INTRODUCTION
1L’hypothèse d’anticipations rationnelles résout d’une manière simple et franche le problème de formation des anticipations des agents économiques. Mais son usage, très largement répandu, soulève deux questions : d’une part, ce mode particulier (et particulièrement efficace) de coordination des anticipations est le plus souvent admis et rarement justifié; d’autre part, dans de nombreux modèles, l’existence de plusieurs équilibres requiert la définition d’un critère de sélection. Ce double problème de la justification de l’hypothèse d’anticipations rationnelles et de la sélection d’un équilibre particulier peut être abordé en préconisant de ne retenir que les équilibres vers lesquels convergent certains algorithmes d’apprentissage.
2Ce point de vue motive l’étude présentée ici de l’apprentissage des équilibres à taches solaires stationnaires (ESS) introduits par Azariadis [1981] et par Azariadis-Guesnerie [1982]. Ces équilibres à anticipations rationnelles stochastiques se définissent comme des distributions de prix parfaitement corrélées à un processus aléatoire markovien extrinsèque (taches solaires). Un résultat, qui peut contredire une première intuition [1], est que ces équilibres, bien que plus complexes que l’état stationnaire, sont parfois susceptibles d’être appris. C’est ce que montrent notamment, pour différents algorithmes d’apprentissage adaptatifs, Evans [1989], Woodford [1990], Evans-Honkapohja [1994] et Dawid [1996]. En outre, Marimon, Spear et Sunder [1993] présentent des preuves empiriques de convergence vers des équilibres à taches solaires.
3Le critère d’apprentissage retenu ici est « divinatoire » plutôt qu’adaptatif. Cette modélisation de la formation des anticipations utilise l’analogie entre équilibre à anticipations rationnelles et équilibre de Nash [2] : à un équilibre à anticipations rationnelles, les prévisions d’un agent ne sont exactes que lorsque les autres agents anticipent également l’équilibre et agissent en conséquence. Plus précisément, l’approche « divinatoire » s’inspire des concepts d’élimination répétée de stratégies de la théorie des jeux [3]. Elle consiste à supposer que chaque agent ignore a priori les anticipations et les actions des autres et qu’il doit faire l’effort de deviner celles-ci par un raisonnement au cours duquel il tire toutes les conséquences d’hypothèses de connaissance commune (CC). Cet exercice a lieu préalablement à la prise de toute décision. Il est mené individuellement, sans communiquer avec personne et sans recourir à des observations de réalisations passées de l’économie.
4Cette approche, développée initialement par Guesnerie [1992] et dont une présentation synthétique est donnée dans Guesnerie [1999], vise à déterminer les conditions sous lesquelles la CC de l’équilibre à anticipations rationnelles est une conséquence des hypothèses de CC de la rationalité de tous les agents et de CC du modèle (et également d’une hypothèse de CC d’une restriction a priori des prix à un voisinage de l’équilibre considéré si l’apprentissage est local). Lorsque de telles conditions sont réalisées, chaque agent est à même de deviner que l’équilibre est la seule situation envisageable et décide par conséquent de jouer sa stratégie d’équilibre. L’équilibre est alors (localement) fortement rationnel, suivant la terminologie de Guesnerie [1992]. Dans le cas contraire, chaque agent peut seulement conclure qu’un ensemble de situations sont également plausibles. Le critère divinatoire ne permet pas alors de prédire l’équilibre et la coordination sur l’équilibre à anticipations rationnelles ne peut pas résulter des seules hypothèses de CC.
5On applique ici le critère d’apprentissage divinatoire aux ESS du modèle à générations imbriquées d’Azariadis [1981] qui est utilisé par une grande partie de la littérature sur les taches solaires [1]. Il existe deux contextes institutionnels différents du modèle. Ceux-ci définissent les mêmes équilibres, mais la convergence d’un processus d’apprentissage est a priori sensible au choix d’un contexte. On se restreint ici au seul cas où les agents décident de leur offre de travail avant de connaître le salaire courant. Ils doivent donc anticiper à la fois les prix courants et futurs et ils choisissent une quantité de travail [2]. Ce cas est celui envisagé par Evans [1989], Woodford [1990] et Dawid [1996].
6On caractérise la stabilité en termes de l’élasticité de l’offre de travail, puis on donne deux conditions suffisantes d’existence d’ESS localement fortement rationnels. La première résulte du théorème de Poincaré-Hopf. Elle est analogue aux résultats obtenus par Evans [1989] pour un critère de E-stabilité et par Woodford [1990] pour un apprentissage adaptatif. La seconde condition montre que des ESS localement fortement rationnels existent parfois dans un voisinage arbitrairement petit d’un état stationnaire qui n’est pas lui-même fortement rationnel. Elle s’obtient par un argument de bifurcation locale. C’est, à notre connaissance [3], le seul résultat de convergence d’un algorithme d’apprentissage vers un ESS voisin d’un état stationnaire.
7La section 2 présente le modèle, l’application d’équilibre temporaire et les équilibres. La section 3 définit les hypothèses de CC et le critère de stabilité divinatoire. La section 4 caractérise la stabilité locale des équilibres à taches solaires et donne les deux résultats d’existence d’équilibres stables. La section 5 constitue une brève conclusion.
MODÈLE ET ÉQUILIBRES
8Le modèle considéré est le modèle à générations imbriquées d’Azariadis [1981]. Chaque génération se compose d’agents infinitésimaux et identiques vivant deux périodes et est identifiée au segment { 0,1 }. Un agent maximise u ( c ) ? v ( l ) où l est son offre de travail quand il est jeune et c sa consommation, une fois vieux, de l’unique bien produit dans l’économie. Les fonctions u et v satisfont des conditions traditionnelles de régularité, de concavité et de comportement aux bornes garantissant notamment l’existence d’une solution intérieure unique au problème d’optimisation individuel. La technologie de production transforme une unité de travail en une unité de bien. Les revenus salariaux des jeunes sont épargnés sous forme monétaire. Les marchés du travail et du bien sont concurrentiels. Le prix pt du bien à la période t est donc égal au salaire nominal de la même période et le taux d’intérêt réel Rt = pt / pt+1 est le salaire réel.
9Dans le cas déterministe, i.e. lorsque l’anticipation de taux d’un jeune agent est certaine, notée Re, l’offre de travail déterministe individuelle est une fonction L ( Re ) du taux anticipé. Lorsque les anticipations de toute une génération sont homogènes, L ( Re ) est également l’offre de travail agrégée. On note e ( 1 ) = L? ( 1 ) /L ( 1 ) l’élasticité de l’offre de travail à l’état stationnaire.
10On vérifie que, la masse monétaire étant constante et normalisée à 1, la condition d’équilibre du marché des biens 1/ pt = L ( pt / pt+1 ) définit implicitement une application de prévision parfaite pt = f ( pt+1 ). Un état stationnaire se définit comme un point fixe p * de f, un cycle comme un couple de prix ( pL, pH ) vérifiant pL ? pH, pL = f ( pH ) et pH = f ( pL ), et, de façon générale, un équilibre de prévision parfaite (ou équilibre à anticipations rationnelles déterministe) comme une suite de prix pt satisfaisant la relation de récurrence pt = f ( pt+1 ). Sous les hypothèses déjà posées, le modèle admet un unique état stationnaire. Celui-ci est dit indéterminé lorsqu’il n’est pas localement unique dans l’ensemble des équilibres de prévision parfaite (pour une topologie usuelle). L’indétermination se caractérise donc par l’existence d’équilibres convergeant vers p *, i.e. par la condition | f ? ( p* ) | > 1 ou par e ( 1 ) < ? 1/2. L’indétermination d’un cycle se définit de la même façon, et est caractérisée par la condition | f ? ( pL ) f ? ( pH ) | > 11.
11Un processus de taches solaires st est une chaîne de Markov à deux états a et b avec des probabilités de transition stationnaires : ?jk est la probabilité que l’état k soit observé demain si l’état j est observé aujourd’hui. Un processus est donc caractérisé par ( ?aa, ?bb ). Quoique st ne soit corrélé a priori à aucun des « fondamentaux » de l’économie, les agents croient possible la corrélation de pt avec st qui est observé publiquement au début de la période t. Les anticipations de taux d’un jeune agent observant s se composent alors de deux variables aléatoires Rsa et Rsb, Rss? étant le taux réel qui prévaudra si s ?est observé demain [2]. Si l’état s est observé, la fonction d’offre de travail individuelle dérivée de la maximisation de l’espérance d’utilité de l’agent est notée Ls ( Rsa, Rsb ). On note que Ls est l’offre de travail agrégée dès lors que les anticipations sont communes.
12Une seule hypothèse contraint a priori les anticipations.
HYPOTHÈSE 1 (croyances stationnaires). Tous les agents croient que le prix est parfaitement corrélé à un même processus de taches solaires.
14Un agent anticipe donc que le prix dans un état donné a ou b restera constant
au cours du temps, i.e., le taux réel satisfait Raa = Rbb = 1 et Rab = 1/Rba. Cette
hypothèse est forte : les agents croient que la seule source de volatilité du prix est
le processus de taches solaires. Mais l’hypothèse n’interdit pas que les anticipations des agents demeurent hétérogènes, stochastiques ou également indépendantes des taches solaires. Dans la suite, on adopte la notation suivante : les
anticipations du jeune agent i sont représentées par les variables aléatoires p ˜ai et
p ˜bi qui sont les distributions de prix anticipé dans les états a et b respectivement.
On est maintenant en mesure d’écrire l’application d’équilibre temporaire qui
détermine les prix observés à chaque période comme une fonction des prix
anticipés. L’écriture de cette application nécessite de préciser la chronologie des
opérations. On choisit de supposer que les jeunes agents ne conditionnent pas
leur décision au prix courant et décident d’une quantité de travail, et non d’une
courbe d’offre. Précisément, après avoir observé la réalisation s du processus de
taches solaires, chaque jeune agent i forme des anticipations de prix p ˜ai et p ˜bi et
en déduit une quantité de travail optimale Ls ( p ˜si / p ˜ai, p ˜si / p ˜bi ). La production est
alors réalisée. C’est seulement ensuite qu’est déterminé le prix courant ps, t
auquel les transactions sont effectuées. Chaque vieil agent soumet la fonction de
demande de biens mj / ps, t où mj est la quantité de monnaie qu’il détient. La
demande agrégée de biens est donc 1/ ps, t et le prix ps, t est défini par l’équilibre
du marché des biens dans l’état s = a, b qui s’écrit :

15Pour un processus ( ?aa, ?bb ) donné, un équilibre à taches solaires stationnaire (ESS) tel qu’il est introduit par Azariadis [1981] et par Azariadis-Guesnerie [1982] est un point fixe ( pa, pb ) de Q(?aa,?bb)D vérifiant pa ? pb. L’état stationnaire ( p *, p * ) est également un point fixe de Q(?aa,?bb)D et, si ?aa = ?bb = 0, un ESS est simplement un cycle.
16L’existence des ESS dans le modèle considéré ici a été largement étudiée. On rapporte les deux résultats suivants sur lesquels se fondent les résultats de stabilité de la section 4. Le premier est dû à Azariadis-Guesnerie [1982,1986] et le second à Azariadis [1981].
RÉSULTAT 1. i ) Si e ( 1 ) < 0 et ?aa + ?bb < 2 ? | e ( 1 ) |? [1], alors il existe (au moins) deux ESS associés à ( ?aa, ?bb ).
ii ) Pour tout ? > 0, il existe (au moins) un ESS ( pa, pb ) tel que sup | pa ? p* |, | pb ? p* | < ? si et seulement si l’état stationnaire est indéterminé, i.e. e ( 1 ) < ? 1/2.
COORDINATION DIVINATOIRE ET ÉQUILIBRES FORTEMENT RATIONNELS
18Le critère de coordination divinatoire repose sur les hypothèses de CC de la rationalité (bayésienne) des agents et de la connaissance du modèle. Supposer qu’un agent est rationnel signifie simplement que l’agent maximise une espérance d’utilité pour une certaine croyance, qui, à ce stade de l’analyse, peut être arbitraire. Concernant la connaissance de l’économie, il est suffisant de supposer CC le lien entre anticipations et réalisations des variables endogènes tel qu’il est caractérisé par l’application d’équilibre temporaire. Il convient également de supposer que l’hypothèse de CC s’entend au sein de toutes les générations, présente et futures. Ceci amène à énoncer l’hypothèse suivante :
HYPOTHÈSE 2. On considère un processus de taches solaires ( ?aa, ?bb ). Il est CC parmi les agents vivant à la période t que :
- pour tout t ? ? t, les agents vivant à t sont rationnels et savent que les prix à t ?sont déterminés par les anticipations des jeunes agents de t ?suivant l’application Q(?aa,?bb)D;
- pour tout t ? ? t, le point i ) est satisfait pour les agents vivant à t ?, i.e. pour tout t ? ? t ?, il sera CC parmi les agents vivant à la période t ?que les agents vivant à t ? sont rationnels et savent que les prix à t ? sont déterminés par les anticipations des jeunes agents de t ? suivant l’application Q(?aa,?bb)D.
20Cette hypothèse implique la CC qu’à chaque période, tous les agents prennent en compte le même processus de taches solaires, et seulement celui-ci.
21Pour permettre une analyse locale, on définit une restriction garantissant qu’il est CC que les prix demeurent au voisinage de l’ESS. Cette restriction a la même structure que les hypothèses de CC précédentes.
DÉFINITION 1. Une restriction locale CC associée à un ESS ( pa, pb ) consiste en deux intervalles ?s0 ? { ps ? ?0, ps + ?0 }, s = a, b, où ?0 est une constante réelle positive vérifiant ?0 < min | p* ? pb |, | p* ? pa |, et telle que, pour tout t ? ? t et t ? ? t ?, il est CC parmi les agents vivant à t qu’il sera CC parmi les agents vivant à t ?que les prix à t ? seront dans ?s0 si l’état s est observé à t ?.
23On définit de façon analogue une restriction locale CC associée à l’état stationnaire.
24On est maintenant en mesure de construire le raisonnement de coordination
divinatoire sur un ESS ( pa, pb ) associé à un processus de taches solaires
( ?aa, ?bb ). À une période t donnée, ce raisonnement est mené par les jeunes
agents comme suit. Le point de départ est l’existence d’une restriction locale CC
( ?a0, ?b0 ). Au cours d’une première étape, les agents vivant à t tiennent compte
du fait que les agents vivant à t + 1 sont rationnels et qu’ils anticipent des prix
à t + 2 dans ( ?a0, ?b0 ). Ils déduisent ainsi de leur connaissance de l’application
QD que les prix à t + 1 appartiendront à un certain ensemble ?s1 selon l’état s
observé à t + 1. Cet ensemble ?s1 est la restriction de ?s0 à l’image par QsD
d’anticipations dans ?a0 et ?b0, i.e. :



DÉFINITION 2. Supposons que les agents observent un processus de taches solaires ( ?aa, ?bb ). Un ESS ( pa, pb ) associé à ce processus est localement fortement rationnel (ou localement stable) s’il existe une restriction locale CC ( pour s = a, b.
?a0, ?b0 ) de l’ESS telle que lim n ? + ? ?sn = [ ps ]
26On définit de façon identique la stabilité de l’état stationnaire en présence d’un processus fixé quelconque [1], ou d’aucun processus (on se convainc facilement que ce dernier cas est représenté correctement par le cas ( ?aa, ?bb ) = ( 1,1 ) ).
27Le lemme suivant caractérise la stabilité d’un ESS d’une façon qui permettra le calcul explicite de conditions d’existence d’équilibres stables [2].
LEMME 1. Un ESS associé au processus ( ?aa, ?bb ) est localement fortement rationnel si et seulement si les modules des deux valeurs propres de la matrice jacobienne de l’application Q(?aa,?bb)D évaluée à l’ESS sont strictement inférieurs à 1.
29La portée de ce résultat n’est pas strictement technique. En effet, sous l’hypothèse d’anticipations communes et ponctuelles, le lemme se déduit immédiatement de la définition de la stabilité qui stipule simplement que Q(?aa,?bb)D est contractante localement. Il signifie donc que, dans le modèle considéré, le relâchement de l’hypothèse d’anticipations communes et ponctuelles n’introduit pas de difficultés supplémentaires de coordination [1]. On caractérise de façon analogue la stabilité d’un état stationnaire pour un processus de taches solaires donné.
CONDITIONS DE STABILITÉ LOCALE
30La première proposition caractérise la stabilité d’un ESS, d’un cycle et celle (Lj Rjk d’un état stationnaire en termes d’élasticités. On note l’élasticité ejk = (Rjk Lj de l’offre de travail dans l’état j par rapport au taux Rjk = pj, t / pk,t+1 calculé lorsque l’état j est observé aujourd’hui et l’état k demain.
PROPOSITION 1. Si les agents observent le processus de taches solaires
( ?aa, ?bb ),
- un ESS associé à ce processus est localement fortement rationnel si et
seulement si | eab + eba | < 1,- l’état stationnaire est localement fortement rationnel pour ce processus si et seulement si ?aa + ?bb > 2 ? 1/ | e ( 1 ) |.
32Le point i ) confirme les intuitions générales de stabilité divinatoire données dans Guesnerie [1999] : la stabilité s’obtient quand l’offre de travail n’est pas trop élastique, i.e. quand les décisions des agents ne sont pas trop sensibles à leurs anticipations. Dans le cas ( ?aa, ?bb ) = ( 1,1 ), le point ii ) traduit simplement le fait qu’en l’absence de processus de taches solaires, l’état stationnaire est stable. En effet, l’hypothèse de croyances stationnaires implique immédiatement que les agents anticipent un taux réel R = 1, i.e. ils anticipent un état stationnaire.
33En outre, la proposition montre que la stabilité d’un équilibre déterministe (état stationnaire ou cycle) est liée, en partie seulement, à sa détermination [2]. On vérifie en effet que le point i ) appliqué à ( ?aa, ?bb ) = ( 0,0 ) montre que la stabilité d’un cycle équivaut à sa détermination lorsque les deux prix du cycle sont le long d’une même branche décroissante de l’application f de prévision parfaite, mais que cette équivalence est fausse en général (Negroni [2000a] détaille ce point). Le point ii ) montre qu’il existe des processus de taches solaires déstabilisant l’état stationnaire si celui-ci est indéterminé ( i.e. e ( 1 ) < ? 1/2) ou si celui-ci est déterminé et que e ( 1 ) > 1/2.
34La proposition suivante prouve l’existence d’ESS stables pour un processus de taches solaires donné. Elle repose sur l’usage du théorème de Poincaré-Hopf et consiste en fait en une extension, sous des hypothèses supplémentaires sur les préférences, de l’argument d’Azariadis-Guesnerie [1982] et d’Azariadis-Guesnerie [1986] prouvant l’existence d’ESS.
PROPOSITION 2. Supposons que le coefficient d’aversion relative au risque ?u ( x ) = ? xu ? ( x ) / u ? ( x ) est croissant, qu’il existe ? satisfaisant ?u ( ? ) = 1 et que le coefficient d’aversion relative au risque ?v ( x ) = xv ? ( x ) / v ? ( x ) vérifie ?v ( x ) > 1 pour tout x > 0. Alors, si e ( 1 ) < 0 et si les agents observent un processus de taches solaires satisfaisant ?aa + ?bb < 2 ? 1/ | e ( 1 ) |, il existe (au moins) un ESS localement fortement rationnel associé à ce processus de taches solaires.
36Les hypothèses [1] sur ?u, ?v et ?aa font que les ESS exhibés par le théorème de Poincaré-Hopf vérifie la condition de stabilité de la proposition 1. On remarque que les états stationnaires concernés par cette proposition sont tous indéterminés et instables en présence du processus de taches solaires considéré (point ii ) de la proposition 1). Ces résultats suggèrent donc que, dans de telles conditions, des fluctuations endogènes sont une situation plus plausible qu’un état stationnaire.
37La dernière proposition montre l’existence d’ESS stables dans le voisinage d’un état stationnaire indéterminé satisfaisant une condition technique supplémentaire. Pour obtenir ce résultat, on étudie l’application T ( Rabe ) = Lb ( 1/Rabe, 1 ) /La ( 1, Rabe ) dont les points fixes sont l’état stationnaire et les ESS, et qui est paramétrée par le processus de taches solaires. Cette application présente une bifurcation locale du type « fourche » à l’état stationnaire pour une certaine valeur critique du paramètre. Dans les cas où la bifurcation est supercritique, la proposition 1 permet de montrer que, d’un côté de la valeur critique, l’état stationnaire est stable et il n’existe pas d’ESS dans son voisinage et que, de l’autre côté de cette valeur, l’état stationnaire est instable et deux ESS stables apparaissent dans son voisinage. La bifurcation est supercritique lorsque, pour la valeur critique du paramètre, la dérivée troisième de T à l’état stationnaire est négative. Ainsi, l’énoncé précis de la proposition est le suivant [2] :
PROPOSITION 3. Supposons réalisées les deux propriétés suivantes :
Alors, il existe (au moins) deux ESS localement fortement rationnels dans tout voisinage de l’état stationnaire. L’état stationnaire est instable quand les agents observent le processus de taches solaires associé à un de ces ESS stables.
- l’état stationnaire est indéterminé, i.e. e ( 1 ) < ? 1/2,
- T ( 1 ) < 0 au point ?aa = ?bb = 1 ? 1/2| e ( 1 ) | qui est celui où la bifurcation a lieu.
QUELQUES REMARQUES DE CONCLUSION
39On a présenté des résultats illustrant la possibilité de coordination des anticipations sur un équilibre à taches solaires associé à une chaîne de Markov à deux états. Ces résultats montrent que des ESS peuvent être appris, notamment lorsque l’état stationnaire ne l’est pas. Ils plaident donc en faveur de la plausibilité des équilibres à taches solaires dans certains cas. L’apprentissage divinatoire envisagé ici décrit un processus mental au cours duquel chaque agent tire individuellement les conséquences d’hypothèses de CC. L’analyse est restreinte à un modèle à générations imbriquées dans lequel les agents sont identiques et décident d’une quantité de travail. Negroni [2000b] étend l’analyse au cas où les agents sont hétérogènes et Desgranges-Negroni [2000] montrent que les conditions de stabilité sont sensibles au contexte institutionnel en étudiant le cas où les agents décident d’une fonction d’offre de travail.
Notes
-
[*]
THEMA, Université de Cergy-Pontoise, 33, boulevard du Port, 95011 Cergy-Pontoise Cedex. E-mail : gabriel. desgranges@ eco. u-cergy. fr
-
[**]
ITEMQ, Université catholique de Milan, Universita’ Cattolica, Via Necchi 5, 20123 Milan, Italie. E-mail : ggiorgion@ mi. unicatt. it Ce texte, qui constitue la communication faite par le premier auteur au ILe congrès annuel de l’AFSE, résume une partie de Desgranges-Negroni [2000]. En particulier, tous les résultats cités sont extraits de Desgranges-Negroni [2000].
-
[1]
Lucas [1986] conjecturait que l’état stationnaire serait le seul équilibre sélectionné par des algorithmes d’apprentissage « raisonnables ».
-
[2]
Ce constat remonte au moins à Townsend [1978].
-
[3]
De la rationalisabilité de Bernheim [1984] et de Pearce [1984], par exemple.
-
[1]
Voir les revues de littérature par Chiappori-Guesnerie [1992] et Guesnerie-Woodford [1991b].
-
[2]
Dans le second contexte institutionnel, les agents conditionnent leur offre de travail au salaire courant, ils soumettent ainsi une fonction d’offre de travail à un commissairepriseur walrassien. C’est le cas envisagé dans Evans-Honkapohja [1994] et dans la seconde partie de Desgranges-Negroni [2000].
-
[3]
Grandmont [1985] et Guesnerie-Woodford [1991a] utilisent des arguments analogues de bifurcation pour démontrer l’existence de cycles « stables ».
-
[1]
Ces définitions et résultats sont présentés par exemple dans Chiappori-Guesnerie [1992].
-
[2]
On définit ici les anticipations de la façon la plus générale qui soit : la logique de l’apprentissage veut qu’on ne restreigne pas a priori l’ensemble des anticipations possibles.
-
[1]
Par contre, la stabilité d’un ESS est envisagée seulement sous l’hypothèse que toutes les générations croient en le processus de taches solaires associé à l’équilibre, et seulement en celui-ci. L’analyse présente n’inclut donc pas un critère de « E-stabilité forte » comme celui introduit dans Evans [1989] et Evans-Honkapohja [1994].
-
[2]
La démonstration de ce résultat, comme de tous ceux de ce texte, figure dans Desgranges-Negroni [2000].
-
[1]
Tous les agents étant identiques, ce résultat est cohérent avec l’analyse par Evans-Guesnerie [1993] du rôle de l’hétérogénéité dans l’apprentissage d’un équilibre.
-
[2]
C’est une idée ancienne que le succès de l’apprentissage est souvent lié à la détermination de l’équilibre. Voir Chiappori-Guesnerie [1992] et Guesnerie-Woodford [1991b]. Entre autres références récentes, voir également Benhabib-Farmer [1999], Gauthier [1999] et Grandmont [1998].
-
[1]
Grandmont [1985] fait des hypothèses voisines.
-
[2]
Comme pour la proposition 2, l’argument utilisé est une extension d’un argument démontrant l’existence d’ESS. L’argument de bifurcartion « fourche » se trouve dans Azariadis-Guesnerie [1986]. La condition sur T s’inspire de l’analyse d’une bifurcation « flip » avec une dérivée schwarzienne de Grandmont [1989].