CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 Au sein du travail domestique, les activités parentales occupent un statut spécifique ; elles sont chargées émotionnellement et souvent plus valorisées car elles représentent un investissement éducatif de long terme. Ce sont les activités domestiques les mieux partagées au sein des couples (Hamermesh [2000] ; Gronau [1997]). Cela signifie-t-il que les temps du père et de la mère sont substituables (chacun peut effectuer les tâches) ou complémentaires (ils ont une préférence à la participation des deux) ?

2 Le cas d’un conjoint confronté au chômage nous permet de tester ces hypothèses. Le gain de temps dû au chômage, disponible pour toutes les activités, augmente-t-il le temps parental ? Existe-t-il un transfert de temps parental entre les deux conjoints ? Enfin, si un transfert de temps se produit, celui-ci est-il symétrique selon que la mère ou le père est au chômage ? Si le temps parental est substituable entre conjoints, un transfert de temps parental devrait se produire : la baisse du temps marchand de l’un devrait accroître son temps parental, et donc diminuer le temps parental de l’autre. En revanche, en cas de complémentarité, les temps parentaux des deux parents devraient évoluer dans le même sens.

3 L’accès et le maintien dans l’emploi étant contraints par un fort taux de chômage ou des statuts d’emploi précaires, la répartition du temps entre secteurs marchand et non marchand est ici supposée donnée. Afin d’étudier les réallocations de temps et en l’absence de données dynamiques permettant de suivre les changements de situation professionnelle, nous comparons les répartitions du temps parental au sein des couples bi-actifs et des couples composés d’un chômeur, à partir des données de l’enquête Emplois du temps (insee, 1999).

Les modèles d’allocation du temps entre conjoints

4 La littérature sur l’allocation du temps entre conjoints porte essentiellement sur l’arbitrage entre travail marchand, loisir et travail domestique. Le temps parental n’est que rarement étudié dans les travaux, tant théoriques qu’empiriques. Les modèles initiaux d’arbitrage entre qualité et quantité des enfants incluent ce temps (Becker [1965] ; Gronau [1977]). Ils supposent que l’allocation du temps dans la famille dépend de l’avantage comparatif des deux partenaires dans les productions marchande et domestique (qui comprend les soins aux enfants).

5 Les modèles plus récents se focalisent sur la négociation entre conjoints. Si le thème de la répartition du temps parental entre époux n’apparaît pas explicitement, il est au centre des développements les plus récents des modèles collectifs d’offre de travail ou des recherches sur les gardes d’enfants. Deux avancées de la littérature sur les modèles collectifs d’offre de travail [1] mettent en évidence que le temps parental est un élément central, non seulement des décisions de consommation et d’offre de travail, mais aussi du processus de négociation entre conjoints. La première est la prise en compte du temps domestique, jusque-là comptabilisé comme du loisir (Apps et al. [1997] ; Chiappori [1997], Aronson et al. [2001], Rapoport et al.). La seconde est la considération de l’enfant comme bien public (Bourguignon [1999]). Les recherches sur le partage du temps de l’enfant après séparation des parents (Del Boca et al. [2001]) et sur le choix de mode de garde (Michalopoulos et al. [2002], Joesch et al. [2002]) considèrent, elles, le temps avec l’enfant comme un bien procurant de l’utilité, comme un enjeu de négociation entre conjoints.

6 Quant aux études empiriques portant sur le temps parental, elles restent pour la plupart très descriptives et ne s’intéressent que rarement à la répartition de ce temps entre partenaires. Les travaux sur l’évolution temporelle du temps parental montrent qu’en dépit de la participation accrue des femmes au marché du travail, le temps parental a significativement augmenté dans les dernières décennies, pour les femmes, mais surtout pour les hommes (Gauthier et al. [2001] ; Bianchi [2000] ; Fisher et al. [1999]). Le travail marchand ne limite donc pas forcément l’investissement en temps parental. De plus rares études se consacrent à l’allocation du temps parental entre conjoints. En Suède, le temps maternel s’accroît avec le temps de travail marchand du père, alors que le temps marchand de la mère n’a pas d’effet sur le temps de travail paternel. Le temps parental n’y apparaît donc pas substituable entre conjoints (Gustafsson et al. [1994] ; Hallberg et al. [2003]).

Concepts et données

7 La mesure du temps parental est complexe ; elle dépend, outre de la qualité de l’information recueillie, de la délimitation des activités consacrées aux enfants. Nous définissons le temps parental comme le temps total que les parents consacrent à des activités directement et exclusivement destinées aux enfants du ménage. Cette définition est restrictive, elle ne mesure pas un temps de présence auprès des enfants mais se concentre sur le temps actif. Elle permet d’évaluer le temps que les chômeurs consacrent effectivement à leurs enfants, parmi le temps supplémentaire disponible. On distingue quatre types de temps parental :

  • le temps accordé aux soins (nourrir, laver les enfants, soins médicaux) ;
  • le temps parental scolaire (surveillance des devoirs) ;
  • les activités sociales et loisirs (conversations, lecture, jeux d’intérieur et d’extérieur, instructions artistiques, sportives, promenades…) ;
  • le temps de trajets liés aux enfants.
Les données sont celles de l’enquête Emplois du temps réalisée sur douze mois en 1998 et en 1999 par l’insee. Les individus du ménage de plus de 15 ans notent, pendant la journée d’enquête, leurs activités en indiquant le temps passé à différentes activités, par tranches de dix minutes. Notre échantillon est composé de 1 874 couples parents d’au moins un enfant de moins de 15 ans.

Évolution du temps parental lorsque le couple est confronté au chômage

Un accroissement asymétrique du temps parental selon le sexe

8 Les parents consacrent entre 1 h 30 et 2 h 30 par jour à leurs enfants, soit environ un quart du temps domestique total. Le temps parental dépend fortement de la situation professionnelle : lorsqu’un des parents est chômeur plutôt qu’actif occupé, le temps parental total s’accroît et dépasse deux heures en moyenne quotidienne. Les enfants passent seulement 19 (32) minutes de plus avec leurs parents quand le père (la mère) est chômeur(se). Si le chômage implique une hausse du temps domestique total, elle ne privilégie donc pas spécialement le temps parental.

9 Quelle que soit la situation professionnelle des conjoints, les mères consacrent plus de temps à leurs enfants que les pères. Lorsque les deux travaillent, la mère effectue 75 % du temps parental. Lorsque l’homme est au chômage et la femme en emploi rémunéré, elle participe toujours plus que lui aux tâches parentales, alors que pour les autres tâches domestiques sa participation devient minoritaire. La division des tâches parentales est la plus inégalitaire lorsque la femme est inactive et son conjoint en emploi. La division sexuelle du travail est donc encore plus marquée pour les tâches parentales que pour les autres tâches domestiques.

10 Le chômage induit une réallocation du temps parental entre partenaires, le chômeur déchargeant son conjoint en emploi d’une partie des tâches parentales. Cependant, la femme chômeuse libère son conjoint en emploi des activités parentales un peu plus que l’homme chômeur (respectivement 7 et 5 minutes).

L’évolution du temps varie selon les types de temps parental

11 Les soins aux enfants mobilisent les parents plus d’une heure par jour, soit plus de la moitié du temps parental quotidien et ce, quelle que soit la situation professionnelle des conjoints. Le temps parental restant est réparti équitablement entre les temps scolaire, de loisir et de transport.

12 Quel que soit le type d’activité, le temps maternel reste en général supérieur au temps paternel. Pour les hommes comme pour les femmes, être au chômage augmente tous les temps parentaux. Cependant, les hommes accroissent plus que les femmes les temps de loisirs et de suivi scolaire, alors que les femmes allongent plus que les hommes les temps de soins et de transport. Comme pour les autres activités domestiques, il existe donc des pratiques sexuées quant au temps parental : les temps parentaux « domestiques » étant plutôt féminins alors que les hommes sont plus investis dans les sphères de sociabilité.

13 Le chômage de l’un décharge l’autre du temps alloué à chaque activité parentale, hormis pour le temps de loisir qui progresse pour les deux lorsque le chômage survient. Ainsi, le père actif occupé accroît le temps des activités sociales avec enfants de 28 % quand sa conjointe est chômeuse, la mère active occupée le double quand son conjoint est chômeur. Le fait que l’un des parents passe plus de temps aux activités sociales avec enfants fait participer plus son partenaire, ces activités étant souvent réalisées en famille. Cependant, pour les autres activités, le chômage féminin décharge plus le conjoint que le chômage masculin.

Méthodes et problèmes d’estimation

14 L’estimation conjointe des temps parentaux des hommes et des femmes pose trois problèmes économétriques principaux. Le premier est la présence de nombreux temps domestiques nuls le jour d’interview. Un modèle Tobit permet de modéliser cette distribution particulière en tenant à la fois compte de la participation à l’activité parentale, et auquel cas, du temps passé. La vraisemblance maximisée est composée pour partie d’une fonction des données censurée (ou zéros) et d’une fonction conditionnelle des données non censurées (valeur du temps parental sachant que l’on participe).

15 Le second problème est la possible endogénéité des situations d’emploi. Un individu, par désir de passer plus de temps avec les enfants, peut par exemple devenir inactif. Si l’endogénéité de la situation sur le marché du travail semble évidente pour l’inactivité, elle est moins claire pour le chômage, même si elle reste possible. Au vu des questions posées aux chômeurs dans l’enquête, la situation de chômage ne semble pas résulter d’un choix délibéré de privilégier l’activité domestique plutôt que l’activité marchande [2].

16 Par ailleurs, pour contrôler de l’éventuelle endogénéité du chômage, nous avons tenté de prendre en compte l’hétérogénéité du chômage. Nous avons testé différentes définitions du chômage selon l’ancienneté dans la situation (chômage de long ou de court terme), selon la recherche effective d’emploi (avoir fait des démarches dans les trois derniers mois, ou avoir consacré du temps à la recherche d’emploi le jour d’observation). Les résultats sont robustes à toutes les spécifications. Pour avoir un effectif de chômeurs maximum, nous avons conservé la définition « déclarative », c’est-à-dire la plus large.

17 Enfin, les temps parentaux de l’homme et de la femme peuvent être corrélés. Un modèle de régression Tobit bivarié permet de modéliser conjointement le temps paternel et maternel en tenant compte des éventuelles interdépendances (Maddala [1999]).

18 Nous estimons ce modèle pour le temps parental total de l’homme et de la femme, puis pour chacun des quatre temps parentaux. Les variables d’intérêt sont le type d’activité de chaque conjoint. Nous contrôlons par le nombre total d’enfants dans le ménage, leurs âges, le revenu du ménage, la csp de l’homme, le jour de la semaine. Une variable muette indique le recours à une aide ménagère. L’âge moyen du couple permet de mesurer les différences d’attitudes entre les générations. Un niveau d’études des conjoints plus élevé peut également favoriser un partage des tâches plus égalitaire (Hersh et al. [1994]). Enfin, la différence d’âge entre conjoints peut signaler un avantage stratégique du conjoint le plus âgé (Anxo et al. [2002]).

Résultats

Temps parental toutes tâches confondues

19 Le temps parental est moins dépendant des caractéristiques socio-économiques du ménage que le temps domestique (Brousse [2000]). Si le niveau d’éducation, le revenu, la csp sont des facteurs explicatifs importants du temps consacré aux tâches domestiques, ils le sont moins pour le temps parental. L’une des explications possibles est que les modes de vie des couples avec enfants diffèrent moins que ceux des couples sans enfants. Par exemple, le temps de loisirs, expression de forts stigmatismes de classes et de modes de vie, est réduit par l’arrivée de l’enfant. Les enfants requièrent aussi une demande de soins incompressible et immédiate que n’exigent pas autant les autres tâches domestiques. De plus, en raison de la charge émotionnelle des activités parentales, les parents recourent moins aux substituts marchands, quel que soit leur revenu.

20 Un diplôme du supérieur pour les hommes implique un investissement plus grand dans les tâches parentales. Les hommes cadres, mais surtout les agriculteurs, artisans, commerçants et chefs d’entreprise y passent moins de temps que les employés. Leurs horaires de travail plus étendus, mais aussi peut-être leur conception différente des rôles des hommes et des femmes expliquent ces écarts. Le temps parental total augmente avec le nombre d’enfants pour les femmes, comme pour les hommes. Les coefficients ne croissent pas tout à fait linéairement, en raison des économies d’échelle à s’occuper de plusieurs enfants. Mais outre le nombre, l’âge des enfants importe beaucoup. L’âge préscolaire exige ainsi une plus forte présence parentale, notamment pour les soins (Algava [2002]). Avoir un enfant en âge scolaire augmente le temps parental des mères mais pas celui des pères. À nombre d’enfants donné, la présence d’enfants de plus de 10 ans a tendance à diminuer le temps que passent père et mère avec leurs enfants. Ces enfants peuvent s’occuper de leurs cadets et ainsi décharger leurs parents. On note également un effet de génération : dans les couples plus jeunes, la femme consacre moins de temps aux activités parentales, la répartition des rôles y apparaît plus égalitaire. La différence d’âge entre conjoints n’a pas d’effet significatif, signe que la division des tâches n’est pas plus traditionnelle quand l’homme est l’aîné. Un âge plus élevé pour les hommes ne semble donc pas marquer un pouvoir de domination ; ou alors, ils n’utilisent pas leur position dominante pour se décharger sur leur partenaire de leurs activités parentales. Enfin, le recours à une aide-ménagère n’a pas d’effet sur le temps parental de l’homme alors qu’il augmente celui de la mère. Transparaît ici un effet de substitution entre tâches domestiques et tâches parentales pour les femmes, leur temps libéré étant consacré en priorité aux enfants.

21 Enfin, la situation professionnelle joue pour les hommes, comme pour les femmes (tableau 1). Ceux sans emploi ont une participation accrue aux activités avec enfants, mais l’effet du chômage est relativement moins fort pour les femmes, car les actives occupées passent déjà beaucoup plus de temps avec les enfants que les hommes de même statut.

Tableau 1

Effet du statut professionnel sur les temps paternel et materne

Tableau 1
(Tobit bivarié) Temps paternel Temps maternel Coef. Écart type Coef. Écart type Statut d’activité (réf: salariés) Femme inactive – 0.661** 0.289 0.680*** 0.200 Femme chômeuse – 0.495 0.414 0.513** 0.287 Femme salariée à temps partiel – 0.209 0.277 0.179 0.195 Homme inactif 1.696** 0.681 0.252 0.473 Homme chômeur 1.775*** 0.471 0.215 0.328 Corrélation des erreurs 0,23 Zéros 1 018 398 Non zéros 856 1 496 Significatif à moins de*** 0.001** 0.01* 0.1 Source: Propre régressions à partir de l’enquête Emploi du Temps, insee. Les coefficients grisés indiquent l’éventuel transfert de temps d’un conjoint à l’autre. Contrôlé par l’existence d’une aide ménagère, le revenu du ménage, l’âge et le nombre d’enfants, le diplôme de la femme, l’âge et la csp du père, l’écart d’âge entre conjoints et le jour de la semaine.

Effet du statut professionnel sur les temps paternel et materne

22 En revanche, le statut professionnel d’un partenaire joue peu sur le temps que passe son conjoint avec les enfants. Le chômeur, certes, augmente son travail parental, mais ne décharge pas sa compagne d’une partie des tâches parentales. De même, le fait que la femme soit au chômage ou travaille à temps partiel n’a pas d’effet significatif sur le temps consacré par le père aux enfants. Dans la régression des hommes, l’inactivité des femmes a tendance à diminuer légèrement la participation au temps parental des hommes actifs. Le temps parental serait donc transférable uniquement de l’homme vers la femme, et lorsque les conjointes sont exclues durablement du marché du travail.

23 Enfin, le temps partiel n’a pas d’effet significatif sur le temps parental des femmes. Les horaires hachés (avec des plages horaires le matin et tard le soir) ou atypiques de certains contrats à temps partiel ne permettent pas de libérer du temps pour les activités parentales.

24 Au regard de ces premiers résultats, le temps parental paraît assez peu transférable. Il est possible que ce temps soit trop hétérogène pour que les éventuels transferts au sein du couple soient visibles à ce niveau. C’est pourquoi nous distinguons le temps parental selon le type de tâche effectuée.

Temps parental selon le type de tâches

25 Lorsqu’ils sont au chômage, hommes et femmes [3] portent leur surplus de temps non marchand sur les tâches de soins et de transport (tableau 2). En revanche, il n’a pas d’effet sur les activités ludiques et de loisirs, qui sont plus souvent partagées. Le temps scolaire n’est pas non plus affecté. L’effet d’habitude (faire les devoirs avec la même personne tous les soirs) et/ou de compétence (un seul des conjoints peut être capable d’aider les enfants) fait que cette tâche est difficilement transférable entre parents en cas de chômage. En revanche, on note des transferts de temps parental entre conjoints : les femmes au chômage déchargent leurs conjoints des activités de soins, alors que les hommes chômeurs ne semblent pas soulager leurs compagnes de ce type de tâches. Le temps de transports s’avère échangeable puisque hommes et femmes chômeurs réduisent le temps de leurs conjoints consacré à cette activité.

Tableau 2

Effet du statut professionnel sur les différentes activités parentales

Tableau 2
(Tobit bivarié) Temps de soins Temps scolaire Loisirs Transports homme femme homme femme homme femme homme femme femme active (temps plein) Réf. Réf. Réf. Réf. Réf. Réf. Réf. Réf. femme inactive 1,446*** 0,777** 0,732 1,805 0,528 2,229* – 2,180** 1,289 (0,386) (0,276) (2,390) (3,131) (1,113) (1,160) (0,939) (0,953) femme – 1,311** 0,602 – 3,162 4,992 2,704* 1,533 – 2,233 1,934* chômeuse (0,545) (0,394) (3,983) (4,469) (1,506) (1,638) (1,364) (1,351) femme active (temps partiel) – 0,578 0,077 – 1,804 2,627 0,487 0,052 – 0,262 0,760 (0,360) (0,271) (2,371) (2,967) (1,096) (1,143) (0,843) (0,929) homme actif Réf. Réf. Réf. Réf. Réf. Réf. Réf. Réf. homme inactif 0,749 0,153 0,540 4,051 7,437** 5,068* 2,078 – 0,687 (0,964) (0,659) (5,965) (6,858) (2,406) (2,691) (2,151) (2,292) homme chômeur 1,962*** 0,628 3,059 – 2,656 2,103 1,796 4,006** – 2,750* (0,611) (0,448) (4,038) (5,388) (1,817) (1,955) (1,451) (1,665) Corrélation des erreurs 0.264 0.422 0.485 0.396 Zéros 1 335 579 1 764 1 535 1 580 1 474 1 587 1 222 Non zéros 539 1 295 110 339 294 400 287 652 Significatif à moins de *** 0.001 ** 0.01 * 0.1 ( ) écart type Source: propres calculs à partir de l’enquête Emploi du Temps, INSEE. Les coefficients grisés indiquent d’éventuel transfert de temps d’un conjoint à l’autre. Contrôlé par l’existence d’une aide ménagère, le revenu du ménage, l’âge et le nombre d’enfants, le diplôme de la femme, l’âge et la CSPdu père, l’écart d’âge entre conjoints et le jour de la semaine.

Effet du statut professionnel sur les différentes activités parentales

26 Les hommes chômeurs entrent donc dans un champ d’activité dans lequel ils sont très peu présents lorsque les deux parents sont actifs occupés (les soins), sans pour autant décharger leurs partenaires de ces tâches. Cette non-substituabilité des activités de soin pourrait s’expliquer par une moindre « productivité » des hommes dans ce type de tâche, mais aussi par la volonté des femmes de ne pas se soustraire de leurs tâches les plus maternelles dans une situation où le schéma traditionnel de la famille est inversé. Les facteurs culturels, et notamment la forte pression sociale qui attribue aux femmes la responsabilité d’élever les enfants, expliquent pour partie ce comportement.

27 Les activités de transports, réalisées à l’extérieur du ménage, sont susceptibles de permettre aux chômeurs de renouer des liens sociaux, alors que leur vie est désormais tournée vers l’intérieur. C’est pourquoi elles sont assez facilement transférables entre partenaires [4]. Quant aux tâches les plus valorisées, comme l’éducation scolaire et le temps de loisirs, elles ne sont pas affectées par le chômage. Ces activités, expression d’un investissement en capital humain à long terme, sont des tâches que les parents conservent, y compris quand leurs conjoints ont plus de temps libre. Pour les loisirs, on constate même un surinvestissement des conjoints de chômeuses, signe que ce type de temps parental est un bien plutôt complémentaire.

28 Les seules activités substituables sont donc le temps de transport et les temps de soins, la substituabilité n’étant pas symétrique pour les soins. Les activités sociales et de loisir sont-elles plutôt complémentaires.

Conclusion

29 Les chômeurs, hommes comme femmes, passent plus de temps avec leurs enfants. Cependant, l’augmentation reste relativement faible au regard de la progression des autres activités domestiques. Les enfants de père chômeur voient donc de manière mieux partagée leurs deux parents, tandis que l’inégale répartition du travail parental est accentuée quand la mère est chômeuse.

30 D’autre part, le temps parental n’est que très partiellement transférable entre conjoints : seules les activités les moins valorisées (temps de soins et de transports) sont substituables. Mais les transferts restent, dans presque tous les cas, asymétriques : les hommes délaissent – ou les femmes déchargent – plus volontiers que l’inverse leurs activités avec enfants. Tandis que les temps scolaires et de loisirs seraient complémentaires. Les actifs occupés conservent les activités scolaires et de loisirs même si leurs partenaires ont plus de temps pour les exercer, car ce sont les activités les plus investies d’un rôle éducatif. Le temps parental n’est donc pas une tâche domestique comme les autres : il est plus agréable, en tout cas moins pénible et plus valorisé que les autres tâches. Il représente aussi un investissement en capital humain dans le bien commun qu’est l’enfant. Délaisser à l’autre les tâches spécifiques aux enfants, c’est aussi perdre de son autorité, de son droit de regard et d’intervention dans l’éducation, ce qui réduit son pouvoir de négociation actuel, mais également futur lors d’une éventuelle séparation.

Notes

  • [*]
    ined, 133 boulevard Davout, 75980 Paris Cedex 20. Courriel : pailhe@ ined. fr et solaz@ ined. fr
  • [**]
    Une version longue de cet article comprenant les tableaux de statistiques descriptives et les résultats des estimations compltes est disponible sur le site : http:// www-uniteeco. ined. fr.
  • [1]
    Pour une revue de la littérature sur les modèles collectifs, voir Vermeulen [2002].
  • [2]
    Les trois quarts des chômeurs en couple déclarent avoir fait des démarches pour trouver un emploi dans les trois derniers mois, 70 % ont envoyé au moins une lettre (50 % plus de cinq lettres), et 88 % accepteraient un emploi qui commencerait dans les quinze jours.
  • [3]
    On peut élargir le seuil de significativité à 15 % étant donné la faible probabilité de réaliser telle tâche le jour de l’enquête.
  • [4]
    L’analyse de l’appréciation des différentes tâches domestiques montre que les activités extérieures sont plus appréciées par les chômeurs : il n’y a pas de grandes divergences dans l’appréciation des tâches domestiques selon le statut sur le marché du travail à l’exception des courses qui restent « moins pénibles » pour les chômeurs que pour les actifs occupés.
Français

Résumé

Le temps parental est généralement mieux partagé entre conjoints que les autres tâches domestiques. Cela signifie-t-il que les temps de la mère et du père sont substituables ou bien complémentaires ? Afin d’étudier les réallocations de temps entre conjoints, nous considérons le cas où le ménage connaît le chômage. À partir d’un modèle Tobit bivarié sur les données de l’enquête Emplois du temps (insee, 1999), nous montrons que si les chômeurs, hommes comme femmes, augmentent le temps consacré aux enfants, ce temps reste très peu transférable, à l’exception du temps de trajet. Les activités de soins sont également substituables quand la mère est chômeuse. Le temps parental reflète donc un pouvoir de négociation à long terme.

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Ariane Pailhé [*]
Anne Solaz [*]
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