1Il est bien connu que les risques de décès varient sensiblement selon les conditions socioéconomiques des individus. En France, toutefois, l’essentiel de la longue et riche tradition de travaux sur les inégalités sociales face à la mort s’est concentrée sur les différences de mortalité selon les professions ou catégories socioprofessionnelles alors que les différences de mortalité selon le revenu ont été documentées dans différents pays, comme les États-Unis, le Canada ou le Royaume-Uni. La mortalité fonction du revenu étant pourtant une information des plus intéressantes, tant pour comprendre les déterminants de la mortalité que pour être à même de calibrer une politique redistributive dans un contexte de mortalité hétérogène, nous avons cherché à la mesurer dans le cas français.
2En utilisant des données administratives, l’Échantillon Interrégimes de Retraités (EIR), nous pouvons estimer la relation entre taux de mortalité des retraités et montant de leur pension. Ces données concernent certaines générations nées entre 1906 et 1930 et leur mortalité est évaluée entre 1997 et 2001. Cette estimation est particulièrement robuste puisque les données issues de registres administratifs ne souffrent d’aucun des problèmes habituels d’attrition, d’erreurs de mesure ou de non-réponses sur le montant des pensions. Nous trouvons que la mortalité différentielle selon le niveau de pension est significative pour les hommes. Nous obtenons une élasticité des taux de mortalité au niveau des pensions qui varie selon l’âge. Elle est de l’ordre de-0,5 à 70 ans et de-0,3 à 80 ans. Cela impliquerait une élasticité revenu de l’espérance de vie à 60 ans de l’ordre de 0,18, ce qui est loin d’être négligeable. En revanche, les résultats pour les femmes ne sont significatifs qu’à certains âges et sous certaines hypothèses. Cela résulte sans doute de la structure de notre échantillon qui en n’incluant que des individus affiliés à une caisse de retraite, opère une sélection importante pour les femmes. Il faut toutefois souligner ici que, compte tenu du peu de renseignements sur les caractéristiques individuelles et familiales, il nous est difficile de dissocier les différents effets qui peuvent aboutir à la relation entre mortalité et pensions que nous observons. L’interprétation de nos résultats comme la mesure d’une causalité du revenu, ou de la richesse, vers la mortalité peut négliger diverses sources de causalité rétroactive.
3La relation entre revenu et mortalité est donc essentiellement une relation statique mal expliquée. Elle conditionne pourtant de nombreux diagnostics sur les politiques publiques et en particulier sur le système de pensions de retraite. C’est pourquoi, en prenant la mortalité différentielle comme une donnée, nous discutons aussi, dans ce papier, de son impact sur l’analyse des systèmes de retraites. Nous estimons la redistribution que peut engendrer la mortalité différentielle ainsi que l’hétérogénéité des incitations qu’il faudrait mettre en place pour que le mode de calcul des montants de pensions soit actuariellement neutre, en dépit de cette mortalité différentielle. Cette discussion qui s’appuie sur les valeurs estimées des élasticités permet de donner les ordres de grandeur des différents phénomènes liés à la mortalité différentielle.
4Nous avons ainsi estimé, d’une part, la redistribution financière qui résulte du fait que ceux qui touchent des pensions plus élevées sont en moyenne aussi ceux qui vivent le plus longtemps. Nous avons calculé, d’autre part, les taux de remplacement qu’il faudrait mettre en place pour s’orienter vers un mode de calcul du montant des pensions actuariellement neutre en dépit de la mortalité différentielle. Dans les deux cas, nous sommes arrivés à des effets qui ne sont pas négligeables. La mortalité différentielle liée au niveau des pensions est donc à même d’amener à réviser la réflexion sur la gestion des systèmes de retraite et sur leurs vertus redistributives.
5Soulignons pour terminer que si nous avons discuté des redistributions financières liées à la mortalité différentielle, nous n’avons pas abordé la question des effets de la mortalité différentielle en termes de bien être. Cela ne peut être fait sans aborder la question difficile de la valeur de la vie. Cette absence et notre discussion qui se focalise sur les systèmes de retraites ne doivent pas faire oublier pour autant que la mortalité différentielle est une source primordiale d’inégalité. L’inégalité ne réside pas tant dans le fait que les plus aisés touchent leur pension plus longtemps que les autres, mais tout simplement dans le fait qu’ils vivent en moyenne plus longtemps que les autres.
6Il est bien connu que les risques de décès varient sensiblement selon les conditions socio-économiques des individus. En France, toutefois, l’essentiel des études sur les inégalitéssociales faceà la mort se sont concentrées sur les différences de mortalité selon les professions ou catégories socioprofessionnelles (CSP). On trouve une longue et riche tradition de tels travaux, avec notamment ceux de Bertillon (1889), Huber (1912), Febvay et Aubenque (1957), Lederman (1960), Desplanques (1973,1991 et 1993) et Mesrine (1999). Mais, alors que les différences de mortalité selon le revenu ont été documentées dans différents pays, comme les États-Unis, le Canada ou le Royaume-Uni [1], on ne trouvait pas encore d’études de l’influence du revenu ou de la richesse sur la mortalité en France. Cette information est pourtant des plus intéressantes, tant pour comprendre les déterminants de la mortalité que pour être à même de calibrer une politique redistributive dans un contexte de mortalité hétérogène.
7Cet article, comme les travaux de Jusot (2003), vise à combler cette lacune. On peut principalement utiliser deux corpus de données pour estimer la mortalité différentielle : utiliser, d’une part, des données longitudinales qui suivent certains individus au cours du temps et indiquent s’ils étaient en vie ou décédés à différentes dates et, d’autre part, comparer la distribution des personnes décédées à la distribution de la population des vivants. Chacune des méthodes a ses avantages et ses inconvénients. L’approche longitudinale est séduisante mais, les taux de décès étant relativement faibles, elle est fragile puisqu’elle doit s’appuyer sur des données longitudinales ne souffrant pas (ou très peu) d’attrition. En particulier, il devient peu raisonnable d’utiliser des enquêtes ménages en panel où les taux d’attrition liés à la mobilité ou d’autres causes sont élevés et difficiles à distinguer de l’attrition par décès. Il faut donc s’appuyer sur les rares données longitudinales où l’attrition n’empêche pas l’estimation des taux de décès. C’est ce que nous faisons dans cet article en utilisant l’Échantillon Interrégimes de Retraités (EIR) où il n’y a aucune attrition pour des raisons autres que le décès puisque la présence, ou l’absence, de la base est donnée par le versement, ou non, de la pension de retraite. Ces données sont particulièrement précises mais ont pour double inconvénient de ne pas être représentatives de la population de la France [2] et de ne contenir que peu d’informations utilisables pour une analyse multivariée. La seconde méthode est celle utilisée par Jusot (2003) qui compare les données de l’enquête Patrimoine au Décès (représentatif des décédés) aux donnéesdes Revenus Fiscaux (représentatifs des vivants). Ces enquêtes contenant plus d’informations que celle que nous utilisons, Jusot peut aborderun plus grandnombre de questions. Toutefois, cette approche est limitée, comme cela est expliqué dansJusot (2003), par lefait que les données utilisées ne sont qu’imparfaitement comparables [3].
8En utilisant les données de l’EIR nous pouvons estimer la relation entre taux de mortalité des retraités et montant de leur pension. Cette estimation est particulièrement robuste puisque les données issues de registres administratifs ne souffrent d’aucun des problèmes habituels d’attrition, d’erreurs de mesure ou de non-réponses sur le montant des pensions. Nous trouvons que la mortalité différentielle selon le niveau de pension est significative pour les hommes. Nous obtenons une élasticité des taux de mortalité au niveau des pensions qui varie selon l’âge. Elle est de l’ordre de -0,5 à 70 ans et de-0,3 à 80 ans. Cela impliquerait une élasticité revenu de l’espérance de vie à 60 ans de l’ordre de 0,18, ce qui est loin d’être négligeable. En revanche, les résultats pour les femmes ne sont significatifs qu’à certains âges et sous certaines hypothèses. Cela résulte sans doute de la structure de notre échantillon qui en n’incluant que des individus affiliés à une caisse de retraite, opère une sélection importante pour les femmes.
9Cette base de données contient néanmoins peu de renseignements sur d’autres caractéristiques individuelles que le revenu et peu de renseignements sur les caractéristiques familiales, à part le nombre d’enfants et la présence ou non de pensions de reversion. Il nous est de fait difficile de dissocier les différents effets qui peuvent aboutir à la relation entre mortalité et pensions que nous observons. En particulier, nous n’avons aucune information sur l’état de santé initial des individus. Or les causalités croisées entre statut socioéconomique, comme le montant des pensions, et santé, dont la mortalité, ont faitl’objetd’âpres débats parmi les épidémiologistes suite à deux célèbres études de Whitehall sur les fonctionnaires britanniques (Marmot et alii, 1991). Ces débats sont repris, depuis quelques années, par des économistes qui utilisent des méthodes empiriques originales, ceci afin de mieux comprendre les comportements d’épargne et de consommation aux âges élevés. Les arguments de ces débats sont remarquablement bien résumés par Smith (1999). Il y est expliqué qu’interpréter nos résultats comme la mesure d’une causalité du revenu, ou de la richesse, vers la mortalité néglige diverses sources de causalité rétroactive. Des accidents de santé, ou la révélation d’une maladie chronique, durant la vie active peuvent faire que les revenus sont plus faibles et les carrières interrompues. Des frais médicaux importants peuvent grever le patrimoine. Certains auteurs avancent enfin que la perspective de vivre moins longtemps accélère la décumulation du patrimoine aux âges élevés et diminue la probabilité de faire un legs à ses descendants.
10Utiliser une mesure des droits à pension pour mesurer le statut socioéconomique, comme nous le faisons, évite certains de ces écueils, même s’ils restent une mesure un peu lointaine de la richesse puisqu’ils diffèrent suivant les régimes, publics ou privés par exemple. Nous ne disposons pas non plus d’informations sur le revenu familial. Néanmoins, ces droits à pension sont moins sensibles à l’état de santé que le patrimoine global, sauf dans la mesure où ils reflètent une capacité à générer des revenus plus faibles, tout au long de la carrière, ou des départs en retraite plus précoces. De plus, n’utiliser des données que sur des retraités permet de s’abstenir de distinguer les effets de revenu des effets directs du statut sur le marché du travail sur la mortalité (Snyder et Evans, 2002). La corrélation positive entre état de santé général et revenu ne cesse en effet de croître qu’au départ en retraite (Deaton et Paxson, 1998). Utiliser les pensions de retraite des retraités pour mesurer leur statut socioéconomique en contrôlant les durées de cotisation, comme nous le faisons, n’écarte pourtant pas toutes les possibilités de causalité inverse. En admettant que l’état de santé général est déterminé dès l’enfance et que le revenu dépend de l’état de santé à l’âge adulte, le montant des pensions pourrait être déterminé par la même cause commune que la mortalité. Plus généralement d’ailleurs, il reste extrêmement difficile d’expliquer la mortalité différentielle par les arguments habituels, comme les conduites à risque (tabac et comportements alimentaires par exemple) ou comme l’accès aux soins de santé, qui certes sont anticorrélées au revenu mais de manière insuffisante pour expliquer l’impact du revenu (études de Whitehall, Marmot et alii, 1991). Ceci semble valoir aussi pour la dangerosité des professions, même si une enquête sur les fonctionnaires est moins à même de répondre à une telle question. Un nouvel élément du débat, apporté par Adams et alii (2003), montre qu’aux âges élevés - plus de 70 ans - les conditions socioéconomiques ne “causent’’ pas (au sens de Granger) les chocs sur la santé, comme l’apparition de nouvelles maladies [4]. L es résultats sont similaires en utilisant des données américaines, britanniques ou suédoises.
11En conclusion, la relation entre revenu et mortalité est donc essentiellement une relation statique mal expliquée. Elle conditionne pourtant de nombreux diagnostics sur les politiques publiques et en particulier sur le système de pensions de retraite. C’est pourquoi, en prenant la mortalité différentielle comme une donnée, nous discutons aussi, dans cet article, de son impact sur l’analyse des systèmes de retraites. Nous estimons la redistribution que peut engendrer cette mortalité différentielle ainsi que l’hétérogénéité des incitations qu’il faudrait mettre en place pour que le mode de calcul des montants de pensions soit actuariellement neutre, en dépit de cette mortalité différentielle. Cette discussion qui s’appuie sur les valeurs estimées des élasticités permet de donner les ordres de grandeur des différents phénomènes liés à la mortalité différentielle.
12Dans la première partie, nous présentons les données que nous utilisons et l’estimation non-paramétrique de l’influence de la richesse sur la mortalité. Nous reportons dans la partie suivante des estimations paramétriques d’une telle relation en contrôlant pour d’autres variables explicatives et d’autres causes de mauvaise spécification. Nous évaluons dans cette partie, de manière générale, la robustesse de nos mesures d’impact et nous montrons que l’effet des pensions va au-delà de l’effet des CSP (Catégories socio-professionnelles), il est vrai mesuré de façon grossière. Nous illustrons dans la dernière partie l’impact de nos mesures sur le caractère redistributif du système de pensions en France.
Données et estimations non-paramétriques
Les données
13Les données utilisées sont extraites de deux vagues successives de l’Échantillon Interrégimes de Retraités en 1997 et 2001 (voir DREES, 1996). Construites à partir des déclarations exhaustives des caisses de retraite qui sont appariées à des données sur les salaires et les périodes de chômage, elles donnent des informations sur les caisses de retraite, le montant de la retraite et sa ventilation entre les différents types d’avantages, en droits directs ou en droits indirects, le nombre de trimestres d’assurance et un nombre réduit d’autres caractéristiques individuelles. Dans cet échantillon, il est très rare de liquider ses droits après 67 ans. Nous nous sommes donc restreints aux générations nées en 1930 et avant (l’enquête se fait pour les générations en 1906,1912, 1918,1922,1926) pour qu’à quelques exceptions près, tous les individus nés les 6 premiers jours d’octobre de ces années, qui ont travaillé et cotisé à une caisse de retraite et qui sont en vie en 1997 soient présents dans notre base de données. Les exceptions concernent les retraités de France non-métropolitaine, qui ne sont pas présents en 1997 mais le sont en 2001 [5]. À côté de cela, quelques retraités ayant liquidé avant 1997 ne sont enregistrés qu’en 2001 et non en 1997 car ils avaient été “oubliés’’en 1997. Il n’en reste pas moins que si un individu est présent dans la base en 1997, la seule raison de son absence en 2001 est son décès. Nous obtenons ainsi une mesure, d’excellente qualité, de la probabilité de survie à quatre ans (entre 1997 et 2001) pour des générations d’âge compris entre 67 et 91 ans. Il n’y a en effet aucun des problèmes d’attrition que l’on rencontre dans les enquêtes ménages utilisées habituellement pour évaluer la mortalité différentielle (Attanasio et Emmerson, 2003).
14D’autre part, il existe une multitude de caisses de retraite en France et les modes de gestion des pensions de ces caisses diffèrent assez fortement. C’est pourquoi, le champ que nous retenons inclut les salariés du secteur privé, Caisse Nationale d’AssuranceVieillesse(CNAV) et Mutualité Sociale Agricole (MSA) pour les salariés agricoles, les salariés des régimes “spéciaux’’ [6] et les salariés de la fonction publique et des collectivités locales ayant au moins un avantage de base de retraite en droit direct. Nous définissons comme principale, la caisse qui, premièrement, verse une pension de droit direct, deuxièmement, verse la contribution la plus importante dans le montant total de la pension de retraite et, troisièmement, a reçu du salarié des cotisations pendant 60 trimestres au moins. Nous nous sommes restreints aux individus qui, d’après notre définition, ont une caisse principale. La coupure à 60 trimestres est arbitraire à ceci près qu’elle correspond à la longueur de cotisation minimale pour recevoir une pension dans le secteur public (15 ans). En dessous de 60 trimestres, la vie active pourrait avoir été assez instable. De toute façon, nous contrôlons en général nos estimations par le nombre de trimestres de cotisations et nous avons fait varier cette sélection pour nous assurer de la robustesse de nos résultats. Pour les hommes, cette restriction aux individus ayant travaillé suffisamment au cours du cycle de vie ne semble pas poser de sérieux problèmes, alors que, pour les femmes, elle entraîne une sélection importante qui, on le verra, se retrouvesans doutedansnos résultats.
15La bonne qualité de la variable de richesse ou de statut socioéconomique est également à souligner puisque nous utilisons surtout les droits directs à la retraite reportés par les caisses de retraite. Comme nous l’avons déjà mentionné, la relation que nous recherchons est une relation entre survie et revenu moyen de cycle de vie. Au contraire des revenus mesurés dans les enquêtes ménages, les droits à la retraite ne sont pas un revenu transitoire obtenu par déclaration vers la fin de la vie active, période qui est fréquemment troublée par des périodes de chômage, de préretraite ou de changements d’horaires de travail (Bommier, Magnac et Roger, 2003). Dans cet échantillon, on peut néanmoins construire aussi d’autres notionsde revenu en utilisant parexemple le montant total de la retraite qui intègre les droits indirects à des pensions de retraite (enfants, reversion et circonstances spéciales) ou l’indice du traitement pour les fonctionnaires. Nous utiliserons de tels indicateurs pour évaluer la robustesse de nos résultats.
16Pour finir cette description, il n’y a que peu d’autres variables individuelles, le sexe, la région de résidence, le nombre de trimestres de cotisation et la caisse de retraite et aucune variable familiale. Les informations professionnelles sont assez réduites puisqu’elles consistent en 5 catégories socioprofessionnelles ( cadres supérieurs, professions intermédiaires, employés, ouvriers qualifiés, ouvriers non qualifiés).
17Le tableau 1 reporte les moyennes des principales variables que nous utiliserons. On distingue les hommes et les femmes ainsi que les différentes générations entre elles puisque les probabilités de survie sont très différentes entre sexes (seulement 26,2% des hommes survivent au moins quatre ans à 91 ans contre 44,9% des femmes) et entre générations (le taux de survie à quatre ans se situe à 95% pour les 67 ans et 80 % pour les 75 ans). Les effectifs des survivants dans les différentes générations et sexes reflètent ces taux de survie puisque, par exemple, les hommes de 91 ans ne forment qu’un gros pour cent de l’échantillon. Remarquons aussi que les femmes des générations les plus jeunes ne sont pas plus nombreuses que les hommes car la sélection des personnes ayant cotisé plus de 60 trimestres implique que beaucoup de femmes ont été écartées de l’échantillon. Le nombre de trimestres de cotisation des femmes est d’ailleurs plus faible que celui des hommes (de 30 trimestres en moyenne) et l’écart ne se comble pas pour les générations les plus jeunes. L’augmentation de la participation féminine ne commence en effet que vers la fin des années 1960 et touche peu les générations que nous étudions. Ce moindre nombre de trimestres se conjugue au différentiel de salaire entre hommes et femmes pour expliquer que les droits directs versés aux femmes n’atteignent que 50% environ de ceux des hommes. En ajoutant les droits indirects dus aux enfants, pensions de reversion, etc., cette proportion atteint 60%.
statistiques descriptives de l’échantillon

statistiques descriptives de l’échantillon
18Finalement, les différences de mortalité en fonction du revenu peuvent déjà se lire dans ces statistiques descriptives. Pour les hommes en effet, les droits directs pour la pension de la retraite diminuent entre les générations 1918 et 1930 alors que les générations les plus jeunes ont bénéficié de gains de productivité et donc de salaires plus élevés. Les taux de remplacement n’ayant pas changé sur cette période, on devrait observer le contraire. Ce phénomène correspond bien à l’idée que l’on se fait de la sélection dynamique (Cameron et Heckman, 1998). Les plus pauvres ont une mortalité plus forte et la moyenne des pensions de retraite parmi les survivants augmente au cours du temps par un effet de composition. C’est ce que l’on va vérifier dans la section suivante par un ensemble d’estimations descriptives.
Estimation non paramétrique
19Pour décrire les données, on estime pour chaque génération et chaque sexe une régression non paramétrique dela probabilité de survie entre 1997 et 2001 sur le (logarithme du) montant des pensions en ne tenant pas compte d’autres variables explicatives. En raison de la malédiction de la dimensionnalité, il est en effet difficile d’estimer avec précision et de reporter des descriptions flexibles des relations multidimensionnelles entre revenu, nombre de trimestres, régions de résidence, caisses de retraite. Nous nous concentrons donc sur la seule relation entre revenu et probabilité de survie pour guider les estimations paramétriques qui tiendront compte d’autres facteurs explicatifs et dont nous présenterons les résultats dans la partie suivante. La littérature suggérant qu’une telle relation est non-linéaire, nous considérerons comme seul régresseur le logarithme du revenu. Nos résultats ne démentent pas la linéarité de la probabilité de survie en fonction du logarithme du revenu.
20On utilise un lissage par régression locale [7] en ne tenant compte que des observations appartenant aux vingtiles intérieurs (du 2ème au 19ème ) de la distribution des pensions et ceci dans un but de lisibilité. De toute façon, les bandes de confiance sont très (trop) larges aux extrêmes. L’ordre de lissage est identique pour tous les échantillons et il est choisi pour que les courbes ne soient pas trop heurtées dans les générations numériquement les plus importantes (1926 et 1930). On reporte aussi dans le graphique les bandes de confiance à 95%. Les résultats de ces estimations sont reportés sous forme de graphiques dans les figures 1 (hommes) et 2 (femmes) pour les différentes générations. Pour les hommes, l’effet du montant est positif (dans le sens vague où une ligne horizontale ne peut pas être tracée entre les bandes de confiance) pour les hommes des générations les plus jeunes et les plus importantes, celles de 1922,1926 et 1930.
21Au-delà de ces âges, la taille de l’échantillon devient plus petite. Les écarts types attendus sont multipliés par un facteur proportionnel à la racine de la taille de l’échantillon (voir tableau 1) ce qui correspond aux amplitudes observées. Des effets de sélection dynamique peuvent s’être aussi mis en place. Ces derniers viennent de la présence d’hétérogénéité individuelle inobservable. On sait que cette hétérogénéité inobservable a tendance à biaiser vers le bas le taux de croissance du hasard de base (Lancaster, 1990), ici le taux de mortalité. On sait moins que cette présence d’hétérogénéité atténue l’effet des variables explicatives et ceci de manière de plus en plus forte avec le temps, sous certaines conditions il est vrai (voir l’annexe). L’importance de la mortalité différentielle pour les hommes, dont l’amplitude sera résumée par une élasticité dans la partie suivante, est donc un des résultats de cet article.
22Pour les femmes au contraire, l’effet positif du revenu ne semble jamais significatif au vu des graphiques. Nous pourrions attribuer ce dernier résultat à la règle de sélection des femmes dans l’échantillon ou, ce qui est lié, à la difficulté de mesurer un revenu de cycle de vie pour elles. On ne peut pourtant pas écarter des explications structurelles. La moindre dépendance de la santé des femmes par rapport au revenu peut venir de choix personnels d’"investissements’’en santé, comme les comportements vis-à-vis de facteurs à risque tels que le tabac et l’alcool, au moins dans les générations que nous examinons. L’élasticité-revenu de ces investissements serait plus faible pour les femmes (Aliaga, 2002).
probabilités de survie et revenu des hommes

probabilités de survie et revenu des hommes
probabilité de survie et revenu des femmes

probabilité de survie et revenu des femmes
Elasticités-revenu de la survie et du taux instantané de mortalité
23Pour aller plus loin, on contrôle maintenant l’effet d’autres variables explicatives comme les régions, le nombre de trimestres de cotisations, le type de caisses de retraite et la catégorie socio-professionnelle. On utilise pour cela un modèle paramétrique contraint, le modèle Probit, dont nous pouvons comparer les résultats aux résultats non-paramétriques. Nous estimons deux élasticités-revenu. Les premières sont les élasticités de la probabilité de survie à 4 ans par rapport au revenu. Cette élasticité est la seule que l’on puisse estimer à partir de nos données sans faire d’hypothèse supplémentaire. Toutefois, elle donne une information qui est difficilement comparable aux résultats d’autres études sur la mortalité différentielle. En effet, une élasticité de la probabilité de survie à quatre ans ne peut pas se comparer simplement à une élasticité de la probabilité de survie à un an ou à dix ans. Pour avoir des mesures de la mortalité différentielle plus universelles, les démographes préfèrent comparer les taux instantanés de décès. Nous estimerons donc par ailleurs l’élasticité du taux de mortalité instantané par rapport au revenu. Il est clair que comme nous n’observons que la survie à quatre ans, l’estimation du taux instantané de décès impose de faire une hypothèse supplémentaire. Nous supposerons pour simplifier que cette élasticité est constante pendant les quatre ans qui séparent nos deux observations. Nous avons vu pourtant dans les régressions non paramétriques que l’élasticité du taux de mortalité par rapport au revenu est plus faible pourlesplus âgés que pour les plus jeunes. Toutefois, avec une période d’observation de seulement 4 ans, qui est donc relativement courte, on peut faire abstraction de cet effet d’âge et supposer en première approximation que l’élasticité du taux instantané de mortalité par rapport au montant des pensions reste constant au cours de la période d’observation.
Estimations Probit
24Les résultats d’estimation du modèle Probit le plus général sont reportés dans le tableau 2 et distinguent hommes et femmes [8]. Les variables explicatives sont le nombre de trimestres de cotisations, le type de caisse de retraite et des variables indicatrices de génération et de région. De façon générale, on trouve que l’effet-revenu est positif pour les hommes et pour les femmes mais il est beaucoup plus fort pour les hommes. L’effet du revenu est significatif pour les femmes car la forme contrainte du Probit, le groupement des observations et la présence d’autres variables qui étaient omises affectent l’estimation par rapport à l’estimation non-paramétrique de la partie précédente.
25La nouveauté vient surtout de la présence d’autres variables. Avoir principalement cotisé aux régimes du public ou aux régimes spéciaux ne semble pas influencer la survie par rapport aux cotisants du régime général. Par contre, la probabilité de survie décroît avec le nombre de trimestres d’assurance total pour les femmes. Ceci est un argument à l’appui de la thèse des biais de sélection pour l’échantillon féminin qui nous “empêche’’ de voir l’effet du revenu. En effet, celles qui ont les droits directs les plus forts auraient aussi un nombre de trimestres de cotisation plus grand. L es deux effets se compenseraient dans la régression non paramétrique.
26Les effets des variables régions ne sont pas reportés dans les tableaux mais ne sont globalement significatifs que pour les hommes. Ce sont les régions minières et métallurgiques (dans le Nord et l’Est) qui ont une mortalité significativement plus élevée. En affinant le diagnostic et en isolant les différents régimes, nous avons aussi remarqué que les différences entre régions ne sont significatives que sur le sous-échantillon constitué des salariés du privé y compris les salariés agricoles.
27De plus, si l’on sélectionne l’échantillon de plus en plus strictement en augmentant le nombre de trimestres requis pour être dans l’échantillon (au dessus de 60), les coefficients des différentes mesures du revenu augmentent. Ceci accrédite la thèse de mauvaise mesure du revenu de cycle de vie pourceuxqui ont un nombre insuffisantde trimestres de cotisation. Il y a atténuation du coefficient de cette variable vers zéro. Nous avons effectué de nombreux tests de sensibilité de ces estimations à différentes possibilités d’erreurs de spécification. Nous évaluons maintenant cette sensibilité en fonction d’un seul paramètre, l’élasticité-revenu de la probabilité de survie à quatre ans.
estimations de la probabilité de survie : modèle de base (droits directs de pension)

estimations de la probabilité de survie : modèle de base (droits directs de pension)
Elasticités-revenu
28On estime ces élasticités à partir des résultats du modèle Probit au point moyen de l’échantillon. Dans ces estimations, on contrôle pour la région, la génération et le nombre de trimestres total de cotisation. On contrôle aussi pour le sexe lorsque l’on ne sépare pas hommes et femmes et pour le type de caisse lorsque l’on ne sépare pas les régimes [9]. Les estimations globales des élasticités de la probabilité de survie apparaissent dans les tableaux 3 et 4. Le tableau 3 reporte ces élasticités quand la mesure de la pension est une mesure restreinte aux droits directs de pension de retraite. Dans le tableau 4, nous contrastons ces résultats en utilisant le montant total de la retraite qui tient compte des droits indirects.
29Les élasticités mesurées sont relativement faibles en moyenne, mais généralement significatives. Elles atteignent 9 à 10% pour les hommes. Elles sont beaucoup plus faibles pour les femmes, sauf pour les régimes spéciaux, mais les effectifs féminins dans ces régimes sont très faibles. Pour les femmes, les élasticités calculées pour les droits directs ne sont significativement différentes de zéro que dans le secteur privé, ce qui confirme l’analyse non paramétrique menée dans la section précédente. Ce résultat n’est plus vérifié si l’on utilise la retraite totale. Ce montant total atteint 1,26 fois la retraite de base, avec une forte variation selon les générations, puisque pour la génération 1906, par exemple, ce rapport atteint 1,44 contre seulement 1,17 pour la génération 1930 [10]. À l’inverse, pour les hommes, les résultats apparaissent robustes à la mesure de la retraite (tableau 4). Il est vrai que la retraite totale n’excède la retraite de base que de 5,3%. De plus, pour ces derniers, les différences sont peu importantes entre secteur privé et fonction publique (tableau 3).
elasticités de survie aux droits directs de pension de retraite

elasticités de survie aux droits directs de pension de retraite
elasticités de survie au montant total de pension de retraite

elasticités de survie au montant total de pension de retraite
30Pour les fonctionnaires, nous pouvons utiliser une variable supplémentaire dans la base de données qui est leur indice de référence. En effet, cette variable est la mesure la plus exacte du revenu en fin de vie active dont nous disposons puisque le revenu brut est une fonction linéaire de l’indice. L’élasticité-revenu devient alors légèrement plus élevée que celles que l’on a reporté dans les tableaux 3 et 4. Ceci est conforme à l’idée que les autres mesures du revenu au cours du cycle de vie sont affectées par des erreurs qui biaisent vers le bas les coefficients du revenu. En effet, le nombre de trimestres de cotisation importe dans le calcul des pensions dans le secteur privé. Néanmoins, l’amplitude de ces biais ne semble pas très importante.
Elasticités-revenu et générations
31Pour estimer les élasticités-revenus par génération ou par âge, nous avons introduit des variables indicatrices d’âges dans les régressions que nous avons croisées avec la variable du logarithme du montant de la pension. Les coefficients et élasticités reportés ont été calculés, pour les hommes et les femmes, à la valeur moyenne des caractéristiques de l’échantillon (en particulier à la valeur moyenne du logarithme du revenu) pour chaque catégorie d’âge. Les coefficients estimés du modèle Probit sont conformes aux résultats des régressions non paramétriques mais sont plus précis. À partir de ces estimations, on reporte, dans le tableau 5, les estimations de l’élasticité-revenu de la fonction de survie en fonction de la génération ou de l’âge. Pour les hommes, cette élasticité est positive, significative et constante en fonction de l’âge sauf pour la génération la plus vieille. Cela traduit deux effets qui se compensent : la décroissance de l’impact du revenu sur la survie est compensée par la décroissance de la probabilité de survie avec l’âge. Pour les femmes, les résultats sont plus complexes. L’élasticité ne devient positive et significative que dans les générations 1912 et 1918. Elle est alorségale à la moitié de l’élasticité -revenu pour les hommes et décroît par la suite. Il faut interpréter ces résultats avec prudence à cause des effets de sélection et de notre méconnaissance du revenu familial au cours du cycle de vie.
elasticités aux droits directs de pension de retraite, par âge et sexe

elasticités aux droits directs de pension de retraite, par âge et sexe
32Les troisième et quatrième colonnes du tableau 5 donnent les élasticités du taux de mortalité instantané par rapport au revenu que l’on obtient en utilisant nos estimations sur la probabilité de survie à 4 ans et en faisant l’hypothèse que l’élasticité du taux de mortalité ne change pas au cours de la période d’observation. Nous trouvons que l’élasticité du taux instantané de mortalité par rapport au revenu va globalement en décroissant, en valeur absolue, avec l’âge. Les écarts de mortalité liés au niveau de pension semblent donc s’atténuer avec l’âge et ceci conforte l’idée de sélection dynamique (voir l’annexe). Finalement, nous avons aussi évalué ces élasticités-revenus, pour chaque génération et sexe, à d’autres points del’échantillon et en particulier aux quartiles de la distribution. La distribution est approximativement symétrique, les évaluations à la médiane étant assez proches des évaluations à la moyenne. De plus, les différences entre premier et troisième quartile sont relativement faibles puisqu’elles ne valent jamais plus que la moitié, et pour la plupart des générations beaucoup moins, de l’élasticité-revenu à la médiane.
33En faisant abstraction de la sélection dynamique,
nous pouvons utiliser les résultats pour les hommes
dans le tableau 5 pour estimer grossièrement
l’élasticité de l’espérance de vie à 60 ans. Nous
supposons que le tauxde mortalitéest delaforme:


Revenu et catégories socio-professionnelles
34On revient ici sur le débat des effets relatifs des professions et du revenu. Est-ce le revenu qui affecte directement la probabilité de survie ou le fait-il à travers la profession exercée ? On ne peut apporter des éléments de réponse très précis à ce débat puisque nous ne disposons que d’une mesure très approximative des professions par leur regroupement en ouvriers qualifiés, ouvriers spécialisés, employés, professions intermédiaires et cadres. Cette information est enregistrée au moment de la retraite. Comme elle est absente des renseignements fournis par les caisses de retraite, nous avons utilisé les DADS et les données UNEDIC pour l’obtenir. Elle n’est donc disponible que pour les salariés du secteur privé ayant connu au moins un épisoded’emploi oude chômage entre 1985et ladate de liquidation. Nous sommes ainsi obligés de nous restreindre aux générations de 1926 et 1930 puisque, pour la plupart des individus des générations plus anciennes, nousn’avonspasd’informations sur leurs professions. Le tableau 6 propose une estimation, pour les hommes, de l’effet, sur la probabilité de survie, du montant de la retraite en contrôlant pour ces catégories. La catégorie de référence utilisée est “Cadres et chefs d’entreprise”.
35Les effets de la retraite restent positifs et significatifs, que ce soit en utilisant la somme des avantages principaux de droit direct ou le montant total de la retraite. L’élasticité est néanmoins plus faible et égale à environ 0,05. Par ailleurs, la probabilité de survie est plus faible pour toutes les catégories par rapport aux cadres, mais l’effet n’est significatifquepour les ouvriers qualifiés. Maisilest vrai que si on omet la variable de pension de la régression, comme on le reporte dans la deuxième colonne, les effets des catégories doublent en amplitude et deviennent significatifs. La forte corrélation par “construction’’ entre catégories et revenus en est responsable mais il est difficile d’aller plus loin que ce constat.
catégories socio-professionnelles et revenus

catégories socio-professionnelles et revenus
Mortalité différentielle et systèmes de retraite
Élasticité de l’"équivalent-capital’’ retraite par rapport au montant de pension de retraite.
36Nos estimations ont montré que les individus qui touchent une pension élevée vivent en moyenne plus longtemps. De fait, si unindividu touche une pension mensuelle deux fois plus élevée qu’un autre individu, nous savons, du fait de la mortalité différentielle, que la somme totale des pensions qu’il touchera en moyenne sera plus de deux fois plus élevée que celle que touchera l’autre individu. Pour donner une idée de l’ampleur de ce phénomène, nous calculons ci-dessous l’élasticité de l’"équivalent-capital” retraite par rapport au montant de la pension de retraite.
37Précisément, supposons que les marchés
intertemporels sont parfaits et que le taux d’intérêt
est égal à r. Les individus sont alors indifférents entre
recevoir une pension P entre le moment où ils
liquident leur droit à la retraite, a, et leur décès, ou
L recevoir au moment de la liquidation un capital
donné par :

38Dans le cas où le taux instantané de décès est donné
par ? ? ? ( ) ( )t P t=, où ? ?( ) est le taux de hasard
0 0 de base, on a (voir en annexe) :



39Cette élasticité dépend donc du taux d’actualisation, de l’âge à la liquidation et de la mortalité des individus. Toutefois, on peut l’estimer de façon approximative en prenant pour ? des valeurs cohérentes avec celles estimées auparavant,? = 60 L et en supposant que s t( ) est proche de la fonction a PL, de survie que l’on obtient en utilisant les taux de mortalité observés pour les hommes en France en 1997.
40Les résultats, pour différentes valeurs de ? et de r sont reportés dans le tableau 7. Nous utilisons deux valeurs différentes pour ?, proches mais non égales des estimations, pour montrer la sensibilité des calculs simplifiés que nous menons. Comme on le voit, on trouve des élasticités qui sont supérieures à 1 tout en restant assez proches de 1. La mortalité différentielle liée au niveau des pensions engendre donc une redistribution financière régressive. Doubler le revenu revient à faire plus que doubler l’équivalent capital de 8 à 17% dans les scénarios centraux. Cet impact est loin d’être négligeable et doit être mis en regard des autres dimensions redistributives du mode de calcul des pensions. Par exemple, en reprenant le Rapport de stratégie nationale sur les pensions rédigé pour l’Union Européenne par la France (2002), [12] on trouve qu’un doublement approximatif du revenu entre les tranches 7500-10000 F et 15000-20000 F fait passer le taux de remplacement de 91% à 72% (page 8 de l’annexe de ce rapport). L’élasticité-revenu correspondant à ce transfert est donc de 0,8. L’effet de la mortalité différentielle annule entre 1/4 et plus de la moitié de cette redistribution (0,8*1,08 ou 0,8* 1,17) suivant nos hypothèses de tendance centrales extraites du tableau 5. Examiner les taux de remplacement pourrait donc exagérer les effets redistributifs du système de retraite en France. Cet effet anti-redistributif semble plus fort que celui que Walraet et Vincent ( 2003) trouvent par microsimulation mais les résultats sont difficiles à comparer puisque ces auteurs, d’une part, n’utilisent pas d’élasticités-revenus comme nous mais une approche par déciles et par tauxde rendement interne et, d’autre part, utilisent la mortalité différentielle entre groupes d’éducation et non de revenus. La conclusion générale reste pourtant la même. La mortalité différentielle est anti- redistributive mais le système de retraites, considéré dans sa généralité, reste redistributif.
elasticité de l’équivalent capital au montant mensuel de la pension

elasticité de l’équivalent capital au montant mensuel de la pension
Mortalité différentielle et incitations au départ à la retraite
41La mortalité différentielle peut aussi affecter les incitations qu’ont les individus à liquider leur retraite à un âge donné. Le législateur peut donc vouloir utiliser l’information qu’il acquiert sur la mortalité des individus via leur revenuau moment du départ en retraite pour définir le mode de calcul des pensions de retraites qui sera cohérent avec les incitations qu’il souhaite mettre en place (Blanchet et Caussat, 2001).
42Afin d’illustrer l’impact de la mortalité différentielle, imaginons un scénario où le planificateur souhaite supprimer les effets incitatifs et s’orienter vers un système actuariellement neutre. On considère donc le cas où le planificateur observe un revenu de référence R et où il sait que le taux de mortalité à l’âge t d’un individu ayant ce revenu de référence est donné par ? ? ? ( ) ( )t R t= [13]. Le 0 problème du planificateur qui cherche à définir un mode de calcul des pensions actuariellement neutre consiste à déterminer le taux de remplacement ? a( ) tel que pour une pension ? a R( )
43R LR L l’équivalent en capital des pensions auquel on a
soustrait l’équivalent des cotisations versées soit nul
et ceci pour tout âge à la liquidation, a. En d’autres
L termes et en supposant le taux de cotisation constant,
le planificateur souhaite définir?R L a( )de telle sorte
que, pour tout aL :



44De l’équation il vient :


Conclusion
45En utilisant lesdonnéesde l’échantillon inter-régime des retraités nous avons mesuré la mortalité différentielle en fonction du niveau des pensions. Cette information est nouvelle en France, puisqu’à notre connaissance aucun article publié n’avait étudiéprécisémentlelien entremortalitéetrevenu.
46Nos résultats indiquent une corrélation négative et significative entre mortalité et revenu pour les hommes. Cet effet est robuste et ressort d’estimations non paramétriques. Des estimations paramétriques nous permettent de tenir compte d’autres déterminants de la mortalité et du calcul de la pension. Nous trouvons que l’élasticité du taux de mortalité au montant de pension est de l’ordre de –0,55 entre 71 et 75 ans et de–0,18 entre 85 et 91 ans pour les hommes. L’élasticité de l’espérance de vie à 60 ans serait de l’ordre de 0,18. Ces résultats sont d’un ordre de grandeur comparable à ceux obtenus par les études documentant lamortalité différentielle selon la CSP. Les résultats pour les femmes ne sont significatifs que dans certaines spécifications mais cela est sans doute dû au fait que les données de l’EIR sont loin d’être représentatives de la population féminine et que les données de revenus reflètent imparfaitement sans doute les revenus familiaux dont elles ont pu disposer au cours du cycle de vie.
47Les données des caisses de retraite ne permettent pas de dissocier entre l’effet des revenus et l’effet des professions. L’échantillon interrégimes des retraités par son appariement aux données DADS (Déclaration annuelle des données sociales) et aux données de l’UNÉDIC, permet de contrôler par la CSP, sans que l’on puisse toutefois avoir un contrôle très fin au niveau de la profession. Nos estimations indiquent, qu’à même CSP, ilreste, pour les hommes, une mortalité différentielle significative selon le niveau des pensions. Nos résultats sur la mortalité différentielle selon le revenu viennent donc compléter ceux déjà bien connus sur la mortalité différentielle par CSP.
48À titre d’exercice, nous avons étudié quel pouvait être l’impact de la mortalité différentielle pour la gestion des systèmesde retraites. Nousavonsestimé, d’une part, la redistribution financière qui résulte du fait que ceux qui touchent des pensions plus élevées sont en moyenne aussi ceux qui vivent le plus longtemps. Nous avons calculé, d’autre part, les taux de remplacement qu’il faudrait mettre en place pour s’orienter vers un mode de calcul du montant des pensions actuariellement neutre en dépit de cette mortalité différentielle. Dans les deux cas, nous sommes arrivés à des effets qui ne sont pas négligeables. La mortalité différentielle liée au niveau des pensions est donc à même d’amener à réviser la réflexion sur la gestion des systèmes de retraite et sur leurs vertus redistributives.
49Soulignons pour terminer que si nous avons discuté des redistributions financières liées à la mortalité différentielle, nous n’avons pas abordé la question des effets de la mortalité différentielle en termes de bien-être. Cela ne peut être fait sans aborder la question difficile de la valeur de la vie. Cette absence et notre discussion qui se focalise sur les systèmes de retraites ne doivent pas faire oublier pour autant que la mortalité différentielle est une source primordiale d’inégalité. L’inégalité ne réside pas tant dans le fait que les plus aisés touchent leur pension plus longtemps que les autres, mais tout simplement dans le fait qu’ils vivent en moyenne plus longtemps que les autres.
Annexe
50On répète ici des arguments proposées dans Lancaster
(1990), par exemple pour montrer comment on calcule
l’élasticité-revenu du taux de mortalité et pour justifier la
baisse de ces estimations au fur et à mesure que l’âge croît.
Les démographes s’intéressent au hasard ou taux instantané
de décès. On supposera que l’élasticité de ce hasard par
rapport au revenu est constante et égale à ? ce qui donne :










Notes
- (*)Université de Toulouse (GREMAQ). E-mail : Antoine. BBommier@ univ-tlse1. fr. Htttp :// www-gremaq. univ-tlse1. fr
- (**)Université de Toulouse (INRA et IDEI). Aussi affilié avec le CEPR. E-mail : mmagnac@ cict. fr
- (***)DREES, Ministère des Affaires Sociales, TEAM, Université de Paris 1, et INRA Paris-Jourdan E-mail : bbenoit. rapoport@ sante. gouv. fr
- (****)INRA Paris-Jourdan E-mail : Muriel. RRoger@ ens. fr.
- (1)On pourra se reporter aux travaux récents de Adams et alii (2003) pour les États-Unis, de Mustard et alii (1997) pour le Canada et de Attanasio et Emmerson (2003) pour le Royaume-Uni. Une bibliographie complète des travaux sur des données des États-Unis est présentée par Adams et alii (2003). Toutes ces études indiquent qu’il y a une corrélation négative entre mortalité et revenu.
- (2)L’EIR est un échantillon de pensionnés des principaux régimes de retraite. Il ne permet donc pas de mesurer la mortalité différentielle dans la population des personnes qui n’ont pas ou peu travaillé ou des individus affiliés à certains régimes de retraite, il est vrai résiduels.
- (3)Une des difficultés rencontrées par Jusot est par exemple que l’échantillon de l’enquête Patrimoine au décès est représentatif de la population des individus alors que ceux des Revenus Fiscaux sont représentatifs de la population des ménages fiscaux.
- (4)À une exception près que sont les maladies mentales mais l’interprétation de cet effet reste mystérieuse.
- (5)En toute rigueur ce sont les personnes nées en France non-métropolitaine. En revanche, les personnes nées en métropole et résidant à l’étranger sont présents.
- (6)Dont les principaux sont EDF-GDF, la RATP, la SNCF et la Banque de France.
- (7)Voir Fan et Gijbels (1996). Nous utilisons la procédure LOWESS en Stata.
- (8)Nous n’avons pas pondéré nos estimations par les poids de calage reportés dans l’EIR. D’abord, la repondération n’est pas nécessaire puisque nous estimons des modèles conditionnels ; ensuite, les tentatives que nous avons faites montrent que les effets sont négligeables.
- (9)Pourles régimes spéciaux, on a omis la variable de région. En effet, d’une part, pour les femmes, les effectifs sont très faibles ce qui entraîne, pour certaines régions, une absence de variabilité de la variable dépendante conduisant à réduire l’échantillon de façon drastique. D’autre part, pour les hommes et pour l’échantillon complet, les variables de région ne sont pas significatives globalement.
- (10)Ceci est la résultante de deux effets différents : la surmortalité masculine (et donc les pensions de reversions) pour les plus âgées et l’augmentation de la participation féminine pour les plus jeunes, augmentation encore faible toutefois pour ces générations.
- (11)Ces taux proviennent du Human Mortality Database, http://www.mortality.org
- (12)http://europa.eu.int/comm/employment_social/soc-prost/pensions/fr_pensionreport_fr.pdf
- (13)On suppose ici pour simplifier que la mortalité différentielle selon le niveau des pensions que l’on a observée traduit en fait une mortalité différentielle selon le revenu de référence. Tant qu’il y a une relation univoque entre pension et revenu, notre analyse est correcte à condition de corriger les élasticités-revenus des aspects redistributifs exposés plus haut.