Introduction
1 Les pouvoirs publics ne sont pas seuls à pourvoir à la demande de services d’intérêt collectif exprimée par la population. Les organisations sans but lucratif que sont les associations y concourent elles aussi et elles occupent même une place substantielle dans des secteurs comme les sports, la culture ou les services sociaux (Archambault [1996]). Le Conseil d’État [2000, p. 278] souligne de son côté que « des pans entiers des politiques publiques leur sont confiés par l’État ».
2 Une telle situation n’est pas propre à la France. Elle incite à analyser la manière dont les secteurs public et associatif peuvent, au travers de leurs stratégies respectives, s’influencer réciproquement. La littérature économique anglo-saxonne s’est notamment attachée à étudier l’impact des variations des dépenses publiques sur la dynamique des ressources que les associations perçoivent en provenance des ménages sous forme de contributions volontaires. Ces dernières peuvent être en argent ou en nature, prenant alors principalement la forme de travail bénévole. Les investigations menées ont plus particulièrement cherché à tester l’hypothèse dite d’« effet d’éviction » (crowding out effect), selon laquelle l’accroissement des dépenses publiques évincerait ces contributions privées (Warr [1982], Roberts [1984]).
3 Dans ce cadre, les travaux empiriques ont privilégié l’analyse des dons monétaires (Steinberg [1993]). Les résultats obtenus montrent généralement l’existence d’une faible éviction, mais des effets d’entraînement d’une augmentation des dépenses publiques sur les dons privés (crowding in) sont parfois mis en évidence. Bien que le travail bénévole représente une contribution qui, une fois valorisée monétairement, dépasse de beaucoup les dons en argent, il a nettement moins retenu l’attention des économistes. Les quelques investigations menées à son sujet montrent que l’effet des dépenses publiques sur les dons de temps est susceptible de varier d’un domaine d’activité à l’autre pour les États-Unis et pour le Canada (Menchik et Weisbrod [1987], Schiff [1990], Day et Devlin [1996]).
4 À notre connaissance, ce type de travaux n’a pas été, à ce jour, mené sur des données françaises. L’une des raisons de ce silence tient à l’insuffisante connaissance des contributions volontaires réalisées dans notre pays, qu’elles soient monétaires ou sous forme de travail volontaire non rémunéré, assurément en raison de l’absence d’information statistique adéquate. Les données récentes sur les dons individuels en temps et en argent collectées par l’insee à la fin de l’année 2002 permettent d’apporter un éclairage inédit sur la question. Néanmoins, compte tenu de certaines limites intrinsèques à ces données, le présent article constitue avant tout une étude exploratoire, organisée de la façon suivante. La section 2 présente un modèle théorique de biens collectifs. Les données utilisées sont décrites dans la section 3. Les résultats de l’analyse économétrique pour les dons de temps et d’argent sont décrits dans la section 4, la relation entre ces dons et les dépenses publiques étant examinée en section 5. Enfin, la section 6 conclut.
Modélisation des transferts en temps et en argent
5 Pour étudier le rôle des caractéristiques individuelles sur les contributions en argent (notées D) et en temps (Tv), nous retenons ici un modèle de biens collectifs [1]. Soit f une fonction de production qui indique la relation de transformation entre les dons et un bien qui présente certains attributs d’un bien collectif et que l’association se propose de produire. Les dépenses publiques, notées G et supposées ici exogènes, sont également prises en compte : elles peuvent affecter la réalisation du bien collectif considéré, soit en finançant directement une offre publique qui pourra être complémentaire ou substituable à la production associative, soit en subventionnant l’association. L’utilité U pour un agent représentatif dépend de son niveau de consommation privée C, ici le numéraire, de son loisir L et du bien collectif donné par f(D, Tv, G). Cette fonction d’utilité U(C, L, f(D, Tv, G)) est supposée continue, deux fois différenciable, et le niveau de satisfaction croît avec chacun de ses arguments.
6 Deux contraintes de ressources viennent limiter les choix possibles. D’une part, en supposant que l’offre de travail est exogène, l’agent doit partager son temps disponible entre deux activités, le loisir L et le don de temps Tv. Si l’on normalise à l’unité ce temps libre, cette contrainte s’écrit L + Tv = 1. D’autre part, les ressources de l’agent qui sont données par une dotation exogène Y sont allouées à la fois à la consommation C et au versement d’argent D, si bien que l’on a C + D = Y. Le programme de maximisation pour l’agent devient :

7 Les solutions optimales pour Tv et D sont données par les conditions de premier ordre ? U2 + U3f1 = 0 et ? U1 + U3f2 = 0. À l’optimum, la désutilité marginale du don de temps (respectivement du don en argent) est égale au bénéfice marginal de cette contribution qui dépend de sa productivité marginale dans la réalisation de l’output associatif. Le taux marginal de substitution entre consommation et loisir est alors égal au rapport des productivités marginales des dons en argent et en temps. La différenciation du système défini par les conditions de premier ordre précédentes indique que les contributions volontaires vont dépendre du revenu et du niveau des dépenses publiques. Sous les conditions les plus générales, il n’est pas possible d’obtenir de signes précis pour les différents effets. Toutefois, sous l’hypothèse de normalité du bien collectif, on s’attend à ce qu’une hausse du revenu accroisse non seulement les contributions en argent, mais aussi l’engagement bénévole.
8 L’impact des dépenses publiques sur les dons individuels est aussi impossible à prédire. Dans un modèle de biens collectifs, l’hypothèse souvent retenue consiste à voir dans les dépenses publiques un substitut aux contributions privées et à prévoir, alors que l’augmentation des premières produira un effet d’éviction sur les secondes (Duncan [1999]). Ce point de vue est toutefois indûment restrictif, car certaines dépenses publiques peuvent être complémentaires aux dons privés. Tel est le cas quand les collectivités locales, dans le domaine sportif par exemple, financent la construction des infrastructures nécessaires aux activités, laissant aux associations le soin d’organiser et d’animer celles-ci. La construction d’équipements sur fonds publics peut bien alors avoir un effet d’entraînement sur l’engagement associatif.
9 Il importe également de prendre en compte la nature des dépenses publiques. La situation dans laquelle les financements publics servent à la production par le secteur public du bien collectif devra être distinguée de celle dans laquelle les fonds publics vont aux associations sous forme de subventions. Dans ce dernier cas de figure, on pourrait penser qu’il y a plus particulièrement risque de concurrence entre concours publics et concours monétaires privés volontaires. Cela reste à confirmer empiriquement. Quand bien même tel serait le cas, il resterait à appréhender l’impact de ces subventions sur le bénévolat. Si elles diminuent l’utilité marginale du don d’argent, cela laisse présager une substitution temps-argent et un accroissement de l’effort bénévole (Smith et Chang [2002]). Mais, d’un autre côté, les fonds publics peuvent alimenter un processus de professionnalisation au sein de l’association, la conduisant à avoir davantage recours à de la main-d’œuvre salariée, ce qui peut dissuader l’engagement bénévole.
10 Ce modèle théorique appelle donc deux commentaires. En premier lieu, il faut prendre en compte de manière jointe les contributions charitables en temps et en argent. En second lieu, l’effet des dépenses publiques sur ces dons individuels est avant tout une question empirique. Il reste donc à déterminer l’éventuelle existence d’un effet d’éviction sur les dons de temps et d’argent, et le cas échéant son ampleur.
Les données
11 Les données ici utilisées sont celles de l’enquête « Vie associative » réalisée par l’insee en octobre 2002 au titre de la partie variable de l’Enquête permanente sur les conditions de vie des ménages (epcv). Son objectif principal était de mieux connaître la participation associative des individus de 15 ans et plus (Febvre et Muller [2003]). L’échantillon comprend 5 799 ménages. Au sein de chacun d’entre eux, une personne tirée au sort est interrogée minutieusement sur ses relations avec les associations, en tant que participant éventuel mais aussi en tant qu’usager ou comme contributeur sans adhésion. Il est ainsi possible d’appréhender, avec une précision sans équivalent jusqu’à aujourd’hui en France, l’engagement bénévole des répondants ainsi que leurs dons monétaires, qu’ils soient ou non membres des organismes bénéficiaires. Après suppression des observations pour lesquelles les montants des contributions ne sont pas renseignés, la taille de l’échantillon est de 5 747 individus.
12 Le temps affecté au bénévolat et sa fréquence sont indiqués, ce qui nous permet de calculer les durées consacrées à cet engagement au cours des douze mois précédant l’enquête [1]. L’enquête « Vie associative » met en évidence l’importance des contributions volontaires aux associations en France. La proportion d’individus qui pratiquent le bénévolat s’établit à 27,4 %. Sa durée moyenne annuelle s’élève à 104 heures, mais la dispersion de ces temps est très forte, avec un écart type égal à 207 heures. Le monde des bénévoles est en effet un ensemble composite dans lequel coexistent des participants occasionnels et des personnes beaucoup plus régulièrement engagées. Ces dernières ne sont pas les plus nombreuses puisque seulement 27,7 % des bénévoles donnent plus de 100 heures par an, mais leur contribution est très élevée. Les domaines d’activité de ce bénévolat sont variés et peuvent être bien documentés à partir de l’enquête. Ainsi, le domaine de l’action sociale, auquel nous portons un intérêt plus particulier dans la suite de l’article, mobilise 3,8 % des effectifs de l’échantillon, ce qui représente environ 14 % des bénévoles.
13 S’agissant des dons en argent, la proportion de contributeurs est également substantielle (36,5 %). Le montant moyen calculé est égal à 524 F par donateur, avec un écart type de 540 F. Le don médian s’élève à 300 F, si bien que les contributions financières sont dans leur ensemble limitées : seulement un peu plus de 30 % des dons excèdent la valeur de 500 F. Si l’enquêté indique les domaines d’activité auxquels il a destiné ses dons monétaires, en revanche il n’est pas possible de reconstituer ces montants sectoriels, seul le montant agrégé étant connu. L’information n’est donc pas identique pour les dons de temps et d’argent.
14 D’un point de vue descriptif, il est intéressant de regarder les interactions entre ces deux types de contributions. Globalement, on constate qu’ils vont souvent de pair. Ainsi, 49,4 % des enquêtés n’ont apporté aucun don, 37,4 % ont contribué sous une seule forme (14,2 % n’ont donné que du temps et 23,2 % que de l’argent), et 13,2 % des enquêtés cumulent les deux contributions. Le coefficient de corrélation associé à ces deux types de concours est positif, égal à 0.152 et significatif au seuil de 1 %. On constate également que le montant des dons monétaires tend à croître avec l’intensité de l’engagement bénévole. Ces résultats descriptifs semblent donc attester d’une certaine complémentarité entre les contributions volontaires en temps et en argent.
Analyse économétrique des contributions volontaires
15 Le modèle théorique décrit dans la section 2 conduit à estimer de manière jointe les équations correspondant aux deux types de contributions volontaires :

16 où T*v et D* sont les variables latentes associées aux dons de temps et d’argent, X est un vecteur de variables explicatives qui permet de contrôler l’hétérogénéité des comportements, ?T et ?D sont deux résidus distribués selon une loi normale bivariée N(0, 0, 1, 1, 1,?) avec ? le coefficient de corrélation associé. Les coefficients d’intérêt sont ici donnés par d1 et d2, qui renseignent sur l’existence éventuelle d’un effet d’éviction ou d’entraînement. Nous examinons au préalable l’impact des différents facteurs explicatifs sur les contributions volontaires des enquêtés. Aux deux variables latentes T*v et D* peuvent être associées des variables muettes qui prennent pour valeur 1 lorsque l’enquêté effectue respectivement un don de temps ou un don d’argent. La spécification correspondant à (2) est alors un modèle Probit bivarié [1].
17 D’après les résultats du tableau 1, les personnes bénévoles sont plus souvent des hommes. Le profil par âge est concave, avec un maximum à l’âge de 45 ans, tandis que le fait de vivre en couple semble sans incidence. La participation au bénévolat croît pour les enquêtés qui ont trois enfants et plus. Elle est aussi d’autant plus fréquente que l’enquêté a un niveau de diplôme élevé. Ceci peut traduire la nécessité de se reconnaître (et de se voir reconnaître) une compétence dans l’exercice de certaines tâches associatives. Cela peut aussi témoigner d’un intérêt plus marqué pour l’action collective acquis au cours d’une socialisation scolaire prolongée. Le bénévolat entre clairement en concurrence avec le travail salarié, ce qu’atteste l’effet négatif associé au statut d’actif en emploi. Les contributions en temps sont d’autant plus probables que le revenu du ménage est élevé et que l’enquêté est propriétaire de son logement.
Les déterminants des contributions volontaires

Les déterminants des contributions volontaires
18 Elles sont également positivement influencées par une pratique religieuse régulière et par le fait d’avoir des parents s’étant eux-mêmes adonnés au bénévolat. Il est possible que l’identification forte à une religion incite les individus à conformer leurs comportements aux préceptes de bienveillance et de souci d’autrui qui leur sont dispensés dans le cadre de leurs activités spirituelles. Quant à la pratique antérieure des parents, elle a certainement contribué à transmettre des attitudes plus propices à l’engagement collectif. La propension à donner du temps aux associations s’avère plus élevée dans les communes de petite taille, ce qui reflète peut-être le rôle particulier qu’est amenée à jouer la production associative dans les aires à plus faible densité démographique, pour pallier l’insuffisance de l’offre publique ou de l’offre privée lucrative en matière de biens collectifs locaux.
19 Les profils des contributeurs en argent présentent quelques ressemblances, mais aussi des différences notables. Au nombre des premières, on citera l’influence assez similaire du niveau de diplôme, du revenu domestique et du statut de propriétaire du logement. On retrouve également pour ces dons le rôle incitatif de la pratique religieuse et de la transmission intergénérationnelle. Ce dernier constat suggère, là encore, une certaine complémentarité entre les deux types de contributions, puisque des dons de temps observés dans le passé paraissent avoir une incidence sur des versements actuels d’argent. L’influence des comportements parentaux ne se limite donc pas à une simple reproduction d’attitudes identiques, mais paraît jouer davantage sur la transmission d’une prédisposition à donner (sous une forme ou sous une autre).
20 Au registre des différences entre les profils des donateurs en argent et ceux des bénévoles, on notera que la probabilité de contribuer sous une forme monétaire est plus grande lorsque l’enquêté est une femme. L’effet de l’âge est désormais beaucoup plus continûment croissant, tandis que l’effet « famille nombreuse » disparaît. La commune de résidence ne semble plus avoir d’impact, ce qui peut traduire une orientation privilégiée des dons d’argent vers des biens collectifs plus nationaux, voire mondiaux (lutte contre la faim, …).
21 Deux résultats sur l’interaction entre les deux types de contributions complètent ce descriptif économétrique. En premier lieu, il importe de statuer plus précisément sur l’analogie ou au contraire sur la dissemblance des profils des donateurs en temps et en argent. Un test de Wald portant sur l’égalité des séries de coefficients obtenus dans le Probit bivarié relatif à chaque type de contributions permet de clarifier cette question. Les données conduisent à rejeter l’hypothèse de similitude au seuil de 1 %, avec une valeur de 328,9 pour la statistique du Chi2 correspondante (avec 26 degrés de liberté). Les deux comportements de dons ne sont donc pas sensibles aux mêmes facteurs. En second lieu, le coefficient de corrélation entre les deux résidus est strictement positif. Une fois les facteurs explicatifs contrôlés, les deux choix de transferts sont positivement corrélés, ce qui confirme l’existence d’une complémentarité entre dons de temps et d’argent.
Une absence d’effet d’éviction
22 Pour examiner l’effet des dépenses publiques sur les dons, il serait évidemment bienvenu de disposer de données longitudinales permettant d’analyser l’évolution des comportements des contributeurs en fonction de l’évolution de ces dépenses. Ne disposant que de données transversales, l’approche consiste, à l’instar de plusieurs études anglo-saxonnes sur le sujet (Menchik et Weisbrod [1987], Schiff [1990], Day et Devlin [1996]), à étudier la sensibilité des contributions volontaires aux disparités spatiales des dépenses publiques. L’idéal serait de pouvoir territorialiser toutes ces dépenses, quel qu’en soit l’ordonnateur (État central, collectivités locales). Cela n’étant pas ici possible, le choix a été fait de ne retenir que les dépenses des collectivités départementales réalisées au cours de l’année 2001. À ce titre, deux variables sont considérées. Il s’agit tout d’abord du niveau des dépenses sociales par tête, dont l’effet est envisagé sur le bénévolat propre au domaine de l’action sociale. On sait en effet que ce domaine est un champ de compétences tout particulièrement dévolu au département dans le cadre de la décentralisation. Le niveau des dépenses totales par tête a également été retenu pour être mis en relation avec le bénévolat global. Les dépenses sociales par tête varient de 118 euros à 293 euros entre les départements, et les dépenses totales de 452 euros à 1 047 euros [1].
23 Mesurer un éventuel effet d’éviction revient à déterminer quelle est l’incidence de la hausse d’une unité monétaire des dépenses publiques sur le montant des contributions volontaires des enquêtés. Si l’éviction est totale, on s’attend à ce qu’une hausse d’un franc de dépenses publiques diminue d’un montant exactement équivalent les contributions versées aux associations. En pratique, il convient donc d’estimer la dérivée de ces différents transferts par rapport aux dépenses publiques. La difficulté vient ici de ce que l’éviction doit être estimée uniquement pour les solutions intérieures (dons d’argent ou de temps positifs), mais ceci pose un problème de sélection puisqu’on retient seulement des contributions positives. Afin de corriger ce biais, nous avons eu recours à l’estimateur proposé par Altonji et Ichimura [1999], qui consiste à calculer la dérivée E(?T??G?T > 0), où T désigne une contribution volontaire. Cette espérance s’écrit :

24 La technique d’estimation de (3) est assez simple (Wolff [2000, p. 1426]) et permet d’avoir une mesure exacte de l’éviction éventuelle des contributions volontaires par les dépenses publiques. En ce qui concerne les espérances des dérivées, nous avons déterminé des écarts types non paramétriques à partir de la méthode des Bootstraps.
25 Les résultats, obtenus à partir de plusieurs spécifications, sont présentés dans le tableau 2 [1]. D’une manière générale, les estimations obtenues suggèrent qu’il n’existe pas d’éviction particulière des contributions volontaires lorsque les dépenses publiques s’accroissent.
Mesure de l’effet d’éviction sur les contributions charitables

Mesure de l’effet d’éviction sur les contributions charitables
26 Afin de parvenir à la mesure la plus précise possible, nous nous intéressons tout d’abord uniquement aux contributions volontaires qui relèvent du domaine de l’action sociale. Il faut toutefois rappeler que si l’exercice du bénévolat par domaine d’activité, comme les durées qui y sont consacrées, peut être repéré sans difficulté particulière, seule la réalisation de dons monétaires à chacun de ces domaines peut être identifiée, les montants transférés n’étant connus que globalement. Nous regardons alors quel est l’impact d’une hausse d’un franc de la dépense publique départementale par tête consacrée à l’action sociale en 2001. Les données révèlent la très faible sensibilité des contributions aux dépenses publiques. Un franc additionnel de dépenses d’action sociale a un effet quasi nul (de surcroît non statistiquement significatif) sur la probabilité de don, en temps ou en argent. S’agissant du bénévolat, une hausse d’un franc de la dépense publique a un léger effet positif sur le temps consacré aux associations d’action sociale après correction du biais de sélection, même si cet effet n’est pas significatif. L’intervalle de confiance correspondant permet de rejeter sans ambiguïté l’existence d’un effet d’éviction massif.
27 Nous avons alors étendu cette analyse en considérant l’effet des dépenses totales départementales en 2001 sur les deux types de contributions. Les conclusions précédentes relatives à l’action sociale sont confirmées. D’un côté, la sensibilité aux dépenses publiques de la probabilité de donner est extrêmement réduite. De l’autre, aucun effet d’éviction significatif n’est observé sur le montant des contributions volontaires. Le signe de la dérivée du don de temps par rapport à la dépense publique départementale est positif, mais la dérivée correspondante est de très faible intensité. Là encore, l’intervalle de confiance correspondant révèle que les aides en temps sont peu affectées. Le tableau 2 permet aussi d’évaluer l’effet d’éviction pour les contributions en argent. Après correction du biais de sélection, les données indiquent qu’une hausse d’un franc de la dépense publique va diminuer de 2,2 centimes le montant des dons financiers versés. L’effet d’éviction est donc très faible [1].
28 Il convient néanmoins de faire preuve d’une grande prudence à l’égard de ces résultats relatifs à la relation entre les dépenses totales d’origine départementale et les contributions globales. En effet, à la différence des dépenses de même provenance consacrées au domaine social, leur part dans l’ensemble des dépenses publiques reste modeste.
Conclusion
29 Du fait de l’importance prise par le niveau départemental dans les dépenses publiques consacrées au domaine de l’action sociale, il paraît pertinent d’étudier comment les variations de ces dépenses sont susceptibles d’affecter les contributions volontaires que les individus consacrent aux associations œuvrant dans ce champ. L’exercice qui a été ici réalisé ne met pas à jour l’existence d’un effet d’éviction économiquement et statistiquement significatif entre ces dons (qu’ils soient en temps ou en argent) et les dépenses publiques. Autrement dit, il paraît illusoire de penser que l’engagement privé volontaire puisse compenser un éventuel désengagement des pouvoirs publics locaux qui pourraient être tentés d’alléger ainsi les contraintes budgétaires de plus en plus fortes auxquelles ils sont confrontés.
30 Toutefois, cette première investigation appelle confirmation. Pour ce faire, il serait particulièrement intéressant, d’une part, de pouvoir différencier les dépenses publiques selon leur nature (subventions, production directe de biens collectifs, …) et, d’autre part, de considérer les dépenses de toutes origines, aussi bien nationales que locales, puisque c’est leur agrégation sur un territoire qui, in fine, est susceptible d’influencer le comportement des donateurs.
Notes
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[*]
len-cebs, Faculté des Sciences économiques, Université de Nantes, France. Courriel : prouteau@ sc-eco. univ-nantes. fr
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[**]
Correspondance : len-cebs, Faculté des Sciences économiques, Université de Nantes, BP 52231 Chemin de la Censive du Tertre, 44322 Nantes Cedex 3, France ; cnav et ined, Paris, France. Courriel : wolff@ sc-eco. univ-nantes. fr Homepage : http:// bonjorn. sc-eco. univ-nantes. fr/ fewolff
Une version préliminaire de ce texte a fait l’objet de présentations aux séminaires du Laboratoire d’Économie de Nantes (juin 2004) et au colloque annuel de l’afse (Paris, septembre 2004). Nous tenons à remercier plus particulièrement Maurice Baslé, Yvon Rocaboy et Guy Truchot pour leurs différentes remarques et suggestions. -
[1]
Plusieurs hypothèses théoriques sont envisageables pour rendre compte des contributions en temps et en argent (Prouteau [2002]), avec des prédictions différentes quant à l’interaction entre les dons d’argent et de temps. Le modèle de biens collectifs, dans lequel les donateurs sont exclusivement motivés par les services associatifs que leurs contributions permettent de réaliser, laisse supposer une substitution entre apport monétaire et travail bénévole (Duncan [1999]). À l’inverse, dans le cadre d’un modèle de biens privatifs, les deux transferts ne poursuivent pas forcément les mêmes objectifs et ne sont plus nécessairement substituables (Schiff [1990]).
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[1]
Les montants des dons monétaires sont communiqués en tranches (moins de 100 F ou 15 euros, de 100 à 500 F [de 15 à 75 euros], de 500 à 1 000 F [75 à 150 euros] et plus de 1 000 F). Pour nos calculs, nous avons retenu les milieux de tranche et la somme de 1 500 F (229 euros) pour la tranche supérieure.
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[1]
Nous avons aussi regardé les effets des variables explicatives sur les durées consacrées au bénévolat associatif et sur l’importance des contributions monétaires, à partir d’un modèle Tobit bivarié. La difficulté tient à ce que les facteurs explicatifs vont avoir des effets à peu près similaires sur la probabilité de contribuer et sur la taille des contributions, ce que confirme le tableau 1. Il reste néanmoins malaisé de trouver des restrictions d’exclusion appropriées pour estimer des modèles de sélection pour les dons de temps et d’argent.
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[1]
Ces informations ont été obtenues sur le site Internet du ministère de l’Économie et des Finances, à l’adresse suivante : http:// www. colloc. minefi. gouv. fr/ colo_struct_fina_loca/ comp_coll/ depa. html.
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[1]
Outre les facteurs explicatifs introduit précédemment, nous avons également inclus dans les régressions le taux de chômage en 2001 et la part des ménages imposés en 2000 (ces deux variables étant mesurées au niveau départemental) afin de tenir compte de la diversité des situations en matière de besoins sociaux locaux.
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[1]
Compte tenu de la particularité des départements corses qui connaissent des dépenses sociales par tête très élevées, nous avons mené des investigations complémentaires en excluant ces deux départements. Les résultats non reportés confirment les conclusions précédentes, avec une sensibilité très faible des contributions volontaires aux dépenses publiques. Par exemple, une hausse d’un franc de la dépense publique diminue de 1,7 centime le montant des dons financiers versés pour les différents départements français à l’exception de la Corse.