1Dans les dix dernières années, face aux évolutions démographiques, la plupart des pays développés ont été amenés à remettre en question les dispositifs de financement des coûts de prise en charge de la dépendance des personnes âgées et y ont apporté des réponses très variables. En France, la présence dans le code civil d'une obligation alimentaire vis-à-vis des ascendants a donné une tonalité particulière au débat. Lorsqu'une personne âgée ne peut faire face, avec ses seules ressources, au financement de ses dépenses quotidiennes, le droit français prévoit en effet qu'elle peut faire appel à deux types de financeurs : d'une part, certains membres de sa famille (son conjoint, ses enfants, les conjoints de ses enfants et ses petits-enfants), que l'on désigne sous le terme d'« obligés alimentaires » et, d'autre part, la collectivité. L'articulation des financements publics et privés diffère selon le type de dépense (dépense de soins, dépense de dépendance ou dépense d'hébergement). En pratique, le recours aux obligés alimentaires ne concerne que la partie des dépenses qui n'est couverte ni par l'assurance maladie, ni par l'APA (Allocation personnalisée d'autonomie), ni par les aides au logement. L'article 208 du code civil, sur lequel se fonde le juge pour fixer les contributions des obligés au financement de ces dépenses, stipule que « les aliments ne sont accordés que dans la proportion du besoin de celui qui les réclame, et de la fortune de celui qui les doit ». Il ne donne aucune précision sur la manière d'évaluer le « besoin », d'une part, et la « fortune », d'autre part, ni sur la manière de combiner ces deux proportions.
2Cet article étudie la mise en œuvre de cette disposition et analyse les transferts économiques liés à l'obligation alimentaire ascendante pour les dépenses à charge des personnes âgées dépendantes.
3Dans un premier temps, pour tenter de comprendre comment cette disposition est appliquée concrètement, un échantillon de décisions rendues entre 2000 et 2002 a été constitué auprès de cinq tribunaux de grande instance (TGI). Ces décisions permettent de reconstituer, pour 305 obligés alimentaires, le montant du besoin de financement de leur créancier, les contributions fixées pour chacun d'entre eux, ainsi que quelques éléments descriptifs de leurs ressources.
4L'analyse de cet échantillon montre que la fixation des contributions par les juges aux affaires familiales répond largement à une logique économique simple, fonction des besoins du créancier et des ressources de ses obligés. Sur la sous-population confrontée de fait au besoin de financement d'un aïeul (et non exonérée par les juges), la règle de mise à contribution estimée s'avère anti-redistributive à l'échelle inter-familiale. Ceci s'explique probablement par le fait que, pour les situations extrêmes de la distribution, les appréciations peuvent être portées en niveau de contribution et non en proportion du niveau de vie : la facture à couvrir impose, de droit, un plafond en niveau à la contribution familiale, tandis qu'il semble que les juges considèrent aussi, de fait, une contribution plancher qui pourrait refléter leur réticence à fixer des montants de contribution trop faibles pour chaque membre des familles uniformément défavorisées.
5On note cependant que les juges pratiquent, au sein de chaque famille, une répartition redistributive des contributions : un obligé peu aisé est d'autant moins mis à contribution qu'il appartient à une famille globalement plus aisée que lui. Ce résultat peut être expliqué par le fait que les juges ont, le plus souvent, une vision globale de la répartition des ressources au sein de l'ensemble des obligés d'un même créancier et qu'ils sont donc plus enclins à appliquer des critères de nature redistributive dans le cadre restreint de la famille.
6Dans un second temps, l'utilisation d'un échantillon représentatif des personnes âgées de 75 ans et plus et de leurs obligés alimentaires permet d'étudier la norme de mise à contribution ainsi mise à jour et ses effets distributifs. Simuler son application sur une population représentative permet en particulier d'intégrer le fait que le risque d'avoir à contribuer, spontanément ou contentieusement, pour un parent dans le besoin est inégalement réparti dans la population. L'échantillon utilisé est “micro-simulé” par le modèle Destinie, développé par l'Insee. Pour les 3091 ménages ainsi retenus, on dispose de caractéristiques socio-démographiques classiques, du revenu disponible du ménage et d'informations concernant la dépendance et sa prise en charge : degré de dépendance (GIR, Groupe Iso-Ressources), mode de prise en charge (en institution ou à domicile), montant de l'APA. À chacun de ces ménages sont associés ceux des enfants de la personne de référence (6 366 ménages), dont on connaît la composition familiale et le revenu disponible.
7Les caractéristiques de la dépendance sont calquées sur les données de l'enquête HID (Handicaps-Incapacité-Dépendance), qu'il s'agisse de la répartition par GIR (8% en GIR 1, 35% en GIR 2,26% en GIR 3 et 31% en GIR 4), du taux d'institutionnalisation (52% des personnes dépendantes sont en institution) ou du sexe-ratio selon le mode de résidence (74% de femmes parmi les résidents en institution et 50% parmi les personnes vivant à domicile). Le montant moyen pris en charge par la collectivité, via l'APA, est de 3 183 euros par an pour les personnes en institution et de 4 427 pour celles qui vivent à domicile.
8En excluant la population des ménages susceptibles d'être exonérés (seuil retenu à hauteur du RMI en niveau de vie), les simulations conduites montrent que le taux de contribution moyen parmi les ménages d'enfants appartenant au premier quintile de niveau de vie est quatre fois plus élevé que pour ceux appartenant au dernier quintile : il passe de 0,51% pour le premier quintile à 0,13% pour le dernier. Cette régressivité s'explique par la régressivité de la règle de mise à contribution elle-même mais aussi par le fait que les créances pèsent plus fréquemment sur les ménages modestes et pour des montants plus élevés. Ainsi, le montant moyen de la créance annuelle varie, pour les ménages non exonérés, de 5 347 euros pour le deuxième quintile à 4 501 euros pour le cinquième quintile. Le caractère régressif de la mise à contribution s'ajoute à cette variation des créances pour conduire à un taux de contribution très sensiblement régressif, parmi les personnes mises à contribution : du simple au double (de 7,21% à 3,53%) entre le premier et le cinquième quintile. A cela s'ajoute une troisième source de régressivité puisque la probabilité pour chaque ménage d'obligés d'être débiteur d'un parent créancier varie du simple au double selon le quintile de niveau de vie des enfants (pour une moyenne de 5,48%). On peut enfin noter que l'effort collectif exigé implicitement par cette norme représente à peine 0,6% du niveau de vie, à l'échelle de l'ensemble des enfants de personnes âgées d'au moins 75 ans.
9La complexité du système actuel de financement des dépenses liées au vieillissement individuel tient essentiellement à ce qu'il repose sur plusieurs dispositifs juxtaposés relevant de logiques différentes. On peut distinguer trois types de dépenses correspondant, grosso modo, à trois types d'organisation du financement collectif : les dépenses de soins financées par l'assurance maladie (indépendamment du revenu du patient), les dépenses liées à la prise en charge de la dépendance, financées par les départements via l'allocation personnalisée d'autonomie (APA), enfin les dépenses d'hébergement, qui peuvent être prises en charge par les départements dans le cadre de l'aide sociale, c'est-à-dire selon une logique d'assistance aux plus pauvres [1].
10Alors que le financement des dépenses de soins et de dépendance a fait l'objet de nombreux débats et de nombreuses réformes dans les dernières années [2], l'organisation du financement des dépenses dites d'hébergement a peu retenu l'attention. Ces dépenses peuvent pourtant représenter des montants importants [3] et leur mode de financement actuel est une spécificité française.
11Le dispositif légal actuel prévoit que les dépenses des personnes âgées, qui ne relèvent ni de l'assurance maladie, ni de l'allocation personnalisée d'autonomie, sont soumises à l'obligation alimentaire. Autrement dit, la collectivité n'intervient pour financer ces dépenses qu'en complément de la personne âgée elle-même et de ses obligés alimentaires (essentiellement ses enfants, ses beaux-enfants et ses petits-enfants). Le Code civil prévoit que, si aucune solution à l'amiable ne peut être trouvée entre les différents membres de la famille pour répartir l'effort financier, c'est au juge aux affaires familiales de fixer la participation des obligés alimentaires aux dépenses quotidiennes de leur créancier.
12L e principe de l'obligation alimentaire fait sensation, qu'il s'agisse de dénoncer sa faiblesse, comme dans les débats qui ont fait suite à la canicule [4], ou au contraire sa sévérité qui s'embarrasse peu des blessures du passé. Les informations objectives qui pourraient tempérer ces réactions d'indignation sont rares, au point qu'un simple comptage du nombre de décisions rendues est difficile. Ce contentieux est en effet fondu dans une large rubrique « demande de contribution à l'entretien de l'enfant naturel et demande d'aliments entre parents et alliés », qui recense 16 000 nouvelles demandes introduites en 2001 et plus de 18 000 en 2003 [5]. Quant aux conséquences économiques de ce dispositif, elles échappent, pour l'instant, à tout système d'information.
13L'objectif de cet article est de présenter les résultats d'une recherche consacrée à la dimension économique de l'obligation alimentaire ascendante, dans sa mise en œuvre contentieuse [6]. On peut voir, tout d'abord, dans la pratique des juges, une simple décision de nature économique, dont on cherche à comprendre les ressorts. Mais on peut aussi y lire une norme implicite, puisqu'elle représente la solution que la société donne comme référence aux familles ne pouvant s'entendre. Cette dimension particulière incite à focaliser l'attention sur l'équité associée à cette norme de solidarité familiale et sur ses aspects redistributifs.
14Pour étudier les pratiques concrètes des juges, nous avons constitué un échantillon d'une soixantaine de décisions concernant 305 obligés alimentaires, rendues dans les quatre dernières années par des juges exerçant dans 5 Tribunaux de grande instance (TGI) ayant accepté de participer à l'enquête [7]. À partir de ces données, nous cherchons à répondre à deux questions. En fonction de quels éléments économiques et selon quelle règle les juges calculent-ils le montant du financement réclamé aux différents obligés alimentaires ? Quel est l'impact du mode de calcul utilisé en termes d'équité entre les différents membres de la famille d'une personne âgée dépendante, d'une part, et entre les familles de différentes personnes âgées dans le besoin, d'autre part ?
15Pour apprécier plus largement les aspects redistributifs de la pratique judiciaire, il convient d'envisager ses effets sur une population représentative des ménages dont la personne de référence est âgée de plus de 75 ans, pour tenir compte notamment du fait que le risque d'avoir un parent dans le besoin est inégalement réparti dans la population. L'analyse est conduite à partir d'un échantillon “micro-simulé” par le modèle Destinie ( Insee) auquel on applique, de manière systématique, la règle de contribution estimée sur données empiriques. Cet exercice de simulation permet de caractériser, à l'échelle de la population générale, la norme contenue implicitement dans le règlement judiciaire de l'obligation alimentaire, en quantifiant, d'une part, l'effort collectif exigé par une telle norme et, d'autre part, sa répartition selon le niveau de vie.
Données r ecueillies et contexte juridique
16Lorsqu'une personne âgée ne peut faire face, avec ses seules ressources, au financement de ses dépenses quotidiennes, le droit français prévoit qu'elle peut faire appel à deux types de financeurs : d'une part, certains membres de sa famille (son conjoint, ses enfants, les conjoints de ses enfants et ses petits-enfants), que l'on désigne sous le terme d'« obligés alimentaires » et, d'autre part, la collectivité (via des prestations d'aide sociale à l'hébergement). Le droit français prévoit aussi une subsidiarité entre ces deux types de financeurs, puisque la collectivité n'intervient qu'en complément du financement familial, lorsque les frais sont trop importants pour que les obligés puissent les financer seuls. L'article 208 du code civil sur lequel se fonde le juge stipule que « les aliments ne sont accordés que dans la proportion du besoin de celui qui les réclame, et de la fortune de celui qui les doit » [8]. Ilne donne aucune précision sur la manière d'évaluer le « besoin », d'une part, la « fortune », d'autre part, ni sur la manière de combiner ces deux proportions.
Un échantillon de décisions plus ou moins motivées
17Pour tenter de comprendre comment cette disposition est appliquée concrètement, nous avons constitué auprès de 5 tribunaux de grande instance (TGI), un échantillon [9] de cas de mise en œuvre de l'obligation alimentaire ascendante jugés sur la période 2000-2002. L e nombre de décisions auxquelles nous avons pu accéder et la proportion du contentieux effectivement traité qu'elles représentent ont été très variables d'un TGI à l'autre. Parmi les 89 décisions repérées, nous n'avons retenu que les décisions dont le jugement était suffisamment précis et assez informatif pour permettre une analyse économique ( 62 décisions) [10].
L'ambiguë définition du besoin de financement de la personne prise en charge
18La nature et la qualité des données ainsi recueillies appellent quelques précisions complémentaires. Une première difficulté de l'analyse vient du statut du financement collectif par l'aide sociale. En effet, le droit prévoit que le financement collectif n'intervient qu'en complément du financement familial ; autrement dit, le montant du financement par l'aide sociale devrait se calculer comme la différence entre le besoin de financement initial de la personne âgée et les participations familiales au financement de la prise en charge. Mais, d'une part, ces deux financements sont fixés par deux instances différentes : le juge aux affaires familiales pour ce qui est de la participation de chacun des obligés alimentaires et les commissions d'aide sociale pour le financement collectif. D'autre part, les commissions d'aide sociale interviennent souvent avant le juge aux affaires familiales.
19Le juge aux affaires familiales a alors deux options. Soit, négligeant l'information sur le montant du financement accordé par l'aide sociale, il ne considère que le besoin de financement initial de la personne prise en charge pour fixer la participation de chacun des obligés, quitte à prendre une décision incompatible avec celle de la commission d'aide sociale. Soit, tenant compte du financement accordé par l'aide sociale, il considère un besoin de financement net du financement collectif et se contente de le répartir entre les différents obligés de la personne dépendante. Dans ce cas, les montants fixés pour chaque obligé ne sont plus indépendants les uns des autres, puisque la somme des contributions individuelles doit couvrir exactement le besoin de financement net.
relation entre la contribution totale fixée par le juge aux affaires familiales et le montant du besoin de financement

relation entre la contribution totale fixée par le juge aux affaires familiales et le montant du besoin de financement
20L'égalité entre besoin de financement et somme des contributions individuelles est vérifiée pour une part importante des décisions de notre échantillon (graphique 1). Mais il est malheureusement impossible de savoir si cette égalité provient d'une contrainte exogène sur les décisions ou si elle est vérifiée ex-post. En effet, d'une part, le caractère net ou brut (vis-à-vis de l'aide sociale) du besoin de financement considéré par les juges n'est en général pas indiqué dans les décisions rendues. D'autre part, rien n'indique que la décision antérieure d'une commission d'aide sociale soit toujours une contrainte active (les commissions d'aide sociale pouvant avoir une appréciation de la contribution familiale agrégée conforme à celle du juge aux affaires familiales). De ce point de vue, l'analyse qui suit a donc été menée de manière globale sur un échantillon probablement hétérogène.
Trois échelles d'analyse
21Une deuxième difficulté de l'analyse réside dans le fait que les trois informations économiques sur lesquelles porte la décision du juge sont définies à trois échelles différentes : le besoin de financement est défini par personne âgée (i.e. par créancier), les contributions au financement sont définies par obligé, dont la fortune (ressources et charges) est à considérer par ménage, i.e. par unité de consommation [11].
22Ces échelles s'articulent inévitablement dans l'analyse. Réfléchir à l'échelle d'une personne prise en charge revient à considérer l'ensemble de ses obligés ou l'ensemble des ménages assignés pour son cas. De même, réfléchir à l'échelle d'un ménage assigné revient à penser l'ensemble des obligés alimentaires d'un même ménage [12]. Il est même parfois nécessaire de combiner plusieurs échelles d'analyse. C'est le cas, par exemple, lorsqu'on s'intéresse au niveau relatif des contributions fixées pour les différents obligés d'une même personne (on combinealors contribution parobligé etcontribution totale par créancier), ou lorsqu'on s'interroge sur le lien entre les niveaux relatifs des contributions et les niveaux relatifs des ressources (on mobilise alors les trois échelles d'analyse).
23Les notations utilisées dans la suite du texte distinguent ces échelles en réservant l'indice i à l'échelle des ménages et j à l'échelle des créanciers (ou des familles). On note ainsi, pour un ménage i,C i sa contribution, ni le nombre d'obligés alimentaires dans le ménage et R le niveau de vie des obligés i alimentaires du ménage [13]. Parallèlement, pour un créancier j, B désigne son besoin de financement, j C la contribution familiale totale fixée pour j l'ensemble des co-obligés mis à contribution, n le j nombre d'obligés mis à contribution et enfin R la j somme des niveaux de vie de tous ses obligés alimentaires mis à contribution [14].
relation entre le niveau de la contribution relative par obligé et le niveau de vie relatif des ménages contribuants

relation entre le niveau de la contribution relative par obligé et le niveau de vie relatif des ménages contribuants
Règle de mise à contribution à l'échelle familiale
24Les données économiques mentionnées dans les décisions étudiées suggèrent, en première analyse tout au moins, que, parmi les co-obligés d'une même personne, la contribution relative [15] d'un obligé effectivement mis à contribution [16] est proportionnelle, et même égale, à son niveau de vie relatif [17]. Autrement dit, les juges semblent, à première vue, appliquer un taux de mise à contribution identique aux différents obligés d'une même personne (graphique 2), ce qui revient à ne pas modifier la répartition des ressources entre les différents co-obligés.
Des contributions relatives égales au sein d'une famille
25Afin de confirmer cette impression, la règle suivante
a été estimée sur l'échantillon des ménages
contribuants :

Si les contributions sont réparties au prorata des ressources par unité de consommation ou, autrement dit, si le taux de contribution est le même pour tous les obligés d'un même créancier, alors le paramètre a doit être nul et le paramètre b égal à l'unité. Cette hypothèse est plutôt confirmée par les données, même si l'estimation des taux de contribution individuels par les taux de contribution familiaux ne rend compte que du quart de la variance autour du taux de contribution moyen de l'échantillon dans son ensemble (tableau 1).
résultats d'estimation de la règle d'égalité des contributions relatives par créancier

résultats d'estimation de la règle d'égalité des contributions relatives par créancier
26Si l'on ne tient pas compte des décisions d'exonération, il semble donc que la règle appliquée par les juges aux affaires familiales conduise grosso modo à une répartition de la contribution entre les différents obligés au prorata de leur niveau de vie, ce qui revient à ne pas modifier la disparité des niveaux de vie entre obligés d'un même créancier. En première approximation, le juge n'agit pas différemment de l'assurance sociale française qui se finance très largement sur des cotisations proportionnelles au revenu. La différence réside dans le fait que la règle s'applique ici au niveau de chaque familleet non pas surl'ensemble des familles confrontées au financement de dépenses de prise en charge d'un parent dépendant. Il reste donc à se demander selon quels critères le taux de contribution fixé par le juge varie d'une famille à l'autre.
Un taux de contribution familial fonction du besoin du créancier et du niveau de vie agrégé des obligés
27Le juge étant tenu de fixer les aliments « en proportion du besoin de celui qui les réclame et de la fortune de celui qui les doit », il paraîtrait logique que le taux de contribution dépende du besoin de financement du créancier. Par ailleurs, si les données recueillieslaissent penserque les juges raisonnent en taux de contribution, il faut noter que l'objet de l'obligation alimentaire est de couvrir un besoin, une facture donnée, et non de transférer des ressources vers des ascendants ; le montant de la contribution totale est donc borné par le besoin de financement. En conséquence, on peut penser que, à besoin de financement donné, le taux de contribution diminue avec l'ampleur des ressources soumises à l'obligation alimentaire.
28Les résultats d'estimation suggèrent que cette logique économique simple façonne étroitement les décisions (tableau 2). Tout d'abord, le taux de contribution familial est d'autant plus élevé que le besoinde financement est fort, à niveau de vie agrégé donné. Cependant, on remarque que l'effet marginal de la créance diminue à mesure que le montant de celle-ci augmente, jusqu'à s'annuler pour les valeurs élevées (graphique 3). Selon la règle estimée, le plafond de la contribution est atteint pour un niveau d'autant plus bas que le niveau de vie agrégé est faible, comme si la règle de calculcomportait untaux de contribution familial indépassable (de l'ordre de 13%).
stimation de l'impact du besoin de financement et du niveau de vie agrégé sur le taux de contribution familial

stimation de l'impact du besoin de financement et du niveau de vie agrégé sur le taux de contribution familial
29On remarque aussi que l'influence marginale du besoin sur la contribution totale est d'autant plus faible que les ressources de la famille sont modestes (graphique 3). On peut donc dire que les décisions judiciaires reviennent à assurer les obligés des familles les plus modestes contre le risque financier lié à l'entrée en dépendance d'un parent âgé, ce qu'elles ne font pas pour les ménages plus aisés, en conformité d'ailleurs avec le Code civil.
30Cependant l'influence des ressources totales sur le taux de contribution familial traduit une règle plutôt anti-redistributive : le taux de contribution diminue à taux décroissant jusqu'à un niveau de vie agrégé d'environ 15 000 euros par UC [18] (unité de consommation ; graphique 4). Cette décroissance s'explique probablement par le fait que le juge est sensible, non seulement au taux mais aussi au niveau de la contribution. On peut penser que les juges évitent de fixer des montants qui pourraient paraître insignifiants : ils tendraient ainsi à majorer le montant de la contribution si le taux de contribution appliqué à de faibles ressources conduit à un montant de participation trop faible. Ceci a pour conséquence d'instaurer, pour l'essentiel de la population concernée, une règle anti-redistributive au niveau inter-familial.
évolution de la contribution familiale estimée en fonction du montant de la créance, pour différents niveaux de ressources agrégées

évolution de la contribution familiale estimée en fonction du montant de la créance, pour différents niveaux de ressources agrégées
évolution du taux de contribution familial estimé en fonction du niveau de vie agrégé

évolution du taux de contribution familial estimé en fonction du niveau de vie agrégé
31Finalement, il faut remarquer que la règle ainsi estimée solidarise les obligés entre eux : la contribution d'un obligé (ou d'un ménage d'obligé) variant en fonction du niveau agrégé des ressources, elle augmente quand les ressources des autres obligés diminuent et inversement. C'est indiscutablement une application élargie de la solidarité familiale qui n'est plus seulement ascendante, de l'obligé vers le parent dépendant, mais aussi horizontale, entre obligés. Cette pratique des juges éloigne donc l'obligation alimentaire du principe de l'individualisation des droits.
32Les résultats statistiques présentés dans cette section suggèrent une règle de calcul des contributions des obligés alimentaires au besoin de financement de leur parent dépendant qui paraît simple et assez intuitive, au sein du cadre fixé par le Code civil. D'une part, la contribution familiale serait fixée en appliquant un taux de contribution familial, fonction du niveau de la créance à couvrir et du niveau de vie agrégé des différents obligés du même créancier. D'autre part, ce même taux de contribution familial serait appliqué à l'ensemble des obligés mis à contribution pour un même créancier, de manière à ne pas modifier la distribution des ressources par unité de consommation au sein d'une même famille. Pour autant, si le taux de contribution familial constitue indéniablement un ancrage pour les tauxde contribution individuels, il est loin de suffire à expliquer toute leur dispersion.
Le rôle de la dispersion intra-familiale dans la redistributivité du dispositif
33Afin de rendre compte de la dispersion résiduelle des taux de contribution individuels autour des taux de contribution familiaux, on peut chercher à introduire des effets « individuels » dans la règle de calcul implicite. É tant données les informations disponibles, la caractérisation des individus se résume essentiellement aux ressources des obligés alimentaires ou, plus précisément, à leur niveau de vie.
34On peut imaginer deux effets du niveau de vie d'un obligé sur sa contribution : un effet strictement « individuel », qui va conduire le juge à tenir compte du niveau de vie de l'obligé indépendamment des ressources des autres obligés de la famille, et un effet relatif, qui incite le juge à fixer le taux de contribution au regard du niveau de vie relatif au niveau de vie moyen de l'ensemble des obligés de la famille. Une approche relative des niveaux de vie ne serait pas conforme au texte du Code civil qui lie le montant de la contribution uniquement au besoin du créancier et à la fortune du débiteur, sous-entendant que les décisions pour chaque débiteur seraient indépendantes les unes des autres. Pourtant, les résultats statistiques précédents suggèrent bien l'existence d'une dimension “familiale” dans les décisions. L'idée que la situation d'ensemble de la famille pourrait servir de toile de fond pour apprécier la situation économique de chaque obligé est d'autant plus vraisemblable que, d'après nos observations, les juges reçoivent généralement l'ensemble des obligés d'un même créancier dans une même audience et consignent leurs contributions dans une même décision, ce qui favorise la comparaison directe de la situation économique des différents co-obligés.
estimation de l'impact des caractéristiques familiales et individuelles sur le taux de contribution individuel

estimation de l'impact des caractéristiques familiales et individuelles sur le taux de contribution individuel
35L'estimation économétrique d'une équation exprimant le taux de contribution individuel comme la somme d'une première composante fonction des caractéristiques familiales (noté ? ) et de deux j autres, fonction des caractéristiques individuelles absolues (noté ? ) et relatives (noté ? ), confirme iij l'existence des deux types d'effets individuels envisagés (tableau 3).
36La partie du taux de contribution individuel qui est déterminée par les caractéristiques globales de la famille, notée ? est à rapprocher de l'estimation du j taux de contribution familial effectuée précédemment (tableau 2) [20]. Les paramètres affectés au besoin de financement ne sont pas significativement différents de ceux trouvés dans l'équationexpliquantletaux decontributionfamilial seul. Cependant, l'effet du revenu agrégé est légèrement différent : l'effet linéaire devient non significatif et l'effeten racine diminue légèrement. Il est probable que l'effet du niveau de vie agrégé soit capturé au travers des ressources relatives (écart du niveau de vie de l'obligé au niveau de vie moyen de sa famille, voir plus bas). Les variables familiales globales( , ,B B R j j j et Rj )expliquent 15% de la variance des taux de contribution individuels.
37L e terme ?i i i c R c R= ? 1 2 capture l'effet individuel « pur ». Le graphique 5 permet de visualiser l'effet de R sur la contribution i individuelle, dans des familles à niveau de vie homogène, c'est-à-dire en neutralisant l'effet individuel relatif : à niveau de vie agrégé donné, considérer des familles homogènes de taille croissante revient à considérer des obligés de plus en plus pauvres sans que leurs niveaux de vie relatifs ne varient. L e taux de contribution augmente sensiblement, à niveau de vie agrégé donné, lorsque le niveau de vie individuel diminue : l'effet individuel pur accentue donc le caractère anti-redistributif repéré à l'échelle agrégée. Ce résultat peut s'expliquer par le fait que le juge répugne le plus souvent à fixer des contributions très faibles en niveau, ce qui tend à pénaliser les obligés les moins fortunés et donne un caractère anti-redistributif à l'effet « individuel », notamment en bas de la distribution. Les variables individuelles absolues ( Ri et Ri ) permettent d'expliquer 7% de la dispersion résiduelle des taux de contribution individuels autour du taux de contribution familial.
évolution du taux de mise à contribution individuel estimé selon le niveau de vie individuel, dans des familles homogènes

évolution du taux de mise à contribution individuel estimé selon le niveau de vie individuel, dans des familles homogènes
38La dernière partie de l'équation

correspond à l'effet du niveau de vie relatif.
39J ouer sur la taille de la famille, comme précédemment, permet aussi de visualiser l'effet relatif du niveau de vie : à niveau de vie agrégé et niveau de vie d'un des obligés constants, augmenter le nombre d'obligés revient à faire décroître le revenu moyen de la famille (graphique 6). Le taux de contribution croît lorsque l'écart du revenu individuel au revenu moyen familial augmente. Les jugesauraientainsiunsouciredistributifau seinde la famille : ils tendraient à faire contribuer moins • en termes relatif • un obligé dont le niveau de vie est inférieur au niveau de vie moyen de sa famille et inversement pour un obligé dont le niveau est supérieur à ce niveau de vie moyen. Quand le juge a sous ses yeux la distribution des ressources au sein d'une famille, il tend à vouloir « utiliser » les contributions pour réduire la dispersion. Cette sensibilité du juge ne suffit pas cependant, au total, à contrarier l'effet anti-redistributif des effets individuels purs. L'ajout des termes de dispersion intra-familiale des niveaux de vie permet d'expliquer 32% de la dispersion résiduelle des taux de contribution individuels autour du taux de contribution familial. L'attention portée à la distribution intra-familiale des ressources dans les décisions judiciaires est donc loin d'être négligeable.
évolution du taux de contribution individuel estimé pour un obligé disposant de la moitié du niveau de vie agrégé, selon l'écart au niveau de vie moyen de la famille

évolution du taux de contribution individuel estimé pour un obligé disposant de la moitié du niveau de vie agrégé, selon l'écart au niveau de vie moyen de la famille
Les effets distributifs de l'obligation alimentaire ascendante : une simulation à l'aide du modèle Destinie [20]
40Les règles de répartition estimées précédemment peuvent être comprises comme une norme guidant la participation privée au financement du besoin de parents âgés dépendants, lorsqu'aucun accord privé ne peut être trouvé sur ce point. Elle définit ce qui est, aux yeux de la collectivité dans sa fonction judiciaire, l'effort « normal » d'un enfant dont le parent est dans le besoin. Considérer les conséquences de cette norme, à l'échelle de la « génération » des obligés alimentaires, qu'ils soient ou non confrontés, de fait, au besoin de financement d'un aîné, permet d'explorer plus complètement ses effets distributifsimplicites (voir encadréci-après).
Objectif de la simulation
41Une application systématique de la règle mise à jour permet d'étudier la norme qui modèle les pratiques judiciaires [21] en mesurant, sur une population représentative, les effets redistributifs de la règle elle-même tout en tenant compte du fait que le risque d'avoir à contribuer, spontanément ou contentieusement, est loin d'être homogène dans la population.
42L'exercice n'a d'intérêt que normatif : simuler une application systématique des règles judiciaires de mise à contribution ne constitue en aucun cas un moyen d'approcher la répartition réelle de la charge au sein de la population. En effet, non seulement l'action des juges telle qu'elle a été étudiée jusqu'ici ne touche directement qu'une faible partie des personnes confrontées effectivement à l'obligation alimentaire ascendante mais, en outre, la norme judiciaire mise à jour est vraisemblablement éloignée des répartitions mises en œuvre dans les cas où les enfants financent spontanément le besoin des parents [22].
Les données utilisées
43Évaluer les effets d'une systématisation de la pratique judiciaire, à l'échelle de la population, suppose de disposer de distributions conditionnelles pour des variables à l'échelle d'une famille sur deux générations : il faudrait disposer, pour la génération des personnes âgées susceptibles d'être dépendantes, de leur besoin de financement (lié à la dépendance), pour la génération de leurs enfants, de leurs revenus et même des revenus agrégés par fratrie.
44En France, il n'existe pas d'enquête sur un échantillonreprésentatifréunissant lagénérationdes parents, celles des enfants et l'ensemble des informations nécessaires aux calculs de la contribution des obligés alimentaires. L'analyse est donc conduite à partir d'un échantillon micro-simulé : extrait d'une simulation de la population française par le modèle Destinie développé par l'Insee, cet échantillon est représentatif des ménages dont la personne de référence est âgée de plus de 75 ans [23]. Pour les 3091 ménages ainsi retenus, on dispose de caractéristiques socio-démographiques classiques, du revenu disponible [24] du ménage et d'informations concernant la dépendance et sa prise en charge : degré de dépendance (GIR [25] Groupe Iso-Ressources), mode de prise en charge (en institution ou à domicile [26] ), montant de l'APA. À chacun de ces ménages sont associés ceux des enfants de la personne de référence, dont on connaît la composition familiale et le revenu disponible [27].
45Dans cet échantillon, 47% des personnes de référence sont des hommes et 53% des femmes, sachant que l'échantillon se compose, pour un tiers, de couples et, pour les deux tiers, de personnes seules qui sont dans leur grande majorité des femmes. L'âge moyen de la personne de référence est de 80 ans et le revenu annuel moyen des ménages par unité de consommation est de 14 000 euros. Seuls 15% des ménages comprennent une personne dépendante. Les caractéristiques de la dépendance sont calquées sur les données de l'enquête HID (Handicaps-Incapacité-Dépendance), qu'il s'agisse de la répartition par GIR (8% en GIR 1,35% en GIR 2, 26% en GIR 3 et 31% en GIR 4 [28] ), du taux d'institutionnalisation ( 52% des personnes dépendantes sont en institution [30] ) ou du sexe-ratio selon le mode de résidence (74% de femmes parmi les résidents en institution et 50% parmi les personnes vivant à domicile [32] ). Parmi les ménages des personnes dépendantes, le revenu moyen annuel par unité de consommation est de 12 080 euros pour les personnes en institution et de 13 000 euros pour celles qui sont à domicile. Le montant moyen pris en charge par la collectivité, via l'APA, est de 3 183 euros par an pour les personnes en institution et de 4 427 pour celles qui vivent à domicile. Le montant moyen du ticket modérateur laissé à la charge des bénéficiaires mis à contribution est très proche dans les deux cas (1 300 euros en institution et 1 390 à domicile) mais seuls 5% des bénéficiaires payent un ticket modérateur en institution, en plus du tarif applicable aux GIR 5 et 6, contre 80% à domicile. À première vue, le coût de la prise en charge de la dépendance est sensiblement plus élevé à domicile qu'en institution et moins bien couvert par l'APA. Ceci reflète en partie le choix qui a été fait de ne pas y intégrer la partie du forfait dépendance laissée systématiquement à la charge des résidents [31].
Encadré : analyse normative de la mise à contribution des obligés alimentaires
Dans ce cadre, deux approches peuvent être envisagées. La première option consiste à considérer l'impact comparé des deux règles sur la distribution du revenu ex ante dans la population des obligés. La seconde option consiste à comparer leur impact sur l'utilité d'un obligé placé en voile d'ignorance.
Impact sur la distribution du revenu ex ante Dans cette première option, on se place avant que les obligés ne sachent si leurs parents seront dépendants et s'ils seront eux-mêmes mis ou non à contribution. Les caractéristiques de l'échantillon représentatif permettent de déterminer, pour un individu sachant à quel quintile de revenu il appartient, sa probabilité d'être confronté à une créance et le taux de mise à contribution qui lui sera appliqué en moyenne dans ce cas. On peut donc calculer, pour chaque quintile de revenu, la contribution espérée selon la règle judiciaire actuelle et étudier la variation de ce taux de contribution espéré en fonction du quintile de revenu). D'après les résultats obtenus (tableaux 4 et 5), la contribution espérée décroît avec les quintiles de revenu (au-delà du seuil supposé d'exonération), ce qui accentue la dispersion du revenu espéré. Au regard des variances des contributions dans chaque quintile, on peut penser que la prise en compte de la dispersion intra-quintile ne remet pas en cause le caractère régressif de la mise à contribution [33].
Impact sur l'utilité d'un obligé impartial
Dans cette deuxième option, on considère la population des obligés ex post (après réalisation des aléas épidémiologiques), mais on se place derrière le voile de l'ignorance, ce qui revient à se donner une même probabilité d'être n'importe lequel de ces obligés. Les deux règles comparées correspondent à un même effort financier collectif. Cependant, les pertes de bien-être induites à l'échelle de la société dépendent de la manière dont l'effort financier est réparti entre les quintiles de revenu. Ainsi, la comparaison porte sur la structure de revenu des populations mises à contribution et c'est donc à partir des taux de contribution conditionnels qu'il s'agit de raisonner.
D'après les résultats obtenus (tableaux 4 et 5), la contribution conditionnelle décroît avec les quintiles de revenu (au-delà du seuil supposé d'exonération), ce qui accentue la dispersion des revenus, parmi les obligés mis à contribution. L'utilité espérée d'un obligé en voile d'ignorance et manifestant de l'aversion pour le risque sera donc plus faible qu'en cas d'application de la règle de référence (contribution conditionnelle strictement proportionnelle).
46En moyenne, les personnes dépendantes comptent 4,6 obligés alimentaires sachant que ce chiffre est moins élevé pour celles qui sont accueillies en institution (32% d'entre elles n'ont pas d'enfant en vie contre 7% pour les personnes prises en charge à domicile). Les enfants [32] vivent en couple dans 80% des cas et 14% d'entre eux ont un parent dépendant : l'échantillon comprend 6 366 enfants dont 902 ont un parent dépendant. Le revenu disponible moyen annuel de ces ménages est de 21 000 euros pour un nombre moyen d'unités de consommation de 1,65.
Les résultats des simulations
47La simulation des contributions est réalisée en deux étapes [34]. Dans une première étape, on détermine, pour chaque personne dépendante, un besoin de financement net des aides publiques, fonction de son degré de dépendance, de son mode de prise en charge et de ses revenus (tableau 4 • partie A). Ensuite, on simule à partir des règles estimées les contributions exigibles auprès de chacun des obligés alimentaires (tableau 4 • partie B). Le scénario de référence repose sur l'utilisation de la règle de mise à contribution individuelle qui autorise la disparité intra-familiale, tandis que pour lavariante 1 c'est la règle de mise à contribution familiale qui est utilisée. Deux types de contribution moyenne sont calculés. L a première contribution, qualifiée de conditionnelle, concerne uniquement les obligés de parents dans le besoin : elle est conditionnelle à l'existence d'une créance. La seconde, qualifiée d'espérée, correspond à la contribution moyenne rapportée à l'ensemble des obligés, que leur parent soit ou non créancier, qu'il soit ou non dépendant. Elle donne le montant moyen que la pratique judiciaire, assortie de la conjoncture épidémiologique, fait peser sur chacun, avant même de savoir ce que sera la situation sanitaire et économique de ses parents âgés. Dans les deux cas, les contributions sont exprimées en pourcentage du niveau de vie.
48Afin de faire apparaître la disparité des coûts attribués, en fonction du niveau de vie des enfants, les ménages d'obligés alimentaires sont répartis en six tranches de niveau de vie. La première tranche regroupe les obligés dont le revenu disponible annuel par unité de consommation est inférieur à 5 000 euros (l'équivalent d'un RMI annuel), que l'on suppose exonérés de manière systématique, pour insuffisance de ressources [35]. L es ménages d'obligés bénéficiant d'un revenu supérieur à 5 000 euros sont répartis en cinq tranches de revenus, correspondant aux quintiles de la distribution des revenus supérieurs à 5 000 euros.
Effets distributifs de la règle
49En ce qui concerne les besoins de financement, sur 902 obligés dont le parent est dépendant, 349 ont un parentcréancier, c'est-à-direunparent dont le besoin net est (strictement) positif. Parmi eux, 10 seulement ont un parent hébergé à domicile. Ces données suggèrent que l'autonomisation financière des personnes âgées est meilleure quand elles sont prises en charge à domicile, pour autant que les forfaits “dépendance”, d'une part, et les plans d'aide départementaux, d'autre part, donnent une bonne mesure des besoins d'aide [36]. Dans ce scénario, la probabilité pour chaque ménage d'obligés d'être débiteur d'un parent créancier s'élève en moyenne à 5,48% ; elle varie du simple au double selon le quintile de niveau de vie des enfants. Ainsi, cette probabilité s'élève à 7,06% pour un enfant appartenant au premier quintile des ménages non exonérés pour diminuer progressivement jusqu'à 3,62% pour le dernier quintile. Ce résultat tient en partie au mécanisme de reproduction sociale inscrit dans le modèle Destinie [37]. C'est également le cas pour l'évolution du montant moyen de la créance annuelle en fonction du revenu des ménages d'obligés débiteurs. Pour les ménages non exonérés, la créance annuelle s'élève au maximum à 5 347 euros pour le deuxième quintile (5 974 euros pour les ménages exonérés) età 4501 eurosau minimum pour le cinquième quintile.
50En ce qui concerne ensuite les contributions des obligés, le caractère régressif de la règle de mise à contribution utilisée (voir supra) s'ajoute au fait que la créance est décroissante avec le revenu (lien entre créance et quintile de niveau de vie) pour conduire à un taux de contribution conditionnel très sensiblement régressif : du simple au double (de 3,53% à 7,21%) entre le cinquième et le premier quintile. Cet effet anti-redistributif est renforcé si l'on s'intéresse aux taux de contribution espérés de l'ensemble des obligés puisqu'il faut alors tenir compte du fait que la probabilité d'être débiteur (parmi les obligés non exonérés) est d'autant plus forte que le revenu est modeste. L e taux de contribution espéré des obligés du premier quintile est ainsi quatre fois plus élevé que le taux de contribution espéré des obligésdudernier quintile : il passede 0,51% pour le premierquintile à 0,13% pour le dernier.
51Ce résultat appelle quelques remarques complémentaires. Tout d'abord, la mise à contribution pour les dépenses de gîte et de couvert n'est pas la seule voie parlaquelle lajustice influe sur la distribution des revenus : la récupération sur succession des dépenses engagées par l'aide sociale complète le dispositif. On approche donc ici l'action judiciaire de manière tronquée. Par construction, ce deuxième dispositif, qui intervient au décès de la personne aidée, ne met à contribution que les héritiers [38] de personnes disposant d'un patrimoine relativement important [39]. Cependant, ce dispositif ne s'applique que si le département a engagé des dépenses, c'est-à-dire pour les familles dont les ressources n'étaient pas suffisantes pour couvrir l'intégralité des besoins de la personne prise en charge, via l'obligation alimentaire. On peut donc penser que, même si la distribution du patrimoine est relativement corrélée avec celle des revenus au sein des familles ayant bénéficié de l'aide sociale, la récupération sur succession renforce globalement le caractère anti-redistributif de la norme étudiée.
52Un deuxième complément à l'analyse menée ici serait d'évaluer les conséquences du dispositif, non pas seulement par un calcul d'espérance de perte expriméeen euros, maisplutôten termesde bien-être ex ante. Si l'on fait l'hypothèse classique que l'aversion pour le risque décroît avec le niveau de revenu, cela viendrait encore renforcer le caractère anti-redistributif de la règle et de la distribution non uniforme du risque d'avoir un parent créancier.
53On peut se demander dans quelle mesure le caractère anti-redistributif des contributions est dû à l'utilisation dela règle decalcul estimée, qui autorise les disparités intra-familiales. La variante 1 du tableau 4 reprend les simulations en utilisant la règle de répartition avec neutralité familiale (voir tableau 2) et montre que, si effectivement la régressivité des taux de contribution est moindre que dans le scénario de référence, elle demeure très marquée.
Revalorisation des besoins d'aide à domicile
54Les résultats obtenus dépendent largement des hypothèses faites concernant la détermination du besoin de financement des personnes dépendantes. La méthode utilisée conduit à un coût lié à la prise en charge de la dépendance plus élevé à domicile qu'en institution, mais largement compensé par un moindre coût de l'hébergement. Pour les personnes résidant en institution, mesurer le besoin de financement à partir des frais facturés par les établissements s'impose assez directement. En revanche, pourles personnes àdomicile, l'utilisation des plans d'aide élaborés par les équipes médico-sociales dans le cadre de l'APA apparaît moins significative et moins robuste. En effet, approcher les besoins d'aide par le seul versant financier est mal adapté dans le cas des prises en charge à domicile [40]. Par ailleurs, les plans d'aide sont sans existence matérielle [41] et reflètent les référentiels de professionnels du secteur médico-social, remodelés par des impératifs budgétaires et des contraintes de capacité de production. Pour appréhender la sensibilité des résultats à ces hypothèses largement arbitraires, une deuxième simulation a été réalisée en assignant aux personnes à domicile le besoin de financement moyen des personnes de même degré de dépendance vivant en institution.

modélisation de la décision d'exonération (modèle LOGIT)

modélisation de la décision d'exonération (modèle LOGIT)
55Le tableau 5 reprend les catégories du tableau 4 en considérant donc que les parents dépendants à domicile ont un besoin égal à ce qu'il serait en institution. Le caractère régressif de la répartition du coût est conservé et les résultats en termes de contributions relatives conditionnelles sont très voisins de ceux du scénario de référence et de la variante 1. L es contributions espérées sont naturellement plus élevées, approximativement multipliées par deux.
Mutualisation des contributions exigibles
56Si l'on considère, pour terminer, la contribution espérée moyenne sur l'ensemble de l'échantillon, on peut se faire une idée de l'ampleur de l'effort “normal” agrégé et construire une norme de référence comparable. Elle consisterait à fixer une contribution minimum légale, proportionnelle au niveau de vie et permettant de récolter une masse agrégée équivalant à celle qu'on obtiendrait par généralisation de la pratique judiciaire actuelle.
57Dans cette perspective, la deuxième simulation reposant sur des besoins de financement indépendants du mode de prise en charge permet d'inclure le coût lié aux aspects incitatifs : dès lors que les autorités jugent la prise en charge à domicile préférable, elles doivent s'assurer qu'une politique publique de socialisation des coûts de la prise en charge en institution n'incite pas les familles à délaisser le domicile pour une prise en charge institutionnelle [42].
58D'après les données utilisées, l'effort à exiger de la génération des obligés représenterait 0,54% du niveau de vie [43] alors que la règle actuelle de financement ex post du besoin de financement des personnes âgées dépendantes par leurs seuls obligés alimentaires conduirait à faire contribuer ces derniers à hauteur de 5% de leur niveau de vie, le taux variant du simple au double entre le dernier et le premier quintile de revenus. Le niveau de cet effort demeure modeste même s'il vient s'ajouter aux efforts de la collectivité publique pour financer l'APAet l'aide sociale en faveur des personnes âgées dépendantes. Il est à noter que cette contribution minimum serait sensiblement diminuée si elle était appliquée à l'ensemble des ménages, quelle que soit leur génération ou, autrement dit, que ceux-ci soient susceptibles ou non d'avoir un parent âgé dépendant ou non.
Conclusion
59Si l'on comprend les décisionsjudiciaires portant sur la mise en œuvre de l'obligation alimentaire comme des décisions strictement familiales imposant à chaque obligé de la famille un égal taux de contribution, on met en évidence, sans surprise et en conformité avec le Code civil, un lien croissant • concave • entre le taux familial de mise à contribution et le besoin de financement de la personne âgée. De manière plus surprenante, on observe aussi une relation décroissante de ce même taux de contribution avec les ressources familiales, à besoin de financement donné. Ce résultat souligne le caractère anti-redistributif (entre les familles) de la règle de décision ainsi révélée, qui s'explique probablement par le fait que le calcul en proportion est tempéré par des appréciations en niveau de contribution, pour les familles ou les obligés alimentaires dont les ressources se situent aux extrêmesde la distribution : lebesoin de financement impose, de droit, un plafond à la contribution familiale, tandis qu'il semble que les juges considèrent aussi, de fait, une contribution plancher qui pourrait refléter leur réticence à fixer des montants de contribution trop faibles pour chaque membre des familles uniformément défavorisées.
60Cependant, si les caractéristiques agrégées à l'échelle familiale (pour l'ensemble des co-obligés d'un même créancier) constituent un ancrage fort pour les décisions prises à l'échelle des obligés, le taux de contribution fixé pour chaque obligé dépend aussi de ses ressources individuelles. Là encore, cette influence est anti-redistributive puisqu'elle accentue l'effet révélé à l'échelle familiale : plus l'obligé considéré est aisé, plus son taux de mise à contribution est faible. On a cependant noté que les juges pratiquent, au sein de chaque famille, une répartition redistributive des contributions : un obligé peu aisé est d'autant moins mis à contribution qu'il appartient à une famille globalement plus aisée que lui. Ce résultat peut être expliqué par le fait que les juges ont, le plus souvent, une vision globale de la répartition des ressources au sein de l'ensemble des obligés d'un même créancier et qu'ils sont donc plus enclins à appliquer des critères de nature redistributive dans le cadre restreint de la famille.
61L es simulations proposées dans cet article permettent de mesurer l'ampleur du caractère régressif d'une application généralisée de l'obligation alimentaire ascendante telle qu'elle apparaît dans les décisions judiciaires que nous avons dépouillées : aux effets régressifs de la règle elle-même vient s'ajouter le fait qu'elle s'applique plus souvent à des ménages modestes (exception faite des ménages très modestes qui sont en général exonérés) et pour des créances plus élevées. Compte tenu du niveau réduit de la contribution moyenne nécessaire pour couvrir les coûts non déjà couverts de la prise en charge d'une personne âgée dépendante, on est tenté de remettre en question la pertinence, pour ce type de créance, de l'application de l'obligation alimentaire ascendante.
Annexe 1 : modélisation de la décision d'éxonération
modélisation de la décision d'exonération (modèle LOGIT)

modélisation de la décision d'exonération (modèle LOGIT)
modélisation de la décision d'exonération

modélisation de la décision d'exonération
Annexe 2 : hypothèses et règles de simulation
621ère étape : coût net de prise en charge et besoin de financement des personnes âgées dépendantes On dispose, pour chaque ménage dont la personne de référence est dépendante, d'un GIR, d'un montant d'APA, et de la part versée par le conseil général (fonction des ressources du bénéficiaire). Les montants des plans d'aide et des forfaits d'hébergement sont reconstitués d'après les résultats d'études de la Drees, à partir des montant d'APA simulés (Kerjosse, 2003).
63a) Coût de prise en charge
64Le coût de prise en charge comprend deux parties : une partie dépendance et une partie hébergement.
65À domicile, la partie “dépendance” correspond au montant moyen du plan d'aide affecté en fonction du GIR, diminué du montant de l'APA versée par le département ; la partie correspondant au coût de l'hébergement est fixée arbitrairement au niveau du RMI.
66En institution, le coût net de la prise en charge est défini par la somme du forfait hébergement et du forfait dépendance minoré du montant de l'APA perçue. Le montant du forfait dépendance est affecté en fonction du GIR. Le montant du forfait hébergement est par ailleurs fixé à 40 euros par jour, montant assez faible, correspondant à une valeur usuelle des forfaits des EHPAD (établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes) conventionnés dans les départements ruraux mais sensiblement inférieure à ces mêmes forfaits en zone urbaine [1].
67b) Besoin de financement
68Le besoin de financement de la personne dépendante est défini par la partie du coût net qui n'est pas couvert par le revenu disponible (hors APA) de son ménage. Quand la personne dépendante est seule (96% des cas dans une prise en charge en institution et 61% des cas pour les prises en charge à domicile dans notre échantillon), le besoin est simplement la différence entre le coût net de la prise en charge et le revenu de la personne dépendante. Quand la personne dépendante a un conjoint, le calcul appliqué prévoit de ne pas diminuer le niveau de vie du conjoint de plus de 30% et de lui laisser toujours au moins le minimum vieillesse. Cette règle n'est pas déduite des décisions dépouillées, peu documentées sur cette question. Cependant, les quelques données disponibles laissent à penser que les décisions judiciaires ne contraignent pas les conjoints à réduire drastiquement leur niveau de vie quand le besoin de leur époux le demanderait. Il faut de toute façon garder à l'esprit que cette règle n'est pas active dès que le niveau de vie du ménage est suffisamment important.
69Le nombre de créanciers parmi les personnes à domicile est très faible. Ceci s'explique par le fait que le minimum vieillesse dépasse sensiblement le RMI (près de 200 euros de différence) et que l'APA est fixée de manière à couvrir les plans d'aide. Le résultat serait similaire pour tout niveau du coût de l'hébergement inférieur au minimum vieillesse.
70c) Revenu disponible et allocation de logement
71Destinie n'intégrant pas le statut résidentiel (propriétaire, locataire, occupant à titre gratuit), les allocations de logement ne sont pas renseignées dans l'échantillon. Ceci a un double inconvénient : la distribution des revenus disponibles de la génération des enfants est nécessairement biaisée et surtout le besoin des parents dépendants est généralement surestimé puisque certains d'entre eux devraient bénéficier d'allocations de logement. Afin de ne pas avoir à simuler le statut résidentiel, l'allocation de logement a été simulée pour les seuls individus dont on le connaît, c'est-à-dire les parents dépendants hébergés en institution (annexe 3). L'allocation de logement est en effet dans ce cas une aide directe à la prise en charge en institution et doit être prise en compte pour ne pas surestimer le coût de cet hébergement.
72Dans le cas d'une prise en charge à domicile, la simulation des allocations de logement pour le ménage accueillant la personne dépendante n'est pas faite, ce qui tend à surestimer le coût de la dépendance. Malgré cela, très peu de personnes dépendantes vivant à domicile sont créancières et le besoin de financement de celles qui le sont est modeste. Le biais de surestimation est donc limité.
732ème étape : taux de contribution des obligés
74Les obligés débiteurs disposant d'un niveau de vie inférieur à 5000 euros annuel (soit un peu moins que le RMI) sont supposés exonérés de toute contribution aux dépenses de leurs parents. Pour les autres, les taux de contribution des obligés débiteurs sont simulés à partir de la règle de mise à contribution estimée. L'échantillon Destinie comprenant des individus dont les caractéristiques s'éloignent fortement de celles des obligés constituant l'échantillon d'estimation, l'usage simple de la règle conduit à quelques valeurs aberrantes [2]. Deux contraintes complémentaires sont imposées : on exige, d'une part, que les contributions soient comprises entre 20 et 500 euros et, d'autre part, que le taux de contribution n'excède pas 14% du revenu disponible [3].
75Il convient de noter que Destinie simule les unions mais non leur statut : mariage ou concubinage ; tous les “conjoints” ont donc été supposés obligés alimentaires, ce qui tend à surestimer la contribution des ménages d'enfant et l'effort global.
Annexe 3 : simulation des allocations de logement
76Les allocations de logement sont simulées, conformément
au décret D542-5, selon la formule

où L représente le loyer de janvier de l'année, plafonné (218,89 euros pour une personne seule et 267,92 euros pour un couple • arrêté du 28 mai 2004 relatif à la revalorisation des aides au logement);
77C représente une majoration forfaitaire pour charge (46,97 euros pour un personne seule et pour un ménage sans personne à charge • arrêté du 20 décembre 2002 relatif à la revalorisation des aides au logement);
78Pp représente la participation personnelle du bénéficiaire;
79Pp est calculée selon la formule

où Po représente une participation forfaitaire;
80Tf représente un taux fonction de la composition familiale (3,54 pour une personne isolée et 3,94 pour un couple sans personne à charge • arrêté du 31 juillet 2001 relatif à la revalorisation des aides au logement);
81Tl représente un taux fonction du rapport entre le loyer retenu dans la limite du plafond et un loyer de référence (218,89 euros pour une personne seule et 267,92 euros pour un couple • arrêté du 28 mai 2004 relatif à la revalorisation des aides au logement) (lorsque le loyer dépasse 75% du loyer de référence Tl = 0,85% • arrêté du 26 décembre 2000 modifiant l'arrêté du 3 juillet 1978 relatif au calcul de l'aide personnalisée au logement);
82Rp représente la différence entre les ressources annuelles du bénéficiaire (appréciées dans les conditions prévues à l'article R351-17-4 du code de la construction ; abattement de 10% sur les pensions et retraites ; déduction de 1 590 euros par personne de plus de 65 ans, lorsque les ressources sont inférieures à 9 790 euros) et un montant forfaitaire (88% du RMI pour les personnes seules et 126% pour les couples sans personnes à charge • arrêté du 26 décembre 2000 modifiant l'arrêté du 3 juillet 1978 relatif au calcul de l'aide personnalisée au logement). Rp ne peut être négatif.
83L'APL n'est pas versée lorsque les ressources dépassent 9 790 euros pour une personne seule et 14 649 euros pour un couple.
Notes
- (*)CEE et Université Paris-Dauphine.
- (**)Université Paris-Dauphine.
- (***)Département des Études Économiques d'Ensemble, Insee. E-mail : wwittwer@ dauphine. fr Ce travail a été financé par la Mission de la recherche du ministère de la Santé (MIRE) et la mission de recherche Droit et Justice du ministère de la Justice, dans le cadre de l'appel d'offre “la famille comme lieu de solidarité”.
- (1)Depuis la dernière réforme de la tarification des établissements d'hébergement pour personnes âgées, ces trois types de dépenses sont aussi isolables dans le cas des personnes vivant en institution. Le financement du coût de prise en charge en établissements repose en effet sur trois forfaits distincts : le forfait « soins », le forfait « dépendance » et les frais d'hébergement.
- (2)Entrée en vigueur le 1er janvier 2002, pour remplacer la PSD (prestation spécifique de dépendance) instaurée par la loi du 24 janvier 1997, l'APA a déjà été réformée par la loi 2003-289 du 31 mars 2003.
- (3)Les données d'ensemble sur ce point sont difficiles à trouver. D'après des données fournies par la DHOS (Direction de l'hospitalisation et de l'organisation des soins), le coût moyen varierait de 35 euros par jour (minimum des zones rurale) à plus de 75 euros dans les établissements de l'APHP (Assistance publique des hôpitaux de Paris) (données citées dans le cas pratique du carrefour de collectivités locales, « tarifs applicables et modalité de prise en charge dans les EHPAD », novembre 2003).
- (4)On peut se reporter par exemple à l'exposé des motifs de la proposition de loi relative aux devoirs des enfants majeurs envers leurs ascendants âgés, examinée par le Sénat en janvier 2004.
- (5)L'allongement de la vie, l'arrivée de cohortes nombreuses aux âges élevés et l'évolution des normes de prise en charge pourraient conduire ce contentieux à prendre de l'ampleur, tant pour le nombre de cas que pour les sommes en jeu.
- (6)Analyser la mise en œuvre contentieuse ne donne évidemment d'information que sur la pratique des juges et ne dit rien de la mise en œuvre spontanée de cette disposition.
- (7)Les cinq tribunaux retenus reflètent essentiellement les bonnes ou mauvaises dispositions des juges contactés, vis-à-vis de la démarche d'enquête. Les tribunaux n'étant pas systématiquement informatisés, l'accès à ce type de données suppose de retourner aux décisions, i.e. aux textes de jugements eux-mêmes.
- (8)La formulation de cet article est très directement inspirée du code Justinien.
- (9)La constitution de cet échantillon a été guidée, en grande partie, par les introductions dont nous disposions auprès de certains juges et par leur disponibilité. Les décisions retenues ont été sélectionnées parmi les décisions portant sur la mise en œuvre de l'obligation alimentaire ascendante en faveur de personnes âgées fragiles, repérables dans les archives sur la période 2000-2002. Pour une présentation plus détaillée de l'échantillon, on peut se reporter au rapport rendu au GIP Justice et à la Mire (Mission de la Recherche, ministère de la Santé).
- (10)C'est-à-dire les décisions mentionnant le montant de la créance et des contributions fixées pour chacun des obligés assignés, ainsi que quelques éléments descriptifs des ressources et des charges pour certains obligés. Les charges étant souvent mal renseignées, nous entendons par revenu, dans la suite, la somme des revenus nets du travail et du capital et des revenus sociaux connus (RMI, allocations de chômage...).
- (11)Dans la suite du texte, on entendra par “niveau de vie” le revenu du ménage exprimé en euros par unité de consommation (selon l'échelle utilisée par l'Insee). Le niveau de vie caractérise aussi bien un ménage que les différents obligés alimentaires qui appartiennent à ce ménage.
- (12)Le nombre de ménages assignés pour un même créancier n'a aucune raison, a priori, d'être égal au nombre d'obligés. En effet, le code civil prévoit que les personnes mariées doivent des aliments à leurs beaux-parents. De ce fait, chaque enfant marié du créancier appartient à un ménage comptant au moins deux obligés alimentaires : lui-même et son conjoint.
- (13)C n i i / représente ainsi la contribution individuelle de chaque obligé et ( / ) /C n R i i i le taux de contribution d'un obligé, par rapport à son niveau de vie.
- (14)Avec les notations retenues, C C j i = ? et R nR j i i = ? ( ).
- (15)La contribution individuelle relative d'un obligé correspond à la part que représente sa contribution dans la contribution totale demandé à l'ensemble des co-obligés, soit ( / ) /C n C i i i ? ou ( / ) /C n C i i j.
- (16)Les exonérations pour motif juridique (cas où le parent n'a pas rempli, par le passé, les obligations lui donnant le droit de réclamer des aliments) sont exclues de l'analyse. Nous avons analysé la question de l'exonération pour motif économique par ailleurs (Gramain, Grévy, Joël et Wittwer, 2003). Les principaux éléments de l'analyse apparaissent en annexe.
- (17)Le niveau de vie relatif est calculé par rapport à la somme des niveaux de vie de l'ensemble des obligés mis effectivement à contribution ( / )R R i j.
- (18)15 000 euros/uc constitue une valeur assez élevée pour l'échantillon, le niveau de vie moyen par obligé étant de 1 500 euros/uc et le nombre moyen d'obligés mis à contribution par créancier étant de 5.
- (19)Sans effet « individuel », on a nécessairement C R C R i i j j / /=.
- (20)Modèle de microsimulation de l'Insee; voir le document de travail de la Division Redistribution et Politiques Sociales (1999).
- (21)On fait ici implicitement l'hypothèse que la pratique judiciaire s'extrapole convenablement à partir des estimations disponibles pour des situations assez éloignées de celles à partir desquelles elle a été estimée (voir la procédure de simulation en annexe 2).
- (22)Dans le cas de la répartition spontanée du besoin, les normes mobilisées sont des normes familiales encore mal connues. Leurs effets distributifs sont probablement réels mais relèvent d'un choix (collectif) privé. Voir Weber, Gojard et Gramain (2003) pour quelques éléments qualitatifs.
- (23)Pour l'architecture du modèle, on peut se reporter à Duée et Rebillard (2004).
- (24)Le revenu disponible du ménage, y compris les revenus de transfert, est également simulé; néanmoins, les allocations de logement ne sont pas renseignées car le statut du ménage vis-à-vis de son logement • locataire ou propriétaire • n'est pas simulé par le modèle.
- (25)Le Groupe Iso-Ressources (GIR) auquel une personne appartient est défini à partir d'une grille spécifique et nationale (la grille AGGIR). Conformément à l'intitulé, cette grille est censée classer les individus en fonction du niveau de ressources nécessaire pour assurer l'aide quotidienne dont ils ont besoin. On distingue six groupes, de GIR6 à GIR1, par ordre de dépendance croissante, mais seule l'appartenance aux GIR 4 à 1 donne droit à l'APA. La grille AGGIR est un outil controversé qui a donné lieu à une littérature abondante dans le champ de la gérontologie. Voir par exemple Colin (2000), Dubuisson et Vuillemin (1996).
- (26)L'âge, le sexe, le niveau d'étude et le nombre d'enfants sont les variables utilisées pour simuler la dépendance ; voir Duée et Rebillard (2004) pour les détails de la simulation de la dépendance dans le modèle Destinie.
- (27)Défini comme pour le ménage des parents, c'est-à-dire net des prélèvements fiscaux et sociaux et intégrant les revenus de transfert à l'exception de l'allocation de logement.
- (28)Voir Colin (2000).
- (29)Le modèle s'appuie ici sur les données de l'enquête HID qui montre que le lieu de résidence d'une personne âgée dépendante dépend essentiellement du niveau de dépendance (groupe GIR) et du contexte familial; voir Duée et Rebillard (2004).
- (30)Ceci s'explique par le fait que les femmes ont une espérance de vie plus longue et une dépendance plus élevée.
- (31)Il s'agit du montant demandé aux résidents trop peu dépendants pour avoir droit à l'APA.
- (32)La contribution espérée est calculée sur l'ensemble des obligés confrontés au besoin de financement d'un parent âgé. Ne pas distinguer les situations contentieuses et infra-contentieuses constitue un cas “limite” au sens où les arrangements familiaux mis en œuvre de manière spontanée sont censés être bornés par les obligations légales (un parent peut toujours saisir la justice ou autoriser le conseil général à le faire pour lui, afin de faire exécuter l'obligation alimentaire de ses enfants). Cependant, il va de soi que le résultat se généralise sous l'hypothèse que le contentieux n'est pas corrélé au montant de la contribution.
- (33)Ceux de la personne de référence uniquement.
- (34)Le détail des simulations est donné en annexe 2.
- (35)Les décisions des juges en matière d'exonération sont plus complexes que cette simple règle (voir les résultats présentés en annexe 1). Elles tiennent compte en particulier de la nature des ressources (allocation de chômage, minima sociaux etc.), mais les informations pertinentes ne sont pas disponibles.
- (36)Voir en annexe 2.
- (37)L'algorithme de simulation fait dépendre l'âge de fin d'étude d'un enfant de l'âge de fin d'étude des parents, l'âge de fin d'étude déterminant le revenu. Si un obligé a un revenu modeste, il a donc une probabilité élevée d'avoir des parents aux revenus modestes. Or ces derniers ont plus de chances d'être dépendants, et, pour un coût donné de la prise en charge, plus de chances d'être dans le besoin, c'est-à-dire créancier.
- (38)L'ensemble des héritiers d'une personne ne correspond pas à l'ensemble de ses obligés alimentaires. Cependant, pour cette simulation, seuls les enfants des personnes âgées de plus de 75 ans sont pris en compte et ils se trouvent être obligés alimentaires et héritiers réservataires.
- (39)La récupération sur succession est extrêmement variable d'un département à l'autre, mais s'opère généralement au-delà d'une franchise de plusieurs milliers d'euros.
- (40)La présence et l'aide des proches répondent souvent à des besoins qui ne peuvent pas se traduire simplement en termes de besoin de financement.
- (41)Le plan d'aide ne correspond pas nécessairement aux aides effectivement mises en place.
- (42)Voir Jousten et alii (2003) pour une discussion théorique sur cette question.
- (43)Il s'agirait là d'un troisième mécanisme de mutualisation venant compléter les dispositifs de l'assurance maladie et de l'APA, pour la partie des dépenses des personnes âgées dépendantes qu'ils ne prennent pas en compte. La décision d'exonération des ménages est étudiée à partir d'un modèle de régression logistique qui permet de quantifier l'impact des différentes caractéristiques des ménages sur leur probabilité d'être mis à contribution. Un modèle logistique simple, qui ne prend en compte que quatre variables économiques, permet de prévoir la décision d'exonération correctement dans 87 % des cas (tableaux 6 et 7). La première de ces variables est la capacité contributive(1) par unité de consommation du ménage obligé, la capacité contributive étant comprise comme la différence entre les ressources du ménage qui sont soumises à l'obligation et les charges auxquelles il fait face(2). Le fait que l'obligé référent du ménage soit au chômage diminue la probabilité d'être contribuant. Plus surprenant, le nombre d'obligés dans le ménage augmente la probabilité d'être contribuant et les ressources totales par unité de consommation de l'ensemble des ménages mis à contribution pour une même personne âgée diminue cette même probabilité. Le juge aurait donc tendance à diminuer le seuil • en dessous duquel on est exonéré • quand cela est « coûteux », c'est-à-dire quand l'exonération porte sur deux obligés (et non sur un) et quand il est difficile de « compenser » cette « perte » sur les autres obligés, faute d'un niveau de ressources suffisant de ces derniers. Ce comportement du juge introduit une source d'inégalités bien difficile à justifier puisqu'il conduit à considérer différemment l'exonération des obligés selon qu'ils sont mariés ou non. Par ailleurs, il solidarise de fait les obligés de la famille en conditionnant l'exonération d'un obligé à la fortune des autres.
- (1)Trois modèles ont été estimés correspondant à différentes unités de mesure de ressources et de charges : ressources et charges totales du ménage, ressources et charges du ménage par obligé alimentaire, ressources et charges du ménage par unité de consommation. La troisième approche s'est révélée la plus pertinente sur le plan statistique. Le paramètre de la variable de charge et celui de la variable de ressources n'étant pas significativement différents en valeur absolue, ces deux variables ont été remplacées par leur différence (la capacité contributive).
- (2)Les charges sont réduites de moitié pour les enfants en concubinage et les petits-enfants, quel que soit le statut de leur union ; en effet, dans ces deux cas, seul le descendant direct est soumis à l'obligation alimentaire.
- (1)Selon la Direction de l'Hospitalisation et de l'Organisation des Soins (DHOS), ces forfaits sont compris entre 35 et 48 euros en zone rurale, 45 et 60 euros en zone urbaine et entre 55 et 75 euros en région parisienne (plus de 75 euros pour les établissements de l'assistance publique des hôpitaux de Paris).
- (2)Sanscontrainte, l'application de la règle conduit ainsi à affecter 33 obligés de taux de contribution négatifs pour 249 obligés mis à contribution.
- (3)Ces contraintes ne sont jamais contradictoires dans notre échantillon.