1La préparation d’une décision d’investissement passe le plus souvent dans l’entreprise par des calculs de rentabilité déterministes effectués dans le cadre de différents scénarios conduisant à la construction d’un ou plusieurs échéanciers de flux de trésorerie (quelle que soit l’approche retenue pour la prise en compte des incertitudes). Les calculs de Valeurs actuelles peuvent s’appuyer sur différentes méthodes dont les conditions de cohérence ont été bien établies. La plus courante, dans les manuels comme dans la pratique, correspond à des calculs de rentabilité globale. Le taux d’actualisation utilisé est alors un coût moyen pondéré du capital après impôt. Nous réserverons l’adjectif « classique » à celle-ci, bien que plusieurs méthodes puissent maintenant être considérées comme telles. Dans le secteur amont de l’industrie pétrolière (exploration et production de pétrole brut) la méthode d’Arditti-Levy [1977] lui est souvent préférée. Le taux d’actualisation correspondant est en effet défini comme un coût moyen pondéré du capital avant impôt, il est donc indépendant de la fiscalité. Cette approche paraît ainsi mieux adaptée à l’industrie pétrolière amont soumise à des fiscalités spécifiques très diverses.
2L’objectif de la première partie de cet article est de nuancer cette observation et de montrer que la méthode globale classique peut être utilisée pour étudier la rentabilité d’un projet même lorsque les résultats de ce dernier sont soumis à une fiscalité différente de celle considérée pour le calcul du taux d’actualisation. La formulation proposée, très simple, présente un intérêt qui nous paraît fondamental, celui d’être valide, une fois défini le taux d’actualisation, quelles que soient les caractéristiques de l’emprunt utilisé pour financer le projet.
3À partir de la formule présentée en première partie, nous proposons une approche générale dont peuvent être dérivées les différentes méthodes de calcul de la Valeur actuelle nette d’un projet d’investissement : rentabilité globale classique (taux d’actualisation défini comme un coût moyen après impôt du capital), Arditti-Levy (coût moyen avant impôt du capital), fonds propres... Leur cohérence a été prouvée par Boudreaux et Long [1979], Chambers et al. [1982], Babusiaux [1990], mais en juxtaposant des démonstrations distinctes. La formulation unique proposée assure cette cohérence de façon immédiate.
4Nous analyserons enfin les conditions devant lier le coût des capitaux propres d’une firme non endettée au coût moyen du capital d’une firme endettée pour que soit assurée la cohérence avec la méthode de la « Valeur actuelle ajustée » ( Adjusted Present Value de Myers). Un résultat, nouveau à notre connaissance, est obtenu : la généralisation de la relation de Modigliani et Miller au cas d’un projet de durée quelconque.
ADAPTATION DES CALCULS DE RENTABILITÉ GLOBALE CLASSIQUE EN PRÉSENCE DE FISCALITÉS DIVERSES
Présentation du problème
5Considérons une entreprise d’une taille suffisante pour que l’on puisse supposer qu’elle fait chaque année appel à de nouveaux emprunts. Elle est soumise
à l’impôt sur le revenu. Pour étudier ses projets d’investissement dans un secteur
donné à l’aide de calculs de rentabilité globale, elle utilise un taux d’actualisation i (en monnaie courante) défini comme un coût moyen du capital après
impôt :

- t : taux d’imposition sur le revenu des sociétés ;
- r : taux d’intérêt des emprunts ;
- c : coût des capitaux propres associé aux projets de la classe de risque considérée.
6L’entreprise étudie la rentabilité d’un projet d’investissement qui serait réalisé dans un pays étranger de fiscalité différente ou, plus généralement, dont les revenus seront taxés à un (ou des) taux différent(s) du taux t. Nous nous limiterons au cas où il n’y a pas de consolidation fiscale, ou à des cas équivalents assez fréquents dans le domaine de l’exploration et de la production pétrolière et gazière. Nous supposons de plus que le projet peut être financé partiellement par emprunt et que les charges d’intérêt correspondantes sont déductibles du revenu imposable du projet.
Proposition d’une formulation
7Notons P l’emprunt effectué pour réaliser le projet. Quel qu’en soit le montant et quel que soit le ratio d’endettement w que se fixe l’entreprise, on peut considérer que le prêt P vient en substitution d’un prêt ? qui aurait été contracté par les services centraux de l’entreprise. Le prêt ?, de même montant que le prêt P, serait remboursé sur la même durée et suivant les mêmes modalités de remboursement. Autrement dit, l’échéancier des remboursements en capital serait identique. Cette hypothèse, même si elle peut paraître théorique, traduit le fait que le prêt ? doit conduire chaque année au même ratio d’endettement global que le prêt P (hypothèse couramment retenue de ratio d’endettement fixé a priori ).
8Notons :
N : dernière année de la période d’étude;
9Fn : le flux de trésorerie associé au projet, flux d’exploitation après impôt (n’intégrant aucun élément lié à l’emprunt);
10r ?: le taux d’intérêt de l’emprunt P associé au projet;
11Bn : le capital emprunté restant dû en fin d’année n;
12?n : le taux d’imposition auquel les revenus du projet sont assujettis l’année n; r ˆ?n : coût après impôt de l’emprunt. Les charges d’intérêt associées au prêt P l’année n, qui se montent à r ?Bn?1, engendrent des économies d’impôt ?n r ?Bn?1.
13Le coût après impôt de l’emprunt est :

14Le coût après impôt des charges d’intérêt s’élève à :

La différence entre ces deux termes est à mettre au crédit du projet. Le flux de trésorerie Gn qui doit à l’année n être imputé au projet est :
La Valeur actuelle nette du projet s’écrit ainsi :

REMARQUE 1 : origine. La procédure ci-dessus constitue une généralisation de celle proposée par Babusiaux [1990] pour analyser la rentabilité d’un projet permettant de faire appel à un emprunt à taux privilégié r ?? r, le gain à porter au crédit du projet l’année n étant hors fiscalité ( r ? r ? ) Bn?1, soit après impôt ( 1 ? t ) ( r ? r ? ) Bn?1.
REMARQUE 2 : taux d’imposition de référence t. Dans une société internationale, il n’y a pas une, mais un nombre élevé de fiscalités distinctes à prendre en compte (fiscalités qui présentent des différences particulièrement notables dans l’industrie pétrolière, avec des taux d’imposition pouvant atteindre 85 %). Le coût après impôt de la dette, r ˆ= ( 1 ? t ) r, utilisé pour le calcul du taux d’actualisation, doit alors être un coût marginal, c’est-à-dire le coût du dernier emprunt utilisé. C’est à partir de celui-ci que doit être défini le taux d’imposition t de référence.
REMARQUE 3 : application. La mise en œuvre de la méthode proposée est en cours d’étude dans le groupe Total Fina Elf. Une présentation plus détaillée est donnée dans Babusiaux et Pierru [2001].
FORMULE FONDAMENTALE
16Comme dans ce qui précède, nous étudions un projet d’investissement dont les revenus seront soumis à une fiscalité particulière. Mais nous considérerons, au cours de cette section et de la section suivante, un cas particulier, celui où le financement du projet est cohérent avec le financement de l’ensemble des projets de la même classe de risques. Cette cohérence peut se traduire par différentes hypothèses relatives à l’emprunt affecté au projet.
17L’hypothèse classique, assurant la convergence des méthodes traditionnelles de calcul de Valeurs actuelles nettes, consiste à supposer égaux le ratio d’endettement du projet et le ratio de référence défini par l’entreprise, le premier étant défini par rapport à la valeur économique du projet.
18Nous considérons donc un projet financé en partie par emprunt de façon à ce que son ratio d’endettement, défini par rapport à sa valeur économique, soit constamment égal au ratio de référence w défini par l’entreprise. Nous allons montrer que la Valeur actuelle nette du projet, égale à la somme des flux Gn actualisés au taux i, est aussi égale à la somme des flux d’exploitation Fn actualisés au(x) taux correspondant au(x) coût(s) moyen(s) après impôt du capital investi dans le projet.
19Pour présenter dans un premier temps une formule simple, suffisante pour les développements qui font l’objet des sections suivantes, considérons le cas où le taux d’imposition ? des revenus du projet est constant au cours du temps.
20Notons y le coût moyen après impôt du capital investi dans le projet :



21Ce résultat, bien que relatif au cas particulier d’un ratio d’endettement du projet égal à w, peut constituer une justification qui complète les raisonnements effectués pour définir la méthode proposée en première section.
22La démonstration de la formule fondamentale (3) sera présentée dans le cas
plus général où l’un des paramètres tel que le taux d’imposition du projet ?, ou
plusieurs paramètres, sont variables au cours du temps. En introduisant un indice
représentant l’année considérée, la formule devient :


La relation de récurrence correspondant à la définition de Vn s’écrit :


UNE NOUVELLE VISION DES MÉTHODES CLASSIQUES
Propriété de la VAN généralisée
23Pour la clarté de l’exposé, nous reviendrons à la formulation simplifiée de la relation fondamentale correspondant à la formule (3). Remarquons toutefois que la plupart des résultats que nous présenterons peuvent être généralisés au cas où les différents paramètres (notamment le taux d’imposition ? appliqué au projet) sont variables au cours du temps.
24Dans un même souci de simplification, nous supposerons le taux d’intérêt de
l’emprunt affecté au projet égal au taux d’intérêt habituel des emprunts de
l’entreprise (plus précisément des emprunts contractés pour des projets de la
même classe de risque) :





Méthode globale classique
25Soit t = ? La Valeur actuelle nette obtenue est celle qui correspond à l’approche globale classique qui consiste à actualiser le flux de trésorerie d’exploitation Fn à un taux d’actualisation égal au coût moyen du capital après impôt.

Méthode d’Arditti-Levy
26Il suffit de poser t = 0 pour retrouver la méthode d’Arditti-Levy. Le flux de
trésorerie de l’année n est :


Valeur actuelle des fonds propres
27c
Soit t = 1 ? r
Dans ce cas, le taux d’actualisation s’écrit :



28Le flux de trésorerie différentiel entre les deux méthodes (méthode généralisée proposée et méthode des fonds propres) :


Valeur actuelle ajustée (« Adjusted Present Value ») de Myers
29L’APV, développée par Myers, est formulée de la manière suivante :

30Un des objectifs de Chambers et al. [1982] était de cerner la relation devant lier i ( ? ) et ? pour que l’APV soit égale à la Valeur actuelle nette obtenue avec les autres méthodes. Ces auteurs ont pu décrire cette relation pour deux types de projet seulement : un projet avec un seul flux de trésorerie positif ( single-period project ) et un projet avec un flux de trésorerie constant sur une période infinie ( perpetuity ). De l’étude d’un projet caractérisé par deux flux de trésorerie positifs, ils ont déduit que la relation recherchée était spécifique à chaque projet et qu’aucune forme générale ne pouvait être dérivée.
31En utilisant l’approche proposée ici, nous allons au contraire montrer que l’on
peut définir cette relation dans le cas général d’un projet de durée quelconque.
Dans la formule (3), il est en effet possible de donner à t une valeur appropriée.
Déterminons celle-ci pour que l’on ait :


32Pour être égale à la Valeur actuelle nette des autres méthodes, l’APV doit être
égale à celle de la méthode ainsi définie. En supposant que la durée du projet est
de N années, il faut donc que :



33En employant PVTS ( r ) et PVTS ( ? ) pour représenter la somme des économies d’impôt dues aux frais financiers respectivement actualisées au taux r et
au taux ? :

34Considérons un projet auquel est associé un flux constant sur une période
infinie. L’hypothèse d’un ratio d’endettement constant implique que Bk soit
lui-même constant. L’équation ci-dessus devient alors :

35Des résultats relatifs à d’autres formulations de l’Adjusted Present Value sont développés par ailleurs (Pierru et Babusiaux [2000]).
CONCLUSION
36Une avancée théorique provient souvent de l’étude d’un problème concret. Dans le cas présenté ici, le passage de la pratique à la théorie était cependant quelque peu inattendu. L’analyse de rentabilité de projets de production pétrolière a en effet conduit à une formule générale dont dérivent les techniques traditionnelles de calcul de Valeurs actuelles nettes. Cette formule fournit une preuve immédiate de la cohérence des différentes méthodes (méthode globale classique, Arditti-Levy, fonds propres). Elle a de plus permis de définir, pour un projet de durée quelconque, les conditions de convergence entre ces méthodes et l’« Adjusted Present Value » de Myers, et de généraliser ainsi la relation de Modigliani et Miller. Il n’est pas impossible qu’elle ouvre la voie à d’autres développements, qui font à l’heure actuelle l’objet de recherches complémentaires.