CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1L’analyse des choix flexibles s’appuie sur les modèles séquentiels de décision en information croissante. Dans les premiers modèles séquentiels, dont l’origine remonte aux travaux de Henry [1974] et d’Arrow-Fisher [1974] en économie de l’environnement, l’objectif était de montrer que l’irréversibilité de choix environnementaux pouvait justifier des solutions flexibles d’attente dans l’exploitation irréversible de certains sites : « La flexibilité traduit la possibilité pour un décideur de pouvoir à tout moment reconsidérer ses choix de manière à maintenir l’optimalité de sa décision. » (Cohendet-Llerena [1989].) Mais la décision initiale est généralement à l’origine de conséquences plus nombreuses que celles envisagées dans ces modèles dont le contexte est très réducteur. Pour l’enrichir, nous étudions les conséquences d’une décision (section 1) et introduisons la distinction fondamentale entre environnement exogène et endogène, avant d’analyser la flexibilité dynamique dans ces deux cas (sections 2 et 3). Dans les contextes complexes, seule une analyse globale est envisageable car il est impossible de donner une valeur d’option à la flexibilité et le concept lui-même devient ambigu, d’où la nécessité de procéder à un arbitrage entre diverses flexibilités (section 4). Ces différents contextes seront illustrés par un exemple : les choix d’investissement d’un décideur soumis à un risque pays.

THÉORIE DE LA DÉCISION : VERS UNE APPROCHE EN TERMES DE CARACTÉRISTIQUES

2L’intégration de la flexibilité des choix dans la prise de décision, même si elle est sous-jacente à certains critères de choix d’investissement (délai de récupération, Richard [1982]), n’a réellement été prise en compte qu’avec les premiers modèles séquentiels en information croissante. Depuis lors, on s’est efforcé d’adapter les modèles séquentiels en information croissante aux caractéristiques de l’environnement du décideur :

  • Peut-il ou non modifier son environnement (incertitude endogène ou exogène) ?
  • Peut-il anticiper ou non l’évolution de son système d’information (gains d’informations anticipés) ?
  • Peut-il agir sur celui-ci (arbitrage coûts-avantages de l’information) ?

3Les développements de ces modèles ont permis un approfondissement de l’analyse des gains d’information anticipés (travaux de Kreps [1979], sur les structures d’information et la préférence pour la flexibilité), ainsi qu’une modélisation de la finesse de l’information dans un contexte d’information partiellement croissante (Freixas-Laffont [1984]). L’introduction de la séquentialité, via un arbre de décision, de l’incertitude croissante et des interactions décision/environnement, impose à celui-ci d’évaluer les conséquences de son choix initial sur ses ensembles de décision et d’information futurs, ainsi que sur l’évolution de son environnement (perte d’options notamment). Dans le cas où le décideur peut modifier, par son action, son environnement (Ramani-Richard-Trommetter [1992], Ramani-Richard [1993] et Richard-Trommetter [1999]), l’information devient au moins partiellement endogène : création de nouveaux états, probabilité des états contingente à la décision. Ce contexte est similaire à celui de la nouvelle théorie du consommateur proposée par Lancaster [1975], où ce ne sont pas les biens eux-mêmes qui interviennent dans la décision d’achat mais leurs caractéristiques ainsi que leurs prix relatifs. Dans le cas d’une décision d’investissement les caractéristiques présentées dans le tableau 1 paraissent les plus importantes, les trois premières étant les seules utilisées dans les critères de choix traditionnels. Dans l’approche lancastérienne, un critère agrégé peut être interprété comme une application de l’ensemble des caractéristiques, arguments de ce critère, dans l’ensemble IR des réels, ce qui permet le classement des décisions dans l’ensemble D des décisions initiales possible, la fonction d’Utilité du décideur pour la décision dd ? D) étant donnée par Ud ( C1, C2,..., C6,... ). Ainsi, avec cette approche, la valeur d’option (Henry [1974]) serait le prix que l’on est prêt à payer pour la caractéristique flexibilité. Nous verrons, par la suite, qu’il existe en fait différents types de flexibilité, principalement liés aux caractéristiques C4, C5 et C6.

Tableau 1.

Les caractéristiques de la décision

Tableau 1.
Tableau 1. Les caractéristiques de la décision C1 : Cash Flows d’investissement C2 : Cash Flows d’exploitation C3 : Risque C4 : Gain informationnel C5 : Modification de l’environnement C6 : Influence sur le domaine des choix futurs etc.

Les caractéristiques de la décision

LE MODÈLE DE DÉCISION EN ENVIRONNEMENT EXOGÈNE

4Dans ce modèle, le décideur est sans influence sur son environnement, simple générateur exogène d’aléas. Par analogie avec l’hypothèse de price taker en microéconomie, le décideur est ici state taker.

Flexibilités décisionnelle et informationnelle

5La décision initiale influence non seulement l’ensemble de choix futur, mais également la structure d’information, ce qui conduit à deux types de flexibilités dans un environnement exogène. Le tableau 2 résume les conséquences de la décision initiale sur l’ensemble de décisions et le niveau d’information futurs. La flexibilité décisionnelle pure est la traduction positive de « l’effet irréversibilité » : perte d’options qu’entraînent certains choix particulièrement rigides (par exemple, affectation de sites naturels, sans possibilité de retour, à des activités économiques).

Tableau 2.

Typologie des flexibilités en environnement exogène

Tableau 2.
Tableau 2. Typologie des flexibilités en environnement exogène Conséquences sur le système d’information du Cause sur les décisions ultérieures décideur (structure d’information) Flexibilité décisionnelle pure Flexibilité informationnelle pure (intertemporelle) : (intertemporelle) : Décision initiale La décision initiale affecte l’ensemble La décision initiale affecte la finesse des décisions ultérieures de la structure d’information

Typologie des flexibilités en environnement exogène

6La flexibilité informationnelle pure définit, avec le concept de valeur de l’information (parfaite ou non), les avantages que retire le décideur d’une meilleure connaissance de son environnement, lui permettant ainsi de choisir des décisions adaptées aux structures d’information plus fines observées. Cette flexibilité tend à privilégier les décisions informatives (études préalables permettant de mieux cibler les décisions ultérieures).

7Les décisions ont en général des conséquences hybrides relativement à ces deux types de flexibilité. Rien n’interdit que la flexibilité informationnelle, obtenue avec une décision plus irréversible, ne puisse compenser la perte de flexibilité décisionnelle. Ces deux types de flexibilité (décisionnelle et informationnelle) peuvent bien sûr coexister pour une même décision : la recherche d’informations supplémentaires constitue en effet une décision particulièrement flexible. En revanche, l’arbitrage entre flexibilités décisionnelle et informationnelle est plus difficile lorsque c’est la décision irréversible qui améliore l’information.

Flexibilité décisionnelle : application aux investissements soumis au risque pays

8Dans les programmes de privatisation des pays en transition, il existe un risque pays que l’on pense évaluer mieux au bout de quelques années (moins de cinq ans). On considère, dans la modélisation suivante, un horizon donné T, découpé en deux périodes, et un décideur (firme multinationale) neutre au risque [1]. Il doit choisir en période 1 dans l’ensemble de décision D1 : option S, décision de surseoir à l’investissement, ou option I, réalisation de l’investissement dès la première période, d’où une irréversibilisation de l’investissement face au risque pays. En période 1, il existe une incertitude sur l’évolution politique en période 2, définie par les probabilités à priori suivantes :

  • ? : le risque pays anticipé est faible;
  • 1 ? ? : le risque pays est fort au détriment de l’investissement I.

9L’information sur l’état du monde devient totale à la fin de la première période (état risque pays connu). Si l’on a pris la décision initiale I et que le risque pays se révèle fort, le décideur peut quitter le pays (décision IS), en perdant sa mise initiale. Si l’on a choisi d’attendre (S), le coût d’entrée (investissement retardé SI) est plus élevé du fait de l’accroissement du prix des actifs industriels, en cas d’évolution politique satisfaisante. Les gains de la simulation, actualisés en t = 0, sont :
Ainsi Rkij représente les gains nets actualisés de la deuxième période si l’on prend la décision i en première période, la décision j en seconde et si l’état du monde k se réalise.

Tableau 3.

Matrice des gains en environnement exogène

Tableau 3.
Tableau 3. Matrice des gains en environnement exogène Période 1 Période 2 D1 D2 Etat s1 (?) favorable à I Etat s2 (1 ? ?) favorable à S S RS = 0 SS R1SS = 0 R2SS = 0 SI R1SI = ? 200 + R1II R2SI = ? 200 + R2II I RI = ? 100 II R1II = 300 R2II = ? 100 IS R1IS = ? 50 R2IS = ? 50

Matrice des gains en environnement exogène

10La hiérarchie des revenus nets par période, actualisés en t = 0 est :

  • En première période, RS > RI. Les Cash Flows actualisés de la période 1 ne suffisent pas à rembourser l’investissement initial (coût de la privatisation et rénovation des actifs).
  • En deuxième période, la hiérarchie dépend des états observés :
    • État s1 favorable à I : R1SS < R1SI ? R1II du fait de l’accroissement du prix des actifs industriels et des effets d’apprentissage;
    • État s2 favorable à S : R2SS > R2II ? R2SI en raison de la meilleure efficacité économique de l’attente (S) par rapport à un risque pays avéré.

11La hiérarchie des choix dépend du contexte informationnel et les VAN sont (pour i = ( I, S ) ) :

equation im4

12Dans les simulations suivantes (fig. 1), les écarts de VAN séquentielles, relatifs à chaque contexte informationnel, font apparaître les point morts entre les différentes VAN au point d’ordonnée 0.

13Avec un gain d’information nul, le point mort en probabilité est ?N * = 0,5 contre ?T * = 0,6 avec un gain d’information total. Dans le cas GIT, plus le passage à I en deuxième période est peu vraisemblable (? faible), plus la décision S est intéressante. Il lui correspond une flexibilité décisionnelle intertemporelle liée à l’éventail plus large des décisions ultérieures. L’intervalle de probabilité dans lequel on prend la décision relativement irréversible I, en première période, se réduit alors avec le gain attendu d’information : de [0,5; 1] à [0,6; 1] pour le passage GIN à GIT. La valeur d’option représente ici la valeur espérée de l’information parfaite.

La flexibilité informationnelle dans le cas du risque pays

14Dans le cas précédent, la valeur d’option était liée à la flexibilité décisionnelle, mais dans d’autres cas la décision initiale affecte aussi la finesse de la structure d’information ultérieure. On peut ainsi introduire des états du monde différenciés, en prenant en compte un second type d’incertitude sur la possibilité de trouver un bon réseau de vendeurs (probabilité p). Ces états, relatifs par exemple aux caractéristiques de risque (C3) et de gain informationnel (C4), ne sont discernables que si l’on a choisi I en première période (effet d’apprentissage). Pour la décision d’attente, seule l’espérance de gain de trouver un réseau efficace de vendeurs est disponible (structure d’information moins fine). Nous introduisons une nouvelle matrice de Cash Flow s, définis par : Rklij : gain net actualisé de la deuxième période si : décision I en première période, décision j en seconde, et si les états du monde k (risque pays) et l (trouver un bon réseau de vendeurs ( l = 1), ou non ( l = 2)) se réalisent.

Figure 1.

Simulations des cas GIN et GIT

Figure 1.
Figure 1. Simulations des cas GIN et GIT 200 100 V0S(? ) – V0I(? ) VS(? ) – VI(? ) 0 100 0 0.5 1 ?

Simulations des cas GIN et GIT

15L’existence d’une seconde incertitude change la structure des gains des deux décisions et modifie les flux d’information, d’où les nouvelles VAN (pour i = ( I, S ) ) :

equation im6

Le gain d’information supplémentaire, lié à la décision initiale I, est représentatif de la flexibilité informationnelle (avantage d’une structure plus fine anticipée). Pour les simulations, on suppose que les deux incertitudes sont indépendantes [1] et on utilise les données suivantes :
Avec une probabilité p = 0,7 pour l’incertitude sur l’état « trouver un bon réseau de vendeurs », l’espérance de gain est équivalente aux gains en situation de certitude sur le réseau de vendeur donné dans la section précédente (0,7 * 600 – 0,3 * 400 = 300). Les points morts sont donnés par :
Pour p = 1, il y a convergence vers le point mort de la décision en situation de certitude sur le réseau ( ?T1 * ( p = 1 ) = ?1 * ( p = 1 ) = ?P1 * ( p = 1 ) = 0,6 ). En revanche, pour une valeur inférieure, par exemple p = 0,7, l’introduction d’une incertitude supplémentaire est favorable à S si les deux décisions ont des structures d’information identiques : plus le risque devient radical (ou complexe), plus il y a préférence pour la flexibilité. Lorsque la structure est plus fine pour la décision irréversible, le point mort peut se décaler en faveur de la décision irréversible : ici une information plus fine sur la capacité à trouver de bons vendeurs (apprentissage relationnel).

Tableau 4.

Simulation de l’existence d’une flexibilité informationnelle

Tableau 4.
Tableau 4. Simulation de l’existence d’une flexibilité informationnelle Période 1 Période 2 D1 D2 État s1 (?) État s2 (1 ? ?) p 1 ? p p 1 ? p S RS = 0 SS R11SS = 0 R12SS = 0 R21SS = 0 R22SS = 0 SI R11SI = 400 R12SI = ? 600 R21SI = ? 250 R22SI = ? 250 I RI = ? 100 II R11II = 600 R12II = ? 400 R21II = ? 100 R22II = ? 100 IS R11IS = ? 50 R12IS = ? 50 R21IS = ? 50 R22IS = ? 50

Simulation de l’existence d’une flexibilité informationnelle

tableau im8
GIT pour les deux décisions GIP pour les deux décisions GIT pour I et GIP pour S ?1 * ( p = 0,7 ) = 0,857 ?P1 * ( p = 0,7 ) = 0,6 ?T1 * ( p = 0,7 ) = 0,423 ?1 * ( p = 1 ) = 0,6 ?P1 * ( p = 1 ) = 0,6 ?T1 * ( p = 1 ) = 0,6

MODÈLE DE DÉCISION EN ENVIRONNEMENT ENDOGÈNE

16La décision initiale influence non seulement l’ensemble de décisions ultérieures mais également l’environnement, ce qui modifie les probabilités des états futurs. On justifie ici une nouvelle flexibilité, la flexibilité stratégique dans un environnement endogène (tableau 5).

17La flexibilité stratégique correspond à une vision active de l’adaptation. Plutôt que de réagir, en s’adaptant aux conditions de son environnement, il peut être préférable d’agir volontairement sur son environnement pour le rendre plus fiable et générer de nouvelles opportunités, qu’il s’agisse de ses concurrents, de ses clients et fournisseurs, de l’État ou de la technologie disponible.

Tableau 5.

Typologie de la décision en environnement endogène

Tableau 5.
Tableau 5. Typologie de la décision en environnement endogène Conséquences sur la réalisation des états de deuxième période Cause Flexibilité stratégique : recherche de meilleures opportunités et réduction des états risqués. La décision de première période s’efforce d’agir stratégiquement sur Décision initiale l’environnement du décideur dans un sens favorable : par la création de nouveaux états à par la modification des probabilités : l’origine de nouveaux probabilité plus élevée pour les états développements possibles. favorables et inversement.

Typologie de la décision en environnement endogène

La flexibilité stratégique dans le cas d’un risque pays

18On considère, dans le cas où le risque pays est faible (état s1 ), l’existence d’une nouvelle option correspondant à la création d’un nouvel état : la possibilité d’une extension de la capacité de production (doublement pour un coût unitaire réduit de moitié) [1]. Sous cette hypothèse, les nouveaux Cash Flows sont alors : R1II '= ( 2 ? R1II ) + ( RI /2 ) = 550 sans flexibilité informationnelle additionnelle, et R11II '= ( 2 ? R11II ) + ( RI /2 ) = 1150, avec flexibilité informationnelle. Cette option n’est pas disponible avec la décision S, car l’extension dépend de divers apprentissages (situation économique et politique du pays, caractéristiques du marché, etc.), d’où les nouvelles VAN :

equation im10

Les différences V2 I ( ? ) ? VS ( ? ) et V3 I ( ?, p ) ? VS ( ? ) représentent les gains représentatifs de la flexibilité stratégique respectivement sans et avec flexibilité informationnelle, d’où les points morts :
equation im11

DÉCISION COMPLEXE ET CARACTÉRISTIQUES

19Ces résultats peuvent être analysés en termes de caractéristiques. Ils montrent pour deux caractéristiques les enjeux théoriques et appliqués sous-jacents.

Contexte décisionnel et types de flexibilités

20Le contexte décisionnel correspond à la fois au type d’environnement (exogène, endogène) et au contexte informationnel. Les résultats précédents se traduisent tous par un décalage dans les intervalles de probabilité du choix de S plutôt que I, lié au décalage des points morts. Le tableau 6 définit la correspondance entre le contexte informationnel et les différents types de flexibilités. Il met en évidence les trois types de flexibilité dynamique qui coexistent potentiellement dans toute décision complexe : flexibilités décisionnelle, informationnelle et stratégique. Leurs effets pouvant être contradictoires (décalage des points morts), il n’est plus possible de dire que la flexibilité, principalement retard décisionnel (attente), est toujours avantageuse. Seule une analyse globale, via l’arbre de décision, les gains d’information anticipés et les ensembles de décision futurs, peut conduire à hiérarchiser les décisions actuelles à partir d’une fonction objectif telle que la VAN séquentielle (VANS) considérée ici. Jusqu’à présent la pratique décisionnelle consistait à séparer les décisions stratégiques des décisions d’investissement. Ce nouveau critère permet de réconcilier ces deux types de décision en intégrant mieux les conséquences multiples d’une décision stratégique. Il est donc impossible de donner une pondération a priori aux différentes caractéristiques, comme dans les méthodes multiattributs, pour construire une fonction objectif : U ( C1,..., C6,... ) = ??m Cm.

Tableau 6.

Récapitulatif des arbitrages selon le contexte et les types de flexibilités

Tableau 6.
Tableau 6. Récapitulatif des arbitrages selon le contexte et les types de flexibilités Contexte Arbitrages entre I et S Déplacement du point mort (??) et (point mort) type de flexibilité Environnement Information Exogène GIN ?N * = 0,5 GIT ?T * = 0,6 ?? = ?T * ? ?N * = ? 0,1 Flexibilité décisionnelle favorable à S GIT (pays) et ?T1 * ( p = 0,7 ) = 0,42 ?? = ?T1 * ( p = 1 ) ? ?T1 * information ( p = 0,7 ) = 0,18 réseau contingente à la ?T1 * ( p = 1 ) = 0,6 ?? = ?T1 * ( p = 0,7 ) ? ?T * décision (GIP = ? 0,18 pour S) Flexibilité informationnelle favorable à I d’autant plus que p est proche de 0,5 Endogène : GIT ?T2 * = 0,364 ?? = ?T2 * ? ?T * = ? 0,236 Augmentation de la capacité Flexibilité stratégique favorable à I : création possible d’une extension GIT (pays) et ?T3 * ( p = 0,7 ) = 0,19 ?? = ?T3 * ( p = 0,7 ) ? ?T1 * information ( p = 0,7 ) = ? 0,23 réseau contingente à la Flexibilité stratégique favorable à décision (GIP I, et flexibilité informationnelle pour S) favorable à I, d’autant plus que p est proche de 0,5

Récapitulatif des arbitrages selon le contexte et les types de flexibilités

21Choisir une décision flexible apporte toujours des valeurs d’option positives, relatives aux flexibilités décisionnelles et informationnelles, mais celles-ci peuvent être moindres que les nouvelles options offertes par une décision irréversible qui ouvre de nouveaux domaines de choix par modification active de l’environnement du décideur et génère de multiples apprentissages. Il ne suffit plus de raisonner sur des états stationnarisés permettant le calcul éventuel de valeurs d’option. Il faut considérer des environnements turbulents, voire controversés, ce qui pose en particulier la question de la création et de l’apprentissage sur de nouveaux états, accessibles seulement par la décision stratégique initiale. Cette vision de correction et d’adaptation de l’environnement par les choix des acteurs (création de nouveaux marchés, de nouveaux contextes organisationnels,…) correspond bien aux stratégies que l’on constate, particulièrement, dans la nouvelle économie (biotechnologies, technologies de l’information). Les concepts de valeur d’option et de flexibilité deviennent alors particulièrement ambigus car la maximisation de la fonction objectif, par le choix d’une stratégie globale, se traduit par des arbitrages entre les diverses caractéristiques, et notamment entre les diverses flexibilités qui leur sont attachées.

Arbitrages entre deux caractéristiques : l’influence de la structure d’information

22Raisonnons sur l’arbitrage entre deux caractéristiques seulement, les autres étant fixées, par exemple les Cash Flows nets de première période (CFA, caractéristique hybride de C1 et C2 notée C1C2, cf. section 1) et les gains d’informations attendus en fin de première période (GI, caractéristique C4). Cette dernière caractéristique, qualitative, correspond à une structure d’information particulière par rapport à une situation de base. Pour une structure d’information donnée, nous verrons ensuite comment le concept d’entropie d’information permet une représentation quantitative.

23L’utilité d’une décision U(C1C2, C4, (C3, C5, … : fixées)) en termes de caractéristiques, correspond à un point dans l’espace de ces deux caractéristiques, les autres étant fixées.

24Les transitions relatives au passage de la décision S à I et aux changements de gains d’information sont calculées par rapport aux situations de référence suivantes : S avec GIN (CFA = 0) et I avec GIN (CFA = 80).

25Ainsi, le passage pour S d’un gain d’information nul à partiel (transition ?GINP ) permet d’accepter un Cash Flow de première période (CFA) réduit de 70 (? = ? 70). Cette réduction de CFA est l’expression monétaire pour l’option S, de la variation de la caractéristique gain d’information correspondant au passage de GIN à GIP. Dans le cas I, la valeur de cette caractéristique n’est que de 15, le GIP n’apporte pas un surplus d’utilité important pour l’investisseur, d’où un taux de substitution faible avec les Cash Flows de première période. Dans les simulations, le surplus de Cash Flow qui rendrait indifférentes les décisions S et I est une fonction non linéaire du gain d’information. Par exemple, ?V1 PSI ( GIP ) est donné par la variation du CFA dans le passage de S à I, à information partielle constante ? ( S ? I, P ? P ) :

equation im13

Enfin, la comparaison entre I et S (en GIP ou GIT), conduit bien aux mêmes résultats que les modèles à valeur d’option (VO) standards où le gain d’information attendu réduit la zone dans laquelle on prend la décision la moins flexible. L’analyse précédente est très semblable à la détermination des consentements à payer et à recevoir, en économie de l’environnement (Amigues-Desaigues [1999]). Elle traduit l’indifférence entre les choix en équivalent Cash Flow s de première période, comme dans les premiers travaux sur la valeur d’option (Henry [1974]).

Figure 2.

Arbitrage Gain d’Information anticipé/Cash Flows équivalents

Figure 2.
Figure 2. Arbitrage Gain d’Information anticipé/Cash Flows équivalents – 28 GIT I S 25 73 I GIP S 80 15 I GIN S 70 80 95 168 196 0

Arbitrage Gain d’Information anticipé/Cash Flows équivalents

Arbitrages entre deux caractéristiques : analyse selon l’entropie d’information

26On peut réaliser le même schéma pour n’importe quelle structure d’information donnée (GIN, GIP ou GIT) avec une évaluation quantitative, à partir du concept d’entropie d’information (Shannon). Ce concept est d’autant plus utile que le nombre d’états est grand (supérieur à 2) ou que les incertitudes sont multiples (probabilité à 2 dimensions), comme par exemple dans le choix V3I de la section précédente (incertitude sur le risque pays et sur le réseau de vendeurs, conditionnelle à I). Nous proposons ici une variable dérivée de la mesure entropique (CI), pour conserver des courbes d’indifférence d’allure traditionnelle : simulations de la figure 4 pour diverses valeurs de?(risque pays) et de p (réseau de vendeurs) indépendantes, et toutes deux supérieures ou égales à 0,5 :

equation im15

Si l’on calcule CI, en fonction de ? et de p, pour deux options avec extension possible :
  • Pour V2I (pas d’incertitude sur le réseau de vendeurs) : CI(0,7; 1) = 1,119;
  • Pour V3I (incertitude sur l’existence d’un réseau de vendeurs) : CI(0,7; 0,7) = 0,237.

27L’option V2I est donc moins désordonnée, au sens entropique (pas d’incertitude sur les réseaux de vendeurs), que l’option V3I, d’où pour une valeur de CFA donnée (– 100) des niveaux d’utilité différents : U(V2I) = 270 et U(V3I) = 438 ( V3I > V2I ). À partir de ces résultats, on peut construire sur la base de quatre points et d’une « fonction lissage » (fonction du 3e degré) du logiciel Mathcad 8, les courbes d’indifférences U(V2I) et U(V3I) en fonction de CFA et de CI (fig. 3). Ce lissage astreint la courbe à passer par les points précédents. On peut alors mesurer la somme que l’on serait prêt à payer pour passer d’une situation désordonnée à une situation de certitude dans les cas V2I et V3I, à niveau d’utilité constant :

  • Pour V3I, l’équivalent monétaire est de 612 (valeur espérée de l’information parfaite) au niveau d’utilité de 438;
  • Pour V2I il est de 220, au niveau d’utilité 270.

Figure 3.

Vision entropique de l’arbitrage décisionnel

Figure 3.
Figure 3. Vision entropique de l’arbitrage décisionnel 2 interp ( vs, CFA, CI, x ) CIi 1 interp ( vs 1, CFA1, CI1, x 1) CI1i 0 - 800 - 600 - 400 - 200 0 200 400 x, CFAi, x 1, CFA1i

Vision entropique de l’arbitrage décisionnel

28Le niveau d’incertitude initial (désordre) a donc bien une influence sur le prix de la caractéristique absence de désordre.

29De même, dans le cas V3I, on est prêt à substituer 0,882 de désordre (CI passe de 0,237 à 1,119) à 152 d’équivalent Cash Flow s de première période.

30Il est donc possible de calculer et de comparer des taux de substitution entre caractéristiques pour les différentes options disponibles. Dans ces simulations, où le cas de deux caractéristiques est étudié, on peut, comme chez Lancaster, établir une généralisation de l’analyse à l’ensemble des caractéristiques, ce que nous avons anticipé dans le tableau 6. Ces résultats prouvent l’impossibilité d’une fonction d’utilité additive sur les caractéristiques, en raison de taux de substitutions marginaux variables, selon la position des points dans l’espace des caractéristiques.

CONCLUSION

31L’analyse d’une décision en termes de caractéristiques, arguments non nécessairement additifs dans l’expression du critère de décision, montre bien l’importance du contexte, notamment l’influence des gains d’information anticipés et celle de l’environnement (exogène ou endogène). La variété des contextes impose d’introduire trois types de flexibilités, les flexibilités décisionnelle (effet irréversibilité) et informationnelle pour les environnements exogènes, auxquelles il convient de rajouter la flexibilité stratégique pour les environnements endogènes. Si la flexibilité décisionnelle privilégie toujours les décisions d’attente (passage du temps, recherche préalable d’informations avant la décision), d’autres avantages correspondent à un engagement irréversible, source de multiples apprentissages (organisationnels, relationnels, technologiques, etc.), comme ici l’apprentissage sur la qualité du réseau de vendeurs.

32Par ailleurs, la flexibilité stratégique vient renforcer encore l’importance d’une décision d’engagement stratégique. L’introduction d’un environnement endogène tempère donc très fortement l’importance attribuée à l’effet irréversibilité.

33Ainsi, les caractéristiques relatives à la flexibilité de la décision peuvent jouer de manière antagoniste sur le critère de choix, ce qui rend particulièrement ambigu le concept de flexibilité, et donne une importance majeure au bon timing de la décision irréversible. Celle-ci doit être suffisamment informée pour bénéficier des avantages initiaux des flexibilités décisionnelle et informationnelle, d’où une certaine attente, mais pas trop grande, pour profiter des avantages de la flexibilité stratégique liée à l’engagement irréversible (nouvelles opportunités, apprentissages).

34L’exemple proposé d’un investissement dans un pays à risque politique, dans des contextes de plus en plus complexes, révèle que l’influence spécifique des différentes caractéristiques de la décision n’est pas évidente à appréhender et il semble difficile, sauf dans les cas les plus simples, de définir une valeur d’option de la flexibilité que l’on pourrait ajouter à la décision flexible avant de la comparer à une décision moins flexible. Face à cette complexité (incertitudes, irréversibilité, information croissante, interaction décision/environnement) qui impose un élargissement de l’ensemble des caractéristiques par rapport aux méthodes traditionnelles, il faut se demander quelles caractéristiques conduiraient aux biais les plus importants si elles n’étaient pas intégrées dans le modèle. En effet, si le critère de VAN séquentielle (VANS) permet d’apporter, comme nous l’avons vu, une réponse globale, elle nécessite une quantité d’information qui peut sembler dissuasive, d’où l’importance d’une réflexion préalable sur les caractéristiques à prendre en compte, selon une approche simonienne de la décision.

Notes

  • [*]
    INRA-SERD, Université Pierre-Mendès-France, BP 47,38040 Grenoble Cedex 9. E-mail : richard@ grenoble. inra. fr
  • [**]
    INRA - SERD et Chercheur Visiteur au Laboratoire d’économétrie de l’École polytechnique lors de la rédaction de cet article. E-mail : mmichel@ grenoble. inra. fr. Les auteurs remercient les participants à la session « calcul économique » du colloque de l’AFSE (septembre 2000) dont son président B. Walliser, et les personnes présentes lors d’un séminaire au laboratoire d’économétrie de l’École polytechnique (Paris) pour leurs remarques et commentaires. Nous restons seuls responsables des erreurs qui pourraient subsister.
  • [1]
    L’aversion au risque constitue une extension facile, via l’espérance/variance de la VAN (Bancel-Richard [1995]).
  • [1]
    Chez Bancel-Richard [1995], la probabilité d’avoir un risque commercial est une fonction du risque pays initial.
  • [1]
    Cette réduction du coût unitaire s’apparente à une économie d’échelle statique. Dans le cas d’investissements miniers, on utilise souvent les expressions greenfield (investissement initial sur terrain vierge) et brownfield (extension ultérieure bénéficiant des infrastructures déjà réalisées).
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L’analyse de la flexibilité est fondée sur les modèles séquentiels en information croissante. La décision initiale d’un modèle séquentiel a des conséquences plus larges que celles envisagées dans la théorie traditionnelle. Pour l’enrichir, nous étudions les conséquences d’une décision et introduisons la distinction entre environnement exogène et endogène, avant d’analyser la flexibilité dynamique dans ces deux cas. Dans les contextes complexes, nous verrons qu’il est impossible de donner une valeur d’option à la flexibilité et que le concept lui-même devient ambigu, du fait d’un arbitrage entre les différentes caractéristiques de la décision. Ces différents compléments sont illustrés par un exemple : les choix d’investissement soumis à un risque pays.

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Alban Richard [*]
  • [*]
    INRA-SERD, Université Pierre-Mendès-France, BP 47,38040 Grenoble Cedex 9. E-mail : richard@ grenoble. inra. fr
Michel Trommetter [**]
  • [**]
    INRA - SERD et Chercheur Visiteur au Laboratoire d’économétrie de l’École polytechnique lors de la rédaction de cet article. E-mail : mmichel@ grenoble. inra. fr. Les auteurs remercient les participants à la session « calcul économique » du colloque de l’AFSE (septembre 2000) dont son président B. Walliser, et les personnes présentes lors d’un séminaire au laboratoire d’économétrie de l’École polytechnique (Paris) pour leurs remarques et commentaires. Nous restons seuls responsables des erreurs qui pourraient subsister.
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