1En quelques décennies, le développement de la grande distribution a profondément modifié les relations entre industrie et commerce. La concentration du secteur et la constitution de centrales d'achat communes à plusieurs enseignes a renforcé la « puissance d'achat » des distributeurs, qui désigne leur capacité à acheter en masse et à obtenir de meilleures conditions d'approvisionnement auprès de leurs fournisseurs. Or les rapports de force entre producteurs et distributeurs influencent l'offre de produits de consommation courante (en termes de prix, de qualité, de variété des produits…). Les pouvoirs publics s'interrogent de façon récurrente sur les conséquences d'une telle évolution sur le bien-être social. Les arguments couramment avancés à l'encontre de la grande distribution sont qu'un déséquilibre marqué des rapports de force entre producteurs et distributeurs peut avoir des conséquences néfastes à la fois en menaçant la survie économique de certains petits producteurs et en limitant la variété des produits offerts aux consommateurs.
2En effet, les enjeux de l'innovation ne sont pas les mêmes pour les producteurs et pour les distributeurs : alors que les premiers comptent sur les nouveaux produits pour stimuler la demande en créant de nouvelles niches, les seconds peuvent craindre une sur-segmentation du marché, qui augmente les coûts de distribution, et être incités à freiner l'extension des gammes de produits, limitant ainsi la variété offerte. En conséquence, on peut s'interroger sur l'influence de la structure de commercialisation des biens (intégration ou séparation verticale, degré de concurrence entre distributeurs…), sur la variété des produits proposés aux consommateurs et sur le bien-être social. Des études empiriques (Weiss et Wittkopp, 2006) attestent le lien négatif entre la puissance d'achat des distributeurs et l'introduction de nouveaux produits par les producteurs. Cependant, alors qu'il existe une littérature très développée sur les relations entre producteurs et distributeurs, d'une part, et sur l'innovation ou la différenciation des produits, d'autre part, l'influence de la structure du marché de la distribution sur la variété des produits a été très peu étudiée dans la littérature économique théorique. Afin de comprendre les forces économiques en jeu, nous proposons d'analyser l'offre de variété de produits au sein d'une relation verticale entre un producteur susceptible d'élargir sa gamme de produits, des distributeurs et des consommateurs. Nous étudions les incitations à accroître la variété des produits selon la structure verticale de l'activité (intégrée ou non) et selon le degré de concurrence dans le secteur de la distribution. Nous insistons sur le rôle des coûts de lancement des nouveaux produits, supposés fixes mais répartis entre producteurs et distributeurs.
3Notre contribution à la littérature porte sur trois points. Premièrement, nous montrons qu'une structure de production et de distribution verticalement intégrée internalise mieux les coûts fixes de recherche et de marketing qu'une chaîne de monopoles séparés et propose une plus grande variété de produits. Ce premier résultat repose sur un effet classique de double marginalisation, qui restreint ici l'effort d'innovation. Ensuite, nous montrons qu'une situation de concurrence entre distributeurs fournit plus d'incitation à élargir la gamme de produits qu'une structure de chaîne de monopoles, en réduisant les inefficacités verticales. Finalement, de façon plus surprenante, la concurrence dans le secteur en aval peut même conduire à plus d'innovation qu'une intégration verticale lorsque le coût de lancement du nouveau produit est majoritairement supporté par le secteur en aval. Ce résultat repose sur un effet stratégique de spécialisation des distributeurs dans un but de réduction de la concurrence : l'un des distributeurs a intérêt à investir pour être le seul à distribuer le nouveau produit, réduisant ainsi la concurrence à laquelle il est soumis et permettant au producteur de commercialiser son nouveau produit à moindre coût, là où une entreprise intégrée verticalement n'aurait pas innové. Par ailleurs, nous montrons que ce surcroît d'innovation bénéficie au surplus social. La grande distribution centralise une part de plus en plus importante des ventes de produits de consommation courante aux particuliers. En France, les grandes surfaces réalisent en 2003 44 % des ventes du commerce de détail et presque 70% pour les produits alimentaires (contre 13% en 1970) [1]. Cette tendance est générale en Europe : la part des achats alimentaires réalisés en grandes surfaces avoisine 60 % en Allemagne et 70 % au Royaume-Uni. Par ailleurs, cette évolution concerne également de nombreux produits non alimentaires. À titre d'exemple, les produits culturels comme les disques et les DVD sont touchés par la concentration des ventes dans les grandes surfaces, spécialisées ou non [2].
4En quelques décennies, sont apparues dans le secteur de la distribution des entreprises dont le poids économique ne cesse de croître, à la fois par le biais d'une diversification des activités et par une forte croissanceexterne (pour une description plus précise de l'évolution du secteur de la distribution, voir Allain et Chambolle, 2003). Le fort mouvement de concentration du secteur a contribué à en renforcer le caractère oligopolistique. La fusion, en 2000, de Carrefour et Promodès a donné naissance au second groupe mondial de distribution. La “puissance d'achat” des grands distributeurs, qui recouvre leur capacité à acheter en grandes quantités et à négocier des conditions commerciales avantageuses, s'accroît ainsi fortement.
5Ce développement de la grande distribution engendre des conflits fréquents avec ses fournisseurs, et les rapports de force entre industrie et commerce se sont progressivement inversés au cours des dernières décennies, en faveur des distributeurs. Dans un rapport à l'Assemblée Nationale rédigé en 2000 à l'occasion des Assises de la Distribution, le député J.Y. Le Déaut comparait la situation du commerce des biens de grande consommation en France au goulot d'étranglement d'un sablier : “les rapports entre les producteurs de biens de consommation (70 000 entreprises, 400 000 agriculteurs) et les 60 millions de consommateurs sont analogues au passage dans le goulot d'étranglement d'un sablier. Au point d'étranglement du sablier, cinq groupements de distributeurs contrôlent la vente de plus de 90% des produits de grande consommation”. Cette image simple illustre bien les problèmes que peut poser la concentration croissante du secteur de la distribution, notamment en ce qui concerne ses relations avec ses fournisseurs dont le pouvoir de négociation diminue.
6Les pouvoirs publics se penchent donc depuis plusieurs années sur la question des rapports de force entre producteurs et distributeurs, afin d'évaluer les conséquences économiques de cette évolution (voir par exemple le Livre Vert sur les restrictions verticales publié par la Commission Européenne en 1997, ou le rapport de l'Office of Fair Trading britannique de 1999). D'une manière générale, les arguments avancés à l'encontre de la grande distribution sont qu'un déséquilibre marqué des rapports de force entre producteurs et distributeurs peut avoir des conséquences néfastes à la fois en menaçant la survie économique de certains petits producteurs et en limitant la variété des produits offerts aux consommateurs.
7En effet, les professionnels, tant producteurs que distributeurs, considèrent de plus en plus la largeur des gammes de produits commercialisés comme un point central des négociations entre producteurs et distributeurs (voir Dobson Consulting, 1999). Les producteurs ont des stratégies d'innovation qui visent à segmenter la demande et à discriminer de façon optimale entre les consommateurs. Ils tendent à élargir leurs gammes de produits. Au contraire, les distributeurs redoutent la prolifération des nouveaux produits, qui accroît fortement les coûts de gestion des stocks et des rayons, et nécessite la fourniture d'un serviceparticulierd'information dela clientèle. En conséquence, les distributeurs imposent souvent dans les contrats de référencement des conditions limitant l'étendue des gammes de produits. Ainsi, les enjeux de l'innovationne sont pas les mêmes pourles producteurs et pour les distributeurs. Alors que les producteurs comptent sur les nouveaux produits pour accroître la demande en créant de nouvelles niches, les distributeurs craignent une sur-segmentation du marché, qui augmente les coûts de distribution. Les objectifs des firmes en amont et en aval peuvent donc diverger et les négociations commerciales reflètent ces divergences.
8Afin de comprendre les forces économiques en jeu, nous proposons d'analyser l'offre de variété de produits au sein d'une relation verticale entre un producteur innovant, des distributeurs et des consommateurs, afin de déterminer l'influence de la structure de commercialisation des biens sur la variété des produits proposés aux consommateurs et sur le bien-être social. Nous étudions les incitations à augmenter la variété des produits selon la structure verticale de l'activité (intégrée ou non) et selon le degré de concurrence dans le secteur de la distribution. Notre analyse insiste sur deux points : le degré de nouveauté et le coût de lancement des nouveaux produits. Nous étudions la relation verticale entre un producteur et plusieurs distributeurs potentiels. Le producteur développe un nouveau produit (que nous appelons également “innovation”) qui engendre des frais de lancement. Nous étudions l'effet de la répartition de ces coûts entre producteurs et distributeurs sur l'effort d'innovation du producteur.
9D'une manière générale, il convient de faire une distinction entre deux types de coûts concernant la mise sur le marché de nouveaux produits : d'une part, les coûts marginaux de production et de distribution, comparables à ceux des produits existants et, d'autre part, des coûts spécifiques d'introduction du nouveau produit, qui sont essentiellement des coûts fixes. Nous avons choisi dans cette étude de nous concentrer sur le second aspect de la question en centrant l'analyse sur les coûts fixes. Empiriquement, il est difficile de chiffrer les coûts d'introduction de nouveaux produits sur un marché. Deloitte et Touche (1990) estiment que le coût de lancement d'un nouveau produit est en moyenne de 222 $ par référence et par magasin pour un producteur, et se répartit de la façon suivante : 18% est dépensé dans le processus de recherche et développement, 66% en coûts de marketing et 16 % en primes de référencement [3]. Pour un distributeur, le coût direct, recouvrant les frais d'évaluation du produit, de changement du système d'information et de stockage, est moins élevé (environ 13,5 $ par référence et par magasin). Cependant, ce chiffre ne prend pas en compte le coût d'opportunité du distributeur, lié au linéaire occupé par le produit qui aurait pu être attribué à un autre produit, ni les efforts de vente spécifiques qui peuvent s'avérer nécessaires, ni l'éventuel coût de suppression d'une autre référence, qui peut s'élever, toujours d'après la même étude, à près de 11 $ par référence et par magasin. Bien entendu, ces estimations sont à prendre avec précaution car les coûts varient fortement selon le type de produit et le type d'innovation.
10Ces difficultés de mesure et l'aspect très stratégique de la question expliquent sans doute la rareté des études sur le sujet. Une enquête récente menée auprès d'entreprises agro-alimentaires allemandes (Weiss et Wittkopp, 2005) établit un lien négatif entre la puissance d'achat des distributeurs et l'introduction de nouveaux produits par les producteurs, effet toutefois réduit par le pouvoir de marché des producteurs. Au niveau théorique, alors qu'il existe une littérature très développée sur les relations entre producteurs et distributeurs, d'une part [4], et sur l'innovation ou la différenciation des produits, d'autre part, il n'y a de manière surprenante que peu d'études sur la variété des produits selon la structure verticale d'une industrie. Brocas (2002) analyse le rôle de la concurrence et de l'intégration verticale entre des producteurs (en aval) et des unités de recherche (en amont) sur les incitations à innover, et montre que l'intégration verticale entre unités de recherche et producteurs est plus ou moins efficace selon la substituabilité et la taille des innovations. Cette analyse présente deux différences majeures avec notre problématique : d'une part, l'article s'intéresse à l'innovation de procédé et non de produit et, d'autre part, la structure verticale analysée, qui relie l'unité de recherche au producteur qui met en application le procédé, ne fait pas intervenir de distributeur. Nous supposons au contraire que les activités de R&D (recherche et développement) sont faites en interne par le producteur. Inderst et Shaffer (2006) s'intéressent à l'impact de la concentration du secteur de la distribution sur la variété des produits à travers l'étude du pouvoir de négociation des distributeurs face à leurs fournisseurs. Contrairement à notre modèle, cet article envisage une fusion entre deux distributeurs non concurrents (en supposant par exemple qu'ils sont implantés dans des zones géographiques distinctes). Dans ce cadre, les auteurs montrent qu'après une fusion, afin d'améliorer leur pouvoir de négociation avec les producteurs, les distributeurs peuvent avoir intérêt à déréférencer certains produits pour uniformiser leurs gammes et obtenir de meilleures conditions de la part de leurs fournisseurs : dans ce cas, l'augmentation de la puissance d'achat des distributeurs suite à une diminution de la concurrence dans le secteur aval réduit la variété des produits.
11Notre contribution à la littérature porte sur trois points. Premièrement, nous montrons qu'une structure de production et de distribution verticalement intégrée internalise mieux les coûts fixes de recherche et de marketing qu'une chaîne de monopoles séparés et propose une plus grande variété de produits. Ce premier résultat repose sur un effet classique de double marginalisation, qui restreint ici l'effort d'innovation. Ensuite, nous montrons qu'une situation de concurrence entre distributeurs fournit plus d'incitation à élargir la gamme de produits qu'une structure de chaîne de monopoles, en réduisant les inefficacités verticales. Finalement, de façon plus surprenante, la concurrence danslesecteur avalpeut mêmeconduire à plus d'innovation qu'une intégration verticale lorsque le coût de lancement du nouveau produit est majoritairement supporté par le secteur aval. Ce résultat repose sur un effet stratégique de spécialisation des distributeurs dans un but de réduction de la concurrence : l'un des distributeurs a intérêt à s'engager à investir pour être le seul à distribuer le nouveau produit, réduisant ainsi la concurrence à laquelle il est soumis, et permettant au producteur de commercialiser son nouveau produit à moindre coût, là où une entreprise intégrée verticalement n'aurait pas innové. Par ailleurs, nous montrons que ce surcroît d'innovation bénéficie au surplus social.
12L'article est organisé de la façon suivante : dans un premier temps, nous étudions les décisions d'un producteur qui écoule sa production à travers une chaîne de monopoles (première partie), puis nous analysons dans la deuxième partie la situation où le même producteur fait face à des distributeurs en concurrence. La dernière partie conclut.
Incitations à innover au sein d'une chaîne de monopoles
Le modèle
13On considère une chaîne de monopoles constituée
d'un producteur P, qui doit passer par l'intermédiaire
d'un distributeur D pour commercialiser sa
production. Ce producteur fabrique initialement un
bien A avec un coût marginal constant que nous
normalisons à zéro. Il a la possibilité d'adopter une
innovation [5] pour se lancer dans la production d'un
produit substituable, B. Cette adoption
technologique entraîne un coût fixe ?, qui s'ajoute
au coût marginal constant de production du bien, que
nous normalisons également à zéro [6]. Les biens A et
B sont horizontalement différenciés : nous
considérons ici l'innovation comme un moyen
d'apporter aux consommateurs une plus grande
variété de produits, mais pas une amélioration de la
qualité des biens disponibles. Afin de prendre en
compte le goût pour la variété des consommateurs,
nous considérons les demandes inverses suivantes,
où P est le prix payé pour une unité de bien A
A lorsque les quantités qA de bien Aet qB de bien B sont
mises sur le marché :

Le paramètre c, que l'on suppose dans [0,1[, mesure donc le degré de substitution entre les deux biens.
14Le distributeur peut distribuer sans coût l'ancien produit A, mais s'il accepte de distribuer le nouveau produit, il fait face à un coût fixe de distributionF, qui correspond aux coûts d'organisation des stocks, d'affichage et de marketing. Les paramètres c, ? et F sont exogènes.
15On s'intéresse maintenant aux incitations du producteur à investir la somme ? dans le lancement du nouveau produit, selon deux scenarii : lorsque les deux entreprises sont intégrées verticalement et lorsqu'elles sont séparées.
La situation de référence : monopole verticalement intégré
16Dansunpremiertemps, onconsidèreunesituation de référence dans laquelle le producteur et le distributeur sont verticalement intégrés. La chaîne intégrée n'innove que si le nouveau produit est profitable.
17Le profit de la structure intégrée qui choisit de ne pas créer le nouveau produit et de vendre seulement le produit existant A est ?AIVA A q q= ?( )1. Le prix de détail optimal est alors pAIV = 1 2/ et le profit maximum réalisé par le monopole intégré s'il n'innove pas est ?AIV = 1 4/.
18En revanche, si la structure intégrée décide
d'innover, elle doit anticiper quels produits elle
distribuera, en particulier si elle continuera à
distribuer l'ancien produit Aà côté du produit B ou à
commercialiser seulement le nouveau produit (bien
entendu, l'innovation induisant un coût ?, la
décision d'innover et de ne pas distribuer ensuite le
produit B ne serait pas rationnelle). Si l'entreprise
intégrée vend uniquement le produit A, son profit
optimal est ?AIV = 1 4/. Si elle choisit de vendre les
deux produits, elle choisit les quantités de chaque
bien mises sur le marché afin de maximiser son profit
de la façon suivante :

La structure intégrée produit alors les quantités optimales q q c= = +1 2 1/ ( ( )) et réalise le profit A B ? ?ABIV c F= + ? ?1 2 2/ ( ( )).
19Finalement, l'entreprise verticalement intégrée
innove et choisit de distribuer à la fois l'ancien et le
nouveau produit lorsque la condition suivante, qui
garantit que son profit est plus élevé que sans
innovation, est satisfaite :

Ainsi, la capacité de la firme intégrée à lancer le nouveau produit dépend du coût total de production et de distribution de l'innovation F + ?, mais pas de la répartition de ce coût entre les divisions amont et aval de la firme. L'innovation est rentable tant que le coût fixe total qu'elle induit ne dépasse pas une certaine limite qui décroît avec la substituabilité des produits : lorsque c tend vers 1, le coût total d'innovation maximal que peut supporter l'entreprise intégrée tend vers 0. En effet, plus les produits sont substituables, moins il est profitable de les introduire simultanément sur le marché, dans la mesure où ils se font concurrence. Au sein d'une entreprise intégrée, seul cet effet de cannibalisation classique influence la rentabilité de l'innovation. Nous étudions maintenant comment la séparation verticale des activités de production et de distribution modifie ce résultat et fait intervenir la répartition des coûts entre les différentes activités.
Variété des produits dans une chaîne de monopoles séparés
20On considère maintenant que les activités de production et de distribution sont exercées par deux entreprises distinctes. Le producteur prend la décision d'innover ou non avant d'annoncer le ou les prix de gros auxquels il commercialise sa production, et le distributeur choisit dans un second temps sa politique de référencement et de prix en fonction des prix de gros. Formellement, les acteurs participent au jeu suivant : à l'étape 1, le producteur décide éventuellement d'élargir sa gamme de produits et paie le cas échéant le coût fixe ?. Il fixe ensuite les deux prix de gros w et w, chacun dans AB [0,1] [7]. À la deuxième étape, le distributeur choisit quels produits il référence etcommande lesquantités q et éventuellement q. La demande inverse des AB consommateurs détermine alors les prix d'équilibre sur le marché en aval. On cherche les équilibres de Nash parfaits en sous-jeux et l'on résout le jeu par induction vers l'amont. La séparation verticale introduit ici une externalité de double marginalisation (Spengler, 1950) qui modifie les décisions d'innovation de la chaîne de monopoles.
En aval : stratégie du distributeur
21Nous détaillonsdansun premier temps la stratégiede l'entreprise aval. À la deuxième étape, il choisit sa stratégie de référencement en connaissant les prix de gros pratiqués par le producteur, que nous supposons inférieurs à 1. Si ce dernier a choisi à la première étape de ne pas investir dans la diversification de sa gamme, ou si le distributeur choisit de ne pas commercialiser le nouveau produit, le distributeur maximise son profit en commandant la quantité q w= ?( ) /1 2. Dans ce cas, le profit du distributeur A A est ?DA w= ?( ) /1 4 2.
22Supposons maintenant que le producteur choisisse
d'innover. Dans ce sous-jeu, le distributeur peut
distribuer les deux biens ou l'un seulement. Si le
distributeur choisit de ne vendre que le nouveau bien
B, il doit payer le coût fixe F. Il maximise son profit
en vendant la quantité q w B B = ?( ) /1 2 et réalise alors 2
le profit
Si au contraire le
distributeur choisit de référencer les deux biens, son
programme s'écrit :

L a stratégie optimale du distributeur est de commander les quantités

(avec{ , } { , })I J A B= Son profit est dans ce cas

Choix de référencement du distributeur Étant donnés les prix de gros w et w, la AB comparaison des profits possibles avec chaque référencement détermine la stratégie du distributeur. On montre facilement que, quels que soient wA et w, le distributeur préfère vendre les deux biens B plutôt que le bien B seul : la stratégie “vendre seulement le nouveau produit” est dominée par la stratégie “vendre les deux biens”. En outre, si w c cw? ? +1, le distributeur fait un profit nul s'il B A vend les deux biens, donc il préfère ne vendre que le bien A et ne pas payer le coût fixe. Enfin, dans les autres cas, le choix entre les stratégies “Aseul” et “A et B” dépend du coût fixe F; le distributeur préfère vendre lesdeuxbiens plutôt que Aseul si lacondition suivante est vérifiée :

La figure suivante montre le choix de référencement du distributeur dans le plan ( , )w FB, à wA fixé.
stratégies du distributeur

stratégies du distributeur
23Ainsi, le distributeur accepte de référencer le nouveau produit seulement si le coût fixe F de distribution du nouveau bien est inférieur à un certain seuil, qui décroit avec le coût unitaire d'approvisionnement wB.
En amont : stratégie du producteur
24À la première étape du jeu, le producteur prend la décision d'investir dans le lancement du nouveau produit ou pas, et fixe ses prix de gros en anticipant la réaction de son distributeur à la deuxième étape.
25S'il choisit de ne pas innover, il fixe son prix de gros wA =1 2/ pour obtenir le profit ?AP =1 8/.
26Si au contraire il innove, il doit payer le coût fixe ?,
qui ne peut être rentabilisé que si son distributeur
accepte de commercialiser le nouveau produit :
sinon, il gagnerait au maximum ? ?BP = ?1 8/. S'il
choisit d'innover, le producteur doit donc maximiser
son profit sous la contrainte (4) qui garantit que les
prix de gros permettent au distributeur de
commercialiser les deux biens. La seule solution
intérieure est w w A B* * /= =1 2, tant que
F c c? ? +( ) /( ( ))1 16 1. Le profit du producteur est
alors ? ?ABP c= + ?1 4 1/ ( ( )). E n revanche, si
F c c? ? +( ) /( ( ))1 16 1, leproducteur doit adopter une
stratégie de prixlimite pourpermettre au distributeur
de vendre les deux biens : la solution en coin est alors
et le
profit du producteur

Finalement, la comparaison des profits anticipés détermine la stratégie optimale du producteur à la première étape du jeu. L'annexe A.1 détaille ces choix optimaux selon les valeurs des paramètres et la figure 2 compare l'équilibre qui en résulte avec le cas du monopole intégré et montre que la condition nécessaire pour qu'une chaîne de monopoles élargisse sa gamme de produits au coût ? et commercialise le nouveau produit moyennant le coût F est plus contraignante que la condition correspondante pour un monopole verticalement intégré :
comparaison des stratégies d'innovation

comparaison des stratégies d'innovation
27La zone grisée montre l'ensemble des valeurs des coûts fixes pour lesquels la séparation verticale de la chaîne de monopoles entraîne une perte d'incitations à l'innovation : alors qu'un monopole intégré aurait innové, une chaîne de monopoles séparés n'innove pas.
28Proposition 1. La séparation verticale peut restreindre la diversité des produits proposés aux consommateurs.
29Ainsi, une structure intégrée adopte plus facilement une innovation qu'une chaîne demonopolessoumise aux mêmes coûts. Ce résultat repose sur un effet de la double marginalisation [8] : le problème classique de coordination au sein d'une chaîne de monopoles verticalement séparés, engendrant l'inefficacité de la structure verticale, réduit la rentabilité de l'introduction du nouveau produit. Il est intéressant de voir que cet effet ne joue pas de façon symétrique entre les deux secteurs : les incitations à l'innovation dans la chaîne de monopoles sont plus sensibles au coût fixe de production ? qu'au coût fixe de distribution F. En effet, lorsque ce dernier est élevé, le producteur peut adapter son prix de gros en pratiquant un prix limite afin d'inciter le distributeur à distribuer les deux biens, influençant ainsi la réaction de son partenaire vertical. En revanche, lorsque c'est le coût fixe de production du nouveau produit qui est élevé, le distributeur ne peut pas s'engager à partager le coût supporté par son fournisseur : le distributeur ne peut pas influencer son partenaire vertical, qui prend donc unilatéralement la décision de ne pas développer le nouveau produit.
Concurrence entre distributeurs
30Nous étudions maintenant l'influence de la concurrence entre distributeurs sur l'étendue de la gamme de produits offerts par le producteur. Considérons à présent une situation de concurrence entre deux distributeurs, notés D et D, qui 12 commercialisent les biens produits parle producteur.
31Le jeu se déroule comme dans la section précédente : dans une première étape, le producteur décide d'innover ou non et choisit ses prix de gros. Ensuite les distributeurs choisissent d'investir ou non le coût fixe F de distribution du nouveau bien (s'il existe). Ce coût fixe est irrécupérable. Dans une troisième étape, les choix d'investissement des distributeurs leur permettant ou non de référencer le nouveau bien sont rendus publics; ils commandent simultanément les quantités de biens qu'ils mettent en vente et la demande inverse des consommateurs détermine les prix sur le marché final. La concurrence entre distributeurs est donc à la Cournot et, le coût fixe F étant irrécupérable, la deuxième étape constitue une forme d'engagement [9] sur la politique de référencement choisie, car si un distributeur n'a pas payé F, il ne peut pas référencer le nouveaubien. Afin de déterminer les équilibres parfaits en sous-jeu, nous résolvons le jeu par récurrence vers l'amont.
Tr oisième étape : choix des quantités commercialisées
32Dans cette section, nous déterminons l'issue du jeu de concurrence aval, à la troisième étape, à prix de gros( , )w w et choix d'investissementsdonnés. On A B suppose que les deux prix de gros sont inférieurs à 1, condition nécessaire pour que les deux biens soient viables. À cette étape, les distributeurs sont partiellement engagés sur leur stratégie de référencement et trois sous-jeux différents sont à traiter, selon qu'un seul, aucun, ou les deux distributeurs ont payé le coût fixe F permettant de distribuer le nouveau produit.
Aucun distributeur n'a payé le coût fixe
33Dans cette première situation, un seul bien peut être distribué : A. Le jeu de concurrence en aval est donc un simple jeu de Cournot et il existe un seul équilibre où les deux distributeurs vendent la même quantité de bien A q q w A A A : ( ) / 1 2 1 3= = ?. Chacun réalise alors le profit ?ADA w= ?( ) /1 9 2.
Les deux distributeurs ont payé le coût fixe
34Dans ce cas, chaque distributeur choisit deux quantités, éventuellement nulles. La résolution du jeu de Cournot présentée dans l'annexe A.2 fait apparaître, selon les valeurs des prix de gros, les stratégies optimales des distributeurs. Si le prix de gros du bien B est trop élevé, seul le bien A est distribué; au contraire, pour defaiblesvaleursde w, B seul le nouveau produit est distribué. Enfin, la coexistence des deux produits sur les rayons des deux distributeurs apparaît à l'équilibre pour des valeurs intermédiaires du prix de gros de B. Par ailleurs, l'intervalle des valeurs de w dans lequel B les deux biens peuvent être distribués diminue avec le degré de substituabilité entre les produits c : la valeur limite de w en deçà de laquelle seul le bien B B est distribué augmente avec c et, au contraire, la valeur limite au-delà de laquelle seul A est distribué diminue avec c. En effet, plus c est élevé, plus la concurrence est forte entre les deux produits, donc la coexistence dans les rayons du distributeur devient moins rentable. De même, cet intervalle de coexistence des produits diminue avec w, bien que A les deux seuils se déplacent vers la droite quand w A augmente, ce qui exprime simplement le fait que la distribution du produit A, qu'il soit seul ou accompagné du produit B, est moins rentable quand w est élevé. Enfin, on peut remarquer que dans ce A sous-jeu, aucune configuration de marché asymétrique, possible a priori, n'apparaît à l'équilibre : les deux distributeurs choisissent toujours les mêmes stratégies.
Configuration asymétrique : un seul distributeur a payé le coût fixe
35Dans ce sous-jeu, l'un des deux distributeurs ne peut vendre que l'ancien produit, A. On appelle 2 ce distributeur. L'autre a le choix de sa stratégie de référencement. La résolution du jeu de Cournot en aval, comme dans le sous-jeu précédent, est présentée enannexe. Elle fait apparaître quatre zones en fonction des valeurs de wB. Seul le bien A est distribué si le prix de gros du bien B est trop élevé et le seuil est le même que dans le cas précédent. Si w B est légèrement au-dessous de ce seuil, les deux biens sont distribués par le distributeur qui a payé le coût fixe. Pour des valeurs encore plus faibles de w ce B dernier ne distribue plus que le bien B alors que son concurrent est toujours contraint à ne distribuer que l'ancien produit. Enfin, pour des valeurs de B très faibles, le distributeur qui n'a pas investi le coût fixe à la période précédente est contraint de sortir du marché, et celui qui a investi est en monopole et ne distribue que le nouveau produit B, cessant la commercialisation du produit A pour éviter la cannibalisation du nouveau produit, plus rentable. Comme dans le cas où les deux distributeurs ont payé le coût fixe, les seuils sont croissants en w et A l'intervalle de coexistence des deux biens rétrécit lorsque le degré de concurrence entre les deux produits, c, augmente. Il est intéressant de noter que l'apparition d'équilibres avec spécialisation en aval est due au versement du coût fixe de distribution. En effet, dans un jeu de concurrence à la Cournot sans coût fixe, lesdeuxdistributeurs n'auraientpasintérêt à se spécialiser : le distributeur n'ayant pas payé le coût fixe aurait toujours intérêt à dévier de l'équilibre en réduisant la quantité de bien A qu'il offre et en distribuant aussi une quantité positive de bien B.
36On peut maintenant déterminer les choix d'investissement des distributeurs à l'étape précédente.
Deuxième étape : investissement du coût fixe en aval
37À cette étape, qui n'est jouée que si le producteur a choisi de lancer le nouveau produit, les distributeurs doivent choisir d'investir ou non le coût fixe, connaissant les prix de gros et anticipant les équilibres du jeu aval qui en résulteront. Les équilibres decetteétapedépendentdesvaleursde wA et wB.
38Cinq configurations de marché ressortent de l'analyse du sous-jeu. Dans les configurations symétriques, chaque distributeur vend uniquement le nouveau produit, uniquement l'ancien ou les deux. Dans la première configuration asymétrique, un distributeur vend uniquement l'ancien produit et l'autre uniquement le nouveau. Dans la seconde configuration asymétrique, un distributeur vend uniquement l'ancien produit et l'autre les deux. La figure 3 résume les configurations d'équilibre du sous-jeu, qui sont détaillées dans l'annexe A.3, dans le plan défini par w et F à w donné : dans chaque BA zone, la mention “F” signifie qu'un distributeur investit le coût fixe, “non F” indique le choix contraire ; les lettres entre parenthèses à la suite de ces indications donnent les stratégies de référencement des deux distributeurs.
39Logiquement, pour chaque valeur des prix de gros, lorsque le coût fixe de distribution du bien B augmente, les équilibres danslesquelsB estdistribué disparaissent. De même, plus le prix de gros du bien B est élevé, moins il est profitable à distribuer. Ces résultats confirment donc l'intuition que pour de faibles valeurs du prix de gros et du coût fixe, les deux distributeurs investissent et distribuent le bien B, alors que pour de fortes valeurs de F et w, le coût B de distribution du nouveau produit est trop élevé et les deux distributeurs choisissent symétriquement de s'en tenir à l'ancien produit. Pour des valeurs intermédiaires des coûts fixes, les distributeurs adoptent des stratégies asymétriques de “spécialisation”, un seul des deux distributeurs investissant dans la distribution du bien B (éventuellement assorti du produit A), l'autre se limitant à distribuer l'ancien produit.
équilibres du sous-jeu aval en concurrence

équilibres du sous-jeu aval en concurrence
Première étape : décision du producteur
40À la première étape du jeu, la décision de développer ou non le nouveau produit revient au producteur. Anticipant les stratégies des distributeurs aux étapes suivantes, il établit sa gamme de produits et fixe ses prix de gros afin de maximiser son profit. La recherche des équilibres sous-jeux parfaits, détaillée en annexe A.4, permet de déterminer la stratégie du producteur et de la comparer avec celle d'une chaîne de monopoles.
41Proposition 2. Un producteurvendantsaproduction par le biais d'un secteur aval en concurrence innove plus qu'une chaîne de monopoles.
42Preuve : voir l'annexe A.4.
43Plus précisément, lorsque les coûts fixes d'innovation sont tels que la chaîne de monopoles innove, un producteur face à un secteur distributif en concurrence innove aussi. En revanche, il existe des zones de l'espace des paramètres de coût dans lesquelles la chaîne de monopoles n'innove pas, alors que le monopole face à un secteur distributif en concurrence innove. Cela se produit dans deux régions de l'espace des paramètres dans lesquelles l'un des coûts fixes est très faible et l'autre assez fort (voir la figure 4).
44Dans la première de ces zones, le coût de
l'innovation est essentiellement supporté par le
producteur. Lorsque le coût fixe en aval F est très
faible, soit
,
une chaîne de monopoles n'innoverait pas, mais les
deux distributeurs acceptent de distribuer les deux
biens si le producteur pratique les prix de gros de
l'optimum intérieur ( / )w w= =1 2. L a
A B concurrence en aval augmente les quantités des deux
biens vendues et, par là même, le profit du
producteur, qui peut supporter un coût fixe
d'innovation plus important que lorsqu'il est face à
un monopole aval. Lorsque le coût de distribution
devient légèrement plus important, le producteur
doit réduire le prix de gros du nouveau produit pour
inciter les distributeurs à le distribuer. Cette stratégie
de prix-limite est profitable lorsque le coût fixe
supporté par la firme amont n'est pas trop élevé et
tant que chacun des deux distributeurs continue à
vendre les deux biens, c'est-à-dire jusqu'à
F c c= ? +( ) / ( ( ))1 16 1. Dans cette zone, le surcroît
d'innovation provient donc essentiellement d'un
effet de réduction des inefficacités de double
marginalisation par la concurrence en aval, qui
permet de rendre l'innovation plus rentable pour la
firme amont.
45Pour des valeurs intermédiaires des coûts fixes, la concurrence en aval ne permet plus de faire mieux que la chaîne de monopoles : la zone dans laquelle le nouveau produit est mis sur le marché est exactement la même dans les deux cas. En effet, la concurrence entre distributeurs, réduisant leurs profits, rend le poids de l'investissement initial plus difficile à supporter : dans cette zone, seul un distributeur peut investir avec profit dans la distribution du nouveau produit, les deux distributeurs continuant à distribuer le produit A. La quantité de bien B vendue avec cette stratégie est la même que celle qui serait vendue par une chaîne de monopoles et le surprofit apporté au producteur par la vente du bien B est également identique. Inciter les distributeurs à vendre plus de nouveau produit deviendrait trop coûteux pour le producteur, qui fait lui-même face à un important coût fixe deproduction de l'innovation. Donc le producteur innove exactement dans les mêmes conditions qu'une chaîne de monopoles.
46En revanche, lorsque le coût fixe de distribution du
nouveau produit devient encore plus élevé et que le
coût supporté directement par le producteur est
faible, une seconde zone peut apparaître dans
laquelle la concurrence en aval augmente à nouveau
les incitations à innover. Cette zone n'existe que
lorsque les deux produits sont fortement substituts
(pour c ? 1 2/ ). Dans ce cas, pour F dans l'intervalle
le bien B est
produit et distribué pour des valeurs de ? assez
faibles, mais dans une zone plus étendue que dans le
cas de la chaîne de monopoles. En effet, le coût de
production de l'innovation étant faible, le
producteur est prêt à consentir une réduction
importante du prix de gros w pour inciter les
B distributeurs à vendre ses deux produits, et cette
diversification des produits augmente la demande
totale. Or dans cette zone, l'effet d'engagement de
l'investissement F à l'étape précédente aboutit à une
stratégie de spécialisation des distributeurs : chacun
est en monopole sur le marché d'un bien. Dans cette
configuration de marché, paradoxalement,
l'importance du coût fixe de distribution du nouveau
produit F permet un relâchement de la concurrence
en aval grâce à la spécialisation, ce qui augmente la
rentabilité de l'innovation. Il est intéressant de noter
que cette stratégie de spécialisation n'est possible
que si les deux produits sont des substituts proches,
c'est-à-dire fortement concurrents : dans ce cas, le
distributeur qui a investi choisit d'abandonner la
distribution de l'ancien produit, pour réduire la
cannibalisation de ses ventes de produit B, et l'autre
n'a d'autrechoixquede distribuerl'ancien produit.
47En résumé, la concurrence en aval augmente les incitations à l'innovation par le biais de deux effets : un effet classique de réduction des inefficacités verticales et un effetstratégiquede spécialisation des distributeurs, qui est permis par l'effet d'engagement de l'investissement nécessaire pour distribuer le nouveau produit. On compare maintenant les incitations à l'innovation en concurrence en aval avec celles d'un monopole verticalement intégré.
48Proposition 3. Si les biens sont peu substituables ( / )c ? 1 2, un producteur vendant sa production par le biais d'unsecteur aval en concurrenceinnove moins qu'un monopole intégré; si les biens sont fortement substituables ( / )c ? 1 2, la concurrence entre distributeurs conduit à moins d'innovation que la structureverticalement intégrée, sauflorsque le coût d'innovation supporté par l'amont, ?, est très faible et que le coût supporté par l'aval F est relativement grand.
49Preuve : voir l'annexe A.5.
50La figure 4 illustreles propositions 2 et 3 dans le plan ( , )? F (pour c ? 1 2/ ).
comparaison des stratégies d'innovation

comparaison des stratégies d'innovation
51Globalement, même limitées par la concurrence en aval, les inefficacités de double marginalisationliées à la séparation verticale subsistent et réduisent les incitations à l'innovation du producteur. Cet effet domine lorsque le coût de distribution F est assez faible et, dans ce cas, la structure verticalement séparée avec concurrence en aval innove moins qu'un monopole verticalement intégré. Cependant, un effet vertical opposé apparaît lorsque le nouveau produit est peu rentable à distribuer (c'est-à-dire lorsque F est grand par rapport à ? et que les deux produits sont des substituts proches). Dans ce cas, le producteur peut utiliser la concurrence entre distributeurs pour inciter ces derniers à distribuer l'innovation : même si elle est coûteuse à distribuer, l'innovation permet aux distributeurs de se spécialiser, l'un d'eux distribuant seulement le nouveau produit et l'autre vendant uniquement l'ancien, relâchant ainsi la concurrence en aval. Cette stratégie de segmentation qui atténue la concurrence en aval rend possible la distribution du nouveau produit alors même qu'une entreprise intégrée verticalement n'aurait pas choisi de le mettre sur le marché. La concurrence en aval induit ici, pour des motivations stratégiques, un surinvestissement en faveur de l'innovation et une plus grande variété de produits qu'un monopole intégré.
52L a proposition 3 a plusieurs implications. Premièrement, au niveau empirique, l'effet de relâche de la concurrence entre distributeurs par le producteur est observé pour un nouveau produit qui se substitue fortement à l'ancien et dont les frais de marketing et de promotion sont relativement élevés. Dans cette situation, même si les distributeurs se spécialisent, la concurrence en aval continue à peser fortement sur leurs stratégies de référencement (à l'étape 2 de notre jeu). Deuxièmement, les autorités de la concurrence sont généralement plus souples face à une intégration verticale que face à une fusion horizontale, en raison de l'externalité verticale. Notre modèle émet un avertissement puisqu'une fusion verticale peut avoir des effets négatifs en termes d'innovation lorsque l'innovation est peu coûteuse à développer mais très coûteuse à distribuer (innovation incrémentale), alors que l'intégration verticale conduit à un plus grand effort d'innovation lorsque l?innovation est peu coûteuse à distribuer mais très coûteuse à développer (innovation radicale).
Discussion
53Nous discutons dans cette section l'analyse du bien-être social et la robustesse de nos résultats par rapport aux hypothèses sur les coûts.
54D'une manière générale, la variété des produits
améliore le surplus social, à prix constants. Il
bénéficie donc de la concurrence entre distributeurs.
Dans notre modèle, le surplus total (net des coûts
fixes) est défini par :

Il est facile de montrer que le surplus total défini à * l'équilibre W c W Q c Q c A B* * ( ) ( ( ), ( ))= est décroissant en c pour 0 1< <c dans chaque configuration. Par ailleurs, pour chaque configurationde référencement, lesurplustotalestle plus élevé avec la structure intégrée : il est moins élevé en situation de concurrence en aval et il est le plus faible avec la chaîne de monopole. Dans le cas où la concurrence en aval incite le producteur à lancer le nouveau produit, alors qu'une structure intégrée n'innoverait pas (c'est-à-dire lorsque les coûts de l'innovation sont supportés surtout par les entreprises aval et lorsque l'innovation crée un substitut proche du produit en place), le surplus social est plus élevé avec l'innovation : la concurrence améliore le surplus social en augmentant la variété des produits offerts sur le marché.
55Par ailleurs, nous avons considéré une structure de coûts dans laquelle les coûts marginaux étaient négligeables par rapport aux coûts fixes. Cette hypothèse illustre particulièrement certains marchés, comme nous l'avons évoqué en introduction, notamment les biens culturels comme les disques compacts ou les DVD. Cependant, nos résultats ne changeraient pas qualitativement si l'on introduisait des coûts marginaux positifs pour la distribution ou la production des biens. D'une part, modéliser des coûts marginaux positifs et égaux pour les deux biens conduirait à des équilibres comparables et conserverait en particulier les trois types d'équilibres que notre analyse a mis en évidence. D'autre part, introduire une asymétrie dans les coûts marginaux de production ou de distribution des deux biens déplacerait les frontières des zones d'équilibre mais ne remettrait pas en question les conclusions générales du modèle. En effet, supposons que la distribution du nouveau produit nécessite un coût marginal k constant et strictement positif, alors que ladistribution dubien A se fait toujours à un coût marginal nul. Considérons la deuxième étape du jeu. Il est facile de montrer que ce cas revient à augmenter le prix de gros unitaire du bien B de w à w k+ : les frontières délimitant les B B zones d'équilibre du sous-jeu aval à prix de gros fixé se déplacent donc vers la gauche dans la figure 3, ce qui élimine progressivement, au fur et à mesure que k augmente, les équilibres où B est distribué seul, puis les équilibres de spécialisation. Par conséquent, la distribution de la nouvelle variété est limitée à des zones de coût fixe F plus faibles et, à la première étape, de manière attendue, les incitations en amont sont réduites, sans remettre en question l'existence des équilibres avec introduction du nouveau produit pour des valeurs relativement faibles du coût marginal de distribution. Inversement, un raisonnement similaire s'applique au cas où le coût de distribution du nouveau produit est inférieur à celui de l'ancien produit : les incitations au lancement du nouveau produit en sont renforcées. Enfin, si l'on suppose que l'asymétrie de coûts concerne le secteur amont, c'est-à-dire que le coût marginal de production du nouveau produit est supérieur à celui de l'ancien produit (toujours normalisé à zéro), on peut montrer que ce coût est répercuté par le producteur sur le prix de gros unitaire w, ce qui décale les équilibres de la même B manière que précédemment.
Conclusion
56Nous avons mis en évidence plusieurs mécanismes par lesquels la structure verticale et concurrentielle d'un marché influence la gamme de produits offerts aux consommateurs. Les premiers résultats mettent en évidence de nouvelles conséquences de la double marginalisation en termes d'incitations à étendre l'offre de produits. Au sein d'une chaîne de monopoles, l'intégration verticale favorise l'adoption d'une innovation et permet de proposer une plus grande variété de produits aux consommateurs ayant des goûts hétérogènes. Ainsi, la séparation des activités de production et de distribution peut engendrer des conflits d'intérêt entre entreprises d'une même chaîne verticale, qui aboutissent à une sous-incitation à l'innovation et à une offre de produits trop peu diversifiée.
57Par ailleurs, dans le cadre plus complexe d'une relation entre un producteur innovant et des distributeurs en concurrence, l'effet de la concurrence en aval sur l'effort d'innovation du producteur dépend du degré de substituabilité du nouveau produit avec l'ancien et de la répartition entre les coûts de développement et les coûts de distribution de la nouvelle variété. Lorsque le nouveau produit est peu coûteux à développer mais engendre des coûts de distribution élevés, la concurrence en aval peut inciter le producteur à innover en segmentant le marché aval, là où un monopole intégré et a fortiori une chaîne de monopoles n'innoverait pas. À l'opposé, lorsque le nouveau produit demande peu de frais de distribution mais est très coûteux à développer, une concurrence plus rude réduisant les inefficacités de double marginalisation améliore les incitations à innover, mais reste toutefois moins efficace qu'une intégration verticale qui internalise totalement cette externalité.
Annexes
58Les preuves complètes sont disponibles dans Allain et Waelbroeck (2006).
59A.1 Incitations à l'innovation dans la chaîne de monopoles
60L a comparaison des profits anticipés du producteur détermine sa stratégie optimale à la première étape du jeu :
- si F c c? ? +( ) / ( ( ))1 16 1 et? (1 ? )/ (8(1 +? c c)), il innove, fixe les prix de gros optimaux w w A B* * /= = 1 2 et réalise le P profit de l'optimum intérieur ? ?AB c= + ?1 4 1/ ( ( ));
-
si F c c? ? +( )/ ( ( ))1 16 1 et
, il innove, fixe le prix de gros optimal wA* /= 1 2et le prix limite
et réalise le profit
-
si ? ? ? +( ) / ( ( ))1 8 1c c ou F c c? ? +( )/ ( ( ))1 16 1 et
, il n'innove pas, fixe wA = 1 2/ et réalise le profit ?AP = 1 8/.
61A.2 Concurrence ente les distributeurs : résolution de la troisième étape du jeu
62Si les deux distributeurs ont payé le coût fixe F, la résolution du jeu de Cournot en aval donne les choix suivants :
- si w c w B A ? ? ?1 1( ), seul le bien A est distribué;
- si 1 1 1 1? ? ? ? ? ?c w w w c A B A ( ) ( ) /, chaque distributeur vend les deux biens;
- si 1 1? ? ?( )/w c w A B, seul le bien B est vendu.
63Si un seul des distributeurs a payé le coût fixe F, la résolution du jeu de Cournot en aval donne les équilibres suivants pour le sous-jeu de la troisième étape :
- si w c w B A ? ? ?1 1( ), seul le bien A est distribué;
-
si 1 1 1 1 2 3 2 ? ? ? ? ? ? +c w w w c c A B A ( ) ( )( ) / ( ),
le distributeur 1 vend les deux biens en quantités
et l'autre distributeur vend seulement le bien A en quantité q w A A2 1 3= ?( )/; -
le distributeur 1 ne vend que le bien nouveau et son concurrent seulement le bien A; -
le seul équilibre est tel que l'entreprise 2 sort du marché (ou vend une quantité nulle de bien A) alors que 2 est en monopole sur les deux produits mais ne vend que le bien B pour éviter la cannibalisation par le bien A. Dans ce cas, le distributeur 1 vend la quantité de monopole q w BIM B, ( )/ ? = ?1 2.
64A.3 Choix d'investissement des distributeurs en concurrence
65À la deuxième étape du jeu, dans le sous-jeu où le
producteur a innové, étant donnés les prix de gros wA et wB :
1) si w c w B A ? ? ?1 1( ) : aucun distributeur ne paie le coût
fixe, et à l'étape suivante seul le bien A sera distribué;

66les deux distributeurs investissent F. À l'étape suivante,
chacun distribue les deux biens.

67un seul distributeur investit F pour distribuer les deux biens,
et le distributeur qui n'a pas payé F ne distribuera que le bien
A.

68, aucun distributeur ne paie F, et
à l'étape suivante les deux ne vendent que le bien A;

69les deux distributeurs investissent F. À l'étape suivante,
chacun distribue les deux biens.

70un seul distributeur investit F pour distribuer le bien B
seulement et son concurrent ne distribue que le bien A.

71aucun distributeur ne paie F, et à l'étape suivante les deux ne
vendent que le bien A;

72(cette zone ne peut exister que si w c A ? ?1 :

les deux distributeurs investissent F et distribuent seulement le bien B.

73un seul distributeur investit F pour distribuer le bien B
seulement, son concurrent distribuant seulement le bien A.

74aucun distributeur ne paie F et à l'étape suivante les deux ne vendent que le bien A.
755) Si w w c B A ? ? ?1 2 2( ) / (cette zone ne peut exister que si
w c A ? ?1 2( / )):

aucun distributeur n'investit à la deuxième étape, les deux ne vendent que le bien A.

76un seul distributeur investit le coût fixe, l'autre sort du marché à l'étape suivante. Le distributeur qui a investi est en monopole et ne distribue que le nouveau produit B.
77Si

, les deux distributeurs investissent et distribuent uniquement B.
78A.4 Choix du producteur face à des distributeurs en concurrence : preuve de la proposition 2
79À la première étape, le producteur choisit d'innover lorsque le profit qu'il obtient en innovant est supérieur à celui qu'il obtient s'il ne produit que le produit A, soit ?AAP = 1 6/. S'il innove, son profit va dépendre des quantités vendues par les distributeurs à la troisième étape. On résume ici les choix du producteur à l'équilibre.
80( i) Si

, il innove si et seulement si ? ? ? +( )/ ( ( ))1 6 1c c et les deux distributeurs vendent les deux biens (optimum intérieur). Pour ces valeurs de F, la chaîne de monopoles n'innovait que pour ? ? ? +( )/ ( ( ))1 8 1c c : la concurrence en aval entraîne ici plus d'innovation que dans la chaîne de monopoles.
81(ii) Si

, le producteur doit pratiquer un prix limite pour que les deux distributeurs vendent chacun les deux biens à l'équilibre. Le producteur innove si

pour

Pour ces valeurs de F, la chaîne de monopoles n'innovait que pour ? ? ? +( )/ ( ( ))1 8 1c c : la concurrence en aval entraîne ici plus d'innovation que dans la chaîne de monopoles.
82(iii) Lorsque

, le producteur fixe les prix de gros de telle sorte que l'innovation soit distribuée par un seul distributeur, l'autre ne vendant que l'ancien bien A.
83Si c ? 1 2/, le producteur choisit une stratégie de prix limite
notée lim(AB, A) telle que l'un des deux distributeurs
seulement paie le coût fixe F et vend les deux biens, l'autre
ne vendant que le bien A. Cette stratégie est préférée à
l'absence d'innovation lorsque

, ce qui correspond exactement à la frontière de l'innovation dans le modèle de la chaîne de monopoles.
84En revanche, si c?1 2/, cette stratégie n'est plus définie pour

et le producteur doit alors pratiquer un prix limite qui incite les distributeurs à se spécialiser : un distributeur investit F et distribue le bien B seulement, l'autre ne payant pas le coût fixe et ne distribuant que le bien A. On montre qu'une telle stratégie domine [10] toujours la stratégie sans innovation dans la zone où la chaîne de monopoles innovait, et même dans une zone plus vaste répondant à la condition ? ??A B, ave

c

Autrement dit, pour ces valeurs de F et de c le producteur face à des distributeurs en concurrence innove plus qu'une chaîne de monopoles.
85A.5. Preuve de la proposition 3
86Si c?1 2/, on a vu dans la preuve de la proposition 2 que pour
F c c? ?( )/ ( )1 36 2 2, la stratégie consistant à innover et à fixer
les prix de gros de telle sorte que les distributeurs se
spécialisent chacun dans la distribution d'un produit domine
la stratégie sans innovation pour
? ?? = ? ? ? + + ? A B F c c F c, ( )/ (( ) / ) ( ( / ))2 7 72 2 1 2 2 2

Dans le repère ( , )? F, cette frontière coupe l'axe des ordonnées en F c c A B, ( ) / ( ( ))? ? +1 4 1 pour tout c?1 2/, donc la zone dans laquelle la spécialisation des distributeurs permet l'innovation dépasse la zone dans laquelle le monopole intégré verticalement innove pour ces valeurs de c.
Notes
- (*)CNRS, Laboratoire d'Économétrie de l'École Polytechnique et CREST-LEI E-mail : mmarie-laure. allain@ shs. polytechnique. fr
- (**)ENST Paris. E-mail : waelbroe@ enst. fr
- (1)Voir Bernadet et alii (2004).
- (2)Aux États-Unis, la part de marché des grandes surfaces sur le marché des CD (compact-disc) et DVD (digital vidéo disc) est récemment passée de 26 % en 1999 à 39 % en 2003 (IFPI, 2004) et Wal-Mart à lui seul réalisait environ un tiers des ventes de ce secteur en 2003. En France, plus du tiers des CD sont vendus par des grandes surfaces généralistes et près de 40% par des grandes surfaces spécialisées, la part de marché des disquaires indépendants se réduisant fortement.
- (3)Au sein de ces coûts, ceux de recherche et développement sont assimilables à des coûts fixes, alors que les frais de marketing dépendent de la couverture du territoire visée et sont donc calculés dans cette étude, comme les primes de référencement, en fonction du nombre de magasins visés (mais pas en fonction de la quantité réellement vendue). Dans notre modèle, nous assimilons tous les coûts de lancement à des coûts fixes et négligeons les coûts variables de production. Cette hypothèse convient particulièrement à certains marchés, comme par exemple celui des disques ou DVD, où les coûts variables de production sont négligeables devant les coûts fixes. Elle est discutée dans la quatrième section de la deuxième partie.
- (4)Voir par exemple Motta (2004).
- (5)Le terme d'innovation est employé ici dans le sens restrictif de lancement d'un nouveau produit substitut du produit existant. Nous ne prenons pas en compte explicitement les questions souvent liées au processus d'innovation, notamment le risque d'échec du processus de recherche et développement ou d'échec du produit.
- (6)Nous discutons cette hypothèse dans la quatrième section de la deuxième partie.
- (7)Il est évident que si le prix de gros du produit i est supérieur à 1, le produit n'est pas viable : le prix de détail étant nécessairement plus élevé, la demande en bien i est nulle.
- (8)On peut noter que dans le cadre simple de la chaîne de monopoles, un tarif binôme associé à une contrainte de vente liée (ou une franchise indépendante du produit référencé par le distributeur) suffit à restaurer l’efficacité de la structure verticale. Lorsque l’innovation est profitable du point de vue de la structure intégrée, elle peut être obtenue par une structure séparée si le producteur pratique des prix de gros égaux aux coûts marginaux de production des deux biens et impose une prime fixe commune pour la distribution des deux biens. Il peut ainsi récupérer tout le profit supplémentaire lié à l’introduction du nouveau produit par le bais de la prime fixe. En revanche, s’il ne peut pas imposer une prime commune pour la distribution des deux biens et s’il doit pratiquer un tarif binôme pour chacun des deux produits, il ne peut plus nécessairement prélever tout le profit de la structure intégrée, car il doit laisser au distributeur une rente l’incitant à distribuer les deux produits au lieu d’un seul : on retrouve alors, bien qu’atténué, l’effet que nous décrivons.
- (9)Dans une version antérieure de cet article, nous avons étudié le même jeu mais sans effet d'engagement du coût fixe, payé au moment de la commande des quantités par les distributeurs. Les équilibres possibles étaient plus nombreux : pour une même configuration des coûts de distribution, plusieurs équilibres existaient. Néanmoins, les résultats en termes de variété des produits étaient qualitativement similaires.
- (10)On peut remarquer que cette stratégie n'est pas nécessairement la stratégie optimale du producteur dans cette zone, il peut éventuellement fixer des prix de gros garantissant la distribution des deux produits et lui donnant un profit supérieur.