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INTRODUCTION

1La décision de réguler un secteur économique est, traditionnellement, basée sur une analyse de la structure des coûts d’une entreprise (sous-additivité de cette fonction) ou sur des considérations de type service universel. Cette démarche néglige l’effet de la structure verticale d’une industrie sur la régulation. Or, de nombreux secteurs d’activité sont caractérisés par une structure verticale dans laquelle l’entreprise amont est en monopole sur un bien essentiel à la production d’un bien final régulé.

2Dans l’industrie pharmaceutique, par exemple, les laboratoires développent des principes actifs qu’ils brevettent de façon à protéger leurs investissements en recherche et développement. Le brevet accorde un pouvoir de monopole temporaire sur le produit intermédiaire. N’ayant pas toujours vocation à produire l’ensemble des médicaments dérivés de ces principes actifs sur tous les marchés potentiels (zones géographiques par exemple), les laboratoires peuvent sous-traiter leur production, par une licence de production, à des entreprises locales. Or, dans de nombreux pays, la vente de médicaments est fortement réglementée. Ainsi, la production sous licence de médicaments est caractérisée par un monopole sur le bien intermédiaire (le principe actif) et un bien final régulé (le médicament).

3Dans cette industrie, un régulateur doit-il réguler le bien final ? Cet article propose une analyse simple de ce problème et montre que, si ce bien est vendu par un tarif binôme, il est socialement préférable de ne pas réguler. Le cadre d’analyse est le suivant : un monopole étranger vend, via une tarification non linéaire, un bien essentiel non substituable à une entreprise nationale (cliente) qui produit un bien final (composite) régulé. L’économie nationale est composée d’un secteur non régulé, qui n’intervient pas ici, ainsi que d’autres entreprises régulées. Le régulateur maximise le bien-être social sous une contrainte de budget sans possibilité de transfert avec les firmes régulées.

4La section suivante introduit le modèle et les notations. L’équilibre sans régulation est déterminée dans la troisième section et l’équilibre avec régulation dans la quatrième section. Enfin, le choix du régulateur fait l’objet de la cinquième section. Une dernière section résume et conclue cet article.

MODÈLE

5Nous considérons l’économie suivante : d’un côté, des consommateurs, une entreprise mono-produit D, une entreprise multi-produits N et un régulateur appartenant tous à un même pays ; de l’autre, une firme U située dans un autre pays. La firme U est en position de monopole et vend un bien intermédiaire, le bien 0, essentiel à la production par l’entreprise D d’un bien final noté 1 (essentiel car il n’existe pas de substitut). La firme N produit n ? 1 autres biens finaux sous le contôle du régulateur [1], indexés par i = 2 à n.

6L’entreprise (amont) U vend le bien 0 à l’aide d’un tarif binôme TUq0 ) = H0 + p0 q0 qui est proposé à l’acheteur (firme D ou régulateur, selon le cas). Son coût de production est CUq0 ) = FU + cU q0cU est un coût marginal constant. Son profit s’écrit alors :

equation im1

Les firmes (aval) D et N sont caractérisées, respectivement, par des fonctions de coût CDq1 ) et CNq2,..., qn ) avec, pour chaque bien i, un coût marginal Cq1D, CqiN > 0 et un coût fixe FD, FiN ? 0. La fonction CN est supposée séparable, de telle sorte que l’on peut en extraire la fonction de coût, notée CiNqi ), de chacune des activités i. Le coût de production d’un bien ne dépend donc pas du niveau de production des autres biens [1]. Soit ?iNqi ) le profit de N lié à la production du bien i qui est maximum pour une quantité notée qim. Les profits des entreprises D et N s’écrivent :

equation im2

L’utilité des consommateurs est telle qu’il n’y a pas d’effet prix croisés. La demande pour un bien i ne dépend donc que du prix de ce bien [2]. Le surplus brut associé à la consommation de qi unités de bien i est noté Siqi ), avec Siqi = piqi ), la fonction inverse de demande pour le bien i, et Siqiqi < 0.

7Le régulateur détermine les quantités des biens régulés à produire qui maximisent le bien-être social national SW ( q1,..., qn ) en s’assurant que les prix associés à ces quantités garantissent à l’entreprise régulée un profit positif. La fonction objectif du régulateur [3] est donc la somme de tous les surplus nets des consommateurs et du profit des firmes D et N (la firme U étant étrangère, ses profits ne sont pas pris en compte) et s’écrit :

equation im3

Le problème du régulateur est de savoir s’il doit réguler ou non la firme D. Pour répondre à cette question, il faut comparer le niveau de bien-être à l’équilibre pour chacune des deux décisions possibles du régulateur.

ÉQUILIBRE EN L’ABSENCE DE RÉGULATION

8L’entreprise D est en situation de monopole pour la production du bien 1 et la firme U lui propose directement son tarif. Il s’agit d’un cadre classique de relation verticale entre deux monopoles où, en particulier, le monopole amont dispose de tout le pouvoir de marché. De plus, les demandes étant indépendantes, les stratégies du régulateur et de la firme amont ne sont pas liées entre elles.

Figure 1.

Alternatives pour le régulateur

Figure 1.
Figure 1. Alternatives pour le régulateur U U Contrainte de budget Contrainte de budget D N D N Consommateurs Consommateurs

Alternatives pour le régulateur

Stratégie du régulateur

9Le régulateur ne fixant pas q1, sa fonction objectif se réduit à

equation im5

soumis à la contrainte budgétaire : ?Nq2,..., qn ) ? 0. Les prix finaux, notés piq ˆi ), sont à la Ramsey-Boîteux :

equation im6

où ?ˆest le multiplicateur de Lagrange associé à la contrainte budgétaire. Les conditions du second ordre sont supposées satisfaites et la solution [ q ˆi ]i=2,..., n unique et telle que [1] ?ˆ> 0.

Stratégie de l’entreprise U

10La stratégie optimale de la firme U est de proposer le tarif binôme qui lui permet d’obtenir le profit maximal que ferait une structure verticalement intégrée, noté ?1viq1vi ), associé à une quantité notée q1vi (voir Tirole [1988, p. 176]). Ce tarif est TUq1 ) = ?1viq1vi ) + FU + cU q1 et le profit de la firme U est ?1viq1vi ). La firme D obtient un profit nul.

11Ainsi, en l’absence de régulation du bien 1, le niveau de bien-être social est SW ( q1vi, q ˆ2,..., q ˆn ). Il s’agit maintenant de le comparer au bien-être social obtenu avec régulation.

ÉQUILIBRE AVEC RÉGULATION

12Le déroulement du jeu est le suivant : dans un premier temps, la firme U propose un tarif en deux parties au régulateur qui, dans un deuxième temps, accepte ou non ce tarif et détermine les quantités finales produites des i biens régulés. S’il refuse le tarif, la production de bien 1 est nulle ainsi que le profit de la firme U. Pour trouver l’équilibre de ce jeu, il faut tout d’abord déterminer la réaction du régulateur pour un tarif TU donné, puis déterminer la stratégie optimale de la firme U. Ainsi, lorsque la production du bien 1 est régulée, les stratégies du régulateur et de la firme U ne sont plus indépendantes.

Stratégie du régulateur

13Si le régulateur accepte le tarif binôme, son programme est :

equation im7

en tenant compte de la contrainte budgétaire des firmes régulées D et N : ?Dq1 ) + ?Nq2,..., qn ) ? 0. Cette maximisation conduit de nouveau à des prix finaux à la Ramsey-Boîteux :

equation im8

Comme à la section précédente, nous nous intéressons au cas ?* > 0. Nous supposons que les conditions du second ordre sont satisfaites et que la solution [ qi * ( p0, H0 ) ]i=1,..., n est unique [1] pour tout p0 et H0 proposés par la firme U. Les profits de la firme D et N sont donc nuls à l’équilibre et le bien-être social se résume à la somme des surplus nets des consommateurs.

14Si, au contraire, le régulateur refuse TU, son programme devient :

equation im9

soumis à la contrainte budgétaire de la seule firme N : ?Nq2,..., qn ) ? 0. Il est identique à celui de la section précédente et conduit donc aux mêmes quantités [ q ˆi ]i=2,..., n.

15Le régulateur doit finalement décider s’il accepte ou non le tarif. Il le refusera dans deux cas : premièrement, s’il ne peut pas lever assez de fonds grâce aux n marchés régulés pour payer TU, i.e. si p0 et H0 sont tels qu’il n’existe pas de solution [ qi * ( p0, H0 ) ]i=1,..., n au programme (6); deuxièmement, si, en payant TU et en produisant le bien 1, il obtient un bien-être social moins important qu’en ne le produisant pas, i.e. si SW ( q1 *, q2 *,..., qn * ) < SW ( 0, q ˆ2,..., q ˆn ). Sinon le régulateur accepte le tarif en deux parties. En outre, le régulateur accepte strictement le tarif si SW ( q1 *, q2 *,..., qn * ) > SW ( 0, q ˆ2,..., q ˆn ).

Stratégie de l’entreprise U

16La firme U maximise son profit sous la contrainte d’acceptation du tarif par le régulateur, ce qui limite l’ensemble des valeurs possibles de p0 et H0. Tout d’abord, U doit s’assurer que, pour un TU donné, le régulateur puisse trouver un vecteur de quantités finales ( q1, q2,..., qn ) qui respecte la contrainte budgétaire ?Dq1 ) + ?Nq2,..., qn ) ? 0 ou, de manière équivalente, Le membre de gauche de l’inégalité représente le profit que ferait un monopole intégré (les firmes U, D et N toutes ensembles) avec un coût marginal de production du bien 0 égal à p0. Cette inégalité indique clairement, que pour un p0 donné, H0 ? FU ne peut être supérieur au profit maximum de ce monopole intégré, i.e. pour q1 = q1mp0 donné) et qi?1 = qim. Si H0 ? FU est plus grand que cette valeur, alors le régulateur ne peut pas récupérer sur les n marchés régulés le montant demandé par U.

equation im10

17Cette condition étant vérifiée, le tarif proposé doit également être tel que SW ( q1 *, q2 *,..., qn * ) ? SW ( 0, q ˆ2,..., q ˆn ). Il est difficile d’extraire de cette inégalité une condition simple en p0 et H0. Toutefois, les deux lemmes suivants décrivent le comportement de la firme U.

18

LEMME 1. Le régulateur accepte toujours strictement le tarif de l’équilibre sans régulation TUq1 ) = ?1viq1vi ) + FU + cU q1 si la firme U le propose.

19Preuve. Lorsque la firme U propose TUq1 ) = ?1viq1vi ) + FU + cU q1 au régulateur et que ce dernier l’accepte, son programme est le suivant : maxq1,q2,..., qn { SW ( q1, q2,..., qn ) } sous la contrainte ?Dq1 ) + ?Nq2,..., qn ) ? 0. Soit ( q ˜1, q ˜2,..., q ˜n ) la solution de ce programme. Ces quantités sont les valeurs optimales si le régulateur accepte le tarif. En rejetant TUq1 ), le programme du régulateur devient : N ) ? 0, programme max q2,..., qn { SW ( 0, q2,..., qn ) } sous la contrainte ? ( q2,..., qn qui a comme solution ( 0, q ˆ2,..., q ˆn ).

20Si le régulateur accepte le tarif, il peut décider de produire ( q1vi, q ˆ2,..., q ˆn ) comme quantités finales. Elles ne sont pas, a priori, optimales et induisent un niveau de bien-être social égal à SW ( q1vi, q ˆ2,..., q ˆn ) = S1vi ? p1vi q1vi ? S1 ( 0 ) + SW ( 0, q ˆ2,..., q ˆn ). Le premier terme du membre de droite est strictement positif et SW ( q1vi, q ˆ2,..., q ˆn ) > SW ( 0, q ˆ2,..., q ˆn ). Le régulateur accepte [1] donc strictement TUq1 ).n

21

LEMME 2. Supposons que la firme U propose un tarif TUq1 ) = H0 + p0 q1 strictement accepté par le régulateur et notons ( q ˜1, q ˜2,..., q ˜n ) les niveaux optimaux de production associés à ce tarif par le régulateur. Sauf dans le cas extrême où q ˜1 = q1m (où la quantité de monopole est définie pour le p0 donné) et q ˜i?1 = qim, il est toujours optimal pour la firme U de proposer un tarif binôme avec une partie fixe strictement plus grande que H0.

22Preuve. Supposons que le bien i qui n’est pas au prix de monopole soit le bien 2. Soit la fonction fq2, h ) = SW ( q ˜1, q2, q ˜3,..., q ˜n ) ? h. Elle représente le niveau de bien-être social lorsque la firme amont propose un tarif TUq1 ) + h et que le régulateur choisit des niveaux de production q ˜i pour tous les biens sauf le bien 2. Ainsi, le prix du bien 2 est le seul à subir une distorsion supplémentaire du fait du coût fixe additionnel h.

23La preuve est établie par la continuité de f au point ( q ˜2, 0 ). Puisque le tarif TUq1 ) est strictement accepté, fq ˜2, 0 ) > SW ( 0, q ˆ2,..., q ˆn ). De plus, comme toutes les valeurs q ˜i?2 sont maintenues constantes, la seule contrainte liant q2 et h est la condition de profit nul de la firme D à l’optimum :

equation im11

Le théorème des fonctions implicites s’applique si

equation im12

dq2 Comme le seul cas plausible est q ˜2 > q2m, dhq ˜2 ) < 0 et la différentielle totale de f vis-à-vis de h existe en q2 = q ˜2 et est négative.

24Il est donc possible de trouver un h > 0 suffisamment petit tel que fq ˜2, 0 ) > fq2, h ) > SW ( 0, q ˆ2,..., q ˆn ). Le vecteur de production ( q ˜1, q2, q ˜3,..., q ˜n ) est donc une solution au problème du régulateur lorsqu’il fait face à un tarif TUq1 ) + h, solution qui lui procure un bien-être social supérieur à celui obtenu en cas de refus. Ainsi, le régulateur accepte ce tarif qui procure un profit pour la firme U plus important d’un montant h que celui qu’il obtient avec le tarif TUq1 ).

25Nous avons supposé que le bien i dont le prix n’était pas le prix de monopole était le bien 2. La preuve est identique pour tous les biens i = 2,..., n. Si ce bien est le bien 1, alors la condition d’existence est p1qq1 ) q1 + p1q1 ) ? Cq1Dq1 ) ? p0 ? 0, i.e. q1 ? q1m pour un p0 donné. Si p0 = cU, q1 ? q1vi. Le reste de la preuve est identique.n Tant que les prix finaux ne sont pas ceux de monopole pour toutes les activités des firmes D et N (pour un p0 donné) et que, de plus, le niveau de bien-être social est strictement plus grand que le bien-être social sans production de bien 1, la firme U peut augmenter ses profits en augmentant la partie fixe de son tarif. Cette augmentation sera financée par de petites augmentations des prix de certains biens qui sont moins coûteuses socialement qu’un abandon de la production de bien 1. Or, le tarif proposé par U en l’absence de régulation du bien 1 étant strictement accepté (lemme 1), il est facile de déduire du lemme 2 la proposition suivante.

26

PROPOSITION 1. Lorsqu’il y a régulation, la firme amont U obtient un profit plus important.

27Le régulateur est prêt à distordre le prix de tous les biens pour récupérer la somme demandée par U et maintenir un surplus lié à la consommation du bien 1. Cependant, cette distorsion n’est intéressante qu’à la condition que le niveau de bien-être final soit supérieur à celui associé aux quantités [ q ˆi ]i=2,..., n sans production du bien 1.

28Ainsi, à l’équilibre, deux situations sont possibles selon les paramètres de l’économie. Dans la première, après acceptation du tarif, le bien-être final est identique à celui en l’absence de production du bien 1, SW ( 0, q ˆ2,..., q ˆn ). Le régulateur n’accepte pas un tarif plus élevé car il préfèrerait alors ne pas produire. Dans la deuxième, le bien-être social est celui obtenu avec des prix égaux au prix de monopole (avec p0 = cU donc q1m = q1vi ), n S1q1vi ) ? p1q1vi ) q1vi + { Siqim ) ? piqim ) qim }. La firme U ne peut ? i = 2 demander plus car le régulateur n’est pas capable de récolter plus de fonds. À l’équilibre, quelle que soit la situation, le niveau de bien-être social est toujours le maximum des ces deux niveaux.

29Selon les caractéristiques de l’économie considérée, la somme des surplus nets obtenue avec les quantités ( 0, q ˆ2,..., q ˆn ) peut être plus grande que celle obtenue avec les quantités ( q1vi, q2m,..., qnm ). Si l’équilibre est caractérisé par les quantités de monopole, la consommation de bien 1 est importante comparée à celle des autres biens, puisque le régulateur préfère avoir des niveaux de production faibles (quantités de monopole) sur tous les marchés plutôt que d’abandonner la production du bien 1.

CHOIX DU RÉGULATEUR

30Formellement, le jeu que nous étudions ici est le suivant : premièrement, le régulateur décide de réguler ou non l’activité de production du bien 1; deuxièmement, le monopole amont propose son tarif TU au régulateur ou à la firme D selon le choix du régulateur à l’étape précédente; troisièmement, le régulateur ou la firme D accepte ou non le tarif et le régulateur décide des quantités à produire sur les n ou n ? 1 marchés.

31Si, lors de la première étape, le régulateur décide de réguler le bien 1, alors nous sommes dans le cas décrit par la section précédente. Le niveau de bien-être obtenu par le régulateur est (en omettant les arguments) soit n n S1 ( 0 ) +vivivi { Sim ? pim qim }.

32? i = 2 { Sˆi ? p ˆi q ˆi }, soit S1 ? p1 q1 + ? i = 2

33Si, au contraire, le régulateur décide de ne pas réguler le bien 1, la firme U fait face à la firme D et le sous-jeu entre ces deux firmes est le même que celui décrit dans la section trois. L’équilibre de ce jeu conduit donc à une quantité finale q1vi pour le bien 1, des profits nuls pour la firme D et des quantités finales ( q ˆ2,..., q ˆn ) pour les biens régulés. Le niveau de bien-être est donc n S1vi ? p1vi q1vi + { Sˆi ? p ˆi q ˆi }. ? i = 2

34Le choix du régulateur à la première étape se base sur la comparaison des niveaux de bien-être obtenus dans l’une et l’autre situation. Le surplus net des consommateurs est plus grand quand il y a consommation du bien 1 (même pour une consommation q1vi ) que lorsqu’il n’y a pas de production. De plus, les prix p ˆi associés aux quantités q ˆi?1 sont plus petits que les prix de monopole pim, ce qui implique un surplus net plus important pour les consommateurs avec q ˆi qu’avec qim. Il apparaît donc clairement que le choix de ne pas réguler la production du bien 1 est la meilleure solution pour le régulateur.

35

PROPOSITION 2. Lorsqu’un régulateur fait face à une industrie nécessitant une facilité essentielle en situation de monopole et si cette facilité essentielle est vendue par un tarif binôme, il est socialement préférable de ne pas réguler le bien final de cette industrie.

36Cet équilibre final n’est pas Pareto optimal. En effet, avec le tarif d’équilibre proposé par la firme U, la mise en place de la régulation de D augmenterait le bien-être tout en maintenant constants les profits de la firme U. Il y a donc un intérêt mutuel à renégocier le tarif pour le régulateur et la firme amont, qui peut être introduit à travers, par exemple, un modèle de marchandage entre ces deux parties.

CONCLUSION

37Le modèle présenté montre clairement qu’un régulateur a parfois intérêt à ne pas réguler un produit final, non pas à cause de la structure de coût de l’industrie le produisant, mais du fait de la structure verticale dans laquelle cette industrie s’inscrit. Deux conditions doivent être réunies pour que l’absence de régulation soit socialement optimale. Tout d’abord, le producteur de la facilité essentielle nécessaire à la production du bien final doit disposer d’un fort pouvoir de marché (absence de substitut, exclusivité territoriale par exemple). D’autre part, cette facilité essentielle doit être vendue à travers un tarif binôme.

38Certaines hypothèses, qui peuvent paraître restrictives, ne sont pas nécessaires pour obtenir ce résultat mais ont été posées pour en simplifier l’exposé. Par exemple, si la firme amont est nationale mais non régulée, le phénomène d’extraction de rente en présence de régulation est accentué [1]. De même, l’introduction d’asymétrie d’information ne modifie pas qualitativement le résultat. Il semble donc que les deux hypothèses importantes pour l’obtention de ce résultat soit le pouvoir de marché et la tarification non linéaire.

39En termes de politique économique, une conséquence importante de ce résultat est que la firme amont est très favorable à la mise en place d’une régulation de la firme aval cliente, ce qui, de prime abord, peut paraître contre-nature. Du point de vue des autorités de régulation, ce travail suggère que, lorsque se pose la question d’une éventuelle régulation d’un produit, un critère important est à prendre en compte en plus des conditions sur la fonction de coût et des considérations de service universel : il semble nécessaire de porter une attention particulière à la structure industrielle des inputs (susbtituabilité entre inputs, pouvoir de marché des vendeurs d’inputs, système de tarification). Une industrie caractérisée par des inputs essentiels vendus par des firmes au fort pouvoir de marché avec des tarifs non linéaires doit être écartée ou, à défaut, doit être régulée avec la plus grande prudence.

Notes

  • [*]
    Université des Sciences Sociales de Toulouse, GREMAQ – MF020,21 allée de Brienne, F-31000 Toulouse, France.
  • [**]
    Pour toute correspondance : Université des Sciences Sociales de Toulouse, GREMAQ – MF018,21 allée de Brienne, F-31000 Toulouse, France. Courriel : ccyril. hariton@ univ-tlse1. fr Nous tenons à remercier tous les participants des congrès de l’EUNIP (Tilburg, décembre 2000), de l’AFSE (Paris, septembre 2000), de l’EARIE (Lausanne, septembre 2000), de l’EEA (Bolzano, septembre 2000), des Journées de Microéconomie appliquée (Québec, juin 2000) et du séminaire Enter Jamboree 2000 (Londres, janvier 2000) pour leurs commentaires. Merci à Claude Crampes, Gwenaël Piaser et John Turtle pour leurs commentaires. Merci également à Helmuth Cremer et Jacques Crémer pour leur soutien et leurs nombreux conseils.
  • [1]
    Dans ce contexte régulatoire, il est strictement équivalent de considérer la firme N multi-produits régulée sous sa contrainte budgétaire ou n ? 1 firmes mono-produits régulées et regroupées sous une même contrainte budgétaire.
  • [1]
    La séparabilité de la fonction de coût permet une présentation plus simple des résultats et ne les change pas qualitativement.
  • [2]
    Cette hypothèse, comme celle sur les coûts, est faite essentiellement pour faciliter l’exposé de notre résultat central.
  • [3]
    Il s’agit donc d’une économie à la Ramsey-Boîteux. Une description plus précise peut être trouvée dans Boîteux [1956], Laffont et Tirole [1993] et Brown et Sibley [1986].
  • [1]
    En l’absence de spécification précise des fonctions de coût, les cas ?ˆ= 0 et ?ˆ> 0 sont possibles. Avec un coût fixe et un coût marginal constant, par exemple, seule la seconde solution peut être retenue. Il nous apparaît plus pertinent d’un point de vue économique de s’intéresser au cas ?ˆ> 0, ce qui implique que la firme N obtient un profit nul.
  • [1]
    Pour certaines valeurs de p0 et H0, il peut ne pas exister de solution à ce programme, mais ces valeurs ne seront jamais proposées par la firme U. Pour s’en rendre compte, il suffit de regarder les conditions d’acceptation du régulateur (section suivante).
  • [1]
    Il est clair que le régulateur ne choisira pas ces quantités finales ( q1vi, q ˆ2,..., q ˆn ) parce que les quantités ( q ˜1, q ˜2,..., q ˜n ) sont celles qui maximisent le bien-être lorqu’il accepte TUq1 ).
  • [1]
    Ce résultat, ainsi que les suivants, sont démontrés dans Boldron et Hariton [2000].
Français

Cet article montre qu’un régulateur ne doit pas réguler une industrie nécessitant un bien intermédiaire essentiel non régulé et vendu par un tarif binôme. En effet, le régulateur maximisant le bien-être social sous contrainte budgétaire, il attribue une valeur plus importante à la production du bien final que le producteur lui-même. De plus, ce régulateur a accès à des fonds plus importants que le producteur grâce aux profits possibles de l’ensemble des activités régulées.

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

  • En ligneBOÎTEUX M. [1956], « Sur la gestion des monopoles publics astreints à l’équilibre budgétaire », Econometrica, 24, p. 22-40.
  • BOLDRON F., HARITON C. [2000], « Rent extraction by an unregulated essential facility », Working Paper n° 20.07.538, Gremaq, Université Toulouse I.
  • En ligneBROWN S.J., SIBLEY D.S. [1986], The Theory of Public Utility Pricing, Cambridge, Cambridge University Press.
  • LAFFONT J.-J., TIROLE J. [1993], A Theory of Incentives in Procurement and Regulation, Cambridge (Mass.), MIT Press.
  • TIROLE J. [1988], The Theory of Industrial Organization, Cambridge (Mass.), MIT Press.
François Boldron [*]
  • [*]
    Université des Sciences Sociales de Toulouse, GREMAQ – MF020,21 allée de Brienne, F-31000 Toulouse, France.
Cyril Hariton [**]
  • [**]
    Pour toute correspondance : Université des Sciences Sociales de Toulouse, GREMAQ – MF018,21 allée de Brienne, F-31000 Toulouse, France. Courriel : ccyril. hariton@ univ-tlse1. fr Nous tenons à remercier tous les participants des congrès de l’EUNIP (Tilburg, décembre 2000), de l’AFSE (Paris, septembre 2000), de l’EARIE (Lausanne, septembre 2000), de l’EEA (Bolzano, septembre 2000), des Journées de Microéconomie appliquée (Québec, juin 2000) et du séminaire Enter Jamboree 2000 (Londres, janvier 2000) pour leurs commentaires. Merci à Claude Crampes, Gwenaël Piaser et John Turtle pour leurs commentaires. Merci également à Helmuth Cremer et Jacques Crémer pour leur soutien et leurs nombreux conseils.
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