1 En chargeant une institution originale, la Convention, de rédiger un nouveau traité constitutionnel, l’Union européenne tente de se réinventer elle-même. Les ambitions initialement limitées de la déclaration du Conseil européen de Nice (décembre 2000), qui était centrée sur la délimitation des compétences entre l’Union et les États membres, ont fait place, avec la déclaration de Laeken (décembre 2001), à des objectifs plus larges, et la Convention elle-même ne se fixe comme limites que celles qui résultent de la nécessité de trouver un consensus sur les finalités, les principes et les institutions de l’Union.
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Cinquante ans après la ceca, l’Europe aborde ainsi les questions fondamentales que les pères fondateurs avaient soigneusement laissées de côté : que fait l’ue? Que devrait-elle faire? Quelles sont ses limites? Comment doit-elle prendre des décisions? Comment peut-elle assurer que celles-ci soient légitimes? Il y a plusieurs raisons à cela :
- la première est politique. Le débat sur la délimitation des compétences a été initié par le gouvernement allemand sous la pression des Länder. Alors que le transfert de compétences à l’Union avait longtemps affecté le seul gouvernement fédéral, ceux-ci ont en effet commencé à voir leurs prérogatives rognées par la logique du marché unique. D’autres pays veulent, pour des raisons analogues, limiter les pouvoirs dévolus au centre. De tels débats sont fréquents dans les fédérations, et même dans les États unitaires. Que l’Europe en soit le théâtre est sans doute le signe qu’elle devient une entité politique comme les autres;
- la seconde est constitutionnelle. Établir une répartition des compétences plus lisible, c’est permettre aux citoyens de savoir à qui demander des comptes. La confusion des responsabilités a plus d’une fois permis de faire de « Bruxelles » un bouc émissaire pour les décisions impopulaires. Les changements fréquents du système communautaire sont d’ailleurs eux-mêmes source de confusion : après quatre révisions des traités en moins de vingt ans, il est pardonnable que les citoyens ne comprennent pas les subtilités de leur système de gouvernance;
- la troisième est économique. L’analyse économique des fédérations a montré les gains que procure une définition adéquate des responsabilités des différentes entités. Elle souligne aussi que la gestion des compétences partagées comporte souvent des coûts de négociation et soulève des problèmes de mise en œuvre. Redéfinir les responsabilités et clarifier le contrat européen, c’est aussi œuvrer pour l’efficience.
3 Les économistes doivent cependant aussi se poser la question de savoir s’il est légitime d’envisager l’Union européenne comme une construction rationnelle et non comme le résultat d’un processus historique et politique. Clarifier et répartir rationnellement les compétences sont des objectifs indiscutables, et la théorie économique du fédéralisme peut aider à y parvenir. Il faut cependant comprendre quelle a été la démarche suivie jusqu’ici, évaluer si elle a été conforme aux enseignements de la théorie du fédéralisme – et éventuellement pourquoi elle ne l’a pas été, et examiner comment réconcilier l’approche économique des institutions européennes avec l’approche politique ou historique.
4 Cet article comporte quatre parties. Dans la première, nous résumons les enseignements de la théorie économique du fédéralisme. Dans la deuxième, nous examinons comment s’est faite la répartition des compétences en Europe. Dans la troisième, nous analysons les raisons des écarts entre la théorie et les faits. Les conclusions font l’objet de la quatrième partie.
Les enseignements de la théorie
5 Le cadre naturel pour étudier l’intégration européenne est la théorie du fédéralisme budgétaire, dont Oates [1999] rappelle qu’elle ne se limite ni à l’étude des fédérations – mais traite en général des questions de répartition verticale des compétences entre entités administratives et politiques – ni aux questions budgétaires – toutes les politiques sont en fait concernées.
6 Dans cette optique, la règle de base à partir de laquelle examiner les questions de compétence est celle de l’équivalence budgétaire (Olson [1969]). Celle-ci établit que le niveau d’administration et de financement d’une politique publique devrait coïncider avec son aire d’incidence géographique. Dit autrement, la bonne répartition des compétences devrait être telle que soient éliminées aussi bien les externalités que les « internalités » (cas où l’aire d’incidence est plus étroite que la circonscription d’administration et de financement), parce que les unes comme les autres réduisent le bien-être.
7 Cette règle ne comporte en elle-même aucun biais centralisateur ou décentralisateur. Elle implique, au contraire, qu’une centralisation excessive est tout aussi inefficiente qu’une décentralisation excessive, et justifie la coexistence de plusieurs niveaux d’administration, non nécessairement emboîtés, afin d’adapter au mieux la gestion des politiques à la répartition spatiale de leurs effets. La limite d’une telle approche réside évidemment dans la complexité qui en résulte et dans les pertes d’efficacité liées aux déséconomies d’échelle. Mais le principe demeure une référence importante, susceptible d’applications pratiques (syndicats intercommunaux, etc..). L’équivalence budgétaire n’exclut pas non plus la redistribution. Celle-ci est bien entendu possible à l’intérieur des collectivités territoriales, mais aussi entre elles si une entité fédérale met en place à cette fin des transferts en faveur des collectivités pauvres.
8 C’est lorsqu’elle est couplée avec une hypothèse d’hétérogénéité des préférences que l’équivalence budgétaire – qui est, en elle-même, muette sur le sujet – devient décentralisatrice. Le théorème de décentralisation de Oates [1972] montre qu’en l’absence d’externalités et d’économies d’échelle, la décentralisation est toujours préférable, ou, au pis, équivalente à la centralisation. Le choix entre centralisation et décentralisation devient alors un arbitrage entre, d’un côté, économies d’échelle et externalités et, de l’autre, adaptation à l’hétérogénéité des préférences. C’est ainsi que peut être lu le principe de subsidiarité selon lequel les politiques doivent être affectées au niveau le plus bas, sauf si l’existence d’économies d’échelle ou d’externalités justifie une centralisation. On notera qu’une hypothèse implicite est ici qu’un gouvernement central n’est pas en mesure de répondre à l’hétérogénéité des préférences en fournissant des services différenciés.
9 L’étape suivante est d’introduire la mobilité des assiettes fiscales et les problèmes associés de free riding à l’égard du financement des biens publics. Dans un tel cadre, la décentralisation perd de ses vertus, parce qu’elle peut aboutir à un niveau sous-optimal de financement et donc de fourniture de biens publics. La réponse réside soit dans l’harmonisation fiscale – au prix d’une perte en bien-être si les préférences sont hétérogènes – soit dans l’organisation de transferts verticaux du niveau central aux niveaux décentralisés, à hauteur des externalités en jeu.
10 L’imperfection de l’information peut enfin être introduite dans ce cadre d’analyse. Elle conduit à préférer la décentralisation, parce que celle-ci permet l’expérimentation et la recherche des meilleures politiques.
11 Toutes ces conclusions reposent cependant sur une hypothèse commune quant à la nature des institutions publiques, que mettent en cause l’approche par le public choice (Brennan et Buchanan [1977]) et plus largement l’économie politique. Si les élus poursuivent des finalités qui ne coïncident pas avec celles des citoyens, la décentralisation introduit de la concurrence entre circonscriptions et offre aux administrés une possibilité d’exit en supplément du voice qu’ils exercent par leur vote. Elle peut donc être préférée en dehors de tout argument de bien-être tenant à l’existence d’économies d’échelle, d’externalités ou d’hétérogénéité des préférences. De la même manière, les transferts entre niveaux d’administration seront vus comme occasions de collusion et donc généralement regardés avec méfiance.
12 Cette approche, qui fait dépendre le degré optimal de décentralisation d’un jugement sur la qualité des institutions politiques, débouche sur une seconde version du principe de subsidiarité, selon laquelle les politiques doivent être affectées au niveau le plus bas, sauf s’il est prouvé qu’elles ne peuvent pas remplir cette tâche de manière suffisante. C’est cette dernière expression, à la fois plus vague et plus lâche que celle qui fait référence à un critère d’efficacité économique, qui a été retenue dans le traité de Maastricht. Si l’on suit l’interprétation qui en est généralement donnée en Allemagne, il ne suffit alors plus pour justifier d’allouer une compétence à l’Union de prouver que la décentralisation n’est pas optimale, mais, ce qui n’est pas équivalent, montrer que la centralisation est nécessaire.
13 Certains auteurs comme Weingast [1995] vont même plus loin et voient dans la décentralisation une garantie contre le pouvoir confiscatoire de l’État. L’idée est de trouver dans un market-preserving federalism le remède au fait qu’un État assez fort pour exercer ses fonctions de base est aussi assez fort pour confisquer la richesse privée. Il faut alors affecter au niveau central des fonctions économiques de base – essentiellement la gestion d’un marché unique – et laisser aux niveaux décentralisés les politiques susceptibles d’avoir des effets distributifs marqués. La concurrence entre entités décentralisées assurera ainsi qu’aucune d’entre elles ne pourra faire usage d’un pouvoir confiscatoire.
14 Bien évidemment, crainte d’une allocation sous-optimale des responsabilités et alarmes quant aux risques d’une captation du pouvoir débouchent aisément sur des conclusions opposées, non seulement en ce qui concerne le degré de centralisation mais pour ce qui est des procédures par lesquelles une compétence peut être attribuée au niveau central. Les deux approches peuvent être combinées pour examiner à quelles conditions une concurrence entre juridictions est favorable au bien-être (Oates et Schwab [1998]). Il apparaît que ce n’est vrai qu’à certaines conditions. Plus largement, Sinn [1997] indique que cette concurrence n’est positive que dans les domaines où l’intervention publique n’est pas justifiée.
15 Que tirer de ces analyses pour l’Union européenne? La plupart des questions que pose la théorie du fédéralisme sont à l’évidence pertinentes pour l’étude de son intégration :
- pour déterminer la répartition souhaitable des compétences, les arguments d’efficacité pèsent en son sein d’un poids généralement plus grand qu’au sein des nations; en conséquence, le degré optimal de centralisation dépend du degré d’intégration économique atteint à un instant donné, qui détermine l’intensité des externalités; il est donc variable dans le temps;
- même si elle s’est réduite dans certains domaines (par exemple en matière d’inflation), la diversité des préférence reste patente et va fortement s’accroître avec l’élargissement; l’Union n’a pas montré une grande capacité à différencier ses politiques selon les conditions locales, ce qui plaide pour la décentralisation;
- une évaluation adéquate de la répartition des compétences implique un jugement politique quant à la capacité des citoyens européens d’exercer leur voice;
- la concurrence entre États ou systèmes socio-économiques fait partie des règles du jeu européen; mais comme l’illustre le débat sur l’harmonisation fiscale, il n’y a guère d’accord quant aux domaines dans lesquels elle doit s’exercer; sur ce point, la théorie économique ne peut que constater les divergences, elle ne peut réconcilier des visions fondées sur des paradigmes opposés quant au rôle de l’État.
Les leçons de l’histoire
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L’Union européenne n’est pas née d’un projet économique, mais d’une ambition politique. Il y a cinquante ans, le choix de commencer par le charbon, l’acier et l’agriculture n’a pas de justification économique directe, mais résulte de la volonté de « fonder par l’instauration d’une communauté économique les premières assises d’une communauté plus large et plus profonde entre des peuples longtemps opposés » (traité ceca). Plus encore, la méthode d’intégration initialement retenue témoigne de la nature du projet. Plutôt que de fixer par avance l’objectif et les critères en vue de se garder d’un biais de centralisation, comme l’envisagent par exemple Alesina, Angeloni et Etro [2001], toute la mécanique communautaire vise, au contraire, à créer une dynamique d’intégration cumulative (Tsoukalis [1977]) :
- l’objectif est de créer une « union toujours plus étroite » (traité cee, 1957);
- par le mécanisme de l’acquis communautaire, le transfert d’une compétence au niveau central est irréversible et il s’impose à tous les nouveaux adhérents; cet effet de cliquet permet d’assurer le caractère permanent des avancées de l’intégration;
- l’article 308 (ex 235) permet en principe au Conseil de « prendre les dispositions appropriées » pour réaliser « l’un des objets de la Communauté » lorsque les pouvoir d’actions correspondants n’ont pas été prévus par les traités.
17 Le traité de Maastricht commence à mettre en cause cette logique. L’introduction dans le traité du principe de subsidiarité vise pour la première fois à expliciter un critère de répartition des compétences entre l’Union et les États membres sur la base d’un critère d’efficacité. Plus, elle vise à donner une garantie aux États par l’affichage d’une préférence pour la décentralisation. La différence est en principe notable (tableau 1).
Modalités de l’intégration européenne

Modalités de l’intégration européenne
18 En réalité, cependant, la formulation du principe de subsidiarité n’a guère abouti à clarifier les responsabilités. Son champ d’application est d’abord restreint puisqu’il ne s’applique pas aux compétences exclusives de la Communauté [1]. Au contraire, les années 1990 ont vu se développer des formes de coopération intergouvernementale en dehors du cadre communautaire (justice et affaires intérieures), se renforcer les procédures de coordination qui représentent autant de contraintes, dures ou molles, sur l’autonomie des États (Pacte de stabilité et de croissance), et, avec la « méthode ouverte de coordination » inventée à l’occasion du Conseil européen de Lisbonne, en mars 2000, s’affirmer un nouveau mode de gouvernance fondé, en l’absence de délégation de pouvoir aux instances communautaires, sur la coopération intergouvernementale volontaire (plans d’action pour l’emploi), qui est à l’opposé d’une philosophie de la répartition des compétences.
19 Depuis la déclaration annexée au traité de Nice (décembre 2000), une troisième approche est à l’ordre du jour : il s’agit de déterminer « comment établir, et maintenir ensuite, une délimitation plus précise des compétences entre l’Union européenne et les États membres, qui soit conforme au principe de subsidiarité ». La démarche est différente : elle ne repose plus sur un principe général assorti de critères opérationnels, mais sur la fixation d’une délimitation permanente (et maintenir ensuite.). Bien que l’idée de dresser un « catalogue de compétences » ne soit généralement pas acceptée, le projet de traité constitutionnel en discussion à la Convention en janvier 2003 explicite en son article 10 les compétences exclusives de l’Union, les compétences partagées qui ne peuvent être exercées par les États membres que si l’Union n’exerce pas la sienne, et les domaines dans lesquels l’Union mêne des actions d’appui [aux États membres] [2]. Il est certainement trop tôt pour déterminer ce que la Convention proposera finalement en cette matière, et ce qui sera retenu dans le nouveau traité. Mais il est permis d’imaginer que pourrait, à cette occasion, se mettre en place une nouvelle approche de l’intégration européenne. En tout cas, il est clair que les changements par rapport aux principes et aux méthodes des premières décennies sont d’ores et déjà très nets.
La théorie et les faits
20 La méthode de la construction européenne n’a donc pas été conforme aux prescriptions des économistes. Le résultat est-il pour autant éloigné de leurs préconisations? Pour le déterminer, il est instructif de repartir des deux critères principaux que suggère la théorie, qui sont, d’un côté, l’existence d’externalités ou d’économies d’échelle et, de l’autre, l’hétérogénéité des préférences, et d’examiner la répartition actuelle des compétences à l’aide de cette grille. Le résultat de cet exercice, qui fait évidemment largement appel au jugement, est donné dans le tableau 2.
Affectations théorique et effective des responsabilités au sein de l’UE à quinze

Affectations théorique et effective des responsabilités au sein de l’UE à quinze
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Cette présentation indique qu’en dépit de son origine historique, l’allocation des responsabilités dans l’Union européenne n’est pas très loin de ce que suggèrent les critères économiques. Les exceptions principales sont :
- la supervision des marchés des capitaux et des services financiers, qui reste de responsabilité nationale malgré l’intégration croissante du secteur;
- la fiscalité, qui reste essentiellement du domaine national, avec l’exception curieuse de la tva; alors qu’un critère économique voudrait que l’affectation des responsabilités fiscales soient fonction de la mobilité des assiettes, il n’en est rien;
- la recherche et les grandes infrastructures, pour lesquelles la responsabilité reste nationale alors qu’une communautarisation serait en principe justifiée;
- la gestion des principaux biens publics européens (défense, politique étrangère, aide au développement…), qui se caractérise à la fois par de fortes externalités/économies d’échelle et un degré élevé d’hétérogénéité des préférences. Dans ces domaines, les gains potentiels d’une intégration sont élevés, mais les obstacles sont également importants.
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Au total, la théorie normative de l’intégration européenne et l’approche positive aboutissent à des résultats voisins, mais pas identiques. Pour rendre compte des écarts entre répartition théorique et répartition effective des compétences, trois ordres d’explications peuvent être mobilisés :
- Une dépendance du résultat à l’égard du cheminement historique de l’intégration en Europe;
- Des défaillances politiques, ou une nécessité, qui conduisent à s’écarter de l’allocation économiquement optimale;
- Une défaillance de la théorie rendre compte de la nature de la construction européenne.
23 La deuxième explication est celle d’Alesina, Angeloni et Etro [2001], pour qui l’Europe souffre d’un biais de centralisation. Leur modèle illustre que, si les décisions sont prises de manière séquentielle à la majorité, la minorité intégratrice tend à imposer sa préférence à la majorité, avec pour résultat que l’Union est à la fois trop intégrée et trop petite (parce que les États qui ont une préférence plus faible pour l’intégration choisissent de s’abstenir). Le fait que l’Europe « aille trop loin » serait donc dû à une défaillance – intentionnelle ou non – du design institutionnel.
24 Le modèle pointe à juste titre un problème potentiel dans la définition des règles de décision d’une intégration séquentielle. Ce problème se pose effectivement, en particulier dans la perspective de l’élargissement et d’autant plus que le mécanisme de coopération renforcée permet une intégration à géométrie variable (Coeuré et Pisani-Ferry [2003]). Mais il faut observer qu’il rend difficilement compte de la réalité européenne, qui est plutôt que tous les États, même les moins intégrateurs, veulent faire partie du club.
25 Plus largement, que la construction européenne s’écarte pour des motifs politiques d’un modèle économiquement optimal n’est pas nécessairement une défaillance. Le schéma selon lequel l’Union devrait gérer l’intégration économique (commerce extérieur, marché unique, monnaie unique, concurrence, discipline budgétaire) sans se soucier des aspects non économiques n’est pas nécessairement soutenable d’un point de vue politique. Dans un système démocratique, une entité politique soumise directement (élections au Parlement européen) ou indirectement (referendums sur les révisions des traités) au vote des citoyens doit pouvoir répondre à leurs attentes et envisager des arbitrages entre objectifs économiques et non économiques. La question des services publics et de la possibilité d’opérer des subventions implicites au profit de certaines collectivités territoriales (qui se pose aussi bien en France qu’en Allemagne, même si c’est dans des modalités différentes) en est l’illustration. La question de la dimension sociale de l’ue en est une autre. Il n’est donc pas nécessairement critiquable que l’Union aille plus loin que ne le voudrait une stricte analyse des coûts et bénéfices économiques.
26 La troisième explication trouve un point d’application avec la question de la coordination. Comment expliquer sa prolifération alors que les économistes soulignent régulièrement l’inefficacité des procédures de coordination et plaident pour une délimitation stricte des compétences? La réponse est que le modèle fédéral standard s’applique mal à l’ue. Celui-ci repose sur l’attribution de responsabilités définies au centre, plutôt que sur la coopération entre les États fédérés. En matière de politique budgétaire, l’approche musgravienne plaide ainsi pour que la fonction de stabilisation soit centralisée. Cependant, les instruments de cette stabilisation – prélèvements et dépenses – sont entre les mains des États, parce que les externalités induites par la fonction de stabilisation ne sont pas suffisantes pour les priver de leur autonomie en matière de taxation et de dépense. Dès lors, une forme ou l’autre de coordination se révèle nécessaire. Celle-ci s’interprète comme une tentative pour développer des solutions décentralisées alternatives à la méthode traditionnelle de délégation au centre. C’est ce que tentent d’appréhender dans le champ politique des concepts comme celui de « fédération d’États-nations » ou de « fédéralisme spécifique » (Quermonne [2001]).
Conclusions
27 Au total, la difficulté à aboutir à une répartition économiquement rationnelle des compétences entre l’Union et les États membres tient sans doute moins à un biais centralisateur qu’à une série d’autres facteurs : caractère évolutif de l’intégration et path dependency des institutions; nécessité d’assurer la soutenabilité politique de l’édifice communautaire; besoin de trouver des formes de coopération interétatiques dans les domaines où les externalités justifient une action conjointe, mais où les instruments restent entre les mains des États.
28 Si ces conclusions sont fondées, elles suggèrent que l’élaboration d’un « catalogue de compétences » qui risquerait rapidement d’être frappé d’obsolescence est une mauvaise piste qui ne répond pas au problème posé.
29 Pour progresser, l’Europe a moins besoin d’un catalogue que de principes et de procédures. Les questions posées pour l’avenir, en particulier du fait de l’élargissement, appellent une clarification de la signification du principe de subsidiarité et un effort pour arriver à un consensus sur sa mise en application opérationnelle, ce qui suppose notamment une explicitation des critères économiques sur lesquels celle-ci peut se fonder. Elles demandent ensuite que soient précisés la portée et le champ d’application du concept de coordination, auquel les traités font appel dans différent domaines, mais avec des significations très variables. Elles requièrent enfin que la procédure de décision retenue pour décider des modifications à venir de la répartition des compétences remplisse un ensemble de conditions. Il devrait être envisagé que de telles décisions puissent être soumises au vote, à l’initiative des États membres comme des institutions européennes; qu’elles soient prises une par une et non dans le cadre de « paquets » regroupant un ensemble de décisions; qu’elles puissent aboutir aussi bien à transférer aux États des compétences antérieurement spécialisées que l’inverse, mais en faisant en sorte que la mise en cause de l’acquis demande une majorité plus importante que le transfert de nouvelles compétences à l’Union; enfin que soit clairement distingué ce qui relève de la définition d’un champ de compétences et ce qui ressortit à sa gestion.
Notes
-
[*]
Université de Bonn. E-mail : vonhagen@ uni-bonn. de.
-
[**]
Université Paris-Dauphine. E-mail : jean@ pisani-ferry. net.
-
[1]
Il ne peut donc pas juridiquement être invoqué pour justifier, par exemple, une renationalisation de la politique commerciale extérieure.
-
[2]
S’y ajoutent deux compétences particulières, en matière de coordination des politiques économiques et de politique étrangère et de sécurité.