CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1L’article de F.P. Ramsey, « A Mathematical Theory of Saving », occupe une place atypique dans l’histoire de la théorie économique. Paru en 1928, cet article proposait l’approche personnelle d’un jeune mathématicien féru d’économie. Oublié pendant près de trente-cinq ans, redécouvert grâce aux travaux de Cass [1965] et Koopmans [1965], il est devenu aujourd’hui l’épine dorsale des modèles macroéconomiques d’inspiration néoclassique. Cet article apparaît dès lors comme un temps fort de l’histoire de l’analyse économique. Sur le plan théorique d’une part, Ramsey propose la première formalisation au sein d’un cadre unifié, de la double fonction de l’épargne, identifiée à la fois comme source d’une satisfaction collective durable, via l’accumulation du capital, et comme sacrifice dans des programmes d’optimisation individuelle. Sur le plan méthodologique, d’autre part, cet article marque l’introduction des méthodes d’optimisation intertemporelle dans la boîte à outils des économistes (Magill [1970], Kamien [1987]). Ces deux apports sont indissociables. En posant la question théorique d’un montant optimal d’épargne globale, Ramsey rendait incontournable l’usage des méthodes d’optimisation intertemporelle. Pourtant, il transparaît chez Ramsey une certaine réticence à appliquer directement la méthode la plus évidente à l’époque, celle du calcul des variations. S’il cite cette méthode comme voie de démonstration de sa règle d’allocation intertemporelle du revenu national, il se contente de la mentionner.

2La démarche adoptée dans la première section de l’article, consacrée au problème de l’allocation du revenu national, apparaît dès lors tâtonnante : nous verrons que trois pistes de démonstration se relaient pour la détermination complète de la règle d’allocation optimale. Ramsey semble alors s’astreindre à un exercice difficile : montrer l’évidente fécondité des mathématiques tout en leur accordant la place juste nécessaire à la démonstration d’une règle spécifiquement économique. Sa démarche nous paraît ainsi symptomatique tant de sa position atypique au sein des économistes de Cambridge, que de ses ambitions personnelles, perceptibles à la lecture complète de l’article de 1928.

LES DÉMONSTRATIONS DE LA RÈGLE

3L’étude des démonstrations menées par Ramsey montre une oscillation constante entre arguments économiques et performances mathématiques. La détermination de la règle résulte de ces deux domaines qui se nourrissent mutuellement. On peut en effet noter trois pistes de démonstration de la règle de comportement optimal, selon laquelle « à chaque date, l’écart entre l’utilité maximale réalisable et l’utilité courante de la consommation doit être égal à la perte marginale d’utilité résultant de l’épargne courante » ([1928], p. 543). La première piste peut être qualifiée de démonstration économique. Les mathématiques n’y interviennent que pour clarifier un discours dont l’objet est spécifiquement économique. Elle bute sur un problème technique, dont la solution est recherchée dans l’introduction d’un concept économique, la « béatitude » ( Bliss ). Quoique non explicite chez Ramsey, la traduction mathématique de ce concept s’avère cependant essentielle pour les deux démonstrations alternatives, que l’on peut qualifier de « mathématiques ». Elle permet en effet l’amorce d’une nouvelle piste, celle du calcul des variations. Cette piste est cependant elle aussi abandonnée, au profit d’une démonstration plus simple et plus brillante, fondée sur un changement de variable. Pourtant, nous pensons que le calcul des variations guide effectivement en arrière-plan l’ensemble de ces développements.

La démonstration économique

4Nous nommons ainsi la toute première piste exploitée par Ramsey. Cette première démonstration est incomplète. Elle pose néanmoins le cadre théorique de réflexion économique, et semble devoir donner aux lecteurs de l’Economic Journal l’intuition du raisonnement qui sera mené dans l’ensemble de l’article. L’emploi des mathématiques garantit la cohérence de l’argumentation et la validité de conclusions issues de trois identités économiques de départ.

5Dans cette première section, il s’agit pour Ramsey d’étudier le comportement optimal d’une communauté caractérisée par :

  • une fonction de bien-être collective, U ( xt ) ) ? V ( at ) ) [1], différence entre l’utilité collective issue de la consommation globale xt ) et la désutilité liée au montant total de travail fourni, at ). Cette fonction d’utilité nette est donnée, sans justification de sa forme ou de son origine. Il n’est fait mention d’aucune procédure d’agrégation [2];
  • une fonction de production agrégée fat ), ct ) ), où at ) désigne le montant de travail et ct ) le montant de capital mobilisés à la date t.

6Ramsey néglige tout effet de distribution de ces montants entre les membres de la communauté. Cette structure est supposée inchangée dans le temps, Ramsey excluant croissance de la population, modification des préférences de la communauté et progrès technique.

7Ramsey construit alors l’ensemble de sa théorie sur trois équations fondamentales, susceptibles de recevoir de facto l’assentiment du lecteur. Leur validité repose sur une transposition à l’échelle macroéconomique des résultats marginalistes. La communauté est assimilée à une entité rationnelle, affectant son temps entre travail et loisir, et sa consommation dans le temps. Cette première démonstration n’est alors qu’explicitation du contenu économique de ces identités initiales, car, selon Ramsey, ces équations « sont suffisantes pour résoudre notre problème, pourvu que l’on connaisse c0, le capital donné avec lequel la communauté débute à l’instant t = 0, l’autre condition initiale étant donnée par des considérations sur le comportement de la fonction quand t ? ? » ([1928], p. 546).

8La première équation est une identité comptable. Dans cette économie fermée, travail et capital créent un flux d’output dont une partie est consommée, et l’autre partie, l’épargne globale systématiquement investie, vient accroître le stock de capital :

equation im1

La décision d’épargne est identifiée à la décision d’investir, selon la représentation « classique » de l’équilibre économique [3]. Elle permet de clore le modèle en exprimant la contrainte technique sous laquelle est maximisée la satisfaction intertemporelle.

9Les égalités suivantes posent des conditions d’équilibre de la communauté. La seconde équation décrit une relation d’équilibre entre consommation et effort, relation vérifiée à chaque instant t :

equation im2

Selon l’approche cardinaliste adoptée ici, ? ( a ), la désutilité marginale du travail, est une fonction croissante, et ux ), l’utilité marginale de la consommation, une fonction décroissante.

10La troisième équation décrit l’arbitrage intertemporel de la communauté :

equation im3

Elle traduit en fait une double condition d’équilibre. D’une part, elle exprime la position d’équilibre intertemporel de la communauté. D’autre part, Ramsey applique ici à sa fonction de production agrégée la condition d’égalité de la productivité marginale du capital et du taux d’intérêt, exprimant ainsi une condition d’équilibre de la communauté comme producteur [1].

11À partir des égalités (1), (2) et (3), Ramsey espère déduire, par simples opérations d’intégration et de dérivation, sa règle d’épargne optimale. Son point de départ est l’expression de la dérivée par rapport à x du produit ux ) ? fa, c ). Une série de dérivations, substitution et intégration, le conduit à une première énonciation de sa règle [2] :

equation im4

où K est une constante d’intégration, dont la signification économique reste à identifier. L’intuition de Ramsey est d’identifier K avec ce qu’il appelle le niveau maximum de satisfaction réalisable, maximum noté B pour « Bliss ». Quoique B n’intervienne qu’au cours de la seconde démonstration, Ramsey semble tenir à la justification économique de ce concept.

Le niveau de béatitude

12Ramsey refuse, dans la première section de l’article, l’introduction d’un taux d’escompte d’utilité, pratique qu’il qualifie « d’indéfendable sur le plan éthique » ([1928], p. 543). Ce choix théorique [3] l’empêche de résoudre son problème par la maximisation d’une intégrale ?0? { U ( xt ) ) ? V ( at ) ) } dt, intégrale qui est indéfinie. C’est une des raisons qui le conduit à poser l’existence d’un niveau de saturation de la satisfaction nette collective. Après avoir remarqué que la satisfaction nette globale est une fonction croissante du montant de capital, Ramsey envisage successivement deux possibilités. La première consiste à supposer un niveau de saturation de la satisfaction nette, issu soit d’une saturation du capital, soit d’une saturation intrinsèque de la satisfaction à un niveau nommé « le niveau maximum de satisfaction concevable ». La deuxième possibilité est de supposer que la satisfaction nette de la communauté ne cesse jamais d’augmenter. Deux éventualités logiques se présentent de nouveau : ou le taux de satisfaction croît à l’infini, cas éliminé par Ramsey [1], ou il s’approche de façon asymptotique d’une limite finie, limite qui est égale ou non au taux maximal concevable de satisfaction nette. Cette limite est appelée le taux maximal de satisfaction réalisable. Ramsey fait à cet instant largement appel au bon sens de ses lecteurs pour admettre l’existence de B. Pourtant, l’hypothèse est très précise. Ces développements affirment en filigrane qu’il existe nécessairement une borne supérieure à l’ensemble de définition de la fonction de satisfaction nette (le taux maximal concevable) et que cette fonction croissante admet une limite finie B, le taux maximal réalisable [2]. Cette limite donne en définitive la condition terminale nécessaire à toute définition d’une trajectoire optimale d’une variable d’état. L’exercice consiste donc à déterminer une politique d’épargne qui permette de tendre vers B en un temps infini. Il reste ainsi une étape nécessaire à la démonstration : l’identification de la constante K à B. Or, Ramsey ne parvient pas à cette étape dans sa première démonstration, qu’il abandonne à l’équation (4). Deux nouvelles démonstrations prennent alors le relais.

Les démonstrations mathématiques

13Ramsey remarque alors que la règle (4) peut être plus directement obtenue comme résultat d’un programme d’optimisation de la satisfaction nette intertemporelle de la communauté. Le problème est de minimiser l’intégrale ?0? { B ? ( U ( x ) ? V ( a ) ) } dt, c’est-à-dire de minimiser la somme de l’écart entre la satisfaction nette U ( xt ) ) ? V ( at ) ) courante et le niveau de béatitude, sous contrainte technique, résumée par l’équation (1). C’est ici que se révèle l’importance de B, qui permet de résoudre le problème sans préférence pour le présent. C’est aussi un moment important dans l’histoire de la formalisation économique : l’idée d’introduire, dans l’analyse économique, le calcul des variations. Lorsque Ramsey pose son problème en termes d’optimisation, il indique que l’outil mathématique adapté serait le calcul des variations. Il ne fait pourtant qu’allusion à cette méthode :

14

« Notre problème est de minimiser l’intégrale. Si nous appliquons immédiatement le calcul des variations, et en utilisant l’équation (1), nous obtenons à nouveau les équations (2) et (3); mais si au lieu de cela, nous commençons par changer la variable indépendante en c, nous obtenons une formidable simplification. » (1928, p. 547.)

15Suite à la substitution de la variable c à la variable t, le problème revient à minimiser : ?c0?B?U(x)+V(a)f(a,c)?x dc [3].

equation im5

Ramsey propose alors de minimiser la fonction intégrée, énonçant une condition de premier ordre obtenue en annulant la dérivée par rapport à x de cette fonction, ce qui le conduit au résultat attendu : Ramsey obtient ainsi la règle recherchée, B intervenant cette fois-ci naturellement. Il déduit de la comparaison de (4) et de (5), l’identité de K et B. B permet ainsi l’articulation entre la démonstration économique et les démonstrations mathématiques.

16Cette résolution astucieuse laisse un vague sentiment de frustration. Les deux pistes précédentes sont certes complémentaires, mais elles se rejoignent intuitivement et non formellement grâce à la définition de B. Il est dès lors étonnant que Ramsey ait si promptement éclipsé la voie du calcul des variations. Tout en faisant effectivement apparaître les équations (2) et (3), si importantes à la compréhension du raisonnement mené ici et à son interprétation économique, cette méthode permettait en outre de démontrer la règle (5), la définition de B étant suffisamment précise pour donner la condition terminale et caractériser les équations différentielles issues des équations d’Euler.

La démonstration implicite : le calcul des variations

17Reprenons tel quel le problème de Ramsey, en évitant les raisonnements anachroniques du contrôle optimal. Le problème revient à minimiser l’intégrale : sous contrainte d’accumulation du capital : c ? = fa, c ) ? x. ( 1 )

equation im6

18Cette intégrale peut encore s’écrire J = ?? ( B ? U ( fa, c ) ? c ? ) + V ( a ) ) dt, 0 qui est une intégrale de la forme ?0? F ( t, c, c ?, a ) dt. Il est ainsi possible d’envisager une application des résultats traditionnels du calcul des variations.

19Les conditions d’Euler [1] s’écrivent :

equation im7

La première condition permet d’obtenir l’équation (3) de la « démonstration économique [2] ». La deuxième condition mène directement à l’équation (2) [3]. Ramsey suppose connue la valeur c0 du capital à l’instant initial. La condition terminale est définie de façon dérivée par la définition de B : c doit tendre vers la valeur finie de capital accumulé c ˆ associée à la satisfaction maximale réalisable, B. Ces précisions suffisent à définir les constantes nécessaires à la détermination complète des solutions. Nous pouvons de plus remarquer qu’en l’absence d’un taux de préférence pour le présent, t n’intervient qu’indirectement dans l’intégrale à minimiser. Dans ce cas, il est possible d’utiliser l’équivalence suivante :

equation im8

où K est une constante à déterminer en fonction des conditions initiales connues. L’équation ( a ? ) conduit à la règle d’allocation optimale obtenue par Ramsey : B ? U ( x ) + V ( a ) ? c ? ux ) = K. Il est possible de déterminer la valeur de la constante K en remarquant que lorsque t tend vers l’infini, la satisfaction nette doit par hypothèse tendre vers B. L’utilité marginale de la consommation, elle, tend vers zéro. La constante K est donc nécessairement nulle, ce qui correspond à la règle de Ramsey. Ces observations tendent à montrer que le problème était suffisamment bien défini par Ramsey pour lui permettre une utilisation du calcul des variations et ce malgré l’absence de résultats généraux sur l’application de cette méthode en horizon infini. La définition de B semble même directement imposée par une application du calcul des variations.

20Ainsi, il apparaît que ce que l’on considère aujourd’hui comme un des principaux apports de Ramsey à l’analyse économique, l’introduction des méthodes d’optimisation dynamique, guide effectivement en arrière-plan l’ensemble de la démonstration économique, mais qu’elle n’était sans doute que secondaire dans l’esprit de Ramsey. Les méandres de cette argumentation nous apparaissent alors révélateurs tant de la position originale de Ramsey à Cambridge, que de son ambition de construire une théorie complète de l’épargne optimale.

LES MATHÉMATIQUES COMME SELF-CONTROL

21Les caractéristiques entrevues précédemment suffisent à montrer l’originalité de cette contribution dans le Cambridge des « années de haute théorie [1] ». La théorie macroéconomique de Ramsey est normative [2]; elle repose sur la transposition des raisonnements marginalistes au comportement de la communauté assimilée à un planificateur omniscient et bienveillant et perpétue ainsi l’intérêt des théoriciens marginalistes pour l’allocation des ressources rares en information parfaite. Le cadre de réflexion est alors un cadre d’équilibre. Outre ce « coup de force » théorique [1], Ramsey entend, et c’est ce qui nous intéresse ici, fonder cette théorie sur une argumentation mathématique.

22Le choix d’une théorie mathématique était incontournable pour Ramsey. L’ensemble de son œuvre, antérieure ou contemporaine de l’article de 1928, met l’accent sur le pouvoir de clarification de la pensée détenu par le langage mathématique, conçu chez Ramsey comme une extension de la logique [2]. Plus qu’un outil de transcription opérationnelle du réel, logique et mathématiques sont chez Ramsey la norme de tout discours porteur de sens. Ils délimitent les propositions significatives, par opposition aux propositions vides de sens ou absurdes. Cette fonction peut être résumée dans une expression empruntée par Ramsey à C.S. Peirce : logiques et mathématiques jouent un rôle de « self control » ([1991], p. 227).

23En outre, l’ambition affichée est celle de la formulation d’une théorie complète de l’épargne. L’article de 1928 ne se résume pas à sa première section. Les sections ultérieures sont une application de la règle obtenue au cas d’un individu price-taker à durée de vie finie, problème théorique qui autorise cette fois l’introduction d’un taux d’escompte d’utilité, puis à l’étude de classes d’individus différenciés par leur taux d’escompte d’utilité. Ces extensions successives sont conditionnées par le caractère mathématique de cette règle. Un passage célèbre de l’article fait part de la suggestion de Keynes selon laquelle une énonciation intuitive de la règle était possible, mais, nous dit Ramsey :

24

« Ce simple raisonnement ne peut malheureusement pas être appliqué quand nous prenons en compte un taux d’escompte de l’utilité, et j’ai ainsi retenu mes équations (1)-(4), qui peuvent aisément être étendues à des problèmes plus difficiles. » ([1928], p. 548.)

25Au regard de ces considérations, il est surprenant que Ramsey n’ait pas directement utilisé le calcul des variations. Ses détours pédagogiques donnent l’impression d’une démonstration hésitante, notamment lorsqu’il s’agit de traiter de situations théoriques où sont introduits des taux d’escompte d’utilité et des problèmes d’optimisation sur une durée finie T. Dans ces configurations, le recours au calcul des variations aurait été plus simple que les révisions successives de la règle initiale, plus direct aussi que les raisonnements graphiques que propose alors Ramsey. Le choix de ces raisonnements graphiques, qui apportent peu eu égard à sa résolution analytique, confirme ses préoccupations pédagogiques.

26La réticence affichée de la tradition cambridgienne à la mathématisation des théories économiques peut en partie expliquer la prudence avec laquelle Ramsey introduit l’optimisation intertemporelle. Il semble en effet se restreindre à l’usage de méthodes mathématiques déjà largement diffusées chez les économistes. Dans cet article, les mathématiques sont indispensables, mais mobilisées au service de la construction d’une nouvelle théorie de l’épargne, fondée sur une règle générale susceptible de guider la décision collective ou individuelle. Cette incursion de Ramsey dans la théorie économique n’est par exemple pas construite sur le mode de ce qu’Israël appelle « l’analogie mathématique [1] ». Ramsey considère l’économie comme une science douée de concepts et de raisonnements qui lui sont propres [2]. L’intérêt de sa contribution réside alors dans l’éclairage du mathématicien sur un problème économique et non dans l’importation de nouvelles techniques. Il ne transpose pas par analogie un système d’équations issues par exemple de la théorie physique et dont il disposerait a priori. Il ne s’agit pas de convaincre les économistes de l’intérêt de nouvelles méthodes d’optimisation; cela demanderait une justification rigoureuse de la pertinence de tels outils, justification qui importe peu. Ramsey est à la fois moins et plus ambitieux que cela. Il semble vouloir se restreindre à l’usage de techniques mathématiques déjà banalisées dans les travaux des économistes, mais dans le but évident de convaincre de la pertinence et de la généralité de sa règle d’allocation de l’épargne.

CONCLUSION

27L’étude des démonstrations à l’œuvre dans la première section de l’article révèle ainsi une tension permanente entre la nécessité d’utiliser les mathématiques et la volonté d’asseoir la légitimité de sa théorie économique.

28Sans mathématiques, il n’est possible pour Ramsey ni de « surmonter l’obstacle de la complexité » ([1991], p. 38), ni d’établir de règle généralisable. Néanmoins, la théorie que trace Ramsey est autant économique que mathématique. Le concept de béatitude occupe à ce titre une place stratégique et ambiguë. Si la solution du problème posé est suspendue à son savoir-faire de mathématicien, l’intérêt de sa démonstration réside non dans l’exposition plaquée de ce talent de mathématicien, mais dans le potentiel « législatif » de la modélisation, appliquée à des raisonnements économiques. Importer en économie une méthode mathématique trop peu connue des économistes, tel le calcul des variations, serait perdre l’avantage fondamental du recours aux mathématiques : leur pouvoir de self-control.

Notes

  • [*]
    Université Paris IX et GRESE, Université Paris I, 106-112 boulevard de l’Hôpital, 75013 Paris ((mgaspard@ univ-paris1. fr). Je remercie vivement Nicolas Chaigneau, Bernard Guerrien, Jean-François Jacques et Olivier Robert, ainsi que les intervenants de la session « Croissance et cycles » du congrès de l’AFSE (septembre 2000).
  • [1]
    Ces fonctions sont des fonctions du temps, ce que nous ne signifions pas systématiquement pour alléger les notations.
  • [2]
    Nous pensons qu’il est erroné de parler ici d’une première utilisation d’un agent représentatif. Ramsey considère alternativement le comportement d’une nation à durée de vie infinie et celui d’un individu à durée de vie finie.
  • [3]
    Ramsey semble proposer une analyse en termes réels, où le bien sert de numéraire.
  • [1]
    Dans ce système planifié, cette égalité n’est pas une condition d’allocation optimale des ressources mais un résultat dérivé, le taux d’intérêt apparaissant comme un prix implicite.
  • [2]
    Nous renvoyons ici à l’article de 1928 pour le détail de la démonstration.
  • [3]
    Ce choix tient, nous semble-t-il, plus à un impératif de cohérence interne des hypothèses ? l’escompte d’utilité résultant d’un défaut de perception dont ne peut être taxé un planificateur omniscient ? qu’à l’adoption d’un critère éthique utilitariste, que Ramsey refuse par ailleurs ([1926], p. 69). Ramsey en effet introduit un taux d’escompte d’utilité lorsqu’il s’intéresse à l’allocation du revenu d’un agent à durée de vie finie.
  • [1]
    Car « les causes économiques ne peuvent conduire à plus qu’un taux fini de satisfaction, le taux concevable de satisfaction maximale » ([1928], p. 545).
  • [2]
    Ainsi, la saturation de la satisfaction imputée à une saturation de la consommation implique l’existence d’une valeur finie de consommation x ˆ, telle que U ( x ˆ ) ? V ( a ˆ ) = sup { U ( x ) ? V ( a ) }. Cette alternative est alors associée x ? 0 à la deuxième possibilité sélectionnée par Ramsey, dans laquelle B = lim { U ( xt ) ) ? V ( at ) ) }. t ? ?
  • [3]
    Une transformation plus rigoureuse fixerait comme borne supérieure de l’intégrale le niveau de capital fini correspondant au capital accumulé en B.
  • [1]
    Notons que les conditions de Legendre sont vérifiées.
  • [2]
    Le premier membre de l’équation (a) donne : F?c = ? U? ( x ) ? f ?ca, c ), le second d d membre : dt F?c? = dt ( ? U? ( fa, c ) ? c ? ) ? ( ? 1 ) ). L’égalisation de ces deux expressions conduit bien à l’équation d’équilibre intertemporel.
  • [3]
    On a F?a = F?a? = 0, la population étant supposée constante, ce qui conduit à d da ( U ( fa, c ) ? c ? ) ? V ( a ) ) = 0, soit U? ( fa, c ) ? c ? ) ? f ?aa, c ) ? ? ( a ) = 0.
  • [1]
    Expression utilisée par Shackle [1967] pour souligner l’effervescence intellectuelle qui règne à Cambridge dans les années 1920 et 1930, effervescence qui conduit, entre autres, à la disgrâce de l’hypothèse d’information parfaite.
  • [2]
    Ce choix peut être compris à la lumière de la définition que donne Ramsey de toute théorie scientifique, conçue comme une « règle de jugement » (Ramsey [1929]) devant guider des hommes rationnels dans la « planification » de leurs actions futures (Gaspard [1999]). Il peut aussi être associé à sa sympathie pour le socialisme (Ramsey [1923]).
  • [1]
    Ramsey introduit ainsi avant Hicks un raisonnement fondé sur la fonction de production agrégée, à laquelle il applique sans état d’âme la théorie de la rémunération des facteurs à leur productivité marginale.
  • [2]
    Selon le projet logiciste que Ramsey adopte au début de sa carrière.
  • [1]
    Ce concept articule la principale grille de lecture adoptée par Israël, pour caractériser la généralisation de la modélisation, dans de multiples domaines scientifiques au début du XXe siècle. Israël précise ainsi ce concept : « recourir à l’analogie mathématique consiste à trouver des analogies dans le sens général et générique du mot, entre des phénomènes parfois très divers, dont l’un au moins se soumet à une description mathématique simple. Une fois ces analogies établies, cette description sera un modèle mathématique pour tous les phénomènes semblables » ([1996], p. 20).
  • [2]
    En témoignent ses interventions informelles à la Apostles Society, où Ramsey discute de questions telles que les avantages comparés d’une économie libérale ou planifiée (Ramsey [1991], p. 291 et suiv.).
Français

Nous proposons, dans cet article, de suivre pas à pas la démonstration originelle de la règle de Ramsey. Cette étude révèle paradoxalement une introduction prudente du calcul des variations, qui nous semble révélatrice tant des ambitions de Ramsey que de sa position atypique à Cambridge.

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

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  • SHACKLE [1967], The Years of High Theory, Inventions and Tradition in Economic Thought, 1926-1939, Cambridge, Cambridge University Press.
Marion Gaspard [*]
  • [*]
    Université Paris IX et GRESE, Université Paris I, 106-112 boulevard de l’Hôpital, 75013 Paris ((mgaspard@ univ-paris1. fr). Je remercie vivement Nicolas Chaigneau, Bernard Guerrien, Jean-François Jacques et Olivier Robert, ainsi que les intervenants de la session « Croissance et cycles » du congrès de l’AFSE (septembre 2000).
Pour citer cet article
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