1Cet article étudie l’effet de la composition par sexe des fratries sur les dépenses d’investissement en capital humain réalisées par les parents, une variable susceptible d’engendrer des conflits familiaux non-désirés entre les enfants quant à l’allocation des ressources parentales. L’analyse de deux sources statistiques où l’on s’intéresse à la fois aux déterminants du niveau scolaire et des dépenses d’éducation en France révèle que les filles avec des frères reçoivent moins de ressources que celles avec des sœurs dans les familles riches, alors qu’il est équivalent pour les garçons d’avoir des frères ou des sœurs.
2Pour expliquer les niveaux d’éducation des enfants, les nombreuses études économétriques réalisées à ce jour dans les différents pays développés et moins développés ont mis en évidence l’intervention de deux grandes catégories de facteurs de nature familiale. D’une part, les trajectoires scolaires sont déterminées par la position sociale et économique des parents, matérialisée par le niveau de diplôme, la catégorie socio-professionnelle ainsi que les montants de revenu et de patrimoine. On observe une forte reproduction sociale entre les générations successives, puisque le fait d’avoir des parents diplômés favorise de manière très significative le capital humain des enfants [1]. D’autre part, le type de fratrie dont l’enfant est issu exerce une influence. Les enfants issus de familles nombreuses ont des niveaux scolaires plus faibles et la composition de la fratrie joue également par l’intermédiaire du rang de naissance ou des intervalles entre naissances.
3L’analyse économique des décisions familiales d’éducation tient compte de ces variables (Becker, 1991, Behrman et alii, 1995). Les choix scolaires sont considérés comme le résultat d’un processus familial de décision où les parents déterminent l’allocation optimale de leurs investissements dans le capital humain de leurs enfants suivant des considérations d’efficacité et d’équité. Outre ces facteurs « structurels », des travaux plus récents ont examiné l’impact de la composition par sexe de la fratrie sur les choix éducatifs et la réussite scolaire. Par exemple, aux États-Unis, Butcher et Case (1994) ont montré que les femmes avec seulement des frères avaient un niveau d’instruction plus élevé que les femmes avec au moins une sœur, à taille donnée de la fratrie. Au Japon où les parents préfèrent la réussite des garçons à celle des filles, la probabilité que les filles poursuivent des études universitaires est uniquement influencée par le nombre de frères et non par le nombre global de collatéraux (Ono, 2000).
4Les économistes se sont depuis longtemps intéressés à la discrimination entre les garçons et les filles, en particulier en matière d’éducation et de santé (Behrman, 1988 ; Behrman et alii, 1986 ; Deaton, 1989). Mais l’enjeu des études qui concernent les effets de la composition par sexe de la fratrie à taille donnée apparaît tout aussi important. En effet, dans la mesure où les choix de fécondité relèvent exclusivement des parents et dans un contexte où les techniques de sélection du sexe des enfants ne sont pas mises en oeuvre, la composition par sexe est susceptible d’engendrer des conflits familiaux non désirés entre les différents frères et sœurs [2]. Cette rivalité sous-jacente évoquée par Garg et Morduch (19 98) n’est en au cun cas le résultat d e comportements stratégiques des agents au sein de la famille, à l’inverse de certains modèles de transmissions intergénérationnelles. Il n’empêche que, pour un enfant, les frères et les sœurs ne sont pas nécessairement substituables et il peut exister un avantage implicite à avoir des collatéraux d’un certain sexe.
5Dans ce papier, nous examinons l’effet de la composition par sexe des fratries sur les décisions des parents en nous limitant aux choix relatifs à l’éducation des enfants [3]. L’analyse développée est avant tout empirique. S’il existe plusieurs hypothèses de nature théorique pour expliquer dans quelle mesure les décisions de transferts des parents dépendent de la composition par sexe de la descendance, nous cherchons avant tout à savoir si cette variable exerce ou non une incidence sur les choix d’éducation des parents en France. À partir de deux sources statistiques datant de 1992, nous étudions non seulement les niveaux d’études des enfants de manière analogue aux travaux américains, mais nous retenons également une variable plus appropriée qui correspond aux différentes dépenses d’éducation consenties par les parents. Nous essayons ensuite d’interpréter les résultats obtenus au regard des scénarios théoriques envisageables.
6L’étude suit le plan suivant. La première partie présente les éléments du débat américain concernant l’impact controversé de la composition par sexe de la fratrie sur les niveaux scolaires des enfants, en soulignant les limites des études réalisées. En deuxième partie, nous décrivons les hypothèses théoriques qui permettent d’expliquer pourquoi il n’est pas forcément équivalent d’avoir des frères ou bien des sœurs. Les données des enquêtes CNAV “Trois générations” et Insee “Efforts d’éducation des familles” sont présentées en troisième partie. Les tests économétriques sont réalisés respectivement en quatrième partie pour les niveaux scolaires et en cinquième partie pour les dépenses d’éducation. On montre que les parents fortunés consacrent davantage de dépenses d’éducation à leurs filles lorsque celles-ci ont de nombreuses sœurs. La sixième partie propose des éléments d’interprétation des résultats observés et la septième partie conclut.
Le débat sur l’éducation aux États-Unis
7L’objet des travaux menés par Butcher et Case (1994) consiste à évaluer l’impact de la constitution de la fratrie sur l’éducation des hommes et des femmes nés aux États-Unis entre 1920 et 1965, à partir de trois sources statistiques distinctes (Panel Study of Income Dynamics, National Longitudinal Survey of Women, Current Population Survey). Outre l’effet du nombre global de frères et sœurs, toujours négatif, les auteurs s’intéressent au rôle éventuel de la composition par sexe de la fratrie [4]. Du point de vue statistique, cette variable explicative présente un intérêt essentiel : tant que les couples ne sont pas en mesure de choisir le sexe de leurs enfants, les nombres respectifs de frères et de sœurs sont normalement orthogonaux aux caractéristiques des parents. De ce fait, une simple comparaison statistique des niveaux d’éducation des individus permet dans une large mesure d’appréhender l’effet propre de la composition par sexe de la fratrie.
8Les résultats de Butcher et Case (1994) mettent en évidence l’impact significatif de cette dernière variable aux États-Unis, puisque les femmes élevées avec au moins une sœur se caractérisent par un niveau d’éducation moins important que les femmes élevées seulement avec des frères. Ainsi, parmi les familles du Panel Study of Income Dynamics comprenant deux enfants, avoir un frère augmente de près de six mois la durée des études pour les femmes. Si le fait d’avoir des sœurs exerce toujours une incidence négative sur l’éducation des femmes parmi les fratries de taille plus importante, les différences scolaires en fonction des nombres de frères et de sœurs ne sont jamais significatives pour les hommes. Ces résultats descriptifs sont confirmés par l’analyse économétrique qui contrôle les caractéristiques permanentes des parents, diplômes et professions du père et de la mère en particulier. L’estimation d’une régression linéaire indique que le fait d’avoir au moins une sœur diminue le nombre d’années d’études des femmes, alors que cette variable explicative ne modifie pas l’éducation des hommes.
9Il convient toutefois de nuancer la portée de ces évidences. D’un côté, le rôle de la composition par sexe des fratries sur les trajectoires scolaires varie de manière sensible selon les cohortes considérées. Ainsi, Butcher et Case (1994, p. 550) remarquent que la probabilité d’avoir une éducation plus poussée diminue avec la présence d’au moins une sœur, surtout pour les femmes les plus âgées, nées entre 1920 et 1940, tandis que cet impact négatif n’apparaît guère pertinent pour les femmes nées entre 1941 et 1961. L’évolution observée traduirait alors une modification de l’allocation familiale des ressources pour le capital humain des enfants au cours de la période considérée. De l’autre, certains résultats empiriques sont statistiquement peu pertinents. Dans la comparaison des niveaux scolaires, les valeurs obtenues en fonction du nombre de sœurs dans la fratrie ne sont souvent pas significativement différentes, comme le soulignent fort justement Hauser et Kuo (1998). D’ailleurs, si Butcher et Case (1994) utilisent trois enquêtes différentes pour leur recherche, les conclusions sur le rôle de la composition par sexe s’avèrent vérifiées seulement pour les données du Panel Study of Income Dynamics [5].
10Des travaux complémentaires récents sont venus contredire le rôle de la composition par sexe des fratries sur l’éducation. À partir du National Longitudinal Survey of Youth, Kaestner (1997) examine à la fois le nombre d’années d’études pour des individus nés entre 1958 et 1965 et les résultats de tests scolaires pour des enfants plus jeunes. Les tests économétriques mis en œuvre ne permettent pas l’émergence d’une relation claire entre l’éducation et les nombres de frères et de sœurs [6]. Néanmoins, ces résultats ne sont pas forcément incompatibles avec les précédents puisque Butcher et Case (1994) insistent sur la nécessité d’un traitement différencié des cohortes successives. Hauser et Kuo (1998) proposent à leur tour une analyse fondée sur trois enquêtes (Occupational Changes in a Generation Survey, Su rvey of Inco me a nd Prog ram Participation, National Survey of Families and Households). Ces données confirment toutes l’absence du rôle de la composition par sexe des fratries sur la réussite scolaire pour les hommes et femmes nés entre 1910 et 1964. Si la taille de la fratrie diminue régulièrement les niveaux d’éducation, sa composition par sexe n’exerce aucun effet pertinent quelle que soit la variable retenue, existence d’une sœur ou proportion de sœurs [7].
11Au-delà de leur portée sans doute limitée, l’enseignement des résultats obtenus par Butcher et Case (1994) concerne cette possibilité qu’il ne soit pas équivalent pour la trajectoire scolaire d’un enfant d’avoir des frères ou bien des sœurs. Des tests similaires ont ensuite été réalisés dans d’autres pays, développés ou peu développés.
12Pour les premiers, les effets de la composition par sexe de la fratrie sur l’éducation sont parfois limités, mais présents. Ainsi, en Allemagne, Bauer et Gang (2000) concluent que, globalement, le nombre d’années d’éducation d’un enfant ne dépend pas des nombres de ses frères et de ses sœurs. Néanmoins, pour les hommes vivant en Allemagne de l’Ouest, le fait d’avoir seulement des sœurs exerce une incidence négative sur la trajectoire scolaire. Au Japon, Ono (2000) observe que la probabilité d’entrer à l’université diminue de manière très significative pour les filles avec le nombre de frères dans la fratrie. En revanche, pour le second type de pays, les décisions d’investissements en capital humain apparaissent beaucoup plus sensibles à la composition par sexe de la fratrie, comme le note Morduch (2000). Cet auteur souligne en particulier que, d’après les données, il existe un net avantage pour l’éducation des enfants (filles ou garçons) à avoir des sœurs en Tanzanie ou bien au Ghana. De manière similaire, à Taïwan, les enfants ont une destinée scolaire meilleure lorsqu’ils ont des sœurs plutôt que des frères (Parish et Willis, 1993).
Les explications théoriques
13Plusieurs justifications, qu’elles relèvent de considérations économiques, sociologiques ou bien psychologiques, sont en mesure d’expliquer les écarts scolaires des enfants en fonction des nombres de frères et de sœurs (Butcher et Case, 1994). Même si l’on privilégie l’approche économique, l’une des difficultés de l’analyse concerne la pluralité des interprétations envisageables. En effet, les différents modèles donnent généralement lieu à des prédictions variables quant àl’effet de la composition par sexe de la descendance. Nous explicitons à présent les hypothèses théoriques qui permettent d’expliquer pourquoi il n’est pas toujours équivalent pour un enfant d’avoir un frère ou une sœur. Globalement, cinq grands types d’interprétation peuvent être retenus.
14Dans les modèles altruistes, les parents se préoccupent du bien-être de leurs enfants et ils procèdent à des investissements en capital humain et à des transmissions patrimoniales (Becker et Tomes, 1979,1986). Lorsque les parents n’ont pas la possibilité de financer les niveaux de capital humain des enfants à leur valeur optimale, les coûts d’opportunité de ces investissements vont différer suivant le sexe car les parents favorisent les enfants dont la rentabilité du capital scolaire est la plus importante. Or, puisque ce sont généralement les garçons qui présentent les meilleures opportunités de salaire à qualification égale, il est préférable pour un enfant donné, quel que soit son sexe, d’avoir des sœurs plutôt que des frères [8]. Il s’agit en fait d’un pur modèle deconsommation, où les parents investissent dans le « placement » le plus rentable, en l’occurrence l’éducation des garçons qui est relativement mieux valorisée.
15Les conséquences de cette compétition pour des ressources rares dans le modèle beckérien sont détaillées en annexe. Deux scénarios sont en fait envisageables. Lorsque les familles sont fortunées (non contraintes), l’investissement éducatif atteint son niveau optimal pour tous les enfants et il est plus élevé pour les garçons que pour les filles. En revanche, si les parents sont contraints par la liquidité, ils ne versent jamais de transferts financiers aux enfants et ils se contentent de financer de l’éducation à un niveau sous-optimal. Les garçons sont alors favorisés au détriment des filles compte tenu de leur meilleure rentabilité. On s’attend donc à ce que la composition par sexe de la fratrie influence les investissements éducatifs seulement lorsque les parents sont peu fortunés.
16Ce résultat dépend toutefois de la formalisation retenue pour étudier les modèles d’éducation altruistes (Ermisch et Francesconi, 2000). Suivant le modèle beckérien précédent (Becker, 1967 ; Card, 1995), les revenus et les transferts sont parfaitement substituables. Les parents se préoccupent seulement de la somme totale des ressources dont dispose chaque enfant, éducation plus transfert. Par opposition, dans le modèle familial, les revenus liés à l’éducation et les aides patrimoniales constituent des arguments séparables de la fonction d’utilité des parents (Behrman et alii, 1982,1995). Dans ce cas, les investissements en capital humain ne sont jamais saturés à une valeur maximale, comme dans le modèle beckérien, et ils dépendent des arbitrages entre garçons et filles selon les rentabilités respectives d’éducation. Avec la séparabilité, la composition par sexe de la fratrie doit affecter les choix éducatifs quel que soit le niveau de richesse des parents.
17Les deux explications suivantes modifient aussi le coût de l’investissement éducatif et conduisent à des prédictions similaires. Un second modèle tient compte de l’existence de technologies de production du capital humain différenciées selon les sexes. Si le prix du capital humain n’est pas le même pour les garçons et pour les filles, alors le montant des investissements éducatifs des parents pourra varier en fonction du sexe des enfants. Par exemple, le fait souvent énoncé selon lequel les filles sont plus assidues et appliquées à l’école tend à réduire le coût de l’éducation pour les filles, dans la mesure où elles peuvent recevoir un investissement plus faible pour un output égal. La volonté de maximiser la somme des revenus des enfants se traduit alors par un avantage pour un enfant donné à avoir des sœurs en termes de volume d’investissement, puisque les garçons sont relativement plus coûteux.
18Le troisième motif fait référence au marché du mariage (Becker, 1991). Les stratégies des parents peuvent être rendues plus complexes du fait de l’existence d’une interdépendance entre le marché du travail et le marché du mariage. Ainsi, pour les filles, les opportunités de mariage viennent relayer et parfois concurrencer celles offertes par l’existence d’un travail rémunéré. D’une part, la possibilité offerte aux filles d’épouser un conjoint capable de subvenir à leurs besoins tend à réduire leurs incitations quant à la prolongation de leurs études. D’autre part, la possession d’un diplôme trop élevé pour une fille peut constituer un handicap sur le marché du mariage dans la mesure où les filles très diplômées restent plus souvent seules que les autres. À l’inverse, pour les garçons, l’investissement éducatif doit toujours être le plus important possible car il accroît leurs opportunités de travail ainsi que leur attractivité potentielle sur le marché du mariage. Les parents sont donc doublement incités à surinvestir dans les garçons.
19Un quatrième effet concerne l’existence de préférences parentales spécifiques pour les garçons ou bien pour les filles. Les enfants les plus appréciés bénéficient d’investissements en capital humain relativement plus importants. Par exemple, à l’instar de ce qui se passe au Japon, une famille qui préfère les garçons aura tendance à prolonger les études de ces derniers par rapport à celles des filles (Ono, 2000). Considérons le modèle altruiste. Dans le cas où le rendement de l’éducation sur le marché du travail serait supérieur pour les hommes, des préférences différentes par sexe vont, soit contrebalancer (cas d’une préférence pour les filles), soit renforcer (cas d’une préférence pour les garçons) la tendance à éduquer plus les garçons que les filles. Les préférences par sexe peuvent donc engendrer aussi bien un avantage qu’un désavantage en termes d’éducation pour les enfants ayant de nombreuses sœurs.
20D’autres explications relatives aux préférences sur les sexes sont envisageables. Par exemple, dans le cadre d’une modélisation non unitaire des choix des parents, Thomas (1994) montre que les mères consacrent davantage de ressources à leurs filles, alors que les pères s’occupent plus de leurs fils. Les parents peuvent aussi favoriser davantage les enfants dont le sexe est rare dans la fratrie (Butcher et Case, 1994). Dans ce cas, l’absence de frères pour un garçon et de sœurs pour une fille est avantageuse. Enfin, des effets différenciés du nombre de frères et de sœurs peuvent être observés si les parents présentent de l’aversion pour les inégalités entre garçons et filles (Behrman et alii, 1982,1994). Ils vont alors privilégier les enfants dont la rentabilité est la plus faible. Les inégalités engendrées sur le marché du travail sont donc corrigées par un investissement plus important dans l’éducation des filles [9].
21Une dernière explication concerne la possibilité d’interactions entre les différents usages du temps de l’ensemble des membres de la famille. On peut par exemple envisager l’existence de substitutions ou de complémentarités, soit entre l’éducation des frères et sœurs par l’intermédiaire de la fonction de production de capital humain, soit entre parents et enfants par l’intermédiaire de la fonction de production domestique. Dans le premier cas, les enfants les plus âgés vont aider les plus jeunes à faire leurs devoirs scolaires. Les efforts plus importants dans les études fournis par les filles donnent alors un avantage à avoir des sœurs Dans le second cas, les enfants participent aux tâches domestiques et se substituent à leurs parents dans ce type d’activités. Les filles sont alors désavantagées par rapport aux garçons puisque ce sont surtout elles qui sont sollicitées dans la sphère do mestiqu e : l’investissement destiné aux filles diminue.
22Un autre type d’interaction entre collatéraux peut être envisagé. Il s’inspire de la théorie du groupe de référence, qui part du constat selon lequel une fille ayant des frères plus âgés tend à adopter des comportements masculins (Koch, 1955). Si l’instruction est un trait masculin, elle devrait prolonger ses études, tandis qu’un garçon avec une sœur aînée devrait recevoir une éducation moins poussée. Mais la présence d’une seconde fille modifie le groupe de référence pour la première, et son éducation se « féminise ». Les parents n’ayant qu’une fille vont apprécier sa réussite scolaire à l’aune de celle de ses frères et donc lui donner les mêmes chances de réussite qu’à ses frères. Le fait d’avoir seulement des frères engendre alors une externalité positive pour une fille. À l’inverse, la présence d’une sœur pour une fille va modifier le groupe de référence pour celle-ci et les investissements éducatifs peuvent alors être moins élevés.
23Cette présentation des hypothèses théoriques appelle les deux commentaires suivants. D’une part, il semble délicat d’envisager une justification précise des effets localisés de Butcher et Case (1994) [10]. Leur recherche exploratoire révèle un avantage à avoir des frères pour les femmes, alors que la proportion de sœurs reste sans incidence pour les deux sexes, et l’étude ne propose aucun test relatif aux variables de goûts et de contraintes de liquidité. D’autre part, retenir pour variable dépendante le nombre d’années d’études paraît peu pertinent. Dans les pays développés, la trajectoire scolaire dépend largement des conditions d’offre sur le marché éducatif : le niveau d’éducation dépend fortement de l’effort public et d’autres variables plus appropriées, telles que les dépenses d’éducation prises en charge par les parents que doivent être considérées dans l’analyse.
Les sources statistiques
24Pour tester l’effet de la composition par sexe sur les choix éducatifs, nous exploitons deux sources de données différentes. Il s’agit de deux enquêtes réalisées en France en 1992, l’une par la CNAV et l’autre par l’Insee et l’INED, qui permettent d’étudier à la fois les trajectoires scolaires et les dépenses d’éducation financées par les parents.
25Réalisée par la CNAV, l’enquête Trois Générations s’intéresse aux comportements de solidarités familiales pour des lignées comprenant au moins trois générations adultes : grands-parents, parents et enfants (Attias-Donfut, 1995). La population retenue comporte tout d’abord un ménage pivot âgé de 49 à 53 ans à la date de l’enquête et caractérisé par l’appartenance à une famille trigénérationnelle ; ensuite, exactement un des parents et un des enfants adultes (non corésident ou âgé d’au moins 22 ans) du pivot ont été interviewés sur un même questionnaire exhaustif [11]. Pour l’étude, chaque questionnaire indique pour la personne enquêtée et son éventuel conjoint, d’une part le nombre total de collatéraux et les nombres de frères et de sœurs en vie et, d’autre part, des indicateurs du capital scolaire avec l’âge de fin d’études, le niveau de fin de scolarité et le diplôme le plus élevé obtenu. L’enquête renseigne ég alement sur les caractéristiques socio-économiques (diplôme, catégorie sociale) à la fois des parents et des beaux-parents.
26Si l’information disponible permet d’étudier l’âge de fin de scolarité en fonction de la composition par sexe de la fratrie, cette dernière variable pose toutefois un problème pour la génération des grands-parents puisque seuls les nombres de frères et de sœurs en vie sont connus. Compte tenu de l’âge des plus anciens, de 68 à 92 ans, il est le plus souvent impossible de reconstituer la structure par sexe de la fratrie. L’analyse se limite en conséquence à l’éducation des individus pivots et jeunes (enquêtés et conjoints) [12]. Un des intérêts de cette enquête est de prendre en compte des cohortes distinctes : la plupart des pivots sont âgés de 49 à 54 ans alors que les jeunes ont principalement entre 24 et 29 ans. Ces populations ont dès lors connu des conditions d’éducation fort différentes, indiquées dans le tableau 1. En particulier, les pivots appartiennent à des fratries de taille plus importante et ont des niveaux d’éducation moins élevés que les jeunes.
enquête Trois Générations - Caractéristiques de la population concernée

enquête Trois Générations - Caractéristiques de la population concernée
27Réalisée par l’Insee et l’INED, l’enquête Effort d’éducation des familles porte sur un échantillon représentatif de 5300 ménages ayant au moins un enfant scolarisé âgé de 2 à 25 ans, qu’il réside ou non dans le foyer parental. Les différentes questions posées concernent non seulement les diverses dépenses occasionnées par la scolarisation des enfants ou par leurs activités extra-scolaires, mais également le temps passé par les parents à suivre le travail scolaire, leurs relations avec l’école et les perceptions et jugements qui orientent les comportements et attitudes des parents [13]. Des informations ont également été recueillies directement auprès des enfants, avec des questionnaires spécifiques pour les collégiens, les lycéens et les étudiants. Cette enquête présente l’avantage de fournir des renseignements sur la composition du ménage, les caractéristiques socio-économiques de ses membres et les revenus, ainsi que sur les investissements éducatifs individualisés ; ces dépenses sont connues pour un ou deux enfants du ménage tiré(s) au hasard.
enquête Éducation - Caractéristiques de la population concernée

enquête Éducation - Caractéristiques de la population concernée
28L’étude empiriqueporte sur cet échantillon d’enfants pour lequel nous avons retenu un seul enfant par ménage [14]. Le tableau 2 décrit les caractéristiques de ces enfants ainsi que celles du ménage auquel ils appartiennent. Les dépenses liées à la scolarité au cours de l’année scolaire écoulée comprennent les frais de scolarité ou d’inscription, de pension ou de demi-pension, d’assurance scolaire, de logement lorsque l’enfant vit hors du ménage pendant la semaine, auxquels il convient d’ajouter les dépenses pour les achats de vêtements, de livres, de fourniture exigés par l’école ou le lycée, les frais pour des activités de loisirs ou de sorties dans le cadre de l’école et enfin les frais de transport domicile-école.
Analyse des niveaux d’éducation
29Dans un souci de comparaison avec les travaux américains, nous examinons à partir de l’enquête Trois Générations l’effet de la constitution de la fratrie sur l’âge de fin de scolarité des individus. Le tableau 3 révèle une évolution des comportements suivant le sexe. Alors que les pivots masculins se caractérisent par des âges de fin de scolarité supérieurs à ceux des pivots féminins, les jeunes femmes réalisent désormais des études plus longues que celles des jeunes hommes.
30Compte tenu de la nature orthogonale de la composition par sexe de la fratrie par rapport aux choix familiaux, la comparaison statistique des niveaux d’éducation en fonction des nombres de frères et de sœurs permet de capturer dans une large mesure les éventuelles différences d’éducation (Butcher et Case, 1994, p. 544). Le tableau 3 précise l’âge de fin de scolarité pour les hommes et les femmes en fonction du type de fratrie décomposé suivant deux facteurs, la taille et la structure par sexe. Si les données montrent pour les deux sexes la baisse régulière du niveau d’éducation en fonction de la taille de la fratrie, il apparaît en revanche difficile d’établir une relation spécifique entre l’éducation et les nombres de frères et de sœurs dans la fratrie quelle que soit la génération considérée.
31Les profils observés sont très hétérogènes. Ainsi, pour les fratries avec deux enfants, avoir une sœur diminue de près d’une demi-année l’âge de fin de scolarité pour les pivots, davantage pour les hommes que pour les femmes. L’effet joue dans le sens inverse pour les jeunes, mais l’avantage à avoir une sœur est très faible et non significatif. Les résultats sont encore plus indécis pour des fratries de taille plus importante, où des augmentations successives du nombre de sœurs à taille de la fratrie donnée exercent des effets tantôt positifs, tantôt négatifs sur le niveau d’éducation (cf. tableau 3). Il convient toutefois de souligner l’existence d’effets uniformes pour les hommes pivots et les femmes jeunes, pour lesquels le nombre de sœurs diminue toujours l’âge de fin de scolarité avec des écarts supérieurs à une demi-annéelorsque l’on passe de zéro à deux sœurs.
effet de la constitution de la fratrie sur l’âge de fin de scolarité

effet de la constitution de la fratrie sur l’âge de fin de scolarité
32Pour déterminer l’effet propre de la variable de composition par sexe, nous estimons des régressions linéaires sur l’âge de fin de scolarité des pivots et des jeunes. Les variables explicatives retenues comportent des éléments socio-économiques permanents des parents, éducation et catégorie sociale, ainsi que le sexe, l’âge et la constitution de la fratrie pour les individus concernés [15]. La taille de la fratrie est introduite sous forme linéaire et sa composition par sexe est appréhendée à partir de la proportion de filles parmi les collatéraux. Les résultats de l’estimation, pour laquelle les écarts type sont corrigés suivant la méthode de Huber-White, sont indiqués dans le tableau 4 [16].
33Les effets sont très proches pour les deux cohortes étudiées, pivots et jeunes. Seul l’impact du sexe diffère : l’âge de fin de scolarité est plus faible pour les femmes pivots, alors qu’il augmente pour les femmes jeunes. Les trajectoires scolaires dépendent du niveau scolaire des parents. Le bénéfice est très significatif lorsque le père ou la mère a suivi des études longues. L’effet de la catégorie sociale confirme l’avantage à avoir des parents favorisés, même si l’impact a tendance à s’estomper dans le temps. L’âge de fin de scolarité s’accroît lorsque les parents sont cadres ou appartiennent à une profession supérieure, voire intermédiaire. La taille de la fratrie exerce une incidence négative et significative à 1% sur la durée des études. S’il existe un avantage implicite à avoir peu de frères et sœurs, la composition par sexe n’est pas une variable pertinente dans la régression (cf. tableau 4). La proportion de sœurs exerce un effet plutôt négatif pour les pivots et plutôt positif pour les jeunes, mais les coefficients associés n e so nt jamais significatifs [17].
analyse économétrique de l’âge de fin de scolarité

analyse économétrique de l’âge de fin de scolarité
34De manière analogue à Butcher et Case (1994), nous examinons ensuite la possibilité de comportements différenciés en fonction du sexe des individus concernés, pivots ou jeunes. Dans ce but, les régressions comportent deux variables d’interaction supplémentaires entre la taille de la fratrie et le sexe et entre la proportion de sœurs et le sexe (cf. tableau 4). Les résultats ne s’avèrent pas meilleurs. La proportion de filles parmi les collatéraux ne sort jamais significativement, ni pour les hommes ni pour les femmes. Toutefois, ces régressions portent sur l’ensemble des individus enquêtés et leur conjoint. Or, d’après la présentation théorique, l’effet de composition par sexe de la fratrie peut être lié à l’existence de contraintes de liquidité. Dès lors, pour chaque génération, nous distinguons deux types de familles, les riches et les pauvres, en fonction de leur position relative par rapport au revenu médian par ménage de l’échantillon. Le tableau 5 présente les résultats de l’estimation pour les pivots et pour les jeunes [18].
35Pour la génération pivot, la proportion de sœur parmi les collatéraux ne modifie pas de manière significative l’âge de fin de scolarité. Ce constat s’applique aussi bien pour les familles aisées que pour les familles qui le sont moins, contrairement aux prédictions du modèle beckérien qui prévoit un effet de composition par sex e lorsq ue l’investissement en capital humain est sous-optimal. Le résultat se vérifie pour les hommes comme pour les femmes de la génération concernée. En revanche, pour les jeunes, les données révèlent que les enfants issus de familles riches ont plus intérêt à avoir des sœurs que des frères à taille de la fratrie donnée (cf. tableau 5). Par contre, la composition par sexe de la fratrie ne joue pas de manière pertinente pour les familles pauvres, que ce soit pour les hommes ou pour les femmes.
analyse économétrique de l’âge de fin de scolarité suivant le niveau de richesse des familles

analyse économétrique de l’âge de fin de scolarité suivant le niveau de richesse des familles
36Ces premiers résultats, qui témoignent de la présence d’un avantage implicite à avoir des sœurs plutôt que des frères parmi les familles aisées, nous amènent aux deux commentaires suivants. D’une part, les effets observés ne sont pas favorables aux modèles d’investissements éducatifs altruistes selon lesquels les familles les moins riches ne sont pas en mesure d’assurer le financement du niveau d’éducation optimal de leurs différents enfants et doivent à ce titre favoriser les garçons. D’autre part, alors que l’âge de fin de scolarité peut être un indicateur pertinent des investissements des parents pour les États-Unis, la situation est très différente en France. Le poids de l’intervention publique dans le secteur éducatif fait que l’âge de fin de scolarité est vraisemblablement un indicateur limité de l’engagement des parents en matière de capital humain. Pour y remédier, nous analysons à présent les dépenses d’éducation parentales.
Analyse des dépenses d’éducation
37D’après l’enquête Effort d’éducation des familles, les dépenses liées à la scolarité s’élèvent en moyenne à 2 551 francs (389 euros) par enfant pour l’année scolaire 1991-1992 ; elles sont légèrement plus élevées pour un garçon que pour une fille, respectivement 2 621 et 2 483 francs (400 et 379 euros), soit un écart d’environ 5%. Ces dépenses augmentent considérablement avec l’âge de l’enfant, avec un saut très prononcé pour la tranche d’âge 10-14 ans qui couvre l’entrée en sixième (cf. tableau 6). Ce n’est qu’à partir de 15 ans, âge qui marque souvent l’entrée dans le second cycle, que les écarts entre garçons et filles se manifestent véritablement. Ces différences deviennent très importantes après 20 ans puisque les dépenses consacrées aux garçons dépassent de près de 24% celles consacrées aux filles, avec 6 703 contre 5 411 francs (1 022 contre 825 euros). Pour étudier l’effet de la composition par sexe, nous avons donc restreint la population aux enfants qui sont âgés de 12 ans et plus à la date de l’enquête [19].
38La supériorité des dépenses pour les fils peut en apparence sembler contredire les résultats observés dans l’enquête Trois Générations, qui montrent que l’âge de fin d’études des filles est plus élevé que celui des garçons pour la période récente. En fait, l’écart d’investissement entre les enfants de sexe opposé s’explique davantage par des différences de type de cursus. Comme le remarquent Duru-Bellat et Jarousse (1996), les parents n’ont pas les mêmes ambitions pour les garçons et pour les filles. Compte tenu des conditions actuelles surle marché du travail, ils envisagent un nombre d’années d’études plus élevé pour ces dernières et préfèrent une formation technique ou scientifique plus courte pour les premiers. Il est probable que ce type de scolarité sera aussi le plus coûteux pour les parents. Ainsi, le nombre d’années études ne reflèterait que de man ière très imparfaite le volu me d es investissements en capital humain consentis par les parents dans le cas de la France [20].
39Les dépenses moyennes d’éducation en fonction de la constitution de la fratrie, par taille et par sexe, sont présentées dans le tableau 7. Il n’est pas surprenant de constater que les enfants issus de familles nombreuses sont moins bien dotés que les enfants uniques. À la nécessité du partage des ressources du ménage entre un plus grand nombre d’individus vient s’ajouter un probable effet de revenu, les familles nombreuses se recrutant plus souvent dans les milieux moins favorisés. En ce qui concerne l’examen des montants investis en fonction du sexe des collatéraux, aucun effet bien tranché de la composition par sexe de la fratrie ne semble se faire jour lorsque l’on prend en compte l’ensemble des enfants, garçons et filles. Pourtant, une analyse détaillée révèle que les comportements des parents ne sont pas du tout les mêmes pour les filles et pour les garçons.
montant des dépenses d’éducation selon l’âge et le sexe de l’enfant

montant des dépenses d’éducation selon l’âge et le sexe de l’enfant
effet de la constitution de la fratrie sur les dépenses liées à la scolarité des enfants

effet de la constitution de la fratrie sur les dépenses liées à la scolarité des enfants
40Pour ces derniers, le nombre de sœurs paraît défavorable puisque, à taille de fratrie égale, il affaiblit le montant de l’investissement éducatif reçu. Par exemple, pour les familles de deux enfants, les dépenses pour un garçon s’élèvent à 4 180 francs (637 euros) quand il a un frère et à seulement 3 574 francs (545 euros) lorsqu’il a une sœur. Cet effet subsiste pour les familles comprenant trois enfants. À l’inverse, pour les filles, c’est plutôt le nombre de frères qui est pénalisant. Les dépenses passent ainsi de 3 475 francs (530 euros) quand elles ont un frère à 3 881 francs (592 euros) en présence d’une sœur. Là encore, les résultats statistiques sont identiques pour les fratries de taille supérieure. En l’absence de contrôle des caractéristiques socio-économiques familiales, il est assez difficile d’interpréter ces résultats apparemment contradictoires.
41L’analyse économétrique permet alors d’évaluer la significativité des effets observés, de manière à valider ou non les hypothèses théoriques envisagées. Dans le commentaire, nous présentons seulement les résultats obtenus lorsque l’on inclut pour régresseur la variable de composition par sexe de la fratrie. De nombreuses spécifications alternatives ont été prises en compte pour tester la pertinence des différentes interprétations, en s’intéressant par exemple à l’existence de frères seulement ou de sœurs seulement, ou bien à la présence de frères plus âgés ou de s œurs plus âgées. O r les rés ultats économétriques révèlent que les effets les plus significatifs sont obtenus lorsque l’on retient pour variable explicative la proportion de sœurs dans la fratrie [21]. Les variantes prenant en compte l’existence et l’âge des frères et sœurs sont discutées dans la partie suivante, qui porte sur l’interprétation globale des effets obtenus.
42Pour les enfants âgés d’au moins douze ans et ayant des collatéraux, nous avons estimé des régressions linéaires pour les montants liés aux dépenses scolaires (cf. tableau 8). Le contrôle de l’âge de l’enfant et du revenu du ménage s’avère fondé puisque les dépenses augmentent significativement avec ces deux variables (à 1%). Lorsqu’on raisonne à revenu donné, l’influence de la catégorie sociale du chef de ménage et du niveau scolaire de la mère est faible à l’exception des indépendants; les différentes modalités du diplôme du père jouent plutôt positivement. En tout cas, l’effet prédominant du revenu confirme les conclusions auxquelles aboutissent Gissot et Héran (1993, p. 3), selon lesquels «la dépense éducative ne ressemble guère à une pratique culturelle; elle semble davantage liée à la détention d’un patrimoine économique qu’à celle d’un diplôme».
43D’après le tableau 8, le montant des investissements par enfant est moins élevé lorsqu’il s’agit d’une fille (au seuil de 6%) [22]. La dotation scolaire diminue également avec la taille de la fratrie au seuil de 5 %, avec près de 250 francs (38 euros) de dépense en moins à chaque enfant supplémentaire. Enfin, le coefficient relatif à la proportion de sœurs parmi les collatéraux n’exerce absolument aucune incidence pertinente dans la régression, avec un t de Student tout à fait insignifiant. Il convient cependant de nuancer ce résultat, l’analyse statistique ayant mis en évidence de fortes variations en fonction du sexe de l’enfant. L’introduction de variables d’interaction révèle que l’effet de la proportion de sœurs est significativement différent sur l’éducation des filles de ce qu’il est sur celle des garçons (au seuil de 2%). Pour savoir si la proportion de sœurs exerce un effet positif significatif sur les dépenses d’éducation des filles, il faut alors tester la nullité de la somme des deux coefficients. D’après les données, on obtient pour ce test la statistique F(1,1230) =3,60 qui est significative au seuil de 6%. Les filles ont donc bien un intérêt à avoir des sœurs plutôt que des frères.
44L’hypothèse d’un investissement sous-optimal en capital humain (le modèle de compétition pour des ressources rares) est susceptible d’expliquer l’avantage à avoir des sœurs pour les enfants. Si un tel mécanisme est à l’œuvre, on s’attend à ce que ces phénomènes prennent une acuité d’autant plus grande que les contraintes de liquidité sont importantes et donc que les ménages sont pauvres. Nous avons alors réestimé les régressions précédentes en décomposant la population en deux strates de part et d’autre du revenu médian des parents enquêtés [23]. La variable d’interaction entre la proportion de sœurs et le sexe de l’enfant est prise en compte dans les régressions pour évaluer les différences de comportements entre filles et garçons (cf. tableau 9).
45Avec cette distinction entre des familles riches et pauvres, l’enquête révèle que la proportion de sœurs parmi les collatéraux favorise uniquement les filles de familles aisées. Chez les plus pauvres, ni le sexe de l’enfant, ni la composition par sexe de la fratrie ne modifient significativement le montant des investissements éducatifs. Seule l’augmentation du nombre d’enfants diminue le volume des dépenses pour les garçons, manifestant ainsi la présence de contrainte de liquidité. À l’inverse, chez les riches, une fille ayant des sœurs reçoit davantage de dépenses d’éducation qu’une fille ayant des frères, alors que l’effet de la proportion de sœurs parmi les collatéraux est plutôt négatif mais non significatif pour les garçons [24]. Il existe doncun avantage àavoir des sœurs pour les filles.
analyse économétrique des dépenses liées à la scolarité

analyse économétrique des dépenses liées à la scolarité
analyse économétrique des dépenses liées à la scolarité suivant le niveau de richesse des familles

analyse économétrique des dépenses liées à la scolarité suivant le niveau de richesse des familles
indicateur de l’aide au travail scolaire déclarée par la mère

indicateur de l’aide au travail scolaire déclarée par la mère
analyse économétrique de l’aide au travail scolaire déclarée par la mère

analyse économétrique de l’aide au travail scolaire déclarée par la mère
46Les résultats précédents concernent des enfants âgés de douze ans et plus. Avant cet âge, les dépenses sont faibles et les efforts éducatifs des parents se réalisent bien davantage sous forme d’aides en temps. Ce type d’investissement est examiné à partir d’un indicateur de l’aide au travail scolaire par la mère pour les enfants qui ne sont pas en maternelle et âgés de moins de 12 ans, la majeure partie du soutien scolaire s’effectuant à ces âges [25]. Le tableau descriptif 10 montre que l’effort d’éducation en temps est également plus important à l’égard des fils que des filles. Ainsi, 57,3 % des parents surveillent de près leurs fils, alors que cette proportion est égale à seulement 51,3 % pour les filles.
47L’estimation d’un modèle Probit ordonné, dont les résultats sont présentés dans le tableau 11, confirme l’effet de la composition par sexe. Toutes choses égales par ailleurs, les parents consacrent davantage d’attention à leurs filles lorsque celles-ci ont de nombreuses sœurs (au seuil de 5%), alors que l’impact plutôt négatif de la proportion de sœurs pour les garçons n’est pas significatif. Les filles sont donc pénalisées par la présence de frères. Le fait que des effets de nature similaire soient obtenus pour les dépenses en argent et en temps permet de penser qu’il existe des stratégies d’investissement de long terme de la part des parents, stratégies différenciées en fonction du sexe des enfants.
Discussion
48Les données montrent donc que les filles poursuivent des études plus longues que les garçons mais que celles-ci reçoivent en moyenne des investissements en temps et en argent plus faibles que ces derniers. Elles sont d’autant plus défavorisées qu’elles ont plus de frères à taille de fratrie égale, ce qui est révélateur des arbitrages que peuvent opérer les parents. Les garçons ne semblent pas quant à eux avoir à souffrir de la présence de nombreux frères dans la fratrie. Surtout, l’analyse par niveau de revenu révèle que ce dernier résultat n’est valable que pour la partie la plus fortunée de la population, les moins favorisés ne dépensant pas plus pour un sexe que pour l’autre.
49Les différentes régressions qui précisent les déterminants du nombre d’années d’études et des dépenses d’éducation destinées aux enfants révèlent l’importance de la position socio-économique des parents. Ainsi, le fait que ces dépenses augmentent avec le revenu des parents indique que l’investissement éducatif n’est jamais saturé, contrairement aux prédictions du modèle altruiste beckérien pour les familles les plus riches. L’influence de cette variable s’interprète plutôt en faveur d’un modèle de transferts séparables suivant Behrman et alii (1982), où toutes les familles, qu’elles soient riches ou bien pauvres, sont concernées par les arbitrages éducatifs entre les frères et les sœurs. Un tel résultat doit cependant être nuancé par l’effet différentiel de la taille de la fratrie selon le niveau de richesse de la famille : le montant des dépenses diminue significativement avec le nombre d’enfants dans les familles les moins favorisées, alors que le nombre d’enfants est sans incidence réelle chez les plus riches [26].
50Les effets de la composition par sexe s’observent seulement parmi les familles riches. Faut-il y voir un effet des préférences des parents, différentes selon le sexe ? Aucun élément ne permet d’alimenter une telle hypothèse. Hank et Kohler (2000) montrent ainsi qu’en France, aucune préférence pour un sexe donné ne se manifeste. Les couples ayant deux filles ou deux garçons ont exactement la même propension à désirer un troisième enfant que ceux ayant deux enfants de sexe opposé. Ce résultat conforte l’idée selon laquelle les écarts d’investissements éducatifs selon le sexe, le nombre de sœurs et le niveau de revenu ne sont pas le reflet d’une préférence systématique pour les filles ou bien pour les garçons.
51L’enquête Éducation fournit quelques éléments d’information concernant d’éventuels écarts de préférences parentales selon le sexe de l’enfant. Les parents sont en effet interrogés sur leurs ambitions concernant le devenir scolaire de leurs enfants. À la question “Avez-vous l’espoir que cet enfant aille jusqu’au baccalauréat ?”, plus de 88% des parents ont répondu par l’affirmative (cf. tableau 12) [27]. L’enquête montre que les aspirations des parents en termes d’accession au b accalauréat sont globalement plus fortes pour les filles que pour les garçons, respectivement 90,2 % contre 86 %. Or, si les aspirations des familles riches s’avèrent plus élevées que celles des familles pauvres, les différences par sexe dépendent largement du niveau de revenu des parents.
proportion de réponses affirmatives à la question “Avez-vous l’espoir que votre enfant aille jusqu’au bac ?”

proportion de réponses affirmatives à la question “Avez-vous l’espoir que votre enfant aille jusqu’au bac ?”
52Ainsi, pour les familles pauvres, le niveau d’aspiration est sensiblement plus élevé pour les filles que pour les garçons, 87,4 % contre 79,7 %; en revanche, pour les familles fortunées, les souhaits sont presque équivalents, 92,7 % au lieu de 91,8 %. Cet effet différentiel du sexe selon le niveau de revenu est vérifié toutes choses égales par ailleurs. L’utilisation d’un modèle Probit pour modéliser la réponse à la question posée met clairement en évidence l’effet positif du revenu des parents sur leurs espoirs de voir leur enfant obtenir un jour le baccalauréat (cf. tableau 13). Si la probabilité augmente significativement pour les filles issues de familles pauvres, le sexe de l’enfant n’exerce pas d’incidence pertinente au sein des familles riches. On pourrait interpréter ce résultat comme la manifestation d’une préférence pour les filles chez les pauvres, mais il est plus probable que la réponse à cette question révèle davantage une anticipation de ce qui se produira (des études plus longues des enfants de milieu aisé et des filles) qu’un véritable désir.
53Dès lors, les résultats observés d’après les données peuvent sans doute s’expliquer par la conjonction de plusieurs facteurs : un fort engagement de l’État dans le financement de l’éducation en France, un rendement plus élevé de l’éducation des garçons, des coûts de production de l’instruction plus faibles pour les filles, l’existence d’un marché du mariage qui vient parfois concurrencer le marché du travail.
54Il existe en France un système éducatif dual. Celui-ci offre à peu de frais directs la possibilité d’accéder au Baccalauréat et même d’obtenir un diplôme de l’enseignement supérieur. Le système public présente cependant de multiples filières, inégalement coûteuses pour les parents [28]. Il existe parallèlement un secteur éducatif privé dont le prix des prestations est parfois très élevé. Ce secteur détient un quasi-monopole pour certaines formations. Le fait que les filles poursuivent plus longtemps leurs études que les garçons, comme le montrent les résultats de l’enquête CNAV, n’est en rien révélateur d’un différentiel de dépenses familiales en leur faveur : elles empruntent plus souvent que les garçons les filières universitaires générales, peu coûteuses.
probabilité d’une réponse affirmative à la question “Avez-vous l’espoir que votre enfant aille jusqu’au bac ?”

probabilité d’une réponse affirmative à la question “Avez-vous l’espoir que votre enfant aille jusqu’au bac ?”
55Il est alors aisé de comprendre pourquoi les effets de la composition par sexe de la fratrie s’observent seulement au-delà d’un certain niveau de revenu. Pour les familles peu fortunées, la gratuité du système public scolaire et universitaire fait que les dépenses d’éducation sont assez faibles, surtout jusqu’au Baccalauréat, et identiques pour les garçons et pour les filles. En outre, les enfants de ces familles suivent des études assez courtes. L’investissement éducatif est donc faible, si bien que la compétition pour les ressources rares est moins forte. Néanmoins, comme les filles sont plus studieuses, elles accèdent plus souvent au Baccalauréat et font des études plus longues.
56Pour expliquer ensuite le désavantage à avoir des frères plutôt que des sœurs, deux arguments peuvent être invo qués. D’un cô té, il existe vraisemblablement une technologie de production du capital humain différenciée selon le sexe qui fait que, à input égal, les filles obtiennent de meilleurs résultats que les garçons compte tenu de leur plus grande application. Néanmoins, les parents fortunés sont amenés à compenser la moindre application de leurs fils par des dépenses plus élevées et cet écart est renforcé par le fait que les garçons choisissent plus souvent des filières techniques plus coûteuses (Duru-Bellat et Jarousse, 1996). De l’autre, le rendement des études est plus élevé pour les garçons que pour les filles à diplôme égal.
57Si ces deux phénomènes peuvent expliquer pourquoi les parents dépensent moins pour les filles qui ont un avantage à avoir des sœurs, il reste à comprendre pourquoi les garçons ne sont pas pénalisés par la présence de frères. Ce phénomène peut sans doute trouver une justification dans l’existence d’un marché du mariage qui incite les garçons à accéder au niveau d’études le plus élevé possible, et qui à l’inverse réduit de manière sensible les ambitions des filles. Dans leurs arbitrages en matière de choix éducatifs, les parents vont donc être prêts à négliger les filles au bénéfice des garçons, en diminuant les dépenses qui leur sont destinées lorsqu’elles ont des frères. À l’inverse, ils ne vont jamais priver un garçon, même s’il a des frères. Dans cette dernière configuration familiale, les ajustements doivent donc s’opérer par le niveau de consommation des parents qui doivent consentir davantage d’efforts financiers avec des garçons plutôt qu’avec des filles (par exemple en puisant dans leur épargne) [29].
58Nous avons par ailleurs réalisé de nombreux tests complémentaires afin d’évaluer la pertinence de théories alternatives, en particulier les possibilités de complémentarités et de substitutions entre enfants, la présence d’un groupe de référence ou encore des effets de rareté d’un sexe. Dans le premier cas, nous avons cherché à analyser les choix des parents à destination d’un enfant en fonction du nombre de frères et de sœurs plus âgés. Par exemple, avoir des sœurs plus âgées plutôt que des frères plus âgés devrait être bénéfique pour les garçons et pour les filles lorsque les grands aident les plus petits à faire leurs devoirs, compte tenu du plus grand sérieux des filles. Ces variables n’apparaissent toutefois pas pertinentes dans la régression [30]. Pour les théories du groupe de référence et du sexe rare, nous avons introduit des variables muettes correspondant à l’existence de frères et de sœurs à l’instar de Butcher et Case (1994). Globalement, les effets vont dans le sens d’un bénéfice à avoir au moins une sœur pour les filles, mais avec une significativité moindre. À l’inverse des travaux américains, ce type d’explications ne semble pas permettre d’interpréter les résultats que l’on observe pour la France.
Conclusion
59En s’intéressant aux effets de la composition parsexe de la fratrie sur les choix éducatifs en France, cet article met en évidence la possibilité de relations conflictuelles non désirées entre les enfants au sein d’une même famille.
60D’un point de vue théorique, plusieurs hypothèses permettent de comprendre pourquoi il n’est pas équivalent pour un enfant donné d’avoir un frère ou bien une sœur. Deux conclusions principales sont mises en évidence d’après les données. D’un côté, le niveau d’éducation retenu dans les travaux américains n’est sans doute pas une variable pertinente pour examiner l’effet de la composition par sexe de la fratrie. L’importance du financement public dans le secteur éducatif ne permet guère d’appréhender le niveau scolaire des enfants comme étant le reflet des choix de capital humain de la part des parents. De l’autre, on constate que les filles issues de familles fortunées ont un avantage à avoir des sœurs plutôt que des frères, alors que ce n’est pas le cas pour les garçons. Les dépenses d’éducation des garçons sont relativement plus importantes que celles des filles, surtout pour les diplômes les plus élevés.
61Ces résultats spécifiques restent toutefois assez délicats à interpréter. Différents facteurs semblent jouer en faveur des effets de composition par sexe que l’on observe, en particulier la structure même du système éducatif, le rendement plus élevé de l’éducation pour les garçons, une technologie de production du capital humain plus efficace pour les filles, et une concurrence entre marchés du travail et du mariage pour les filles. Compte tenu de l’interaction avec le financement de nature public pour les variables d’éducation prises en compte, il serait particulièrement intéressant de savoir si les nombres de frères et de sœurs exercent ou non des effets différenciés sur d’autres décisions à discrétion des parents, par exemple sur les variables de consommation. Par ailleurs, sur les choix éducatifs, les effets de composition par sexe peuvent se traduire sur la performance scolaire des enfants par l’intermédiairede complémentarités dans la fratrie.
62Un dernier point concerne la perception que peuvent avoir les enfants quant aux comportements de leurs parents. L’enquête Effort d’éducation des familles apporte quelques précisions pour la sous-population des étudiants. Lorsqu’on a demandé à ces derniers “Avez-vous le sentiment que vos parents ont eu tendance à soutenir les filles et les garçons de la même façon ?”, l’immense majorité d’entre eux (environ 94 %) répond n’avoir perçu aucune différence de traitement au sein de la fratrie, la faiblesse des effectifs de ceux qui répondent autrement n’autorisant aucune analyse de l’effet des revenus des parents sur le type de réponse. Il est certes possible que le terme “soutenir” n’ait pas été compris seulement en termes financiers mais de façon plus générale. Il n’en reste pas moins vrai que les étudiants ne prennent pas conscience des écarts de traitement suivant le sexe qui sont réservés aux plus aisés d’entre eux.
Annexe : altruisme et choix éducatifs
63 On considère un modèle de redistribution familiale comprenant deux générations, où les parents sont altruistes à l’égard de leurs enfants (Becker, 1991). Les parents ont deux stratégies distinctes pour subvenir aux besoins de leurs descendants suivant Becker et Tomes (1986) : des dépenses d’éducation et des transferts en argent.
64 Les parents sont indicés par p, les enfants par e lorsque la décomposition par sexe n’est pas prise en compte ; dans le cas contraire, les indices g et f désignent respectivement les garçons et les filles. La fécondité est supposée exogène, les parents ayant ne enfants. La fratrie comporte ng garçons et nf filles ( )n n n e g f = +. Le modèle comprend deux périodes. À la période 1, les parents ont un revenu exogène Yp pour financer leur consommation Cp et les transferts versés aux ne enfants. Soit Ee la dépense d’éducation et Te l’aide financière par enfant, d’où une somme totale versée aux enfants égale à n E T e e e ( )+. À la période 2, les enfants travaillent et reçoivent une rémunération notée w E e e ( ), fonction de l’investissement en capital humain effectué par les parents. La fonct ion de salai re we est supp osée con cave ( , )? > ??<w w e e 0 0. Enfin, les enfants bénéficient du placement bancaire de l’aide en argent reçue au taux d’intérêt du marché (1 + r).
65 Les parents altruistes maximisent une fonction d’utilité U, strictement quasi-concave et deux fois différentiable, qui comporte pour arguments la consommation des parents Cp et la consommation globale des enfants n C e e, soit U U C n C p e e = ( , ). Pour expliquer les différences suivant la composition par sexe de la fratrie, on admet que i) les garçons sont mieux rémunérés que les filles sur le marché du travail à qualification égale, soit w E w E g g f f ( ) ( )> pour E E g f = et ii) la rentabilité de l’éducation est plus élevée pour les garçons que pour les filles, soit w E g g f f') ( ) pour E w '( > E E g f =. Le taux bancaire r est identique pour les garçons et les filles. En conséquence, les parents vont être amenés dans certains cas à moduler leur effort d’éducation entre garçons et filles, alors que les enfants vont toujours recevoir le même montant d’aide financière ( )T T T e g f = =.
66 Les contraintes de ressources sont données par

67 pour les parents et

68 pour les enfants. Les ressources familiales sont endogènes, pu isq u’ell es sont con dit i onn ées par le ni vea u d’investissements en capital humain réalisés par les parents. Pour éviter la possibilité que les parents exploitent la réussite future de leurs descendants, on admet l’existence d’une contrainte supplémentaire de non-négativité concernant les legs financiers versés, soit n T e e ?0. Sans cette contrainte, les parents auraient intérêt à s’endetter pour transmettre le maximum sous forme d’éducation et être remboursé dans le futur (Becker et Tomes, 1986). Masson et Pestieau (1991, supplément 3) expliquent en détail pourquoi l’impossibilité de laisser des dettes aux enfants est une hypothèse réaliste dans ce type de modèle [31]. Le programme de maximisation pour les parents devient :

69 Deux régimes de transmission doivent alors être distingués selon la saturation ou non de la contrainte n T e e ?0. Soit L le Lagrangien tel que L U C n C n T p e e e e = +( , ) ?. En fonction de la valeur du multiplicateur ? ?, = 0 ou bien ?>0, la composition par sexe de la fratrie exerce des effets différenciés sur les choix de transferts en capital humain.
70Cas 1 : ?= 0. Considérons tout d’abord des parents fortunés, qui assurent à la fois le financement de l’éducation optimale des enfants et leur versent de l’argent. Ce régime se caractérise par Te > 0 et donc ?= 0. Les conditions de premier ordre sont alors définies par ? + =U w E U g g1 2 0 '( ) , ? + =U w E U f f1 2 0 '( ) et ? + ? =U r U 1 2 1 0( ). Par l’égalisation des utilités marginales de consommation pour les deux générations, on obt ient la condition d’équilibre w E w E r g g f f '( ) ( ) ( )= = +1, dont l’interprétation est désormais connue (Becker et Tomes, 1986; Menchik et David, 1983). Les parents investissent d’abord dans le capital humain de leurs enfants, garçons ou filles, jusqu’au point où le rendement marginal de l’éducation est égal au taux d’intérêt du marché ; ensuite, au-delà de ce point d’allocation optimal, les parents versent des aides financières à leurs descendants. Ainsi, les choix d’éducation optimaux sont seulement déterminés par le taux d’intérêt r pour les familles fortunées, puisque l’on peut écrire Eg et Ef sous la forme E w g g =? ' ( r f f '( ). Dès lors, la composition r ) 1 et E w =? 1 par sexe des enfants ne doit pas affecter les choix éducatifs des parent s, soit ? ? ? ?E n E n g g g f / /= = 0 et ? ? ? ?E n E n f g f f / /= = 0.
71Cas 2 : ?>0. Considérons à présent des parents peu fortunés, qui se contentent de pourvoir aux dépenses d’éducation. Les familles sont alors contraintes par la liquidité. Avec ?>0, la condition de premier ordre par rapport à Te devient ? + + + =U r U 1 2 1 0( ) ?. Si l’égalisation des rentabilités marginales des investissements en capital humain pour les garçons et les filles demeure vérifiée, ces rentabilités marginales excèdent désormais le taux bancaire r puisque l’on a w E r g g f f') = > +1. Désormai s, les w E w ' '( ( )= investissements humains deviennent influencés par les caractéristiques familiales et l’effort d’éducation pour un enfant donné est fonction des nombres de frères et de soeurs. D’après les conditions de premier ordre U w E U g g1 2 ='( ) et U w E U f f1 2 ='( ), on obtient les deux résultats suivants.
72D’une part, compte tenu de l’égalité w E w E g g f f '( ) ( )= à
l’équilibre, on vérifie les proportionnalités suivantes entre
les dérivées secondes des fonctions de salaire wg et wf :

73D’autre part, on peut obtenir le signe des dérivées ? ?E n g g /
et ? ?E n f g / (ou ? ?E n g f / et ? ?E n f f / ) par différenciation
complète du système U w E U g g1 2 ='( ) et U w E U f f1 2 ='( ).
Notant w w w g f = =', l’application de la règle de Cramer
fournit les valeurs suivantes :

Notes
- (*)LEN-CEBS, Faculté des Sciences Économiques, Université de Nantes et INED, Paris. E-mail : bbarnet@ sc-eco. univ-nantes. fr E-mail : wwolff@ sc-eco. univ-nantes. fr
- (1)Cet effet de la position économique des parents n’est cependant pas linéaire puisque l’influence de la famille sur la probabilité d’obtenir un diplôme plus élevé diminue au fur et à mesure que l’on considère des niveaux d’éducation importants (Cameron et Heckman, 1998).
- (2)La possibilité d’un contrôle du sexe de l’enfant à naître est étudiée par Davies et Zhang (1997), Edlund (1999) et Seidl (1995).
- (3)Cette restriction aux choix éducatifs permet de comparer la situation de la France à celle d’autres pays, en particulier les États-Unis (Butcher et Case, 1994), le Japon (Ono, 2000), l’Allemagne (Bauer et Gang, 2000). Un test plus général consisterait à rechercher si les autres dépenses de consommation des ménages à destination des enfants sont ou non affectées par la composition par sexe de la fratrie. Ce type de variables a été pris en compte dans le cadre d’analyses portant sur la santé des enfants au Ghana (Garg et Morduch, 1998) ou bien sur la surmortalité féminine dans les pays asiatiques (Muhuri et Preston, 1991, Rose, 1999).
- (4)Les premières investigations statistiques concernant l’effet de la composition par sexe de la fratrie sur les niveaux d’éducation aux États-Unis ont été mises en œuvre par Powell et Steelman (1989,1990).
- (5)Si l’examen du “Current Population Survey” révèle aussi des niveaux d’éducation plus importants pour les femmes ayant au moins une sœur, les écarts ne sont jamais statistiquement différents.
- (6)Kaestner (1997) identifie un effet de la composition par sexe des fratries sur l’éducation seulement pour les enfants noirs âgés de 15 à 18 ans, avec un avantage à avoir des sœurs plutôt que des frères.
- (7)Selon les enquêtes, le nombre de sœurs (à taille de la fratrie donnée) exerce une incidence tantôt négative, tantôt positive sur le capital scolaire, mais les différences ne sont guère significatives. L’analyse inter-cohorte avec une périodicité de 5 ans de 1910 à 1964 fournit des conclusions similaires.
- (8)Cet effet s’observe si les garçons sont mieux rémunérés que les filles et si la rentabilité de l’éducation est plus importante pour les garçons que pour les filles (la rentabilité se mesure par la dérivée de la fonction de salaire). Se reporter également à la discussion dans Garg et Morduch (1998).
- (9)Si l’aversion pour les inégalités de revenus entre enfants peut expliquer l’effet positif de la présence de frères sur l’éducation des filles, on devrait dans ce cas également trouver un effet négatif de la présence de sœurs sur l’éducation des garçons, ce que Butcher et Case (1994) n’observent pas. Par ailleurs, l’aversion des parents pour les inégalités de revenus reste limitée aux États-Unis (Behrman et alii, 1994).
- (10)En conséquence, comme le note Kaestner (1997, p. 255), l’enjeu de la recherche menée par Butcher et Case (1994) reste limité. Il ne s’agit pas tant de déterminer la nature du mécanisme de redistribution intrafamiliale des ressources susceptible d’expliquer les différents comportements observés que de savoir si l’éducation aux États-Unis dépend effectivement de la composition par sexe des fratries.
- (11)Pour une description complète de la méthodologie de cette enquête, se reporter à Attias-Donfut (1995) et à Wolff (2000). Cette source statistique inclut au total 4 668 questionnaires que l’on peut décomposer suivant 1958 pivots, 1 217 grands-parents et 1493 jeunes, pour un total de 995 familles trigénérationnelles.
- (12)Pour ces populations, les observations incomplètes sur l’éducation et la fratrie ont été supprimées.
- (13)Se reporter au numéro spécial d’Économie et Statistique (1996) sur le sujet.
- (14)L’enquête précise les dépenses d’éducation pour au plus deux enfants par ménage, les enfants A et B. Pour éviter les problèmes d’hétérogénéité non observable commune aux frères et sœurs d’une famille, qui conduit à des écarts type biaisés dans les régressions, seuls les enfants A sont pris en compte dans l’étude. Les résultats obtenus ne sont toutefois pas différents lorsque l’on inclut les enfants A et B.
- (15)Le revenu des parents est disponible seulement pour les individus (pivots ou jeunes) effectivement enquêtés dans l’enquête Cnav, de telle sorte que la variable n’est pas toujours incluse dans les régressions. En effet, l’analyse empirique prend en compte à la fois les enquêtés et leurs conjoints éventuels afin d’avoir des effectifs conséquents pour les fratries de taille importante.
- (16)Les différentes régressions présentées dans cet article admettent que la fécondité est exogène. Les résultats des estimations sont donc susceptibles de souffrir d’un biais d’endogénéité de la fécondité.
- (17)Ce résultat demeure valide si l’on prend en compte l’existence d’au moins une sœur dans la fratrie.
- (18)Les régressions concernent alors seulement les individus effectivement enquêtés (et non plus les enquêtés et leurs conjoints), pour lesquels on connaît les revenus des parents.
- (19)En fait, les dépenses d’éducation reçues par les enfants traduisent d’autant mieux les choix des parents et leur engagement financier que l’on considère des enfants d’un âge élevé.
- (20)Lorsque l’on étudie l’éducation des enfants, il convient de distinguer un effet-quantité qui correspond à la durée de la scolarité et un effet-qualité qui indique plutôt le type de cursus suivi (voir par exemple Card et Krueger, 1992, Harmon et Walker, 2000).
- (21)Dans la mesure où les parents ont relativement peu d’enfants en France (deux ou bien trois pour la plupart des familles), étudier les effets de la présence de sœurs et du nombre de sœurs conduit à des résultats assez proches. La situation est bien différente pour les pays peu développés.
- (22)Ainsi, une fille reçoit en moyenne 437 francs (67 euros) de moins par an qu’un garçon.
- (23)Le revenu médian est bas‚ sur le revenu total du ménage. Les effets de taille de la famille sont moins importants dans notre étude puisqu’il n’y a pas de famille avec enfant unique et les parents ont généralement deux ou trois enfants. L’enquête ne fournit aucune indication sur l’existence d’éventuels transferts financiers versés par les parents, qui interviennent de toute façon plus tard dans le cycle de vie.
- (24)Ici, le fait de partager l’échantillon en deux entraîne mécaniquement une moindre significativité des coefficients puisque la diminution de la taille de l’échantillon conduit à une estimation moins précise.
- (25)Cette variable comprend quatre modalités. La mère peut ne pas s’occuper des devoirs de l’enfant, s’en occuper seulement quand l’enfant le lui demande, contrôler son travail même s’il ne le demande pas et suivre toujours son travail de près.
- (26)L’intervention d’un arbitrage qualité-quantité pourrait expliquer ce phénomène et un modèle qui endogénéise la fécondité permettrait sans doute de clarifier ce résultat.
- (27)Dans les calculs, seules les opinions tranchées (oui ou non) sont retenues. Les réponses du type ”il est trop tôt pour le dire” ont été éliminées.
- (28)Par exemple, certaines filières techniques nécessitent l’achat d’un matériel onéreux.
- (29)L’arbitrage qui se fait aux dépens des filles si elles ont des frères doit se faire au détriment d’autre chose pour que le nombre de frères n’affecte pas l’investissement éducatif pour un garçon qui n’a pas de sœur. Il convient de noter que les ajustements par la consommation des parents ne sont qu’une possibilité.
- (30)Cette idée ne doit pas pour autant être définitivement exclue, bien au contraire. Le fait d’avoir des sœurs plus âgées peut par exemple jouer non pas sur la dépense éducative des parents, mais sur la qualité des résultats scolaires des enfants (bonnes notes, obtentions de mentions aux examens) ou bien sur le temps consacré par les enfants aux études : pour un output égal, un enfant bénéficiant d’externalités par ses aînés consentirait un effort moins important.
- (31)La contrainte de non-négativité implique que les investissements éducatifs dans la famille doivent être autofinancés, ce qui implique : i) les enfants ne peuvent emprunter sur leurs ressources futures, ii) les parents ne peuvent laisser des dettes ou faire un emprunt gagé sur les revenus futurs des enfants et iii) les prêts familiaux par des contrats implicites sont impossibles. Dans la pratique, il est effectivement difficile d’avoir accès au marché du crédit lorsque les revenus futurs de l’emprunteur sont trop incertains ou de réaliser des contrats familiaux en l’absence de normes sociales (Masson et Pestieau, 1991).