne dépend pas du sexe de l’enfant, décroît fortement avec l’âge, en particulier pour les plus de 22 ans (tableau 2, col. 1). Le nombre de frères et sœurs réduit de façon significative la réception d’argent, les parents n’étant sans doute pas en mesure d’aider tous leurs enfants lorsque ces derniers sont nombreux. L’aide semble accompagner la réussite scolaire des étudiants, ces derniers étant plus fréquemment aidés lorsqu’ils ont obtenu une mention (assez bien ou bien) au baccalauréat [15].
Les déterminants de l’aide parentale

Les déterminants de l’aide parentale
51La réception d’un transfert est moins fréquente lorsque les étudiants ont un travail pendant leurs études, ce qui traduit une substitution entre les différentes ressources dont ils peuvent bénéficier [16]. Les données mettent en évidence une corrélation négative entre le revenu de l’enfant et la probabilité d’être aidé, significative au seuil de 1 %. En ce qui concerne les caractéristiques des parents, le statut socioéconomique joue un rôle très important. La probabilité d’aide diminue lorsque le parent vit seul et lorsqu’au moins un des parents est au chômage. À l’inverse, elle croît fortement avec le niveau d’éducation, en particulier lorsque le chef de famille est diplômé du supérieur. Les ressources dont les parents disposent sortent là encore très significativement dans la régression et le fait d’avoir des parents riches augmente fortement la probabilité d’être aidé.
52Nous nous intéressons à présent à la somme d’argent reçue par l’étudiant (exprimée sous une forme logarithmique). Compte tenu de la proportion d’étudiants qui ne reçoit aucune aide (22,5 %), nous estimons tout d’abord un modèle Tobit. La non-séparabilité entre les préférences et le revenu qui caractérise le modèle altruiste invalide en effet le recours à un modèle de sélection de type Heckman [1979]. Les résultats présentés dans la colonne 2 du tableau 2 sont peu différents des précédents, ce qui n’est guère surprenant au regard de la spécification économétrique retenue.
53Une exception notable concerne le rôle de l’âge, qui se caractérise par un profil non linéaire. Par rapport aux plus jeunes étudiants, le montant moyen reçu est un peu plus élevé pour les 21-22 ans, mais il devient plus faible pour les étudiants âgés de 24 et surtout 25 ans. Le modèle Tobit confirme par ailleurs l’impact du rôle des revenus sur les montants versés. Les enfants les moins fortunés reçoivent plus d’argent, tandis que les parents les plus riches versent davantage d’argent. Nous avons aussi estimé une régression linéaire par les moindres carrés ordinarres sur l’ensemble de l’échantillon, ce qui revient à ne pas prendre en compte la censure de la variable dépendante. Cette approche conduit essentiellement aux mêmes résultats que ceux du modèle Tobit.
54Les résultats de l’enquête « Conditions de vie des étudiants » révèlent donc que la propriété de compensation est bien vérifiée. En laissant pour le moment de côté la question de l’hétérogénéité des préférences, nous nous intéressons à présent à la propriété de neutralité et nous estimons la différence des dérivées . Les dérivées
sont obtenues par une simple régression linéaire exprimant la somme reçue T en fonction des revenus Yp et Yk, les autres caractéristiques des deux générations étant prises en compte dans la régression. Les résultats sont présentés dans le tableau 3.
Estimation des dérivées du transfert par rapport aux revenus

Estimation des dérivées du transfert par rapport aux revenus
Note : les différentes régressions estimées comprennent également comme facteurs explicatifs le sexe, l’âge, le nombre de frères et sœurs, l’existence d’une mention au baccalauréat et le fait de travailler pour les enfants, le fait de vivre seul, le niveau d’éducation et le fait d’avoir connu une période de chômage pour les parents.55D’un côté, une hausse d’un euro du revenu parental augmente le transfert de 2,3 centimes, ce qui est assez faible. De l’autre, une hausse d’un euro du revenu de l’enfant diminue le transfert de 7,2 centimes. La différence des dérivées est donc égale à 0,095. Si ce résultat est certes éloigné de la valeur unitaire prédite par le modèle altruiste, la valeur obtenue apparaît bien plus élevée que les résultats connus à ce jour en France (Wolff [2000]). Pour tenir compte des effets de sélection évoqués précédemment, il faut évaluer la différence
. Pour le calcul de
, nous utilisons la méthodologie décrite par Altonji et al. [2008].
56D’après le tableau 3, lorsque l’échantillon est restreint aux seuls bénéficiaires des aides, nous trouvons des valeurs respectivement égales à 0,017 et – 0,014 pour les dérivées non corrigées . Une fois pris en compte le terme correctif donné par (9), les dérivées
sont égales à 0,031 et - 0,060 et la différence des dérivées de l’aide est égale à 0,091. Pour la population étudiée, une redistribution intra-familiale d’un euro des parents vers leur enfant vient diminuer le transfert reçu de 9,1 centimes, une valeur peu éloignée de celle obtenue en calculant
. Nous avons également calculé
en distinguant les étudiants ayant une activité rémunérée de ceux qui n’en ont pas. La différence des dérivées est un peu plus élevée pour les premiers que pour les seconds, respectivement 0,103 au lieu de 0,078 [17].
57Si l’on se refère strictement à la valeur unitaire prédite par le modèle altruiste, alors il est clair que nos données conduisent à rejeter l’existence d’un ajustement parfait des aides en réponse à une variation intra-familiale des revenus. Dans le même temps, ces résultats sont beaucoup plus favorables à l’altruisme que ceux obtenus à ce jour en France et ils sont surtout assez comparables à ceux mis en évidence par Altonji et al. [1997] aux États-Unis. Sur la base des données de l’enquête Panel Study of Income, les auteurs trouvaient une valeur de l’ordre de 0,1 pour la différence corrigée des dérivées. Nos résultats pour la France sont, selon nous, peu surprenants. En considérant une population étudiante, qui dispose de moyens limités, le soutien des parents devient essentiel et constitue une part importante des ressources pour les jeunes générations.
58Comme nous l’avons souligné initialement, c’est ici la définition même des transferts retenus (et donc leur mesure) qui devient un élément central dans le test des modèles. À cet égard, une variable d’importance que nous avons négligée jusqu’à présent concerne le lieu de vie des étudiants. Ces derniers peuvent disposer d’un logement indépendant ou vivre au domicile de leurs parents. Naturellement, la localisation des enfants va dépendre fortement de leurs propres ressources ainsi que de celles de leurs parents (Le Blanc et Wolff [2006]) : la corésidence peut être vue comme un transfert implicite de la part des parents. On s’attend donc à ce que l’aide totale reçue soit sensiblement plus élevée pour les étudiants qui ont leur propre logement.
59Les résultats des estimations vont dans ce sens. Parmi les 21 440 étudiants retenus, 8 674 vivent au domicile de leurs parents (40,5 %). Le montant moyen reçu pour les étudiants dans cette situation est beaucoup plus faible que celui reçu par les étudiants qui vivent dans un logement indépendant, 104 € au lieu de 255 €. La différence s’explique aisément. Outre la dépense directe liée au loyer, les étudiants qui vivent seuls vont avoir des dépenses de consommation courante (d’alimentation par exemple) plus élevées que s’ils vivaient chez leurs parents. Nous avons alors réestimé des régressions séparées pour les sommes d’argent reçues respectivement pour les étudiants vivant chez leurs parents et pour ceux qui ont leur propre logement.
60D’après le tableau 3, les transferts sont nettement moins sensibles aux variations de revenus pour les étudiants qui sont au domicile parental. La différence non corrigée des transferts est, dans ce scénario, égale à 0,047 avec = – 0,032, tandis que la différence corrigée
est égale à 0,55. Á l’inverse, pour les étudiants qui ne cohabitent pas, le transfert reçu dépend beaucoup plus des ressources propres dont ils disposent. Lorsqu’un enfant reçoit un euro de revenu supplémentaire, le montant qu’il reçoit diminue en moyenne de 15 centimes. La dérivée corrigée
est aussi un peu plus élevée (– 0,182), si bien que l’espérance de la différence des dérivées est égale à 0,222.
61Si cette valeur est encore assez loin de l’unité, il n’en demeure pas moins que les comportements des parents observés à partir de l’enquête « Conditions de vie des étudiants » sont nettement plus compatibles avec l’hypothèse d’altruisme que ceux observés dans d’autres enquêtes. Au regard de la mise en œuvre des tests des modèles de transferts, une dernière question se pose alors : les versements réguliers d’argent sont-ils les seules ressources que les étudiants reçoivent de leurs parents ?
62La réponse est clairement négative. Les données de l’enquête révèlent que le soutien financier reçu s’accompagne aussi d’une prise en charge directe de la part des parents, la famille prenant en charge un certain nombre de dépenses à la place des étudiants. De telles questions sont posées dans l’enquête, par exemple pour les frais de transport, le loyer, les dépenses d’alimentation, les sorties, etc. Malheureusement, l’enquête ne précise jamais le montant total associé à cette forme alternative de soutien parental. Un constat s’impose dès lors. Les résultats que nous avons obtenus pour le moment reposent sur une sous-estimation certaine de l’aide globale apportée par les parents à leurs enfants.
63L’enquête apporte quelques précisions complémentaires sur l’ampleur de cette prise en charge directe des parents. Pour différents postes, chaque étudiant indique si les dépenses sont directement payées par les parents, que ce soit en totalité ou en partie. La figure 3 révèle que ce type de prise en charge est relativement fréquent. Si les sorties sont essentiellement assumées par l’étudiant (dans 80 % des cas), ce sont au contraire d’abord les parents qui prennent en charge intégralement les frais d’inscription (dans près de 60 % des cas) ainsi que le logement pour ceux qui ont quitté le domicile parental. Près de 40 % des étudiants qui ne corésident plus déclarent que le loyer est directement payé par les parents. Il s’agit bien sûr de transferts de la part des parents, mais ceux-ci n’ont pas été pris en compte à ce stade dans notre étude empirique.
Les dépenses des étudiants directement supportées par les parents

Les dépenses des étudiants directement supportées par les parents
64Au regard du poids des dépenses liées au logement dans le budget des étudiants, nous avons cherché à intégrer dans la définition des aides le loyer directement supporté par les parents, quand cela est le cas. Ce loyer, auquel s’ajoute les charges associées, est enregistré dans l’enquête. Nous ajoutons alors à l’aide financière directement reçue le montant du loyer payé par les parents, mais en nous limitant toutefois aux étudiants qui déclarent une prise en charge intégrale de cette dépense (82,6 % des étudiants hors domicile parental sont dans cette situation) [18]. En dépit de cet ajout, il est important de noter que nous sous-estimons toujours les transferts réellement reçus par les enfants, puisque nous ne sommes pas en mesure de faire une telle conversion pour les autres postes de dépenses. La prise en compte de ce loyer accroît en tout cas fortement le soutien financier qui est reçu par les jeunes. Pour les non-corésidents, le montant moyen associé à l’aide reçue passe de 255 € sans la prise en charge directe du logement par les parents à 398 €.
65Quel est alors l’impact de cette nouvelle définition des transferts des parents ? Sachant que les ressources familiales restent inchangées, on s’attend de façon mécanique à une plus forte sensibilité de l’aide parentale aux niveaux de revenus Yp et Yk, ce que confirme le tableau 3. Pour les étudiants qui vivent seuls, l’estimation par les mco fournit désormais des dérivées non corrigées respectivement égales à 0,049 et – 0,232. Une fois la correction prise en compte, les dérivées
deviennent égales à 0,062 et - 0,276. Autrement dit, lorsqu’on inclut le paiement direct du loyer par les parents dans la définition des aides reçues, l’effet marginal du revenu devient une fois et demie plus élevé pour les enfants (0,276/0,183 = 1,51).
66À ressources familiales données, un déplacement d’un euro de revenu des parents vers leur enfant diminue le transfert de 33,8 centimes. Si l’on exclut les étudiants qui ont une activité rémunérée, les aides sont encore plus sensibles aux revenus puisque la dérivée est égale à - 0,382 après correction, pour une différence totale
égale à 0,433. Après correction, la dérivée prend même pour valeur 0,595 dans le scénario où l’on exclut les étudiants dont les ressources propres (à la fois transferts publics et salaires) sont nulles.
67Au final, si la valeur unitaire prédite en cas d’altruisme pour la différence des dérivées n’est toujours pas observée, nos résultats obtenus à partir de l’enquête « Conditions de vie des étudiants » n’en attestent pas moins d’une vraie compensation intergénérationnelle des ressources au sein de la famille. La compensation demeure certes imparfaite, mais les étudiants qui ont le moins de ressources personnelles reçoivent en tout cas plus d’argent de leurs parents et les aides financières versées dépendent fortement des ressources dont disposent les étudiants.
Conclusion
68Cet article s’est interrogé sur les motivations des parents lorsqu’ils versent de l’argent à leurs enfants. Si les économistes ont proposé plusieurs modèles pour expliquer ces comportements, articulés autour de l’altruisme et de l’échange, il est assez surprenant de constater que tous les tests menés en France ne sont jamais compatibles avec les prédictions du modèle altruiste. Nous avons ici reconsidéré cette question en soulignant les limites des travaux menés à ce jour. D’un côté, il existe sans aucun doute des difficultés de mesure des transferts, pour lesquels il est difficile de déterminer un équivalent annuel. De l’autre, les générations prises en compte dans les études empiriques sont telles que les prédictions du modèle altruiste ont peu de chances d’être observées.
69Nous nous sommes donc tournés vers l’enquête « Conditions de vie des étudiants », dans une configuration où les enfants ont sensiblement moins de ressources propres que leurs parents. Nos principaux résultats sont les suivants. Tout d’abord, les aides sont d’autant plus importantes que les parents sont riches et que les enfants sont peu fortunés. La propriété de compensation est donc vérifiée. Ensuite, lorsque tous les étudiants sont pris en considération, nous montrons qu’un déplacement d’un euro de revenu des parents vers les enfants réduit les transferts de 9,1 centimes après correction des biais. Cet ajustement est sensiblement plus élevé pour les seuls enfants non corésidents (22,2 centimes). Enfin, si l’on intègre les aides au logement directement payées par les parents, alors la différence des dérivées du transfert par rapport aux revenus est égale à 0,338. Elle prend pour valeur 0,433 pour ceux qui ne travaillent pas et même 0,595 si l’on exclut les étudiants dont les ressources propres sont nulles.
70Si ces résultats ne permettent pas d’accepter l’hypothèse de neutralité dans la mesure où la différence des dérivées devrait être égale à l’unité, ils suggèrent tout de même l’existence d’une réelle redistribution intergénérationnelle des ressources. Le montant transmis par les parents reste sensible aux ressources dont disposent les enfants. Notre étude suggère donc que la validité des modèles de transferts dépend à la fois des populations retenues et des transferts retenus. Plus la définition de ces derniers est exhaustive et plus les tests sont compatibles avec l’hypothèse d’altruisme suivant laquelle les parents se préoccupent de la situation des enfants. Ces résultats ont dès lors une double interprétation.
71D’un côté, ils redonnent toute sa place au débat initial entre Kotlikoff [1988] et Modigliani [1988] sur le poids des transferts familiaux dans la richesse héritée. De l’autre, il se peut que les motivations des transferts varient au cours du cycle de vie, avec des parents beaucoup plus altruistes quand leurs enfants sont encore jeunes et au début de leur vie adulte, mais qui deviendraient ensuite un peu moins préoccupés par la situation de leurs enfants au fur et à mesure que ces derniers s’installent dans leur propre vie et prennent leur distance avec leurs parents. Par ailleurs, lorsque les parents vieillissent, ces derniers peuvent s’inscrire davantage dans une logique de réciprocité en escomptant des contreparties aux transferts monétaires qu’ils versent à leurs enfants.
72Il serait assurément pertinent d’étendre cette analyse tout au long du cycle de vie, avec un suivi détaillé des flux de transferts entre parents et enfants, en lien avec leurs revenu (à la fois instantanés et pertinents). Certes, retenir la seule période de formation des enfants rend compte de manière incomplète de tous les transferts que peuvent verser les parents, mais une critique similaire s’applique à l’ensemble des travaux considérant les seuls transferts financiers qui circulent entre des ménages indépendants : les aides versées aux jeunes étudiants, à une période où ceux-ci sont très contraints par la liquidité, sont (involontairement) omises. Disposer d’un recensement exhaustif des flux versés sur le cycle de vie en lien avec les revenus est sans aucun doute un challenge à relever pour mieux comprendre les motivations des transferts familiaux.
73Il convient, pour finir, de souligner deux autres limites de cette étude, qui sont liées à la définition même des revenus hors transfert de l’enfant. D’un côté, ceux-ci incluent des transferts publics, que nous avons ici supposés exogènes. Cette condition est sans aucun doute trop restrictive, certaines allocations reçues étant conditionnées par la situation économique de l’étudiant. Cox et Jakubson [1995] et Schoeni [2002] ont cherché, par exemple, à mesurer l’éventuelle éviction des transferts familiaux par ces aides publiques. De l’autre, nous avons omis les éventuelles interactions entre l’offre de travail des étudiants et les transferts versés par les parents. Cette endogénéité de l’offre de travail, étudiée notamment par Wolff [2006] et Dustmann et al. [2009], ne semble pas sans incidence sur les prédictions des modèles de transferts (Fernandes [2011]).
74Ces deux points devront assurément faire l’objet d’investigations ultérieures. En l’état, il convient de garder à l’esprit que nos résultats sont avant tout là pour mettre en évidence la sensibilité des transferts financiers reçus aux ressources dont disposent les enfants. Au regard des résultats qui étaient connus à ce jour pour la France et dans un contexte où la situation des étudiants demeure fragile, il est tout à fait rassurant de voir que les parents se préoccupent bien de la situation financière de leurs enfants.
Notes
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[*]
lemna, Université de Nantes, et ined. Correspondance : lemna, Université de Nantes, Chemin de la Censive du Tertre, 44322 Nantes Cedex 3, France. Courriel : francois.wolff@univ-nantes.fr ; http://www.sc-eco.univ-nantes.fr/~fcwolff
Je tiens à remercier deux rapporteurs anonymes de la Revue pour leurs différentes remarques et suggestions sur des versions précédentes de cet article ainsi que les participants à la conférence Développements récents en économie de la famille (ined, Paris) et au séminaire du lemna (Nantes). -
[1]
Pour une synthèse de cette littérature, se reporter aux surveys de Laferrère et Wolff [2006] et d’Arrondel et Masson [2006].
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[2]
Les situations de malveillance (degré d’altruisme négatif) et d’altruisme excessif sont exclues de l’analyse.
-
[3]
Cox [1987] et Cox et Rank [1992] sont les premiers à avoir testé la validité de ces prédictions.
-
[4]
À revenu parental donné, au fur et à mesure que l’on considère des enfants de plus en plus riches, il faut que les parents soient toujours plus altruistes pour verser le même montant de transfert.
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[5]
D’après (4), le transfert financier dépend des revenus du parent et de l’enfant et du degré d’altruisme parental. Il n’apparaît pas possible d’exprimer ce transfert comme la somme d’une fonction des caractéristiques familiales d’un côté et d’une fonction du degré d’altruisme (qui relève des préférences) de l’autre.
-
[6]
Les régressions estimées par le biais de modèles de sélection ou de modèles Tobit vont donner les valeurs des dérivées de par rapport aux revenus. Or, pour le revenu des enfants, la dérivée peut être positive en présence d’altruisme dès lors que le terme de sélection (négatif a priori) est suffisamment élevé.
-
[7]
En suivant les enfants qui habitent initialement chez leurs parents, le travail sur des vagues successives permet de disposer des revenus des parents et des enfants, y compris lorsque ceux-ci ne vivent plus chez leurs parents. Ces derniers forment alors un nouveau foyer, mais une telle méthodologie n’est pas sans difficulté. D’un côté, il faut un panel suffisamment long pour que les enfants soient pleinement dans la vie active (il faut en effet qu’ils soient chez leurs parents en vague initiale, donc les enfants seront plutôt jeunes). De l’autre se posent des questions d’attrition sélective : les enfants qui réussissent le mieux et sont le plus soumis à de la mobilité professionnelle ont plus de chances de sortir de l’échantillon.
-
[8]
Ces résultats s’appuient sur les enquêtes Insee Actifs Financiers 1992 et Cnav Trois Générations 1992.
-
[9]
Les enquêtes privilégient habituellement les transferts sur les douze derniers mois ou sur les cinq dernières années. Dans certains cas, les transferts sont recensés jusqu’à la date de l’enquête, mais cela donne alors lieu à d’autres problèmes puisque sont mis en correspondance dans les tests des modèles des revenus courants (ceux observés l’année de l’enquête) et des transferts reçus il y a plusieurs années.
-
[10]
Les données concernant les revenus moyens par âge sur la période allant de 1996 à 2007 sont disponibles sur le site de l’Insee : http://www.insee.fr/fr/themes/tableau.asp?reg_id=0&ref_id=NATSOS04203.
-
[11]
Il convient de noter que la question posée dans l’enquête « Conditions de vie des étudiants » fait référence à des versements des membres de la famille. Compte tenu de la prédominance du soutien parental pour les jeunes générations, nous supposons que ces transferts sont exclusivement le fait des parents.
-
[12]
Pour tous ces revenus, il existe des valeurs manquantes pour les étudiants enquêtés pour lesquelles nous avons eu recours des méthodes d’imputation (Royston [2004]). Nous obtenons des résultats très similaires en nous limitant à l’échantillon restreint aux seules observations sans valeur manquante.
-
[13]
Globalement, un peu plus de quatre étudiants sur dix déclarent avoir une activité rémunérée au cours de l’année universitaire (42,2 %). Les revenus du travail déclarés correspondent au montant total perçu pour ces activités le mois précédent la date d’interview : 38,3 % des étudiants sont dans ce cas.
-
[14]
La conjonction de ces deux effets explique que le montant moyen pour l’ensemble des étudiants progresse relativement moins vite, autour de 150 € à 18 ans et près de 250 euros à 23 ans. Il diminue même aux âges de 24 et 25 ans (respectivement 236 et 209 € par étudiant).
-
[15]
Le coefficient associé à la mention très bien au baccalauréat n’est pas significatif.
-
[16]
L’exogénéité de cette variable est toutefois sujette à caution, dans la mesure où des étudiants peuvent être amenés à prendre un travail salarié si les aides des parents qu’ils reçoivent ne sont pas suffisantes.
-
[17]
Si l’on exclut les étudiants ayant un revenu nul de l’échantillon, la différence des dérivées devient alors égale à 0,158 après correction avec
.
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[18]
Ce choix s’impose dans la mesure où l’enquête n’apporte aucune précision sur la part du paiement du loyer qui est directement supportée par les parents lorsque la prise en charge financière est partielle.