1Alors que dans une union monétaire, telle que celle instituée en Europe, la politique monétaire est déterminée par une Banque centrale unique, la politique budgétaire continue à être de la responsabilité de chaque gouvernement. On peut alors se demander si une union monétaire ne nécessite pas davantage que ne le feraient d’autres systèmes de change, de coordonner les politiques budgétaires entre pays membres.
2Or, dans une telle question, l’interdépendance stratégique entre banque(s) centrale(s) et gouvernements joue un rôle important. Ici on se propose d’attirer l’attention sur un aspect particulier de la formalisation de celle-ci. En effet, si on considère l’équilibre non coopératif de Nash, on sait que celui-ci dépend du type de variable de stratégie des décideurs politiques [1]. En particulier, le résultat peut être différent selon qu’on prend le taux d’intérêt nominal ou le taux d’inflation comme variable de stratégie de la Banque centrale. Or, il ne semble pas qu’il y ait a priori un choix évident qui s’impose entre ces variables [2]. Il serait donc souhaitable d’examiner si la réponse à la question de savoir si le gain dû à la coordination des politiques budgétaires entre pays est plus grand en union monétaire qu’en change flexible, est sensible ou non à ce choix. Dans un modèle simple à deux pays, où on étudie le policy-mix en réponse à des chocs [3] symétriques, on va montrer que le résultat peut en fait dépendre grandement de ce choix.
CADRE D’ANALYSE
3On considère le modèle symétrique à deux pays suivant :

4Les salaires nominaux wt et wt * sont déterminés à la période précédente par
le secteur privé de manière à minimiser la valeur anticipée Et?1 yt2 ou Et?1 yt *2
de l’écart quadratique de l’output à son niveau désiré, normalisé ici à zéro. A `
partir de (1) on obtient :



5On peut montrer [1] que les variables anticipées vérifient les égalités (où on note
FL le change flexible, U l’union monétaire et où ? dépend du type de variable
de stratégie de la Banque centrale) :




OUTPUT ET INFLATION D’ÉQUILIBRE
6Utilisant la symétrie de la solution, la condition du premier ordre de la
Banque centrale implique qu’on doit avoir à l’équilibre (on supprime désormais
l’indice t ) :

7Utilisant (10), (11) et la symétrie de la solution (qui implique en particulier
q = 0), (13) donne à l’équilibre :


8On peut montrer que le policy-mix optimal consisterait à ne pas utiliser la politique budgétaire ( g = 0 ) et à avoir des politiques monétaires identiques à celle qui s’obtient en union monétaire [1]. D’après (13) et (15) cela correspond à ?U = ?/?. Les valeurs de ? en change flexible, ?FLi et ?FL?, selon que c’est le taux d’intérêt i ou le taux d’inflation ? qui est la variable de stratégie de la Banque centrale, sont données en annexe et vérifient ?FLi < ?U et ?FL? < ?U. D’après (15) et (16), cela implique qu’en change flexible l’output n’est pas assez stabilisé alors que l’inflation l’est trop :

LE TAUX D’INTÉRÊT VARIABLE DE STRATÉGIE
9En change flexible, d’après (3) et (11), on a r = i et r * = i *, et on peut donc prendre les taux d’intérêts réels r et r * comme variables de stratégie. En union monétaire d’après (3), (6) et (11) on a r + r * = i + i * = 2 i et c’est donc r + r * qui sera pris comme variable de stratégie de la banque centrale commune. On obtient les deux propositions suivantes [2] :
PROPOSITION 1. En change flexible, lorsque la variable de stratégie de la Banque centrale est le taux d’intérêt nominal, la coordination des politiques budgétaires est contre-productive. En effet, on a
ce qui implique LFLi, N ? LFLi, C = ? ? b ( b + 2 ) ( gFLi, N )2 < 0.![]()
11En change flexible, r et r *, qui sont les variables de stratégie des banques centrales, sont pris comme donnés par les gouvernements. Par (14), le taux de change réel q l’est donc aussi. Il en résulte que le seul canal de transmission de la politique budgétaire d’un pays à l’autre est celui lié à son effet sur la demande d’importations (terme by * ou by dans (2)). Les deux pays étant, du fait de la symétrie des chocs, dans la même situation, cela implique un effet externe favorable pour l’autre pays, ce qui conduit les gouvernements, quand ils coo-pèrent entre eux, à utiliser davantage la politique budgétaire. Comme on l’a vu, ceci est néfaste.
12Toutefois, pour que, dans chaque pays, le gouvernement utilise sa politique budgétaire ( g ? 0 ) il faut aussi qu’il perçoive un trade-off entre output et inflation différent de celui de la banque centrale (puisque les fonctions de perte sont supposées les mêmes). Cette différence de trade-off perçu vient de ce que la Banque centrale pense pouvoir affecter le taux de change réel, alors que, d’après (14), ce n’est pas vrai pour le gouvernement.
PROPOSITION 2. En union monétaire, lorsque la variable de stratégie de la Banque centrale est le taux d’intérêt nominal, la coordination des politiques budgétaires entre pays est toujours bénéfique car le policy-mix optimal est alors atteint, alors qu’il ne l’est pas en l’absence d’une telle coordination. On a gUi, C = 0 et gUi, N ? 0, ce qui implique LUi, N ? LUi, C = ? ( gUi, N )2 > 0.
14En effet, les gouvernements, lorsqu’ils coopèrent entre eux, perçoivent la symétrie de la solution et considèrent donc qu’ils ne peuvent affecter le taux de change réel, ce qui est également le cas pour la Banque centrale commune. Ils perçoivent donc le même trade-off entre output et inflation que celle-ci et n’utilisent pas la politique budgétaire ( gUi, C = 0 ). Ce n’est plus vrai quand les politiques budgétaires ne sont pas coordonnées entre elles car chaque gouvernement pense qu’il affecte le taux de change réel puisqu’en union monétaire c’est seulement r + r *, et non plus à la fois r et r *, qu’il prend comme donné. D’où l’utilisation de la politique budgétaire ( gUi, N ? 0 ).
15Les propositions 1 et 2 montrent que, lorsque la variable de stratégie de la Banque centrale est le taux d’intérêt nominal, la coordination des politiques budgétaires est bénéfique en union monétaire alors qu’elle est néfaste en change flexible. Ce n’est donc qu’en union monétaire qu’apparaît le besoin de coordonner les politiques budgétaires entre pays.
LE TAUX D’INFLATION VARIABLE DE STRATÉGIE
16En change flexible les variable de stratégie des banques centrales sont maintenant ? et ?*. En union monétaire c’est ? + ?*. On obtient :
PROPOSITION 3. Dans les deux systèmes, change flexible et union monétaire, lorsque la variable de stratégie de la Banque centrale est le taux d’inflation, la coordination des politiques budgétaires entre pays permet d’atteindre la politique budgétaire optimale. On a gFL?, C = gU?, C = 0.
18Quand les gouvernements coopèrent, ils perçoivent la symétrie de la solution et donc le fait qu’on a q = 0, et par conséquent, d’après (13), qu’on doit avoir y = ?? + ? et y * = ??* + ?. En change flexible, où les gouvernements prennent les stratégies des banques centrales ? et ?* comme données, ils prennent donc aussi y et y * comme données. Percevant qu’ils ne peuvent pas affecter les variables d’output et d’inflation, ils n’utilisent donc pas leurs politiques budgétaires ( gFL?, C = 0 ). En union monétaire c’est seulement ? + ?* qui est pris comme donné mais, puisque les gouvernements lorsqu’ils coopèrent perçoivent la symétrie ? = ?*, cela revient aussi à prendre ? et ?* comme données. D’où le même résultat gU?, C = 0.
19La proposition 3 implique qu’on a L?, N ? L?, C = ? ( g?, N )2, c’est-à-dire que le gain dû à la coordination des politiques budgétaires entre pays croît avec le biais | g | qui apparaît en l’absence d’une telle coordination.
PROPOSITION 4. Quand la variable de stratégie de la Banque centrale est le taux d’inflation, en l’absence de coordination des politiques budgétaires on a gFL?, N ? 0 et gU?, N ? 0, et
Or on a | yU | < | yFL? |. De plus, sous la condition ? ( 1 + b ) > a ?, qui est vraisemblablement vérifiée, on a | ( ( q /( g )U? | < | ( ( q /( g )FL? |. Dans ce cas, cela implique | gU?, N | < | gFL?, N |, et par conséquent LU?, N ? LU?, C < LFL?, N ? LFL?, C. Le biais des politiques budgétaires, et donc aussi le gain qui résulte de la coordination des politiques budgétaires entre pays, sont plus petits en union monétaire qu’en change flexible.![]()
21Alors qu’une politique monétaire visant à accroître l’output déprécie le taux de change réel (en change flexible) ou le laisse inchangé (en union monétaire), la politique budgétaire correspondante l’apprécie (voir (21) et (23) dans l’annexe). De ce fait, d’après (13), dans les deux systèmes le trade-off perçu par le gouvernement est plus favorable à la stabilisation de l’output que celui perçu par la Banque centrale, d’où l’utilisation de la politique budgétaire ( gFL?, N ? 0 et gU?, N ? 0) en vue de stabiliser davantage l’output.
22D’après (19) deux facteurs affectent cette comparaison. En premier lieu, l’output étant mieux stabilisé en union monétaire, le gain marginal à le stabiliser davantage est aussi plus petit, d’où une moindre utilisation de la politique budgétaire. En second lieu, la vraisemblable plus petite valeur en union monétaire de l’effet sur le taux de change réel de la politique budgétaire, qui diminue l’écart entre les trade-offs perçus, incite aussi à moins utiliser celle-ci.
23La proposition 4 conduit à un résultat opposé à celui obtenu dans le cas où la variable de stratégie de la Banque centrale est le taux d’intérêt nominal, puisque le gain de la coordination des politiques budgétaires entre pays est ici plus faible en union monétaire qu’en change flexible.
CONCLUSION
24On a montré que l’analyse de la coordination des politiques budgétaires entre pays pouvait conduire à des résultats très différents selon le choix du type de variable de stratégie de la Banque centrale. Lorsque celle-ci est le taux d’intérêt nominal, une telle coordination est contre-productive en change flexible et n’est bénéfique qu’en union monétaire. Lorsque cette variable de stratégie est le taux d’inflation, une telle coordination, qui est bénéfique dans les deux systèmes, conduit à un gain au contraire plus faible en union monétaire qu’en change flexible. Ces résultats ont été obtenus dans un modèle particulier et sous certaines hypothèses simplificatrices (chocs symétriques, mêmes préférences entre Banque centrale et gouvernement). Néanmoins, la présente analyse souligne que, pour le problème considéré, si on formalise l’interaction stratégique entre banque(s) centrale(s) et gouvernement(s) sous la forme d’un équilibre de Nash [1], il convient de ne pas résoudre de manière trop arbitraire la question du choix de la variable de stratégie de la Banque centrale car les résultats peuvent y être très sensibles.
ANNEXE DÉMONSTRATIONS DES PROPOSITIONS
25En change flexible, on a, d’après {(2), (14)}et {(2), (13), (14)} :



26D’après (8) et (13), la condition (L/( g = 0 donne :


27Démonstration de la Proposition 1. En change flexible, d’après (14), on a ( q /( g = 0. Ensuite, ?FLi ? ?/? implique ? yFLi + ??FLi ? 0. Utilisant (13), (20), les relations (24) et (25) donnent alors la Proposition 1.
28Démonstration de la Proposition 2. En union monétaire, on a ?U = ?/? et donc ? y + ?? = 0. La relation (25) donne alors gUi, C = 0 et la relation (24), en utilisant (23), conduit à gUi, N ? 0.
29Démonstration de la Proposition 3. On a ( ( ? + ?* ) /( g = 0 dans les deux systèmes. (25) donne alors gFL?, C = gU?, C = 0.
30Démonstration de la Proposition 4. En change flexible, où ? et ?* sont pris comme donnés, on a (?/( g = 0. En union monétaire, on a ? y + ?? = 0. Donc, dans les deux systèmes, on a d’après (24) g?, N = ( ??/? ) ( ( q /( g ) y. Utilisant (21) et (23), la Proposition 4 s’en déduit, l’inégalité ? ( 1 + b ) > a ? venant de C/ ( 1 + ?A ) < C.
Notes
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[*]
CNRS et CEPREMAP, 142, rue du Chevaleret, 75013 Paris. E-mail : ddaniel. laskar@ cepremap. cnrs. fr Je remercie Marc-Alexandre Sénégas pour ses commentaires.
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[1]
Pour des exemples, voir Turnovsky et d’Orey [1988], et Sterdyniak et Villa [1993].
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[2]
Prendre le taux d’intérêt nominal pourrait ainsi se justifier par le fait que c’est l’instrument de la politique monétaire utilisé en pratique par la Banque centrale. Quant au taux d’inflation, l’évolution récente de certaines banques centrales vers des objectifs affichés d’inflation pourrait également conduire à retenir celui-ci.
-
[3]
La littérature sur le sujet étudie le policy-mix en examinant principalement le problème de la crédibilité ou celui de la stabilisation face à des chocs. C’est ce dernier aspect qu’on considèrera ici.
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[1]
On peut montrer que la recherche de l’équilibre considéré se ramène à une analyse statique où on minimise la fonction de perte de la période. C’est donc ce qu’on fera ici.
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[2]
Le cas où les banques centrales coopèrent entre elles en change flexible conduit à des résultats qualitativement semblables en ce qui concerne la comparaison des gains de la coordination des politiques budgétaires entre pays, même si l’écart en est quantitativement réduit. Il y aurait deux modifications. Dans la Proposition 1 on aurait gFLi,N = gFLi,C = 0 de sorte que la coopération des politiques budgétaires n’y serait plus contre-productive mais seulement inutile. Et dans la Proposition 4 le ratio yU / yFL? serait égal à 1.
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[1]
Utilisant Et yt+j = Et yt+j* = 0, j = 1,2,..., les conditions du premier ordre pour la politique monétaire donnent (11). Utilisant aussi celles pour la politique budgétaire, le modèle conduit à une équation aux différences en Et qt+j du premier ordre en change flexible, et du deuxième ordre en union monétaire. (10) s’en déduit alors.
-
[1]
En effet, comme l’a souligné la littérature, une union monétaire supprime l’inefficience liée aux appréciations et dépréciations compétitives du taux de change réel.
-
[2]
Les démonstrations de toutes les propositions sont données en annexe et on ne donne dans le texte que l’intuition sous-jacente aux résultats.
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[1]
Si toutefois on considérait un équilibre de Stackelberg avec gouvernement leader ou un équilibre conjectural cohérent, ce qu’on trouve aussi dans la littérature sur le sujet, le choix de la variable de stratégie de la Banque centrale ne jouerait plus de rôle. Plus généralement, la question serait donc de savoir comment formaliser cette interaction stratégique de la manière la plus adaptée à la réalité dans une situation donnée, ou d’examiner si les résultats sont sensibles à des formalisations alternatives lorsqu’il n’y a pas d’évidence pouvant imposer un choix précis.