CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Introduction

1 Instituée par la loi du 9 juillet 1976, l’allocation de parent isolé (api) vise à garantir un revenu minimum aux personnes qui se retrouvent seules pour élever leur(s) enfant(s). Il s’agit d’une aide temporaire : selon le cas, l’api peut être versée pendant douze mois au plus (api que l’on qualifiera de « courte ») ou jusqu’au troisième anniversaire du plus jeune enfant (api « longue »). À la fin de l’année 2000, près de 170 000 familles monoparentales en étaient bénéficiaires (tous régimes confondus, départements d’outre-mer inclus); dans plus de 98 % des cas, l’allocataire est une femme.

2 L’une des questions qui se posent, au sujet de l’api, est celle des effets éventuels d’un tel dispositif sur les comportements des mères isolées : désincitation au travail, à la vie en couple, incitation à la fécondité. Une autre interrogation, liée à la précédente, a trait au devenir des sortantes de l’api. C’est ce second point que l’on aborde ici. Dans cette étude, qui porte sur les trajectoires individuelles au cours des 36 premiers mois suivant la fin de l’épisode d’api, trois aspects sont envisagés : l’activité, la perception du revenu minimum d’insertion (rmi) et le retour dans l’api.

3 Différents travaux ont été menés, durant les années 1980 (Ray et al. [1983]) et plus récemment (Afsa [1999]; Chaupain-Guillot et Guillot [2000a]), sur la question de la durée de séjour dans l’api et des conditions de sortie de ce dispositif. Il en ressort notamment que de nombreuses mères isolées quittent l’api avant la fin de droits, et souvent dès les premiers mois. Les études s’intéressant aux trajectoires des sortantes de l’api, en revanche, sont encore rares. Autant que l’on puisse en juger, les seules analyses quantitatives sur ce thème sont celles – à caractère exploratoire – que l’on a précédemment pu conduire (Chaupain-Guillot et Guillot [2000b], [2000c] et [2001]). Dans la littérature sur la question du devenir des bénéficiaires de revenus minima, c’est surtout le cas des femmes ayant perçu l’Aid to Families with Dependent Children (afdc), aux États-Unis, qui a été étudié (voir, par exemple, Cancian et al. [1999]).

4 Dans la première section de cet article, on présente la source que l’on exploite. Dans la deuxième section, on expose quelques résultats descriptifs, avant d’en venir, dans la troisième section, au modèle que l’on a utilisé. Les résultats de ce modèle sont commentés dans la quatrième et dernière section.

Les données

5 Les données proviennent du fichier longitudinal des bénéficiaires et ex-bénéficiaires de l’api en Meurthe-et-Moselle. Il s’agit d’un panel d’allocataires exhaustif, qui a progressivement été constitué par l’adeps-eps à partir des informations individuelles (préalablement anonymisées) contenues dans les fichiers de gestion de la caisse d’allocations familiales (caf) de Meurthe-et-Moselle. À l’heure actuelle, ce panel renseigne sur les trajectoires de plus de 14 000 parents isolés ayant obtenu le bénéfice de l’api, à un moment ou à un autre, entre juillet 1991 et juin 2000. La situation démo-économique du parent isolé est connue mois par mois, non seulement tout au long de l’épisode d’api, mais également, si celui-ci est resté allocataire de la caf (et tant qu’il l’est resté), après la sortie du dispositif.

6 La présente étude porte sur les mères isolées dont le premier épisode d’api observé a débuté entre juillet 1991 et juin 1994. Le choix de cette cohorte (comprenant 3 532 allocataires) a été guidé par le souci de pouvoir reconstituer sur une période suffisamment longue les trajectoires individuelles à l’issue de ce premier épisode de perception. L’analyse a été menée en faisant la distinction entre le cas des mères qui se sont vu accorder l’api pour une durée maximale de 12 mois (1 516 femmes) et celui des bénéficiaires d’une api longue (2 016 femmes). Les caractéristiques socio-démographiques de ces deux sous-groupes sont assez différentes : ce sont principalement des femmes de moins de 25 ans, encore célibataires pour beaucoup d’entre elles, avec un seul enfant à charge, qui ont perçu une api longue ; dans l’autre sous-groupe, en revanche, on trouve surtout des mères âgées de 30 ans ou plus, séparées ou divorcées, ayant au moins deux enfants.

7 Pour toutes les mères ayant obtenu le bénéfice d’une api courte, la fin du premier épisode de perception a pu être observée [1]. En d’autres termes, dans ce sous-groupe, aucun épisode de rang 1 n’est censuré à droite. En outre, au moment où l’observation a pris fin, ces femmes avaient toutes quitté le dispositif depuis au moins 36 mois (excepté cinq d’entre elles). Il n’en va pas de même chez les bénéficiaires d’une api longue. À cette date, 4 % d’entre elles n’étaient toujours pas sorties ou étaient sorties depuis moins de trois ans. Tous ces cas de censure à droite ou de sortie récente ont dû être écartés.

8 Autrement plus délicate est la question de l’attrition. Dans de nombreux cas, en effet, la trajectoire au cours des 36 premiers mois suivant la fin de l’épisode d’api, à laquelle on s’intéresse ici, n’est pas connue ou n’a pu être complètement reconstituée [2]. Il s’agit de femmes qui ne sont pas restées allocataires de la caf de Meurthe-et-Moselle tout au long de ces 36 mois, soit parce qu’elles n’avaient plus droit à aucune prestation, soit parce qu’elles ont changé de département. Plutôt que de les exclure du champ de l’analyse, on a fait l’hypothèse que ces mères n’ont pas bénéficié du rmi ni perçu à nouveau l’api durant les mois où elles n’ont pu être suivies. On a la quasi-certitude qu’il en a bien été ainsi pour celles d’entre elles qui n’ont pas quitté la Meurthe-et-Moselle [3]. En revanche, parmi celles qui ont déménagé, certaines ont fort bien pu se voir accorder le rmi ou/et redevenir bénéficiaires de l’api dans leur nouveau département de résidence. Par suite, les proportions de passages au rmi et de retours dans l’api, enregistrées ici, sont sans doute quelque peu sous-estimées. De même, le pourcentage exact de femmes ayant été actives occupées à un moment ou à un autre, après la sortie de l’api, n’est pas connu ; c’est une proportion minimale qui a été observée.

Éléments descriptifs

L’accès à l’emploi

9 Lorsqu’on examine les trajectoires individuelles d’activité depuis l’entrée dans l’api, on constate que 33 % des mères isolées qui se sont vu accorder une api courte et 30 % de celles qui ont obtenu le bénéfice d’une api longue ont été actives occupées, constamment ou non, durant leur période de perception. La plupart de ces femmes ont poursuivi leur activité au cours des 36 premiers mois suivant la sortie de l’api : la proportion de celles qui ont travaillé pendant au moins un mois est de 84 % chez les premières et de 73 % chez les secondes.

10 Parmi les mères qui sont restées inactives ou au chômage tout au long de leur épisode d’api, environ un tiers ont accédé ultérieurement à un emploi. Ces femmes qui se sont (re)mises à travailler l’ont fait plutôt rapidement : la durée médiane d’accès à l’emploi est de 10 mois chez celles d’entre elles qui ont perçu une api courte et de 13 mois dans le cas des autres sortantes.

11 Au total, ce sont 53 % des sortantes d’une api courte et 43 % des ex-bénéficiaires d’une api longue qui ont occupé un emploi pendant au moins un mois au cours des 36 premiers mois suivant la sortie. Les premières sont plus nombreuses à avoir été durablement actives occupées : 27 % d’entre elles ont travaillé pendant au moins 18 mois, continûment ou en plusieurs épisodes successifs, alors que seulement 17 % des sortantes d’une api longue sont dans ce cas.

La perception du rmi

12 Au cours des 36 premiers mois suivant la fin de l’épisode d’api, 49 % des ex-bénéficiaires d’une api courte et 43 % des sortantes d’une api longue ont perçu le rmi durant au moins un mois. Dans l’un et l’autre sous-groupe, c’est lors des trois premiers mois que le taux d’entrée au rmi est le plus élevé, ce qui signifie que le passage direct de l’api au rmi est un phénomène relativement fréquent.

13 Parmi les femmes ayant bénéficié du rmi durant au moins un mois au cours de la période d’observation, un peu plus de 20 % ont connu au moins deux épisodes de perception. Dans les deux sous-groupes, la durée cumulée moyenne de perception s’élève à 17 mois. Toutefois, celles qui sont sorties d’une api courte sont un peu plus nombreuses à être restées durablement dans le dispositif : 54 % d’entre elles se sont trouvées au rmi, au total, pendant 18 mois ou plus, contre 47 % des autres sortantes.

Le retour dans l’api

14 La proportion de sortantes qui sont redevenues bénéficiaires de l’api, au cours des 36 premiers mois suivant la fin du premier épisode de perception observé, est deux fois plus élevée parmi celles qui s’étaient vu accorder une api longue. En effet, ce sont 20 % d’entre elles qui sont réentrées dans le dispositif, contre 8 % des ex-bénéficiaires d’une api courte. Ce constat n’est pas très surprenant. En effet, les premières sont plus susceptibles de se trouver de nouveau éligibles après une courte interruption, sans qu’il soit besoin d’un nouveau fait générateur, un dépassement temporaire du plafond de ressources (ou une reprise passagère de la vie de couple) au cours de la période de droits étant plus probable dans le cas de l’api longue.

Le modèle

15 À l’aide d’un modèle logit polytomique non ordonné (sur ce type de modèle, voir, par exemple, DeMaris [1992]), on a cherché à analyser les effets des caractéristiques individuelles sur la probabilité de connaître, au sortir de l’api, tel type de trajectoire plutôt que tel autre.

16 Pour caractériser la trajectoire, trois éléments ont été pris en compte : la durée cumulée d’emploi, la durée cumulée de perception du rmi et le fait que la mère soit réentrée ou non dans l’api. La variable dépendante du modèle, notée Y, est une variable discrète à cinq modalités :

  1. La mère est restée constamment sans emploi ou a été active occupée, au total, pendant une durée inférieure à 18 mois; celle-ci n’a perçu à aucun moment le rmi, ou si elle a en bénéficié, c’est, au total, pendant une durée inférieure à 18 mois, et elle n’est pas réentrée dans l’api ;
  2. La mère a été active occupée, au total, pendant au moins 18 mois ; la durée cumulée de perception du rmi est inférieure à 18 mois, et il n’y a pas eu de retour dans l’api ;
  3. La mère a perçu le rmi, au total, pendant au moins 18 mois ; la durée cumulée d’emploi est inférieure à 18 mois, et il n’y a pas eu de retour dans l’api ;
  4. La mère s’est vu de nouveau accorder l’api, à un moment ou à un autre (quelles que soient les durées d’emploi et de perception du rmi);
  5. La trajectoire au sortir de l’api est totalement inconnue ou n’a pu être reconstituée que de manière très partielle (i.e. sur moins de 18 mois).
Dans le cadre d’un modèle logit polytomique non ordonné, lorsque la variable expliquée comprend J catégories j (j = 1, …, J : J ? 3), on peut former, au total, J(J – 1)/2 équations pour opposer deux à deux ces J catégories. Il existe seulement J – 1 équations indépendantes (i.e. J – 1 ensembles de paramètres non redondants à estimer) : l’une des catégories j étant prise comme référence, les équations indépendantes sont celles qui opposent séparément chacune des autres catégories à cette modalité de référence. Dans le cas présent, le modèle comporte dix équations, dont quatre équations indépendantes. En choisissant comme référence le premier type de trajectoire, on a :

17

equation im1
où Z k représente la k e variable explicative, B jk est le coefficient de Z k dans l’équation j (à estimer), et ? j est la constante de l’équation j (à estimer).

Les résultats des estimations

18 Les résultats des estimations ont été reportés dans les tableaux 1 (api courte) et 2 (api longue) [4].

Tableau 1

Paramètres estimés du modèle logit polytomiqueapi courte

Variable dépendante: trajectoire au sortir de l’api Y = 2
vs Y = 1
Y = 3
vs Y = 1
Y = 4
vs Y = 1
Y = 5
vs Y = 1
Constante – 0,683** – 0,841** – 1,026** 0,794***
Nationalité: étrangère – 0,240 0,060 – 0,048 – 0,489
Âgea
Moins de 30 ans Réf. Réf. Réf. Réf.
30 à 34 ans 0,126 0,120 – 0,230 0,036
35 à 39 ans – 0,119 0,059 – 0,678** – 0,707***
40 ans ou plus 0,213 0,947*** – 1,002** – 0,607**
Reprise d’une vie de couple – 0,867*** – 0,538* – 1,030*** – 1,053***
Nombre d’enfantsa
1 (ou aucun) Réf. Réf. Réf. Réf.
2 – 0,097 – 0,575*** – 0,525* – 0,414**
3 ou plus – 0,363* – 1,085*** – 0,564** – 0,745***
Âge du plus jeune enfant: < 6 ansa 0,103 0,647*** 0,251 0,175
Statut d’activité durant l’épisode d’api
Constamment inactive Réf. Réf. Réf. Réf.
Active, constamment ou non; jamais en emploi 0,631*** – 0,420* 0,024 – 0,123
Active occupée, constamment ou non, …
…sans emploi lors du 1er mois d’api 2,236*** – 1,481*** 0,131 0,375
…en emploi lors du 1er mois d’api 1,953*** – 0,692** 0,408 0,642***
Durée de perception de l’api (en mois) – 0,025 0,067*** 0,026 – 0,036**
Taille de la commune de résidencea
Moins de 2000 habitants 0,152 – 0,145 0,082 0,265
2000 à 10000 habitants 0,305* – 0,064 – 0,149 – 0,079
10000 habitants ou plus Réf. Réf. Réf. Réf.
Logarithme de la vraisemblance: – 2082,3
Pseudo-R2 de McFadden: 0,102
Nombre d’observations : 1511
a Caractéristique observée à la sortie de l’api.
***: significatif au seuil de 1%; **: significatif au seuil de 5%; *: significatif au seuil de 10 %
Source: Fichier longitudinal des bénéficiaires et ex-bénéficiaires de l’api en Meurthe-et-Moselle.

Paramètres estimés du modèle logit polytomiqueapi courte

Le cas des sortantes d’une api courte

19 Si l’on s’intéresse tout d’abord au cas des sortantes d’une api courte, on constate, comme on pouvait s’y attendre, que le statut d’activité durant l’épisode d’api est l’un des principaux déterminants de la trajectoire individuelle au sortir du dispositif. Toutes choses égales par ailleurs, lorsqu’elles ont perçu l’api tout en ayant un emploi, constamment ou non, ces femmes ont de bien plus grandes chances d’être actives occupées durant au moins 18 mois au cours des 36 premiers mois suivant la fin de l’épisode de perception, et elles risquent moins de connaître une trajectoire fortement marquée par le rmi. Les allocataires ayant été à la recherche d’un emploi ont également une plus forte probabilité de s’insérer à la sortie que celles qui sont restées constamment inactives.

20 Parmi les femmes qui ont travaillé, à un moment ou à un autre, au cours de l’épisode d’api, une distinction a été introduite entre celles qui étaient actives occupées lors du premier mois de perception et celles qui ont accédé à un emploi ultérieurement (durant l’épisode). On pourrait s’attendre à ce que les premières aient les plus grandes chances d’insertion durable au sortir du dispositif, et la plus faible probabilité de se retrouver au rmi, de par certaines caractéristiques individuelles non observées ici : notamment, une plus longue expérience professionnelle, en moyenne, ou/et un niveau de formation plus élevé. Or, les résultats du modèle montrent qu’il n’en est rien : les mères qui travaillaient à l’entrée dans l’api n’ont pas une plus forte probabilité d’être durablement en emploi, au cours des 36 premiers mois suivant la fin de l’épisode de perception, que celles dont l’activité a débuté ultérieurement ; de surcroît, ce n’est pas pour les premières, mais pour les secondes, que le risque de connaître un long épisode de rmi est le plus faible.

21 Assez curieusement, le fait d’avoir travaillé ou non durant l’épisode d’api ne semble avoir aucune incidence sur la probabilité de réentrer dans le dispositif. Il n’y a pas non plus de relation significative entre la durée de séjour dans l’api et le risque de retour, ce qui, de prime abord, est assez surprenant. On se serait attendu, en effet, à ce que les mères qui sont restées dans le dispositif jusqu’à la fin de droits aient une plus forte probabilité d’y réentrer. Ce n’est donc apparemment pas le cas. En revanche, pour ces mères, le risque de se retrouver durablement au rmi est significativement plus élevé.

22 Lorsque l’allocataire a mis fin à son isolement (au cours du premier semestre suivant la sortie), le retour dans l’api est plus probable. La reprise d’une vie de couple, chez les sortantes d’une api courte, déboucherait donc fréquemment, et à brève échéance, sur une nouvelle séparation. Par ailleurs, dans ce cas de figure, la probabilité d’emploi durable apparaît plus faible.

23 Les femmes les plus âgées courent moins le risque de réentrer dans l’api, peut-être parce qu’elles sont moins susceptibles d’avoir un autre enfant et de se trouver ainsi à nouveau éligibles. Par contre, celles-ci ont une plus forte probabilité de rester longtemps au rmi. On aurait tendance à penser que ces mères rencontrent de plus grandes difficultés sur le marché du travail. Pourtant, à en juger d’après les résultats de ce modèle, elles auraient autant de chances que les autres d’être durablement actives occupées au cours des trois premières années suivant la fin de l’épisode d’api.

24 Avoir au moins trois enfants à charge a pour conséquence de réduire à la fois le risque de séjour durable dans le rmi et le risque de retour dans l’api. Dans le premier cas, il s’agit sans doute d’un effet « différentiel », lié au montant plus élevé des autres prestations familiales (rendant plus probable un dépassement du plafond de ressources du rmi). Quant à l’impact négatif sur le risque de réentrée dans l’api, il pourrait s’expliquer par une plus faible probabilité d’avoir un autre enfant.

Le cas des sortantes d’une api longue

25 Chez les ex-bénéficiaires d’une api longue, les résultats des estimations mettent également clairement en évidence le rôle central du statut d’activité au cours de l’épisode d’api. Là encore, on constate que les allocataires ayant perçu l’api tout en travaillant, constamment ou non, ont une plus forte probabilité d’être durablement actives occupées au cours des 36 premiers mois suivant la sortie (par rapport à celles qui sont restées inactives tout au long de l’épisode d’api). Parmi ces mères isolées, celles qui avaient un emploi dès le premier mois d’api se distinguent très nettement de celles qui se sont mises à travailler ultérieurement au cours de l’épisode de perception. Ainsi, contre toute attente, ce ne sont pas les premières, mais les secondes, qui ont les plus grandes chances d’être durablement en emploi à la sortie du dispositif. De même, pour les premières, le risque de connaître une trajectoire fortement marquée par le rmi n’est pas moins élevé. Enfin, et ce résultat est particulièrement surprenant, ces allocataires qui travaillaient lors du premier mois d’api ont une plus forte probabilité que les autres (y compris celles qui sont restées inactives) de réentrer dans le dispositif.

Tableau 2

Paramètres estimés du modèle logit polytomique – api longue

Variable dépendante: trajectoire au sortir de l’api Y = 2
vs Y = 1
Y = 3
vs Y = 1
Y = 4
vs Y = 1
Y = 5
vs Y = 1
Constante – 1,452*** – 1,081*** 0,326 1,272***
Nationalité: étrangère 0,142 0,712** 0,420 0,204
Âgea
Moins de 20 ans Réf. Réf. Réf. Réf.
20 à 24 ans 0,611* – 0,008 0,078 0,089
25 à 29 ans 0,685* – 0,000 – 0,715*** – 0,075
30 ans ou plus 0,639 0,004 – 1,022*** – 0,718**
Reprise d’une vie de couple – 1,131*** – 0,619*** – 0,569*** – 2,129***
Nombre d’enfantsa
1 (ou aucun) Réf. Réf. Réf. Réf.
2 – 0,163 0,240 0,361* 0,363*
3 ou plus – 0,991*** – 0,612** 0,142 – 0,040
Statut d’activité durant l’épisode d’api
Constamment inactive Réf. Réf. Réf. Réf.
Active, constamment ou non; jamais en emploi 0,503** – 0,444** 0,271 – 0,393**
Active occupée, constamment ou non, …
…sans emploi lors du 1er mois d’api 2,292*** – 0,956*** 0,217 – 0,341
…en emploi lors du 1er mois d’api 1,679*** – 0,278 0,581*** – 0,060
Durée de perception de l’api (en mois) – 0,006 0,053*** – 0,009 – 0,023***
Taille de la commune de résidencea
Moins de 2000 habitants 0,140 – 0,233 – 0,077 0,271
2000 à 10000 habitants 0,017 – 0,159 – 0,256* – 0,085
10000 habitants ou plus Réf. Réf. Réf. Réf.
Logarithme de la vraisemblance: – 2698,6
Pseudo-R2 de McFadden: 0,115
Nombre d’observations: 1931
a Caractéristique observée à la sortie de l’api.
*** : significatif au seuil de 1 %; **: significatif au seuil de 5 %; *: significatif au seuil de 10 %
Source : Fichier longitudinal des bénéficiaires et ex-bénéficiaires de l’api en Meurthe-et-Moselle

Paramètres estimés du modèle logit polytomique – api longue

26 Comme dans l’autre sous-groupe, la probabilité de retour dans l’api ne dépend pas de la durée du premier épisode de perception. Par contre, on observe une relation positive entre cette durée et le risque, pour l’allocataire, de rester longtemps au rmi.

27 La reprise d’une vie de couple, à l’issue de l’épisode d’api, a un rôle déterminant. En effet, les allocataires ayant mis fin à leur isolement ont de plus grandes chances de ne pas tomber durablement au rmi, ni de réentrer dans l’api. Chez les ex-bénéficiaires d’une api longue, la sortie de l’isolement paraît donc moins éphémère que dans l’autre sous-groupe. Dans le même temps, ces femmes courent davantage le risque de rester constamment inactives ou de ne connaître qu’une courte période d’emploi. Cette plus faible probabilité d’emploi durable, également observée chez les autres sortantes, peut certes trouver son origine dans l’existence de caractéristiques inobservées (jouant sur l’employabilité ou/et traduisant une préférence plus marquée pour le travail domestique). Toutefois, on peut se demander si ces mères qui reprennent une vie de couple ne sont pas dès lors moins incitées à tenter d’accéder à l’indépendance financière (en se portant sur le marché du travail), et ce, alors même qu’elles ont récemment connu une rupture.

28 Pour les mères les moins jeunes, le risque de retour dans le dispositif est plus faible, une nouvelle grossesse étant sans doute moins probable. Par ailleurs, lorsqu’elles ont au moins trois enfants à charge, les ex-bénéficiaires d’une api longue ont de moins grandes chances d’être durablement en emploi au cours des trois premières années suivant leur sortie du dispositif. Dans ce cas de figure, la probabilité de connaître une trajectoire fortement marquée par le rmi est également moins élevée. En revanche, contrairement à ce que l’on a pu observer chez les autres sortantes, les mères de trois enfants ou plus ne courent pas moins le risque de percevoir à nouveau l’api.

CONCLUSION

29 Sans doute ces résultats doivent-ils être interprétés avec prudence, et ce, compte tenu des limites de l’analyse. En effet, outre le fait que l’on s’appuie sur une source locale [5], il convient de souligner qu’un certain nombre de facteurs a priori déterminants n’ont pu être pris en compte ici. On songe, bien évidemment, au niveau de formation ou de diplôme de la femme, aux conditions locales du marché du travail, mais également (dans le cas des sortantes d’une api longue, tout au moins) aux contraintes liées à l’offre de services de garde d’enfants. Autre limite importante : l’éventuelle endogénéité de certaines variables du modèle, et notamment de la trajectoire d’activité durant l’épisode d’api.

30 Des travaux sur le devenir à plus long terme des sortantes de l’api mériteraient d’être menés. Cinq ans après la fin de l’épisode d’api (par exemple), quelle est la proportion de mères isolées qui sont durablement sorties du système d’assistance en s’insérant sur le marché du travail ou/et en reprenant une vie de couple ? Les retours dans l’api, assez peu fréquents durant les 36 premiers mois, ne tendent-ils pas à s’accélérer par la suite, surtout chez les femmes qui sont passées de l’api au rmi ?

Les auteurs remercient Pierre Morin et les participants à la session « Insertion sur le marché du travail » du 51e congrès de l’afse pour leurs remarques et suggestions.

Notes

  • [*]
    adepseps (cnrs et Université Nancy 2), 4 rue de la Ravinelle, C.O. n° 26, 54 035 Nancy Cedex. E-mail : Sabine. Chaupain@ univ-nancy2. fr, Olivier. Guillot@ univ-nancy2. fr.
  • [1]
    La sortie de l’api a été définie ici comme le fait de ne plus percevoir cette prestation durant au moins six mois consécutifs.
  • [2]
    Ce sont 7,5 % des sortantes d’une api courte et 11 % des sortantes d’une api longue qui n’ont pu être retrouvées. Quant à la proportion d’ex-bénéficiaires dont la trajectoire n’a pu être que partiellement reconstituée, elle s’élève à 32 % dans l’un et l’autre sous-groupe.
  • [3]
    En effet, dans la quasi-totalité des cas, le rmi et l’api sont versés par la caf.
  • [4]
    Seuls les paramètres estimés des quatre équations indépendantes sont fournis ici. Les résultats ayant trait à l’attrition (colonne 4 des tableaux 1 et 2) ne seront pas commentés.
  • [5]
    Les caractéristiques des bénéficiaires dépendant de la seule caf de Meurthe-et-Moselle semblent toutefois peu différentes de celles de l’ensemble des apistes. La distribution des durées de perception de l’api, chez ces allocataires, est également assez proche de celle que l’on observe au niveau national (voir Afsa [1999] et Chaupain-Guillot et Guillot [2000a]).
Français

Résumé

À partir de données longitudinales provenant d’un panel d’allocataires de Meurthe-et-Moselle, on s’intéresse au devenir des sortantes de l’allocation de parent isolé (api). L’étude est menée en distinguant le cas des mères ayant perçu une api courte et celui des ex-bénéficiaires d’une api longue. Trois aspects sont envisagés : l’activité, la perception du rmi et le retour dans l’api. À l’aide d’un modèle logit polytomique non ordonné, on analyse les effets des caractéristiques individuelles sur la probabilité de connaître, au sortir de l’api, tel type de trajectoire plutôt que tel autre. Les résultats des estimations font notamment ressortir le rôle du statut d’activité durant l’épisode d’api.

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

  • En ligne Afsa C. [1999], « L’allocation de parent isolé : une prestation sous influences. Une analyse de la durée de perception », Économie et Prévision, 137, p. 13-31.
  • Cancian M., Haveman R., Kaplan T., Wolfe B., Barone S., Ross D. [1999], « Post-Exit Earnings and Benefit Receipt among Those Who Left afdc in Wisconsin », irp Special Report, n° 75, University of Wisconsin.
  • En ligne Chaupain-Guillot S., Guillot O. [2000a], « Durée effective de perception et modes de sortie de l’api. Une analyse à partir d’un panel d’allocataires de Meurthe-et-Moselle », Recherches et Prévisions, 62, p. 83-103.
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  • Chaupain-Guillot S., Guillot O. [2000c], « Dependence on Social Assistance among Lone Mothers in France : An Empirical Analysis of the Transition from api to rmi », Les Cahiers de recherche de l’adeps , n° 23.
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