INTRODUCTION
1S’il est un constat qui rassemble de nombreux analystes, c’est le fait que les bénéficiaires de minima sociaux figurent parmi les catégories qui supportent les taux de prélèvement les plus lourds sur les revenus d’activité (voir, entre autres, CSERC [1997], Bourguignon-Chiappori [1998], Laroque-Salanié [1999], Fleurbaey-Hagneré-Martinez-Trannoy [1999]). Alors même que le dispositif d’insertion financé par l’État et les départements a été laborieusement mis en place pour les aider à retrouver un travail, ce même État leur confisque tout ou partie de leur rémunération.
2La réforme Aubry [1] introduit un certain nombre de dispositions qui vont dans la bonne direction, mais ce type de mécanisme ne rompt pas avec la logique qui a prévalu lors de la création du RMI. Le minimum social est conçu comme un phénomène transitoire. L’allocation de base sert de béquille financière, le temps que l’allocataire se réinsère dans le monde du travail. Si l’on partait d’une philosophie différente, celle qui sous-tend l’idée de l’allocation compensatrice de revenus ( ACR ) de Godino [1999], on serait amené à se prononcer pour une allocation dégressive en fonction des revenus d’activité. Le mécanisme de l’intéressement, tel qu’il fonctionne aujourd’hui, diffère de celui d’une allocation dégressive sur deux points. Premièrement, il est temporaire, alors qu’une allocation dégressive s’appliquerait en permanence. Deuxièmement, le mécanisme n’intervient qu’à l’occasion d’une reprise d’emploi. De ce fait, un allocataire ayant toujours conservé une activité faible ne peut en bénéficier. Une allocation dégressive s’appliquerait, elle, en permanence à toute personne satisfaisant aux conditions de ressources. Cette réforme, qui vise à compléter les ressources des familles, dont les actifs travaillent essentiellement à temps partiel, trouve, selon nous, sa justification dans la difficulté qu’éprouvent les allocataires de minima sociaux à retrouver d’emblée un travail à temps plein. Le travail à temps partiel représente en quelque sorte une marche plus accessible qui leur permet, peut-être, dans un second temps d’accéder au plein temps. Il convient donc dans cette phase, qui peut se révéler longue, de compléter la rémunération offerte par le marché du travail.
3Cette étude vise moins à défendre la transformation des minima sociaux français en allocation dégressive qu’à éclairer le choix futur du législateur entre la formule actuelle et cette alternative. Notre position est similaire à celle d’Atkinson [1995] qui, en étudiant une formule d’allocation universelle associée à un taux de taxe linéaire, n’entend pas faire de prosélytisme mais tente d’éclairer les termes du débat en cherchant à préciser les gains et les pertes en termes d’efficacité et d’équité associés à une telle mesure. La réforme est d’abord décrite avec une grande précision, incluant les délicats problèmes posés par l’intégration des aides à la famille et au logement. Cette phase, probablement assez technique, est cependant rendue complètement nécessaire par la complexité même du système français de minima sociaux. Le vocable d’ACR peut recouvrir des systèmes en fait assez différents [2]. L’un des apports de cette première partie est de proposer une formalisation stylisée des aides aux bas revenus qui peut être réutilisée à d’autres fins. Dans cette évaluation de la réforme, nous supposons que les comportements d’offre de travail, et par conséquent les revenus primaires des ménages, ne sont pas affectés par la réforme. Cette hypothèse est certes irréaliste, mais l’analyse à comportements constants permet de bien cerner les effets redistributifs directs de la réforme [1].
4Le critère de base que nous adoptons ici pour l’analyse des inégalités est le critère de dominance de Lorenz, qui repose essentiellement sur l’idée qu’il est bon de redistribuer du revenu d’un riche vers un pauvre. Ce critère [2] a l’avantage de ne reposer que sur ce principe éthique minimal, mais, en contrepartie, a l’inconvénient d’être rarement satisfait lorsqu’on compare deux distributions quelconques.
5L’analyse des effets de la réforme sur la distribution des revenus nets est compliquée ici par le fait que les ménages sont hétérogènes, notamment en termes de taille, et il serait incongru de considérer par exemple qu’un ménage de cinq personnes avec un revenu annuel de 150 000 F est plus riche qu’un célibataire ayant un revenu de 140 000 F. Malheureusement, même si l’on s’en tient au seul critère de la taille, il est difficile d’évaluer les différences de besoins et de les transcrire dans des comparaisons de revenus.
6Deux méthodes sont en usage pour procéder à cette transcription. La première consiste à définir des échelles de conversion des besoins en revenu, les échelles d’équivalence, et qui le plus souvent sont formulées en termes proportionnels. À chaque type de ménage est associé un nombre d’unités de consommation, et la comparaison entre les ménages se fait sur la base du revenu par unité de consommation. L’échelle d’Oxford, la plus connue, attribue une unité de consommation au premier adulte du ménage, puis 0,7 aux adultes supplémentaires, et 0,3 aux enfants. Par exemple, un couple avec deux enfants aura 1 + 0,7 + 0,3 + 0,3 = 2,3 unités de consommation. Cette méthode a un inconvénient évident : les échelles d’équivalence sont difficiles à mesurer, et il s’avère même impossible de les évaluer sur la simple base des comportements des ménages, puisqu’on n’observe pas véritablement de choix d’arbitrage entre revenu et taille du ménage. En outre, même en supposant que l’on observe de tels choix (il existe en fait des données déclaratives sur la façon dont les ménages perçoivent leur niveau de vie), les préférences des ménages sont vraisemblablement hétérogènes en la matière, et il est difficile, et peut-être peu légitime, de les agréger en un système unique d’échelles d’équivalence.
7La seconde méthode, due à Atkinson et Bourguignon [1987] et reprise dans Bourguignon [1989], consiste à vérifier, à l’aide d’un critère facile à calculer, que l’on a une préférence en faveur d’une distribution, pour une famille très large d’échelles d’équivalence. En simplifiant, leurs critères ont besoin uniquement d’un classement ordinal des besoins (par exemple, il faut déterminer si une famille monoparentale avec deux enfants a plus ou moins de besoins qu’un couple avec un enfant), et garantissent l’unanimité pour toutes les échelles d’équivalence compatibles avec ce classement ordinal. Lorsque deux distributions de revenus sont comparables d’après l’un des critères d’Atkinson et Bourguignon [1], c’est très satisfaisant du point de vue des échelles d’équivalence, puisqu’on est sûr qu’aucune objection ne peut s’appuyer sur une échelle quelconque parmi celles compatibles avec le classement ordinal des besoins. En revanche, la contrepartie est ici encore que la dominance selon ces critères est rarement obtenue, et l’on peut suspecter que ces critères ne sont parfois pas satisfaits uniquement en raison d’objections éventuelles basées sur des échelles d’équivalence aberrantes, par exemple l’échelle d’équivalence selon laquelle un couple a mille fois plus de besoins qu’un célibataire...
8Pour pallier les faiblesses des deux approches, les effets distributifs de la réforme sont appréciés à l’aide d’un nouveau critère de dominance sociale incluant la problématique de la taille familiale dont l’étude proprement théorique se trouve dans Fleurbaey-Hagneré-Trannoy [1998]. Ce critère se retrouve à mi-chemin de l’approche à la Atkinson-Bourguignon [1987] qui néglige de prendre en compte les informations transmises par les échelles d’équivalence et celle qui s’appuie sur une échelle d’équivalence unique. Le critère élaboré est en quelque sorte intermédiaire entre les deux méthodes décrites ci-dessus. Il consiste à garantir la dominance au sens de Lorenz, pour toute une famille d’échelles d’équivalence, mais cette famille est définie de façon à exclure les échelles aberrantes.
LES PARAMÈTRES DE LA RÉFORME
9L’objectif de la réforme est de réduire le taux de prélèvement sur les revenus du travail, afin d’inciter les RMI stes à exercer une activité, au moins à temps partiel. La problématique est rendue plus complexe du fait de la présence de l’allocation logement, des allocations familiales et de l’impôt sur le revenu. Les principes exposés valent pour tous les minima sociaux et en particulier pour les trois plus importants d’entre eux, le revenu minimum d’insertion ( RMI ), l’allocation de parent isolé ( API ), l’allocation spécifique de solidarité ( ASS ). Nous exposons d’abord un scénario central qui peut servir de référence avant de présenter différentes variantes qui peuvent apparaître comme autant d’affadissements de la réforme. Cette dernière est en effet la plus simple, la plus cohérente mais aussi la plus coûteuse de la panoplie des réformes envisageables. Elle est aussi celle qui se démarque le plus du système existant. Elle est obtenue d’une façon logique en se posant la question suivante : quel est le taux d’imposition minimum que l’on peut pratiquer sur les revenus d’activité des ménages à faibles revenus en ne touchant pas au niveau du SMIC, au niveau du RMI, et à l’impôt sur le revenu ? Le cas du célibataire logé gratuitement est d’abord envisagé avant de présenter dans son ensemble la réforme en introduisant des aménagements pour tenir compte de la taille familiale, de l’âge des enfants à charge, de l’aide en nature que représente l’allocation logement, et des autres revenus hors activité.
Calibrage de la réforme pour le cas-type du célibataire hébergé [1]
10Considérons d’abord le cas d’un célibataire (59 % des RMI stes) qui ne touche
pas d’allocation logement en raison d’un hébergement en foyer ou chez des
proches (cas de la moitié des RMI stes). Nous avons besoin d’introduire les
notations suivantes : X désigne le montant de l’allocation, B l’allocation de base
forfait logement déduit, ? le taux de salaire, L les heures travaillées, ? le taux
marginal de prélèvement sur les revenus d’activité, Y le revenu disponible. En
faisant fi de la dimension temporelle et des revenus hors activité du travail, la
formule générale stylisant le montant de l’allocation est du type suivant :

et celui du montant du revenu disponible :

La formule (1) détermine implicitement le plafond de ressources ( ?L ) * en dessous duquel l’allocataire reçoit une allocation :

ou, d’une manière symétrique, le taux marginal de prélèvement en fonction du plafond de ressources.
11Cette modélisation est statique, alors que l’intégration de la dimension temporelle des versements de prestations se révèle tout à fait essentielle pour comprendre la législation actuelle. Nous indiçons maintenant les différentes variables par le mois de perception, t = 1,..., T. Depuis la création du RMI, le cas de
la reprise d’activité est traité d’une manière spécifique. Supposons donc que
l’individu reprenne une activité le mois tr et que ce travail à L heures mensuelles
perdure plus de quinze mois. La chronique des heures travaillées est la suivante :

Dans la version Aubry, les montants mensuels de RMI sont donnés par les formules stylisées suivantes :

Calculé sur un horizon mensuel, le taux de prélèvement est donc de 0 % sur les trois premiers mois, de 50 % pendant les douze mois suivants et de 100 % ensuite. Calculé sur un horizon annuel, le taux de prélèvement est de 37,5 % si le nombre d’heures travaillées par mois est constant. Sur un horizon plus lointain, le calcul est moins favorable; par exemple, sur un horizon de deux ans sans actualisation, le taux de prélèvement s’élève à 62,5 %.
12La description d’un minimum social ne serait pas complète si on oubliait de décrire les conditions sur les chroniques de revenu d’activité et/ou d’heures travaillées passées pour que l’individu soit éligible au versement du minimum social. Expliciter ici par le menu ces conditions serait hors de propos, mais il est suffisant de les décrire sous la forme du respect de certaines inégalités.
13Si t définit la période présente, un minimum social se définit par des constantes a1,..., at?1 et b1,..., bt?1, telles qu’une condition nécessaire pour faire
partie des allocataires à la période t est de satisfaire :

Un minimum social est donc servi sous conditions d’activité et de ressources passées. Bien sûr, certaines de ces conditions peuvent ne pas être définies pour certaines périodes, cela n’a pas d’importance pour la portée du raisonnement qui va suivre. Un minimum social avec la réforme Aubry peut être schématisé par les formules (7a) et (7b) pour une certaine valeur des paramètres. En notant Ltp la moyenne mensuelle des heures travaillées au cours de la période pertinente [1] pour le calcul du minimum social en t, on a :

La réforme ne touche pas au niveau de l’allocation de base, B, et maintient le principe des premiers mois d’intéressement à taux plein. Un argument milite pour le maintien de cette disposition : la révision du montant du RMI n’intervient que tous les trois mois et la récupération de trop perçus se révèle toujours délicate à opérer [2]. Cette disposition présente cependant deux inconvénients. Le premier est de rendre le taux de prélèvement dépendant du rythme de l’activité dans l’année. Un saisonnier, qui travaille trois mois puis s’arrête trois mois et ainsi de suite, est avantagé par rapport à quelqu’un qui accomplit la même durée annuelle de travail mais également répartie le long de l’année [3]. Un deuxième inconvénient nous semble devoir être mentionné : le ménage concerné doit gérer une baisse sensible de son revenu mensuel entre le troisième et le quatrième mois de reprise d’activité.
14La réforme abaisse, par contre, le niveau du taux marginal de prélèvement de 50 à 40 %, elle supprime toute limitation concernant la durée de l’intéressement et les conditionnements qui limitent le champ des allocataires pour étendre le bénéfice des allocations à tous les titulaires de revenus provenant de temps partiel [1].
15Avec la réforme, les montants mensuels de RMI sont donnés par la formule
stylisée suivante qui vient se substituer aux équations (7a) et (7b) :

Hormis les trois premiers mois où aucun prélèvement n’est opéré, l’individu entre dans un régime permanent où il est imposé à 40 %. Pourquoi ce taux de 40 % ? Ce taux est le taux minimum de prélèvement sur les revenus d’activité sans remettre en cause les fondamentaux de notre système de protection des bas revenus, à savoir le montant du SMIC et celui du RMI de base.
16Pratiquer un taux [2] plus faible entraînerait l’entrée dans le dispositif RMI des
Smicards temps plein. En effet, la condition d’arbitrage selon laquelle un SMIC
plein temps représente le plafond de ressources conduit, de par l’équation (3), au
taux marginal de prélèvement suivant :

soit pour l’année 1995, qui est l’année charnière pour les données du Panel européen :

où 2 046 F représente le montant du RMI de base, forfait logement déduit, et 5 125 F est la valeur du SMIC net [3].
17Venons-en aux commentaires qu’appellent les deux autres volets de la réforme. Le deuxième aspect de la réforme consiste à supprimer tout horizon pour la période pendant laquelle un cumul du minimum social et d’une activité rémunérée est possible. Éviter des comportements d’arbitrage temporels du type – cesser au bout d’un an l’activité salariée pendant trois mois pour la reprendre ensuite afin de bénéficier de nouveau du cumul permis par la loi Aubry – constitue à l’évidence une motivation d’une telle disposition.
18Le troisième aspect de la réforme, qui est loin d’être le moins innocent, est de supprimer les conditionnements qui limitent le champ des allocataires. Les conditions (7b) disparaissent, la chronique des activités ou des ressources passées ne jouent plus de rôle dans l’obtention ou non d’une allocation. Ce troisième aspect de la réforme lui confère certainement un parfum de revenu universel mais une raison plus spécifique milite pour son adoption : éviter que notre système de minima sociaux n’offre des opportunités d’arbitrage. Le coefficient d’utilisation des ressources de l’économie diminue, au moins momentanément, et il est clair que l’efficacité économique proscrit ce genre de calcul.
19Au fond, ces deux dispositions sont parallèles, l’une dans la dimension temporelle et l’autre dans une dimension transversale. Les deux arguments qui viennent en appui sont aussi de même facture, un argument d’absence d’opportunité d’arbitrage.
20Un autre argument peut être avancé. Il concerne l’harmonisation des minima sociaux. Comme le législateur n’a pas prévu de transition entre l’ASS et le RMI (contrairement à la transition entre l’API et le RMI ), la formule d’intéressement du RMI ne s’applique pas dans le cas où, à la date de la reprise d’activité, l’individu n’était pas RMI ste. Par voie de conséquence, on peut construire des scénarios où le taux de prélèvement passe de 0 en régime d’ASS à 100 % en régime de RMI [1]. Supprimer le conditionnement sur le statut passé permet donc de lisser les chroniques de revenus des individus passant d’un minimum social à un autre.
21Il faut être conscient que les trois modifications introduites ont pour résultat d’étendre le champ des bénéficiaires des minima sociaux à des travailleurs à temps partiel. Trois catégories peuvent être distinguées.
- Les individus dont le revenu d’activité était compris entre deux fois le montant du RMI de base et le SMIC. C’est évidemment la baisse du taux de prélèvement qui en est responsable.
- Les individus qui prolongent leur travail à temps partiel au-delà d’une période d’un an. La suppression de la durée de la période d’intéressement en est ici la cause.
- Les travailleurs à temps partiel qui ne sont pas passés par le chômage au préalable. La disparition de restrictions ayant trait aux activités ou revenus passés joue ici son rôle.
23Cette séparation en trois catégories de bénéficiaires peut être commode pour identifier le coût et l’impact incitatif de la réforme.
La prise en compte des caractéristiques démographiques du ménage : un taux de prélèvement indépendant de celles-ci
24La taille familiale intervient actuellement par l’intermédiaire d’une majoration du niveau de base du RMI à raison des coefficients multiplicateurs suivants [1] :
Coefficient multiplicateur du RMI de base selon la composition familiale

Coefficient multiplicateur du RMI de base selon la composition familiale


25Le plafond de ressources ( ?i ?i Li ) * en dessous duquel le ménage reçoit une
allocation est défini par :

Seuil en dessous duquel le ménage hébergé

Seuil en dessous duquel le ménage hébergé
26La prise en compte de l’âge des enfants fait l’objet des mêmes réponses. On sait que le système français institue une différenciation dans le traitement des ménages monoparentaux suivant l’âge des enfants. Plus précisément, si un des enfants a moins de 3 ans, le monoparental reçoit l’API et, lorsque l’enfant atteint son troisième anniversaire, l’allocataire entre dans le système de RMI. La majoration de l’allocation de base par rapport au RMI représente 20 % en plus. L’âge de l’enfant intervient d’une autre manière par le biais de l’allocation pour jeune enfant ( APJE ) qui est perçue dans les deux cas de figure. Mais l’APJE, qui ne dépend que de l’âge de l’enfant et non pas du nombre d’enfants, est prise en compte dans le calcul des ressources pour le RMI lorsque l’enfant a plus de 3 mois. En conséquence, pendant la maternité [2] et jusqu’au troisième mois, l’APJE s’ajoute aux ressources de l’allocataire alors qu’ensuite elle est neutralisée. Une modélisation de la transition API - RMI donne avec e l’âge de l’enfant : avec ?e = 0 si e < 3 mois et ?e = 1 sinon.

27D’où l’on obtient bien :


Seuil en dessous duquel le monoparental hébergé avec un enfant

Seuil en dessous duquel le monoparental hébergé avec un enfant
La prise en compte de l’allocation logement : un taux de prélèvement indépendant du montant du loyer
28Contentons-nous de décrire l’allocation logement ( AL ) comme une subvention à la demande en nature qui pratique le tiers payant jusqu’à un plafond assez
bas d’ailleurs [2] (1 460 F pour un célibataire, 1 940 F pour un couple avec deux
enfants habitant en région parisienne). Pour cette allocation, la prise en compte
des revenus d’activité dépend de savoir si le ménage est ou non RMI ste. Les
ressources du ménage ne sont pas prises en compte tant que l’individu est au
RMI, mais elles le deviennent lorsque le ménage en sort. Ceci induit une discontinuité dans l’évolution du revenu disponible en fonction des heures travaillées. La formule de calcul de l’AL [3] est plutôt compliquée, mais il suffit pour
notre raisonnement d’écrire explicitement les variables qui entrent en ligne de
compte dans son calcul :


29En supprimant un problème, on en fait surgir d’autres. La somme des revenus de transferts perçus par le ménage est alors obtenue comme l’addition des montants de minima sociaux selon les formules (10) ou (13) suivant les cas et de l’AL donnée par la formule (17). Si l’on calcule le taux de prélèvement sur les revenus d’activité non plus sur le seul minimum social mais sur la somme « minimum social plus allocation logement », il faut bien constater que celui-ci est décroissant en fonction des heures travaillées : il est fonction de la chronique des revenus et heures de travail passées, et il dépend de la dépense en logement. Trois inconvénients qui viennent perturber la lisibilité de la réforme. Nous estimons qu’il faut préserver l’indépendance du taux de prélèvement par rapport à toute caractéristique du ménage, afin que le groupe de variables qui représente des niveaux de besoin (dont le montant du loyer fait évidemment partie) et la variable d’activité jouent d’une façon additivement séparable sur le montant de l’allocation.
30Pour étayer cette proposition, questionnons tour à tour le sens de la dépendance de la subvention au logement par rapport au travail et l’opposée à savoir le sens de la dépendance de la subvention au travail par rapport au logement. Le fait que l’allocation doive dépendre positivement, au moins jusqu’à un certain plafond, de la dépense en logement traduit le fait que le logement est un bien tutélaire. Donc, dans une certaine limite, une augmentation de la dépense en logement doit être compensée par un transfert. Faut-il admettre que cette compensation soit plus forte dans le cas où l’individu est au chômage ? La réponse à cette question ne s’impose pas d’elle-même. Cependant, ceux qui rangent le logement parmi les biens primaires répondraient sans doute positivement à cette question.
31Posons-nous maintenant le problème symétrique. La monotonie du revenu disponible du ménage avec le montant des heures travaillées ne souffre pas de constatation. Mais qu’en est-il de la relation entre cette augmentation et le montant des dépenses en logement du ménage ? Avec le mécanisme actuel, le fait de bénéficier de la gratuité d’un logement a une influence positive sur l’augmentation du revenu disponible. Une rationalisation d’une telle norme semble a priori difficile.
32Nous concluons donc que la dépendance dans le sens « subvention au logement » par rapport au travail pourrait sans doute reposer sur des arguments de nature éthique, alors qu’il est plus difficile d’étayer la dépendance d’une « sub-vention au travail » par rapport au logement. Le problème vient de ce qu’admettre la première, c’est logiquement admettre la seconde lorsqu’on raisonne sur l’ensemble des prestations [1]. L’allocation logement a été créée en 1948 en un temps où le chômage de masse n’était pas encore le problème majeur à résoudre. Dans la mesure où le changement de priorité est manifeste, il nous semble approprié de donner la priorité à la propriété d’indépendance de la subvention au travail par rapport au logement et donc, par là même, de la subvention au logement par rapport au travail. La solution technique proposée pour établir cette indépendance consiste en deux dispositions simples.
33Première disposition : tenir compte du montant de l’allocation logement dans les ressources qui sont prises en compte dans le calcul du RMI, solution qui est exactement celle retenue pour les allocations familiales.
34Deuxième disposition : majorer le montant du RMI de base du niveau de l’allocation logement calculée pour un revenu nul d’activité.
35Les deux modifications introduites reviennent à neutraliser l’allocation logement telle qu’elle existe actuellement pour tous les bénéficiaires actuels et
potentiels d’un minimum social et à la remplacer par une allocation logement
versée à taux plein à tous les allocataires. Au total, la solution choisie revient à
traiter le besoin logement de la même manière que le besoin lié à la taille
familiale : majoration de l’allocation de base et neutralisation de l’instrument
traditionnel, les allocations familiales ou l’allocation logement. Formellement le
RMI devient :



Seuil en dessous duquel le ménage percevant l’AL

Seuil en dessous duquel le ménage percevant l’AL
La prise en compte de l’impôt sur le revenu : un abattement du revenu imposable égal au montant des autres revenus pour éviter un viol de l’équité horizontale
36Les autres revenus qui comprennent les revenus du patrimoine mais aussi les
allocations chômage et invalidité, ainsi que les pensions alimentaires, sont déjà
prises en compte dans le calcul des ressources pour le RMI. Le taux de prélèvement est ici égal à 100 %, ce qui n’entraîne pas des biais de comportement
comparables à un taux équivalent sur les revenus d’activité, hormis éventuellement des comportements de fraude. En reprenant le cas type du célibataire
pour aller au plus simple, le montant du RMI s’écrit, en notant K le montant du
revenu hors activité :


37Les catégories de revenu simultanément imposées à l’IRPP, et dont on tient
compte dans le calcul des ressources pour les minima sociaux, sont : les revenus
d’activité et les autres revenus. En notant T le montant de l’impôt, T (. ) le
barème, on peut écrire et en négligeant le décalage d’un an que l’impôt dû est
donné par :


38Au total, l’impôt sur le revenu deviendrait :




Le financement de la réforme
39Le type de financement que nous pouvons envisager doit obéir à certaines
contraintes très spécifiques commandées par l’exercice. Nous devons pouvoir
estimer facilement par l’intermédiaire du modèle de microsimulation Simptom,
qui est branché sur les données françaises du Panel européen [1], les répercussions
du scénario de financement choisi sur tous les individus représentés dans la base.
À cet égard, un relèvement de l’IRPP présente des avantages de commodité
certains. Les perdants bruts de la réforme sont évidemment très vite identifiés,
ce qui peut bien évidemment présenter quelques désagréments d’un autre ordre.
Le produit de l’impôt change, mais nous souhaitons garder intactes ses propriétés distributives. Pour ce faire, il est connu (voir Lambert [1995]) que l’indicateur à utiliser est l’indicateur de progression effective égal au rapport du taux
d’imposition marginal au taux d’imposition moyen. Avec les notations, y, le
revenu imposable, t ( y ), la fonction d’imposition, t ? ( y ), le taux marginal
d’imposition, et a ( y ) = t ( y ) / y, le taux moyen d’imposition, l’indicateur de
progression effective qui est une mesure locale de progressivité est donné par :


40tk
En posant = 1 qui s’interprètent comme les rap?k = tk?1, k = 2,..., K et ?1
ports des taux marginaux successifs, l’expression (30) se simplifie en :


Des variantes
41Il peut se révéler intéressant d’étudier des variantes où l’un des changements majeurs par rapport à l’existant serait absent. Ces variantes représentent donc presque toutes un compromis entre l’existant et la réforme de référence.
Remonter le taux de prélèvement de 40 à 50 %
42Les formules (27) et (28) décrivent toujours le montant global de prestations mais avec un taux de prélèvement à 50 %. L’intérêt majeur de cette variante est que le champ des imposés à l’IRPP et celui des allocataires redeviennent presque disjoints et par voie de conséquence l’ensemble des bénéficiaires et l’ensemble des contribuables.
40 % sur l’équivalent premier actif, 50 % sur l’équivalent deuxième actif
43Dans le cas de couples avec enfants, on module le degré d’intéressement qui devient plus faible lorsque le niveau des revenus d’activité du ménage dépasse un SMIC plein temps quel que soit l’actif à l’origine de ces revenus. Le montant du RMI pour un couple avec enfants obéit alors à la formule suivante :

Maintenir une AL dégressive par rapport au revenu
44Dans cette variante, on continue de supprimer le conditionnement de l’AL en fonction du RMI.

45Par contre le montant du RMI donné par l’équation (18) n’a plus cours et est
simplement donné par la formule suivante :


ÉVALUATION DE LA RÉFORME
46Dans ce qui suit, on présente d’abord le coût de la réforme centrale et de certaines de ses variantes, avant de repérer les ménages touchés par la mesure. L’application de critères de dominance sociale permet de porter un jugement global sur les effets redistributifs de la réforme.
Une estimation du coût des réformes
47Hagneré [2001] [1] a mis au point le modèle de microsimulation Simptom qui est branché sur les données françaises du panel européen. En utilisant les trois premières vagues de cette enquête, un échantillon de 5 906 ménages a été retenu, dont on connaît les revenus du travail et de transfert et l’activité sur le marché du travail mois par mois pour les années 1993,1994 et 1995. À partir de ces données, Simptom calcule le montant des taxes et bénéfices sociaux que doit acquitter et percevoir chaque ménage d’après la législation fiscalo-sociale de ces années-là (en pratique l’année 1995) ainsi que le revenu disponible mois par mois pour les années 1993 à 1995. Les transferts incorporés dans Simptom sont le RMI, l’API, les allocations familiales, le complément familial, l’allocation pour jeune enfant, l’allocation de rentrée scolaire, l’allocation logement, l’allocation unique dégressive et l’allocation de solidarité spécifique. Ces calculs effectués au niveau de chaque ménage permettent d’obtenir des résultats agrégés comme le nombre de bénéficiaires mois par mois, le coût global de la réforme grâce à la calibration de l’échantillon [2]. Le tableau 5 estime le coût de différentes variantes de réforme du RMI par rapport à la législation des minima sociaux en vigueur en 1995, c’est-à-dire avant la réforme Aubry.
48Ce tableau livre une information étonnante a priori. La majeure partie du coût (39 Mds) provient du changement tenant à l’allocation logement. La correction du caractère dégressif de l’AL en fonction des revenus d’activité représente 26,4 milliards de francs en année pleine en régime permanent ! Si l’on renonce à réformer le caractère dégressif de l’AL, le coût descend à 12,6 milliards de francs. L’estimation des deux premières variantes montre, quant à elle, la forte sensibilité du nombre de bénéficiaires et du coût de la réforme au taux de prélèvement retenu. Ce résultat n’est pas particulièrement surprenant dans la mesure où, comme l’indiquent les seuils de revenus calculés dans la partie précédente, la réforme affecte une partie de la distribution des revenus à forte densité.
Coût des réformes avant financement

Coût des réformes avant financement
49Le nombre de bénéficiaires fait plus que quadrupler avec la réforme de référence, mais une partie importante des nouveaux bénéficiaires va percevoir une allocation relativement faible, comme l’indique l’évolution du montant moyen perçu par ménage (tableau 6). La structure démographique [1] des allocataires se déforme, avec une augmentation sensible de la proportion des couples avec enfants et des ménages comportant un seul adulte.
Nombre de bénéficiaires et montant moyen mensuel perçu en fonction de la

Nombre de bénéficiaires et montant moyen mensuel perçu en fonction de la
Analyse détaillée des effets redistributifs
50Il s’agit d’apprécier le caractère redistributif de la réforme en tenant compte, cette fois-ci, de son financement dans sa double dimension verticale (les ménages ne sont classés que par le revenu par unité de consommation) et horizontale (les ménages sont classés par la taille familiale qui est identifiée au niveau du besoin). La figure 1 permet d’apprécier la distribution des gains et des pertes par vingtiles de revenu par unité de consommation (avec l’échelle d’Oxford) de la réforme en incluant son volet financement. La fonction de gain n’est pas complètement monotone en fonction du revenu disponible de départ, car le premier vingtile comprend des ménages qui, ne travaillant pas, ne bénéficient en aucune façon de la réforme.
Distribution des variations de revenu suite à la réforme

Distribution des variations de revenu suite à la réforme
51Lorsqu’on introduit la dimension taille familiale, la répartition des gagnants et des perdants est plus complexe, comme l’illustre abondamment [2] le tableau 3 en annexe : les proportions de gagnants et de perdants sont strictement comprises entre 10 % et 90 % dans de nombreuses cases de ce tableau. 30 à 40 % des familles des premiers déciles, 60 % des familles monoparentales et 40 % des familles nombreuses (les couples avec trois enfants et les « autres ») sont bénéficiaires nets. Par ailleurs, on notera que des ménages du premier décile perdent avec la réforme. Pour certains d’entre eux, il s’agit d’effets complexes dus en particulier au lissage temporel des revenus qu’induit la modification de l’allocation logement. Pour d’autres, en particulier les « Autres », il s’agit d’une augmentation de l’impôt sur le revenu [1]. En moyenne, ces ménages (qui représentent 1,6 % du premier décile) ne perdent que moins de 400 F par an. Une réforme qui bénéficie plutôt aux ménages de faible revenu et de besoins élevés a des chances de modifier la distribution des revenus nets dans un sens souhaitable, si l’on adopte un objectif social en faveur de ces ménages. Contrairement aux critères de dominance utilisés dans la littérature, le critère de dominance utilisé ci-après permet de donner corps à cette intuition.
Analyse globale de l’effet redistributif à l’aide d’un nouveau critère de dominance [2]
Le critère de comparaison des distributions
52Notre critère consiste à définir un classement ordinal des besoins, puis à définir une borne inférieure et une borne supérieure pour la comparaison des besoins de ménages appartenant à deux classes successives de besoins (les bornes s’appliquent au ratio du nombre d’unités de consommations dans deux ménages de classes successives). Par exemple, on peut dire qu’un couple a entre 1,2 et 2 fois plus de besoins (c’est-à-dire d’unités de consommation) qu’un célibataire. Le critère ainsi défini est donc de ce point de vue moins restrictif que les critères d’Atkinson-Bourguignon [1987] et de Bourguignon [1989], lesquels reviennent au fond à adopter une borne inférieure toujours égale à 1 et une borne supérieure toujours infinie, et il permet donc de porter des jugements dans des cas où ces derniers critères restent muets.
53Sur un plan théorique, notre critère est plus discriminant que le critère de Bourguignon : hormis les différences sur les échelles d’équivalence les deux critères reposent en effet sur les mêmes hypothèses.
54Par contre, bien que notre critère soit plus restrictif que le critère d’Atkinson-Bourguignon en termes d’échelles d’équivalence, nous ne pouvons pas conclure sur un plan théorique que ce dernier est globalement moins discriminant. En effet, Atkinson et Bourguignon [1987] posent une hypothèse supplémentaire, qui revient à supposer qu’à revenu donné l’aversion pour l’inégalité est d’autant plus forte que les besoins sont importants ; en conséquence, seules des études empiriques peuvent trancher cette question de la comparaison du potentiel de discrimination.
55En résumé, notre critère permet de dire si une distribution est meilleure qu’une autre au sens suivant : pour toute échelle d’équivalence satisfaisant les bornes posées, la première distribution domine la seconde au sens du critère de Lorenz appliqué aux revenus par unités de consommation. Sur le plan de la mise en œuvre, on pourrait se contenter d’appliquer le test de Lorenz pour toute échelle d’équivalence comprise dans l’intervalle admissible. En pratique, seule une vérification pour un nombre fini de valeurs séparées par un pas est envisageable. Cette procédure ne permet pas cependant de garantir à 100 % la dominance sociale au sens de notre critère, car la violation de la dominance pourrait théoriquement se produire pour une échelle d’équivalence se trouvant dans un interstice. Nous avons mis au point une procédure qui évite cet écueil et qui en un nombre fini d’étapes garantit à 100 % l’existence d’une relation de dominance entre deux distributions de revenu.
56La formule précise est la suivante. Notons k = 1,..., K les tailles familiales
par niveau de besoin croissant, pk la proportion de ménages dans la population
totale de taille k qui, dans cette application, est la même par construction avant
et après réforme, fk et gk les fonctions de densité du revenu parmi les ménages
de la classe k, dans la première et la seconde distribution à comparer, et ?k, ?k
les bornes inférieure et supérieure d’échelle d’équivalence comparant les
besoins de la classe k à la classe k ? 1. Ces bornes signifient qu’un ménage du
groupe k qui a un revenu inférieur à ?k (respectivement supérieur à ?k ) fois celui
d’un ménage du groupe k ? 1 est considéré comme ayant un niveau de vie
inférieur (resp. supérieur). On rappelle que le montant absolu de pauvreté dans
le groupe k pour un seuil de pauvreté égal à x est égal à :




57Pour appliquer le critère, il faut donc choisir un classement des différents types de ménages, puis des bornes pour les échelles d’équivalence. En ce qui concerne le classement des ménages, nous avons retenu deux possibilités (tableau 7). Le classement « E » (pour « enfant ») fait l’hypothèse qu’un enfant en ménage monoparental a plus de besoins qu’un conjoint dans un couple, ce qui conduit à considérer qu’à taille égale, un ménage monoparental a plus de besoins qu’un couple. Le classement « A » (pour « adulte ») fait l’hypothèse inverse. Dans les deux classements, on suppose que le troisième adulte du ménage entraîne plus de besoins qu’un enfant. On suppose aussi que les besoins sont toujours croissants avec la taille du ménage.
58En ce qui concerne les bornes, on a adopté, pour simplifier, des bornes uniformes : 1 pour la borne inférieure, et 2 pour la borne supérieure. La borne inférieure égale à 1 est trop basse dans certains cas, comme par exemple le couple par rapport au célibataire (tout le monde admet qu’un couple a au moins 10 % à 20 % de besoins supplémentaires), mais se justifie dans les cas litigieux qui conduisent aux deux classements différents « A » et « E ». La borne supérieure égale à 2 est trop élevée, et on peut même penser qu’elle devrait être décroissante avec la taille du ménage : plus le ménage est nombreux, plus l’ajout d’une personne supplémentaire introduit un supplément de besoin faible en sk proportion des besoins initiaux. Si ces bornes sont trop larges, l’obtention d’un résultat de dominance selon notre critère en sera d’autant plus robuste.
Classement ordinal des besoins

Classement ordinal des besoins
Résultats
59Les figures 2 et 3 montrent que la réforme, dans sa version de référence, entraîne bien une dominance [1] de la distribution finale des revenus nets par rapport à la distribution initiale, pour les classements des besoins et les bornes qui ont été retenus. En revanche, on peut constater que si l’on avait adopté une borne supérieure égale à l’infini (critère de Bourguignon [2] ), la dominance n’aurait pas été obtenue.
60L’implémentation du critère d’Atkinson et Bourguignon [3] conclut, quant à elle, à la dominance avec le classement « E », mais non avec le classement « A ». La raison en est la suivante : avec les critères de type Atkinson-Bourguignon, les groupes les plus nécessiteux disposent d’un « pouvoir de veto » pour que la réforme soit considérée comme dominante. Cela signifie que la population formée des K ? k groupes les plus nécessiteux ( k ? = k + 1,..., K) doit être non perdante avec la réforme. Or, il apparaît que les groupes jugés plus nécessiteux dans le classement « A » que dans le classement « E » sont des familles qui perdent plus avec la modification du barème de l’impôt sur le revenu qu’elles ne gagnent avec la réforme du RMI : la perte des familles nombreuses riches fait plus que compenser le gain enregistré par les familles nombreuses pauvres. Le groupe 2 adultes, 2 enfants qui est en huitième position dans le classement des besoins dans le classement « A » (alors qu’il n’est qu’en septième position dans le classement « E ») est en effet perdant en moyenne (– 560 F; voir tableau en Annexe).
Dominance de la réforme de référence avec le classement « E »

Dominance de la réforme de référence avec le classement « E »
Dominance de la réforme de référence avec le classement « A »

Dominance de la réforme de référence avec le classement « A »
61En complément, nous présentons, dans les tableaux 8, les résultats relatifs aux comparaisons deux à deux de la distribution avant réforme (législation 1995) et des distributions après réformes (réforme de référence et variantes 1,2 et 3). Chaque comparaison (dix en tout) a été effectuée pour les rangements de besoins « A » et « E », et en appliquant les critères de Bourguignon, d’Atkinson-Bourguignon et de Fleurbaey-Hagneré-Trannoy.
Comparaisons deux à deux des relations de dominance

Comparaisons deux à deux des relations de dominance
62Ces tableaux mettent en relief le pouvoir discriminant de chacun des trois critères. Sur les vingt cas présentés, le critère de Bourguignon aboutit à la dominance dans seulement cinq cas (soit 25 %), celui d’Atkinson-Bourguignon conduit à une conclusion dans neuf cas (soit 45 %) et celui de Fleurbaey-Hagneré-Trannoy (FHT) dans quatorze cas (soit 70 %). Ce dernier critère est le seul qui permet de conclure à la dominance des quatre réformes envisagées relativement à la situation de 1995, et ceci quel que soit le classement des besoins qui a été retenu. Seules les comparaisons entre les trois variantes n’ont pu donné lieu à une conclusion avec ce critère. Il conclut également que la réforme de référence est, dans tous les cas, préférable aux variantes. On notera que seule la variante 3, la moins coûteuse, domine la distribution avant réforme pour les trois critères (et pour les deux classements de besoins). On remarquera également que le critère FHT est le seul à donner des conclusions indépendantes du rangement des besoins.
MISE EN PERSPECTIVE
63Il nous semble que l’apport de l’article est de deux ordres. D’une part, il contient une description très précise d’une réforme possible des minima sociaux dans notre pays et de ses effets redistributifs. D’autres choix que ceux effectués ici sont bien évidemment envisageables mais notre parti pris a le mérite de reposer sur des bases claires. D’autre part, cette étude illustre la complexité de l’appréciation des conséquences distributives de toute réforme, complexité que l’on oublie facilement, lorsqu’on se contente de calculer le gain moyen par décile. Dès que l’on incorpore la dimension de la taille familiale, l’étude détaillée du bilan redistributif nécessite au moins l’étude d’une matrice 10 × 10 (déciles, 10 tailles familiales) et le besoin de faire appel à des critères synthétiques se fait sentir. À cet égard, cette étude met en relief, sur de vraies données microéconomiques, la capacité de discrimination nettement supérieure par rapport à l’existant, d’un critère de comparaison avec échelles d’équivalence bornées. En particulier, bien que l’intuition suggère une supériorité distributive de la réforme, car les familles pauvres et nombreuses sont gagnantes, une telle conclusion n’émane pas clairement d’une application des critères de Bourguignon et d’Atkinson-Bourguignon. Le mérite essentiel du critère proposé repose sur l’exigence que la relation de dominance ne soit vérifiée que pour un ensemble d’échelles équivalences vraisemblables.
64Les gains redistributifs dont il est fait état ici peuvent cependant être compensés par des pertes allocatives induites par la réforme, un sujet abordé dans Gravel-Hagneré-Picard-Trannoy [2001]. En procédant à une estimation économétrique de l’offre de travail des ménages monoparentaux sur les données du panel européen, nous sommes en mesure de fournir une prévision sur les effets incitatifs de cette réforme. Il apparaît en premier lieu que la fraction des ménages monoparentaux qui choisiraient de reprendre un emploi ne dépasserait pas 15 % de la population cible. En second lieu, une proportion non négligeable d’individus employés à plein temps avant réforme opterait pour une réduction du temps de travail, et se mettrait à travailler à temps partiel. En intégrant ces effets incitatifs mais en ne prévoyant pas de scénario de financement, il est montré que la distribution des revenus disponibles résultant de la réforme domine la distribution des revenus disponibles avant réforme pour tous les critères que nous avons cherché à mettre en comparaison, les critères de Bourguigon, d’Atkinson-Bourguignon et notre critère (cf. tableau 5c, p. 155).
65Nous ne pouvons pas passer sous silence le fait que le précédent gouvernement a introduit dans la panoplie des aides au bas revenus un nouvel instrument, la prime pour l’emploi (pour une présentation, se reporter à CERC 2001), qui peut être cataloguée d’impôt négatif. À un niveau assez grand de généralité, ces deux types de mesures, impôt négatif et réforme des mécanismes de cumul des minima sociaux semblent très comparables. Toutefois, le rapport du CERC suscité identifie deux différences qui distinguent ces deux mesures. D’une part, les dispositifs d’allocation compensatrice de revenu sont davantage ciblés sur les travailleurs précaires et les temps partiels. D’autre part, ce sont des mécanismes qui sont plus « familialisés » : l’unité de référence considérée est plus le ménage que l’individu. Bien que nous partageons cette analyse, il n’en reste pas moins que ces différences ne témoignent que de différences dans les mécanismes d’application des mesures envisagées. Elles ne sont pas l’expression de différences intrinsèques : il est toujours possible d’imaginer une réforme des minima sociaux qui reproduirait à l’identique les changements de revenu disponible induits par un impôt négatif ou vice-versa, tout du moins si on s’en tient à une vision complètement statique de la perception du revenu. Dès que l’on introduit la dimension temporelle et que l’on raisonne en terme de chroniques de revenu, le possible parallélisme entre les deux types de mesures s’évanouit.
66En effet, l’organisme gestionnaire est différent dans les deux cas. Dans le cas d’une allocation compensatrice de revenu, le gestionnaire est la Caisse d’allocations familiales, alors qu’il s’agit de l’administration fiscale dans le cas de la prime pour l’emploi. L’économiste a l’habitude de ne pas tenir compte de ce qui lui semble être des détails qui obscurcissent le raisonnement d’ensemble. Cependant, il est important de remarquer que ces changements se traduisent par des effets de calendrier très différents dans les deux cas. Le montant de RMI, versé mensuellement, est révisé trimestriellement suivant le montant des ressources de l’allocataire au trimestre précédent. La prime pour l’emploi, versée en une fois, est calculée selon le revenu imposable de l’année précédente. Alors qu’il est différé avec un impôt négatif, le lien entre le revenu d’activité et le montant de l’allocation est par conséquent beaucoup plus immédiat avec une allocation compensatrice de revenu. Cette dernière épouse également au plus près les différences infra-annuelles de rythme d’activité, sachant que nombre de travailleurs pauvres ont des revenus d’activité assez syncopés.
67En tenant compte de cette importante différence, il serait intéressant de comparer dans l’absolu les effets redistributifs de ces deux mesures. Des difficultés méthodologiques nous semblent devoir être signalées, qui rendent la comparaison techniquement difficile. En premier lieu, les bases de données mobilisées pour l’exercice de microsimulation ne devraient pas être les mêmes, en toute rigueur, dans les deux cas de figure. Le panel européen est bien indiqué pour simuler une réforme des minima sociaux, dans la mesure où il saisit les revenus d’activité sur une base mensuelle. Cette base de données est cependant moins bien adaptée pour simuler les effets de la prime pour l’emploi. Il nous faudrait connaître le revenu imposable du ménage et donc seule une source fiscale, comme l’enquête INSEE - DGI Revenus fiscaux, semble appropriée. En second lieu, le caractère statique de notre analyse, bien que réducteur, ne garde son intérêt que si les réformes étudiées présentent des chroniques de revenu disponibles assez comparables pour les bénéficiaires. Force est de constater que tel n’est pas le cas pour la prime pour l’emploi et donc un cadre authentiquement dynamique devrait être mis en place pour autoriser ce type de comparaison.

Notes
-
[*]
CATT, Université de Pau et THEMA, Université de Cergy-Pontoise.
-
[**]
OFCE, Département des Études et THEMA, Université de Cergy-Pontoise.
-
[***]
THEMA, Université de Cergy-Pontoise, 33 boulevard du Port, 95011 Cergy-Pontoise Cedex. Cette étude a fait l’objet d’un financement du Commissariat général au Plan dans le cadre de l’appel d’offres « Revenus d’activité, minima sociaux et autres formes d’aide », au titre du projet Des minima sociaux sous la forme de prestations dégressives : évaluation d’une réforme dont le rapport final est disponible dans Trannoy [2000]. Nous remercions l’INSEE pour la mise à disposition des données du panel européen.
-
[1]
Voir Hagneré-Trannoy [2001] pour une analyse sur cas type.
-
[2]
Voir, par exemple, les formules étudiées par Murat-Roth [2000].
-
[1]
L’étude des effets incitatifs en intégrant la réaction de comportement en matière d’offre de travail a fait l’objet de travaux complémentaires (Gravel-Hagneré-Picard [2000], Dormont-Olmedo [2000]), et celle des effets redistributifs à comportements non constants est présentée dans Gravel-Hagneré-Picard-Trannoy [2001].
-
[2]
On trouvera une présentation pédagogique de l’approche de la dominance au sens de Lorenz dans Trannoy [1999].
-
[1]
Par exemple, le critère popularisé sous le nom de Lorenz séquentiel.
-
[1]
Les principes mis en avant dans ce paragraphe s’appliquent également pour les RMI stes sans domicile fixe (9 % du total des RMI stes). Seul le montant de l’allocation de base diffère par suite de l’inclusion du forfait logement.
-
[1]
Rappelons que le RMI et l’API sont calculés tous les trimestres sur la base des revenus perçus au cours du trimestre précédent la révision des ressources. Le montant de l’allocation est donc le même pendant les trois mois séparant deux révisions trimestrielles.
-
[2]
La formule (7a) montre bien que le système des premiers mois de cumul à taux plein découle du caractère trimestriel de la révision des ressources et non d’une générosité au niveau de taux de prélèvement. En effet, quel que soit la valeur de ?, on a Xt = 0 puisque Ltp = 0 (cf. note supra ).
-
[3]
Une solution pour pallier cet inconvénient aurait consisté à mensualiser le RMI, mais elle implique des coûts d’ordre administratif.
-
[1]
Les conditions d’éligibilité relatives à l’âge et la situation familiale de l’allocataire ne sont pas modifiées.
-
[2]
Si le taux marginal de prélèvement n’est pas constant, la proposition devient : le taux moyen de prélèvement ne peut pas être inférieur à 40 %.
-
[3]
Godino [1999] a en tête la même idée mais appliquée cette fois-ci au rapport SMIC brut sur montant du RMI forfait logement non déduit. Il obtient alors un niveau de prélèvement de 36 %. Fleurbaey-Hagneré-Martinez-Trannoy [1998] appliquait la même idée sur le rapport SMIC net plus allocation logement (pour un repreneur d’emploi) sur RMI plus allocation logement et obtenait un taux proche de 50 %. Il nous semble que le problème de l’aide au logement nécessite bien une réflexion spécifique.
-
[1]
Considérons le cas type suivant sans doute assez particulier mais qui appartient bien à l’ensemble des cas possibles. Un individu a travaillé du 1er janvier 1990 au 1er janvier 1995, soit cinq années de travail consécutives. Il est au chômage du 1er janvier 1995 au 1er janvier 2000. À la révision semestrielle du calcul de l’ASS le 1er janvier 2000, l’individu respecte toujours les conditions pour bénéficier de l’ASS et ceci pendant le premier semestre 2000. Supposons qu’il retrouve du travail à temps partiel pendant les deux derniers mois du second trimestre 2000. À la révision semestrielle du calcul de l’ASS, il ne compte plus cinq années d’activité salariée dans les dix dernières années et, par là même, il perd le droit de toucher l’ASS. En supposant que son revenu d’activité est suffisamment faible, il devient RMI ste. Une disposition actuelle postule que l’intéressement du RMI ste ne peut avoir lieu que si, à la date de la reprise d’activité, l’individu était RMI ste. Notre homme verra brutalement le taux de rétention appliqué à ses revenus d’activité passer de 100 % en régime d’ASS (bénéfice de la possibilité de cumul pendant les trois premiers mois) à 0 % en régime de RMI !
-
[1]
Montant de base du RMI incluant le forfait logement qui représente 12 % dans le cas d’une personne seule, 16 % dans le cas d’un couple et 609 F dans le cas de trois personnes.
-
[2]
Au sens large y compris le complément familial et la plupart des prestations familiales. Pour les plages de revenu qui nous intéressent, les allocations familiales ne dépendent pas du revenu d’activité.
-
[3]
En toute logique, il faudrait distinguer les adultes et les enfants à charge mais cela alourdirait la notation sans réel bénéfice pour l’analyse.
-
[1]
Nous considérons ici des enfants de plus de 3 ans, le premier enfant ne donne donc pas droit aux allocations familiales.
-
[2]
À partir du cinquième mois.
-
[1]
La prime pour l’emploi vise à corriger en partie cette déficience de notre système de transferts.
-
[2]
Pour une analyse plus poussée, on peut se reporter à Fleurbaey-Martinez-Trannoy [1998].
-
[3]
Des principes de réforme identiques s’appliqueraient pour l’APL.
-
[1]
Les dérivées secondes croisées du transfert par rapport aux deux dimensions logement et travail sont nécessairement identiques.
-
[1]
Cette équation révèle également que le taux marginal d’imposition global dépasse 40 % pour les revenus d’activité. Au maximum il pourra atteindre 52 % (puisque la première tranche de l’IRPP est à 12 %). Éliminer cette double imposition demanderait à ce qu’on relève le seuil d’exemption à l’IRPP mais, dans la mesure où la réforme se cantonne à un reprofilage de nos minima sociaux et n’a pas l’ambition de procéder à un toilettage de l’ensemble de notre système fiscalo-social, nous ne suivrons pas cette piste.
-
[1]
Nous ne disposons pas des salaires bruts et donc un financement par un relèvement de la CSG ne peut pas être microsimulé sans un travail supplémentaire des cotisations sociales salariées.
-
[1]
Pour une présentation, voir chap. 1.
-
[2]
Les pondérations fournies par l’INSEE ont été modifiées de manière à satisfaire une dizaine de contraintes portant notamment sur le nombre de bénéficiaires des prestations familiales simulées par Simptom pour l’année 1995.
-
[1]
Il est à noter que la composition familiale retenue dans ce tableau est en termes de ménages au sens INSEE, et non au sens CNAF. Ainsi, la ligne « 1 adulte, 0 enfant » ne recense qu’une partie des RMI stes célibataires au sens de la CNAF, les autres (par exemple des individus sans conjoint de plus de 25 ans vivant chez des parents) se trouvent dans des ménages composés d’au moins deux adultes (voir Hagneré [2001] p. 17 et suiv.).
-
[2]
Le gain moyen n’est pas égal à 0 (5,3 F) dans ce tableau, car la microsimulation du financement résulte d’un tâtonnement. La réforme est donc légèrement déficitaire (de l’ordre de 100 millions de francs).
-
[1]
Les familles avec plusieurs adultes étant susceptibles de présenter plusieurs foyers fiscaux, il est possible que le revenu imposable du ménage INSEE provienne d’une personne seule au sens de l’administration fiscale. Or, dans un tel cas, le système du quotient familial ne joue aucun rôle.
-
[2]
Présenter le critère d’une manière approfondie serait trop long. Le lecteur intéressé se reportera à Fleurbaey-Hagneré-Trannoy [1998].
-
[1]
Plus précisément,, n’est autre que le plus grand revenu équivalent pour ?2 ?3... ?k les deux distributions fk et gk calculé en fonction des besoins du groupe le moins nécessiteux, le groupe 1, pour la composition des plus grandes échelles d’équivalence possibles. Le seuil est l’élément maximum de ces revenus équivalents calculé sur l’ensemble des groupes de besoin.
-
[1]
Cette dominance est bien en terme d’inégalité puisque la taille du gâteau reste inchangée.
-
[2]
C’est la même fonction Z dont on doit vérifier la négativité, mais sans aucune restriction sur les seuils de pauvreté du groupe k relativement aux seuils du groupe k ? 1, sinon qu’ils doivent lui être supérieurs.
-
[3]
Cette implémentation consiste à vérifier la dominance au sens du critère de Lorenz généralisé séquentiel. On vérifie le critère de Lorenz généralisé dans le groupe le plus nécessiteux, puis dans les deux groupes les plus nécessiteux,... et enfin sur toute la population.