CAIRN.INFO : Matières à réflexion

INTRODUCTION

1Les crises de change des années 1990, à savoir la crise du SME en 1992 et en 1993, la crise du peso mexicain accompagnée de son effet Tequila en 1994 et la crise asiatique en 1997, ont chaque fois impliqué plusieurs pays de la même région géographique, ayant fixé leurs monnaies soit au Deutsche Mark, soit au dollar. Ce phénomène de contagion régionale peut être expliqué par l’existence d’externalités négatives aux dévaluations, spillovers commerciaux par exemple, à l’origine de l’effet « domino » des crises de change. L’existence de ces externalités négatives soulève naturellement la question de la coordination et de la coopération internationales dans le contexte des crises de change.

2Dans le contexte des crises de change que nous étudions, le phénomène des anticipations auto-réalisatrices et la multiplicité d’équilibres qu’il implique sont essentiels. Une des questions centrales de cet article est donc d’analyser l’impact de la coordination et de la coopération sur les anticipations des agents et la multiplicité des équilibres. La distinction entre coordination et coopération est, à cet égard, importante. Cette distinction est reprise de Canzoneri et Henderson [1991]. Dans le cas de la coopération, les gouvernements acceptent la perte de leur souveraineté pour minimiser ensemble une fonction de perte commune. Cette solution requiert, pour être crédible, l’existence d’un dispositif de commitment, par exemple sous la forme d’une institution supranationale chargée de faire respecter l’accord entre les gouvernements. Cette exigence extrêmement forte en termes institutionnels fait que nous considérons l’équilibre coopératif comme une référence intéressante du point de vue normatif mais peu réaliste, surtout dans le contexte des crises récentes. Dans le cas de la coordination, les gouvernements choisissent de concert un équilibre non coopératif parmi les équilibres non coopératifs. C’est la muliplicité même des équilibres, engendrée par l’existence d’anticipations autoréalisantes, qui donne donc un rôle naturel à la coordination dans le contexte des crises spéculatives. L’équilibre de coordination est plus réaliste que l’équilibre coopératif puisque les gouvernements n’ont besoin que de communiquer entre eux pour se coordonner, par exemple dans le cadre d’un forum régional. La coordination ne requiert ni abandon de souveraineté, ni mise en place d’une institution supranationale. En effet, contrairement à l’équilibre coopératif, l’équilibre de coordination est tel qu’aucun gouvernement n’a intérêt à en dévier unilatéralement.

3L’externalité négative que nous retenons dans le cadre de notre modèle est basée sur l’existence de liens commerciaux entre les pays. D’après l’étude empirique de Glick et Rose [1998] portant sur cinq crises différentes, ces liens commerciaux représentent le principal facteur de contagion régionale des crises de change. Eichengreen, Rose et Wyplosz [1996], utilisant trente années de données de panel concernant vingt pays industrialisés, concluent également à l’importance des liens commerciaux comme canal de transmission des crises de change, leur pouvoir explicatif étant supérieur à celui des similitudes macroéconomiques entre pays.

4Outre l’approche théorique des interactions stratégiques internationales adoptée par Canzoneri et Henderson [1991], notre analyse est bâtie sur la littérature s’attachant à la modélisation des crises de change, et plus précisément sur l’approche avec clause de sortie des systèmes de changes fixes, initiée par Obstfeld [1991]. Cette approche, dite de deuxième génération, consiste à supposer que les gouvernements prennent la décision de dévaluer ou non après en avoir pesé les avantages et les inconvénients. Elle se distingue en cela des modèles de première génération à la Krugman [1979], où les crises surviennent parce que les spéculateurs comprennent que la politique monétaire menée est incompatible avec le maintien de la parité fixe à long terme.

5Par ailleurs, notre modèle dérive directement du cadre ad hoc de Barro et Gordon [1983], mais l’utilisation d’un modèle micro-fondé de concurrence monopolistique par Loisel et Martin [2001] aboutit à des résultats similaires. La résolution analytique de ce modèle micro-fondé est néanmoins plus ardue au point qu’elle n’est menée que localement et qu’elle ne permet en particulier ni d’étudier l’effet de la coopération dans le cas général ni d’endogénéiser le taux de dévaluation. Le modèle plus simple que nous adoptons ici ne présente aucun de ces inconvénients, au prix d’une absence de micro-fondations.

6Malgré leur caractère régional, les crises de change n’ont jusqu’à présent été étudiées théoriquement que dans le cadre de modèles à deux pays, l’un fixant unilatéralement la parité de sa monnaie à celle de l’autre [1], que ces modèles soient de première ou de deuxième génération. Rompant avec cette tradition, notre modèle à trois pays permet d’analyser le rôle des liens commerciaux dans le déclenchement et la contagion des crises de change. Nous mettons en scène trois acteurs : le secteur privé et les deux gouvernements qui ancrent la monnaie de leur pays à celle du troisième pays. Le secteur privé joue le premier, anticipant l’issue du jeu entre les deux gouvernements. Ce sont les interactions stratégiques entre ces trois joueurs qui conduisent à l’apparition de crises de change spéculatives. Nous montrons tout d’abord que quand bien même les dévaluations n’offrent aucun avantage compétitif à l’équilibre, c’est-à-dire lorsqu’elles sont parfaitement anticipées, l’importance des liens commerciaux entre les pays augmente le risque d’occurrence des crises de change provoquées par des anticipations auto-réalisatrices et accroît l’instabilité régionale en augmentant la multiplicité des équilibres.

7Nous montrons alors que la coordination et la coopération diminuent mais n’éliminent pas le risque de crises de change simultanées dans les deux pays, et réduisent l’instabilité régionale en restreignant l’ensemble des équilibres multiples. Si la coordination améliore le bien-être des pays, elle rend toutefois chaque pays plus dépendant des fondamentaux de l’autre pays, de telle sorte que le risque de contagion peut s’en trouver accru : une évolution négative de la situation économique d’un pays augmente la possibilité de crises de change dans les deux pays du fait qu’elle ôte à la coordination sa crédibilité.

8Le corps de cet article est composé de quatre parties. La première partie présente le modèle de base. Les équilibres du jeu sont déterminés dans la deuxième partie et commentés dans la troisième. Enfin, la quatrième partie s’attache à l’endogénéisation du taux de dévaluation.

LE MODÈLE DE BASE

9Le modèle de base considère un monde à trois pays A, B et Z. Le pays Z représente un grand pays vis-à-vis duquel les pays A et B ont fixé leurs monnaies. Nous supposons que, compte tenu de sa taille, le pays Z n’est pas affecté par le comportement des pays A et B, et n’agit donc pas de façon stratégique. Si l’on note yk, avec k ? ( A, B ), la différence entre le logarithme de la production domestique et le logarithme de son niveau naturel, les niveaux de production étant exprimés par tête, les spillovers internationaux peuvent alors être introduits de la façon suivante, proche de Martin [1995] :

equation im1

pk est le logarithme du niveau des prix et wk le logarithme du niveau de salaire nominal dans le pays k, avec k ? ( A, B, Z ), et où ?AB, ?AZ, ?BA et ?BZ sont des coeffficients positifs.

10Ces équations traduisent le fait que l’offre domestique dépend non seulement du salaire réel domestique, mais aussi du salaire réel étranger. Plus précisément, l’offre domestique dépend de la différence entre salaire réel domestique et salaire réel étranger, c’est-à-dire de la compétitivité du pays considéré, en supposant la productivité marginale des travailleurs identique dans tous les pays. L’effet du différentiel de salaire réel sur la production domestique est mesuré par les coefficients ?, qui représentent le degré de compétition entre les pays. Ainsi le coefficient ?AB, par exemple [1], prend en compte le volume des imports-exports entre les pays A et B ainsi que la taille des marchés étrangers sur lesquels ces pays sont concurrents. Dans Loisel et Martin [2001], nous construisons un modèle de commerce de biens avec concurrence monopolistique dont une forme réduite ressemble à celle donnée dans les équations (1) et (2). Les coefficients ? pourraient également prendre en compte l’attraction exercée par les bas salaires sur les capitaux internationaux et l’investissement étranger. L’exemple de Martin [1995] est celui d’une multinationale augmentant relativement sa demande de travail et sa production pour une usine située dans un pays qui connaît des salaires réels relativement moins élevés.

11Les rigidités de salaire nominal proviennent des contrats de salaire considérés : les wage-setters décident d’un salaire nominal correspondant au niveau naturel de la production. Leur stratégie consiste donc à choisir wk égal au niveau de prix anticipé dans le pays k :

equation im2

Par ailleurs, nous supposons que le pays Z, du fait de sa grande taille, n’est pas affecté par les décisions des pays A et B, de telle sorte qu’il ne réagit pas à ces décisions. Ceci peut s’expliquer par le fait que les pays A et B représentent pour lui des partenaires commerciaux relativement peu importants. En l’absence de toute incertitude, nous avons donc :
equation im3

Compte tenu des équations (3) et (4), les équations (1) et (2) nous permettent d’exprimer la production comme une fonction de la différence entre le taux d’inflation réalisé et le taux d’inflation anticipé :
equation im4

où ?k est le taux d’inflation réalisé et ?ke le taux d’inflation anticipé dans le pays k, avec k ? ( A, B ).

12Les pays A et B sont susceptibles de dévaluer. Le taux de dévaluation est pour l’instant considéré comme exogène [1] : nous le notons d (avec d > 0). Si la condition de parité de pouvoir d’achat est satisfaite et si le prix domestique des biens non échangeables relativement aux biens échangeables demeure constant, alors le taux d’inflation suite à une dévaluation est égal au taux de dévaluation [2]. Sans perte de généralité, nous fixons le taux d’inflation égal à zéro en cas de non-dévaluation [3], dans le but de simplifier les calculs. En ce cas, si ?k est défini comme le coefficient égal à 1 si le pays k dévalue, égal à zéro sinon, et ?ke comme la valeur anticipée de ?k, nous obtenons alors, pour k ? ( A, B ) :

equation im5

La fonction de perte que nous adoptons pour les pays A et B est celle définie par Jeanne [1995], en l’esprit similaire à celle utilisée par Obstfeld [1991] :
equation im6

où Uk est le taux de chômage naturel (et (Uk ? ? yk ) le taux de chômage réalisé) dans le pays k. Le paramètre ?est positif et tel que ? yk reste toujours inférieur à Uk, de telle sorte que le taux de chômage réalisé soit toujours positif et demeure donc supérieur à sa valeur cible, égale à zéro. Le coefficient Ck est le coût de dévaluation pour le pays k. Il peut être interprété comme le coût de l’inflation due à la dévaluation (coût à changer les étiquettes), ou bien comme le coût politique de quitter le régime de taux de change fixe.

13Redéfinissons nos paramètres de la façon suivante :

equation im7

Les équations (8) impliquent notamment que
equation im8

(?AA ? ?AB ) par exemple représente le gain, en termes d’emplois, pour le pays A de devenir plus compétitif que le pays Z, tout en maintenant son niveau de compétitivité avec le pays B.

14En combinant les équations (5), (6) et (7), ainsi qu’en utilisant les nouveaux paramètres [8], nous obtenons les formes respectives suivantes pour les fonctions de perte des pays A et B :

equation im9

Puisque d est exogène, l’unique choix de chaque gouvernement consiste à dévaluer ou ne pas dévaluer. En d’autres termes, le comportement stratégique du pays A se limite au choix de ?A, et celui du pays B au choix de ?B[1]. Nous ne considérons pas le cas où les gouvernements peuvent être incités à réévaluer leur monnaie, que ce soit en équilibre ou hors équilibre, ce qui revient à restreindre les paramètres de telle sorte que le taux de chômage naturel soit suffisamment élevé pour que le premier terme entre crochets dans les équations (10) reste toujours positif, quelle que soit la valeur possible de ?A, ?B, ?Ae et ?Be. Cette restriction implique :
equation im10

Les équations (10) illustrent le dilemme des gouvernements. D’un côté, étant donné ?Ae et ?Be, la dévaluation leur est bénéfique car elle diminue le chômage. De l’autre côté, la dévaluation leur coûte CA and CB. Les équations (10) montrent aussi l’externalité négative d’une dévaluation : ex ante, c’est-à-dire étant donné ?Ae et ?Be (anticipations faites par le secteur privé sur la politique de taux de change des gouvernements), une dévaluation décidée par un gouvernement est néfaste à l’autre pays. Cependant, seules les dévaluations non anticipées ont un effet réel à l’équilibre. Or, dans notre cadre d’étude, les dévaluations seront toujours anticipées, de telle sorte qu’elles n’auront aucun effet réel ni sur le pays considéré, ni sur l’autre pays. Nous n’avons donc pas introduit le spillover et l’externalité les plus évidents qui mènent à des crises de change contagieuses et à un rôle bénéfique de la coopération. Si la dévaluation devait augmenter la compétitivité à l’équilibre, par exemple du fait de chocs non observés par le secteur privé lorsqu’il forme ses anticipations, cela impliquerait alors nécessairement une diminution de la compétitivité du partenaire commercial qui s’en trouverait ainsi plus enclin à dévaluer. Même si ce canal de transmission est certainement important, nous nous intéressons à un autre canal de transmission qui lui est lié, et où la dévaluation n’améliore pas la compétitivité du pays considéré à l’équilibre, de telle sorte que l’externalité n’existe que hors équilibre.

ÉQUILIBRES ANTICIPÉS RATIONNELLEMENT

15En l’absence de comportement stratégique de la part du pays Z, les joueurs à considérer sont les suivants : les agents privés, le gouvernement du pays A, le gouvernement du pays B. Le jeu comporte deux étapes. Dans un premier temps, les agents privés décident de leur salaire, c’est-à-dire déterminent } ?Ae, ?Be [ ? ( 0,1 )2. Dans un second temps, après observation de ces salaires nominaux, les gouvernements décident de dévaluer ou bien de ne pas dévaluer, c’est-à-dire qu’ils choisissent } ?A, ?B [ ? ( 0,1 )2. Nous avons donc affaire à un jeu séquentiel à trois joueurs, ou, en d’autres termes, à deux jeux successifs. Le premier jeu se déroule entre les agents privés d’une part et les gouvernements d’autre part, le second jeu entre les deux gouvernements. Du fait que les anticipations de dévaluation des agents privés dérivent de leurs anticipations de l’issue du jeu entre les gouvernements, nous résolvons le jeu par backward induction. Nous analysons donc d’abord l’équilibre du jeu entre les gouvernements avant de considérer la formation des anticipations du secteur privé.

16Le jeu entre les gouvernements peut prendre quatre différentes formes, selon les différentes anticipations possibles des agents privés

equation im11

que les gouvernements considèrent comme données. Quelles que soient les anticipations des agents privés, les calculs montrent que, dans ce jeu entre les gouvernements, d’une part il existe toujours au moins un équilibre de Nash, c’est-à-dire une issue du jeu de laquelle aucun gouvernement n’a intérêt à dévier unilatéralement, et d’autre part lorsqu’il existe deux équilibres de Nash [1], l’un des deux Pareto-domine l’autre. Ces deux remarques nous permettent de définir trois différents degrés de coopération entre les gouvernements :
  • sans coordination : les gouvernements choisissent un équilibre de Nash; lorsqu’il existe deux équilibres de Nash et que l’un d’entre eux correspond à l’issue anticipée du jeu, les gouvernements choisissent alors ce dernier. Dire que les gouvernements ne se coordonnent pas, c’est donc dire qu’il n’existe pas de communication fructueuse entre eux : si l’issue anticipée par les agents privés se révèle être unilatéralement stable, c’est-à-dire si elle correspond à un équilibre de Nash, alors les gouvernements la choisissent sans même considérer l’éventuel autre équilibre de Nash du jeu.
  • coordination[1] : les gouvernements se coordonnent pour choisir l’équilibre de Nash Pareto-dominant tous les équilibres de Nash. La coordination correspond à un engagement relativement faible : lorsque les gouvernements se coordonnent, ils n’ont pas besoin d’avoir confiance l’un en l’autre, il suffit en effet qu’ils se consultent entre eux pour se déplacer simultanément sur l’équilibre de Nash choisi. Une fois qu’ils se sont coordonnés sur cet équilibre, aucun d’entre eux n’a intérêt à en dévier unilatéralement (puisqu’il s’agit d’un équilibre de Nash) ni à en dévier de façon coordonnée. Cette stabilité rend la coordination crédible vis-à-vis des agents privés.
  • coopération : les gouvernements choisissent l’issue du jeu minimisant leur fonction de perte agrégée (LA + LB ). La coopération impose une forme de solidarité entre les deux gouvernements. Comme elle peut conduire à des issues du jeu qui ne sont pas stables unilatéralement (parce qu’elles ne correspondent pas à des équilibres de Nash), elle peut ne pas apparaître crédible aux yeux des agents privés. Il nous faudra ainsi supposer la crédibilité de la coopération, via un commitment par exemple, ce qui nous conduira à considérer les équilibres coopératifs essentiellement comme des équilibres de benchmark.

17L’issue du jeu entre les gouvernements correspond à un équilibre rationnellement anticipé s’il s’agit de l’issue anticipée par les agents privés. On le désigne alors par } ?Ae, ?Be [ = } ?A, ?B [ où ?Ae = E?A et ?Be = E?B, E étant l’opérateur espérance. Cet équilibre rationnellement anticipé est également un équilibre parfaitement anticipé, puisque notre cadre d’étude bannit toute incertitude. Nous supposons en effet que les agents privés connaissent la nature du jeu entre les gouvernements (sans coordination, coordination ou coopération), et que les agents privés et les gouvernements ont entière connaissance des valeurs des paramètres.

18Les agents privés peuvent anticiper quatre issues différentes, correspondant à (?Ae, ?Be ) égal à (0,0), (1,0), (0,1) ou (1,1). Chacune de ces issues anticipées correspond à un jeu entre les gouvernements. E ´ tant donné le degré de coopération entre les gouvernements et les valeurs des paramètres, ce jeu conduit à une issue (?A, ?B ) qui peut être (0,0), (1,0), (0,1) ou (1,1). Si cette issue réalisée et l’issue anticipée se révèlent être identiques, alors elles correspondent à un équilibre anticipé rationnellement.

figure im12
Diagramme 1. Les équilibres CB du jeu, lorsque les gouvernements ne se coordonnent pas 10 00-10 00 C?A1 = ? ?AA2 + 2 ?AA UA CB3 C?A3 = ?AA2 + 2 ?AA UA 11-10 00-11-10-01 00-01 C?B1 = ? ?BB2 + 2 ?BB UB C?B3 = ?BB2 + 2 ?BB UB CB1 11 01 11-01 0 0 CA CA1 CA3

figure im13
Diagramme 2. Les équilibres CB du jeu, lorsque les gouvernements se coordonnent. 10 00-10 00 C?A2 = ?AA2 ? 2 ?AA ?AB + 2 ?AA UA CB3 C?B3 = ?BB2 ? 2 ?BA ?BB + 2 ?BB UB 11-10 00-10-01 CB2 00-01 00-11-10-01 CB1 11 11-01 01 0 0 CA CA1 CA3 CA2

figure im14
CB Diagramme 3. Les équilibres du jeu, lorsque les 10 00-10 00 gouvernements coopèrent (cas où CˆA1 > 0 et CˆB1 > 0 ). ^ CB3 Cˆi1 = ? ?ii2 ? ?ji2 + 2 ?ii Ui ? 2 ?ji Uj 00-10-01 ^ Cˆi3 = ?ii2 + ?ji2 + 2 ?ii Ui ? 2 ?ji Uj CB2'00-11-10-01 11-10 00-01 Cˆi2 = Cˆi3 ? 2 } ?AA ?AB + ?BA ?BB [ CB2 ^ 11-10-01 Cˆi2 '= Cˆi1 + 2 } ?AA ?AB + ?BA ?BB [ CB1 ^ où } i, j [ ? ( } A, B [, } B, A [ ) 11 11-01 01 0 ^ ^ ^ 0 CA CA1 CA3 CA2'^ CA2

19Comme ce raisonnement est conduit à quatre reprises, jusqu’à quatre équilibres peuvent ainsi a priori coexister les uns avec les autres, pour le même degré de coopération entre les gouvernements et les mêmes valeurs des paramètres. Un premier résultat tient dans le fait qu’il existe toujours au moins un équilibre, et parfois plus d’un, ce qui donne alors lieu des équilibres multiples. La façon dont le marché converge vers l’un d’entre eux demeure indéterminée, c’est-à-dire en d’autres termes qu’elle dépend d’événements insignifiants comme les sunspots.

20On pourra se reporter à Loisel et Martin [1999] pour une présentation plus détaillée de la détermination des équilibres. Les diagrammes 1,2 et 3 présentent les résultats, i.e. l’existence des équilibres selon la valeur des paramètres, dans les cas suivants : sans coordination, coordination, coopération.

PROPRIÉTÉS DES ÉQUILIBRES

Sans coordination

21Quelques-unes des propriétés décrites ci-dessus sont communes à celles obtenues par la littérature sur les crises de change, en particulier la possibilité d’anticipations auto-réalisatrices et l’impact du niveau de chômage sur ces anticipations réalisatrices. Ici, l’instabilité potentielle due à l’existence d’équilibres multiples est renforcée par la présence de spillovers commerciaux, même s’il n’existe pas de gain à dévaluer à l’équilibre. L’effet des spillovers commerciaux est illustré par le diagramme 1. Si les pays A et B sont de même taille (?AB = ?BA ) alors une augmentation des spillovers commerciaux entre les deux pays peut être interprétée comme une augmentation de ?AB et ?BA. On peut facilement vérifier qu’alors C?A1, C?A3, C?B1 et C?B3 augmentent, de telle sorte que, pour un niveau de chômage donné, les deux pays seront plus enclins à des dévaluations simultanées, puisque l’aire du diagramme pour laquelle les deux pays dévaluent nécessairement et celle pour laquelle ils peuvent dévaluer simultanément s’étendent. De ce point de vue, les spillovers commerciaux sont facteurs de contagion. On peut aussi vérifier que l’aire centrale du diagramme, celle des quatre équilibres multiples, s’étend lorsque les spillovers commerciaux augmentent (C?A1 et C?B1 augmentent moins que C?A3 et C?B3 respectivement lorsque ?AB et ?BA augmentent). Ceci implique que lorsque les spillovers commerciaux augmentent dans une région, l’instabilité potentielle s’accroît également pour certaines valeurs des paramètres. L’intuition est claire : hors équilibre, lorsque la dévaluation n’est pas anticipée, le gain et donc l’incitation à dévaluer sont d’autant plus importants pour un gouvernement que l’économie de son pays dépend du commerce extérieur.

22Notons également que si les fondamentaux d’un pays, comme le taux de chômage, connaissent une évolution défavorable, cela peut accroître l’instabilité régionale en ce sens que l’aire centrale du diagramme où coexistent les quatre équilibres à anticipations auto-réalisatrices (00-10-01-11) s’étend.

Coordination

23Comme le montre le diagramme 2, la coordination réduit mais n’élimine pas l’ensemble des paramètres pour lesquels les deux pays peuvent être simultanément sujets à des crises de change auto-réalisatrices. Elle ne réduit pas cependant l’ensemble des paramètres pour lesquels un seul pays dévalue, de telle sorte que son impact reste limité aux cas où les agents privés anticipent une double dévaluation. Cet impact consiste à éliminer l’équilibre de double dévaluation pour certaines plages de paramètres : en effet, lorsque les agents privés anticipent une double dévaluation, les gouvernements préfèrent alors ne dévaluer ni l’un ni l’autre. Le fait que les gouvernements se coordonnent est alors essentiel en ce sens qu’aucun des deux pays n’a intérêt à être le seul à ne pas dévaluer. Si les deux pays décident de ne pas dévaluer, aucun n’a alors intérêt à dévier de ce nouvel équilibre de façon unilatérale, puisqu’il s’agit d’un équilibre de Nash. La présence de spillovers commerciaux entre les deux pays (?AB et ?BA > 0) explique l’impact que peut avoir la coordination. On peut facilement vérifier en effet que s’il n’existait aucun spillover commercial entre les deux pays (?AB = ?BA = 0), alors les diagrammes 1 et 2 seraient identiques. De plus, lorsque les pays A et B ne sont concurrents qu’entre eux (et non avec le pays Z), c’est-à-dire lorsque ?AB = ?AA > 0 et ?BA = ?BB > 0, alors la coordination fait disparaître entièrement la zone d’équilibres multiples (0,0)-(1,1)-(1,0)-(0,1) et la remplace par une zone d’équilibres multiples (0,0)-(1,0)-(0,1) : qualitativement parlant, l’effet de la coordination est alors maximal.

24En termes de bien-être, du fait de l’absence d’effet réel des dévaluations à l’équilibre, il est toujours préférable ex post pour un gouvernement de ne pas avoir dévalué (Lk = } Uk [2 ) que d’avoir dévalué (Lk = } Uk [2 + Ck ). La coordination améliore donc potentiellement le sort des pays lorsque les paramètres sont tels que (CA, CB ) se situe dans la zone où l’équilibre de double dévaluation (1,1) a été éliminé.

25Notons que la coordination, dont le rôle est d’éliminer la possibilité d’obtenir l’équilibre le moins souhaitable, n’est possible que lorsque les pays sont suffisamment similaires et que lorsque les fondamentaux des deux pays, par exemple le taux de chômage, sont suffisamment bons. Si tel n’est pas le cas, l’équilibre pour lequel aucun pays ne dévalue lorsque } ?Ae, ?Be [ = } 1,1 [ ne peut pas être un équilibre de Nash (un pays au moins aura intérêt à dévier et dévaluer) et la coordination n’est plus possible. En d’autres termes, l’annonce par les deux gouvernements qu’ils ne dévalueront pas même si les salaires nominaux sont élevés n’est plus crédible aux yeux des agents privés.

26Ce mécanisme correspond à un canal de contagion régionale des crises de change différent de ceux habituellement identifiés. Dans le diagramme 2, on peut vérifier que si le chômage dans le pays A augmente de telle sorte que C?2 augmente, cela accroît la possibilité de crises de change auto-réalisatrices dans le pays A mais aussi dans le pays B : l’aire d’équilibres (00-10-01) est réduite au profit de l’aire d’équilibres (11-00-10-01). Cette évolution négative dans le pays A rend la coordination entre les deux pays impossible à maintenir et une annonce selon laquelle les gouvernements se coordonneront ne sera plus crédible. Si les agents privés anticipent désormais une double dévaluation, alors l’équilibre de coordination pour lequel les deux pays décident de ne pas dévaluer n’est plus un équilibre de Nash. Le pays A sera enclin à dévier et dévaluer. Ceci en retour incite le pays B à dévaluer. Ce canal de contagion est différent du canal classique habituellement considéré dans le cadre de dévaluations compétitives, absent ici du fait qu’une dévaluation ne procure à l’équilibre aucun bénéfice à un pays, même si l’autre pays ne dévalue pas. Dans notre cadre d’étude, la contagion des crises de change provient du fait que la coordination régionale perd sa crédibilité aux yeux des agents privés lorsqu’un pays connaît une évolution défavorable.

27Cela illustre l’effet ambigu de la coordination à propos de la contagion régionale. Son avantage est de réduire la possibilité de crises spéculatives simultanées dans une région caractérisée par des spillovers commerciaux importants. Cependant, du fait que la crédibilité de la coordination elle-même dépend des fondamentaux des deux pays, elle introduit un nouveau canal de contagion.

Coopération

28Contrairement à la coordination, la coopération n’est pas crédible en ce sens que l’équilibre coopératif peut ne pas être un équilibre de Nash : au moins un des pays peut avoir un intérêt à en dévier unilatéralement. La coopération requiert donc l’existence d’une organisation supranationale chargée de faire respecter l’accord.

29Le diagramme 3 montre que même si une dévaluation n’a pas d’impact réel positif dans le cadre de notre modèle, la coopération entre A et B n’est pas suffisante pour éliminer la possibilité de crises de change auto-réalisatrices lorsque les fondamentaux sont mauvais. Par exemple, si UA et ?AA sont suffisamment élevés, et UB, ?BB, CB suffisamment faibles, de telle sorte que CA ? CˆA1, alors le pays A est forcé à la dévaluation. Au contraire, pour CA ? CˆA3, il ne dévalue jamais, car l’incitation à la dévaluation demeure insuffisante, quoi que fasse l’autre pays. Enfin, dans le cas intermédiaire où CˆA1 ? CA ? CˆA3, le pays A peut soit dévaluer soit ne pas dévaluer, selon les anticipations des agents privés. Notons que pour certaines valeurs des paramètres, CˆA1 et CˆA3 peuvent être négatifs. Par exemple, si UB ou ?BA est suffisamment élevé, alors CˆA3 < 0 et il n’existe ainsi aucune valeur de CA, pas même zéro, qui fasse dévaluer le pays A. Comme le montre le diagramme 3, la coopération altère les résultats précédents de multiples façons. On montre aisément qu’elle réduit l’aire pour laquelle (1,1) est un équilibre possible et qu’elle étend l’aire pour laquelle (0,0) est un équilibre possible, en comparaison aux deux autres degrés de coopération (la coordination et l’absence de coordination). La réduction de la première aire est d’autant plus importante que les spillovers commerciaux sont grands. En termes de bien-être, cet effet de la coopération est Pareto-bénéfique puisqu’il consiste à éliminer l’équilibre de double dévaluation.

30Contrairement à la coordination, la coopération requiert un solide commitment pour être maintenue, et c’est pourquoi nous la considérons essentiellement comme un benchmark. Cependant, si l’on interprète le processus d’intégration européenne qui a précédé l’avènement de l’euro comme la mise en place d’un dispositif de commitment, nous pouvons analyser l’impact de la coopération monétaire européenne (avant l’euro) sur la contagion dans ce contexte spécifique. Comme dans le cas de la coordination, la coopération régionale peut aussi rendre les pays plus dépendants de la situation économique de leurs partenaires commerciaux. Par exemple, supposons les pays A et B à peu près similaires de telle sorte que dans le diagramme 3, les équilibres possibles se situent dans le rectangle délimité par CˆA1, CˆA3, CˆB1, CˆB3. En ce cas, si UA augmente, il se peut que l’équilibre où aucun pays ne dévalue disparaisse et/ou que l’équilibre où les deux pays dévaluent devienne possible [1]. Dans les deux cas, l’évolution négative des fondamentaux du pays A augmente la possibilité de dévaluation dans le pays B. La raison en est que lorsque les agents privés anticipent que les deux pays dévalueront, cela peut être désormais trop coûteux pour les gouvernements de ne pas valider leurs anticipations en coopérant sur l’équilibre où seul le pays A dévalue.

Taux de dévaluation endogène

31Jusqu’à présent, nous avons supposé que le seul choix d’un gouvernement était de dévaluer ou de ne pas dévaluer et que le taux de dévaluation était exogène. Nous autorisons désormais les gouvernements non seulement à décider de dévaluer ou non, mais aussi à décider le taux de dévaluation en cas de dévaluation. Comme auparavant, le taux d’inflation dépend uniquement du taux de dévaluation de telle sorte que choisir le taux de dévaluation revient à choisir le taux d’inflation.

32Pour endogénéiser le taux de dévaluation, nous sommes contraints de modifier le coût d’inflation/dévaluation dans la fonction de perte, car il ne peut raisonnablement plus être considéré comme indépendant du taux d’inflation/dévaluation. Pour obtenir des équilibres multiples, nous avons besoin à la fois d’un coût fixe de dévaluation (le coût politique) c ? > 0, et d’un coût flexible strictement convexe en l’inflation. La fonction de perte qui en résulte est celle utilisée par Obstfeld [1996], à l’exception du fait que nous ne considérons pas la révaluation ici, c’est-à-dire que nous n’autorisons pas le taux d’inflation à être négatif.

33Ainsi, dans le cadre de notre modèle à trois pays, et avec les mêmes fonctions d’offre que dans le modèle précédent, les fonctions de perte des pays A et B sont :

equation im15

où les notations ont été introduites auparavant. Les termes en ? sont les mêmes que dans (8), à l’exception du fait que d, désormais endogène, n’est plus inclus dans l’expression de ?. Comme précédemment, nous considérons d’abord le cas où les deux gouvernements ne se coordonnent pas, puis le cas où ils se coordonnent. Nous ne présentons pas le cas où les gouvernements coopèrent, sa résolution analytique s’étant révélée trop ardue.

34Dans le premier cas (« sans coordination »), les gouvernements observent les anticipations des agents privés et choisissent } ?A, ?B [ = } ?A, ?B [ ? (+2 si et seulement si cette issue correspond à un équilibre de Nash. On se reportera à Loisel et Martin [1999] pour une présentation plus détaillée de la détermination des équilibres. Les résultats sont alors qualitativement semblables à ceux du modèle avec taux de dévaluation exogène. Le diagramme qu’on obtiendrait dans le plan c ?A c ?B serait en effet d’aspect similaire au diagramme 1, les valeurs CˆA1, CˆA3, CˆB1 et CˆB3 étant remplacées respectivement par c ?A1, c ?A3, c ?B1 et c ?B3 définis ci-dessous. En ce cas (d’absence de coordination), les deux modèles ont des propriétés semblables. Ainsi, l’accroissement des spillovers commerciaux dans une région (?AB et ?BA plus grands) entraîne l’extension du domaine du plan c ?A c ?B au sein duquel les pays peuvent dévaluer. La possibilité de dévaluations simultanées augmente aussi avec les spillovers commerciaux, et l’instabilité s’accroît également en ce sens que le rectangle central, où coexistent les quatre équilibres possibles issus des anticipations auto-réalisatrices, devient plus grand. Le taux de dévaluation/inflation choisi par le pays A, lorsqu’il dévalue, est ?A = } ?AA / cA [ UA. Le taux de dévaluation augmente maintenant lui-même avec les spillovers commerciaux.

35Le second cas que nous considérons dans le cadre du modèle à taux de dévaluation exogène est le cas où les gouvernements se coordonnent. Un équilibre est alors défini comme une issue du jeu qui, lorsqu’elle est anticipée par les agents privés, correspond à un équilibre de Nash au sein du jeu entre les gouvernements, Pareto-dominant tous les autres équilibres de Nash.

figure im16
Diagramme 4. Les équilibres du jeu dans le modèle avec taux de dévaluation endogène, lorsque les gouvernements se coordonnent ?ii2 Ui2 ?ii2 } ?ii2 + ci [ Ui2 c ?i1 =, c ?i3 = ?ii2 + ci ci2 ( cj ? ?ii2 + ci )2 ? ? ? c ?i1? = ? c ?i3 ?iiijjj Uj ( ci } ?jj2 + cj [ ??ii2+ciUi )2 ?ii2 ?ij ?ji ?jj c ?i2 = ? c ?i3 ? où } i, j [ ? ( } A, B [, } B, A [ ) cB 10 00-10 00 cB3 cB2 00-10-01 00-01 cB1' 11-10 00-11-10-01 cB1 11 11-01 01 0 0 cA cA1 cA3 cA2 cA1'

36Le diagramme 4 montre que, comme dans le premier modèle, la coordination réduit l’aire du plan pour laquelle (1,1) est un équilibre possible parmi d’autres (mais non l’aire du plan pour laquelle (1,1) est le seul équilibre possible). Ce qui change par rapport au modèle précédent, c’est que ex ante, lorsque les agents privés anticipent deux dévaluations simultanées, les gouvernements peuvent préférer à (1,1) non seulement (0,0) mais aussi (1,0) ou (0,1) [1].

37Tout comme dans le premier modèle, nous notons que l’aire d’équilibre multiple (00-10-01-11) disparaît entièrement si et seulement si ?AB = ?AA et ?BA = ?BB, c’est-à-dire si et seulement si ni le pays A ni le pays B n’ont de lien commercial avec le pays Z : l’effet qualitatif de la coordination est alors maximal. Au contraire, la coordination n’a aucun impact si ?AB = 0 (ce qui est équivalent à ?BA = 0), du fait qu’il n’existe alors plus d’externalité.

38En revanche, l’effet d’une augmentation du chômage dans le pays A est un peu plus complexe que dans le premier modèle. D’un côté, l’aire où les deux pays peuvent dévaluer simultanément s’étend, car c ?A2 et c ?A1? augmentent. Ceci est similaire à la propriété obtenue dans le modèle avec taux de dévaluation exogène. Cependant, du fait que c ?B1? décroît, dans certains cas, il se peut que l’augmentation du chômage en A facilite la coordination et élimine ainsi l’équilibre de double dévaluation. Pour comprendre comment cet effet est possible, supposons qu’initialement c ?B soit légèrement supérieur à c ?B1?, que c ?A1? < c ?A < c ?A2 et que les agents privés anticipent une double dévaluation. Sous ces conditions, une augmentation du chômage en A accroît le taux de dévaluation anticipé en A, améliorant ainsi (si A ne dévalue pas) la compétitivité de B qui choisit alors de ne pas dévaluer, ce qui permet en retour au pays A de ne pas dévaluer non plus. Ainsi l’équilibre de coordination pour lequel aucun pays ne dévalue est choisi alors même que que les agents privés anticipaient une double dévaluation. Ceci amène alors les agents à ne plus anticiper de double dévaluation. Ce résultat d’apparence paradoxale ne vaut toutefois que pour une plage limitée de paramètres et que pour une faible augmentation asymétrique du chômage.

CONCLUSION

39Nous nous attachons, dans cet article, à répondre à la question suivante : la coordination et la coopération réduisent-elles l’instabilité régionale et la contagion des crises de change ? Dans le cadre de notre modèle à la Barro et Gordon [1983], qui permet de valider la robustesse des résultats en endogénéisant le taux de dévaluation, nous montrons que la réponse à cette question est ambiguë. Ni la coordination ni la coopération n’éliminent la possibilité d’anticipations autoréalisatrices générant des crises de change. Cependant, l’une et l’autre réduisent l’ensemble des paramètres pour lesquels apparaît l’équilibre de double dévaluation, et augmentent donc le bien-être social. Toutes deux ont des propriétés stabilisatrices en ce sens qu’elles réduisent le nombre d’équilibres multiples possibles. La coopération a un effet plus accentué que la coordination, mais requiert, pour être crédible vis-à-vis des agents privés, la mise en place d’un dispositif de commitment et est donc plus difficile à mettre en œuvre. Nous montrons enfin que la coordination introduit un nouveau canal de transmission, parce que l’évolution négative de la situation économique d’un pays rend la coordination sur l’équilibre où aucun pays ne dévalue impossible en ce sens qu’elle n’est alors plus crédible aux yeux des agents privés. Cela augmente la possibilité de dévaluation dans les deux pays.

Notes

  • [*]
    CEPREMAP et CERAS-ENPC, Paris.
  • [**]
    Université de Lille I, CERAS-ENPC, Paris et CEPR (adresse : CERAS-ENPC, 28 rue des Saints-Pères, 75007 Paris, France). E-mail : mmartin-p@ paris. enpc. fr Nous remercions Benoît Cœuré, Pierre-Philippe Combes, Olivier Jeanne, Philip Lane, Hélène Rey, Jacques Thisse et Yves Zénou pour leurs commentaires.
  • [1]
    Parmi les rares exceptions, citons Gerlach et Smets [1994] par exemple.
  • [1]
    Les coefficients ?AB et ?BA ne sont pas nécessairement égaux : du fait que les deux pays peuvent ne pas être de même taille, la dépendance vis-à-vis du commerce bilatéral peut ne pas être symétrique.
  • [1]
    Le taux de dévaluation sera endogénéisé dans la quatrième partie.
  • [2]
    Notons que même si la PPA est vérifiée, les salaires réels (qui déterminent le niveau de production dans notre modèle d’offre) ne sont pas nécessairement égaux ex ante dans les deux pays. Dans notre modèle, une dévaluation non anticipée peut augmenter la production non pas parce qu’elle augmente la demande pour les biens domestiques, mais bien parce qu’elle diminue le salaire réel en termes absolus ainsi qu’en termes relatifs vis-à-vis de l’autre pays. Un modèle de dévaluations compétitives dans le cadre duquel une dévaluation augmente la demande pour les biens domestiques mènerait à des résultats similaires.
  • [3]
    Ceci revient à dire implicitement que le pays Z connaît une inflation nulle.
  • [1]
    Dans le but de simplifier les notations, les lettres A et B sont « exposants » des variables endogènes (?A, ?B, ?Ae, ?Be, ?A, ?B, ?Ae, ?Be, yA, yB, LA, LB ) et « indices » des variables exogènes (?AA, ?AB, ?BA, ?BB, UA, UB, CA, CB ).
  • [1]
    Bien entendu, nous ne pouvons obtenir plus de deux équilibres de Nash au sein du jeu entre les gouvernements, puisque chaque gouvernement doit choisir entre deux possibilités seulement (dévaluer ou ne pas dévaluer).
  • [1]
    Nous adoptons ici la terminologie de Canzeroni et Henderson [1991] (p. 4) : la coordination correspond à la façon dont les joueurs choisissent une solution parmi plusieurs au sein d’un jeu non coopératif.
  • [1]
    Dans cette dernière expression, les taux de dévaluation diffèrent selon qu’on considère 01,10 ou 11. Ceci explique pourquoi, lorsque 11 est anticipé, à la fois 11 et 10, par exemple, peuvent être des équilibres de Nash pour les mêmes valeurs des paramètres. Par ailleurs, on peut montrer que si pour certaines valeurs des paramètres, on obtient c ?A1? < c ?A1, alors en ce cas, on a également c ?A2? > c ?A2.
  • [1]
    Ceci peut advenir du fait que CˆA1 } CˆA3 [ augmente plus que CˆB1 } CˆB3 [ ne décroît.
Français

Nous analysons les effets de la coordination et de la coopération internationales sur le déclenchement et la contagion des crises de change, dans le cadre d’un modèle à trois pays bâti sur l’approche « clause de sortie » des systèmes de changes fixes. Nous montrons que la coordination réduit la possibilité d’anticipations auto-réalisatrices de crises spéculatives simultanées dans la région et restreint l’ensemble des équilibres multiples, mais qu’elle peut renforcer le risque de contagion. L’effet de la coopération est qualitativement semblable à celui de la coordination, mais quantitativement plus important encore. Toutefois, pour être crédible vis-à-vis des agents privés, la coopération requiert la mise en place d’un lourd dispositif de commitment, par exemple sous la forme d’une organisation internationale chargée de faire respecter l’accord.

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

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  • OBSTFELD M. [1991], « Destabilizing Effects of Exchange Rate Escape Clauses », NBER Working Paper n° 3603.
  • En ligneOBSTFELD M. [1996], « Models of Currency Crises with Self-Fulfilling Features », European Economic Review, 40, p. 1037-1048.
Olivier Loisel [*]
  • [*]
    CEPREMAP et CERAS-ENPC, Paris.
Philippe Martin [**]
  • [**]
    Université de Lille I, CERAS-ENPC, Paris et CEPR (adresse : CERAS-ENPC, 28 rue des Saints-Pères, 75007 Paris, France). E-mail : mmartin-p@ paris. enpc. fr Nous remercions Benoît Cœuré, Pierre-Philippe Combes, Olivier Jeanne, Philip Lane, Hélène Rey, Jacques Thisse et Yves Zénou pour leurs commentaires.
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