CAIRN.INFO : Matières à réflexion

J’ai découvert la sociologie en ouvrant Actes de la recherche en sciences sociales, dont un ami m’avait signalé le premier numéro alors que, étudiante en philosophie à Aix-en-Provence, je peinais à m’intéresser à mes études. J’y ai immédiatement trouvé ma vocation, sans pouvoir encore mettre des mots bien clairs sur ce qui m’avait immédiatement séduite dans ces articles et que je ne comprendrai que plus tard : la force heuristique et la dimension ludique de l’enquête empirique associée à la rigueur de l’abstraction conceptuelle, autorisant différentes formes de « montée en généralité » qui permettent de se déplacer d’un domaine de l’expérience à un autre – autant d’opérations qui confèrent de l’intelligibilité au vécu.
Quarante-cinq ans après, c’est ce qui continue à me faire aimer cette discipline dont j’ai eu la chance de pouvoir faire mon métier ; et même à l’aimer de plus en plus à mesure que, par le travail dans différents domaines, j’y ai gagné en conscience et, je l’espère, en maîtrise de ses formidables possibilités. C’est pourquoi je ne partage pas le constat désabusé qui donne son titre à ce dossier de La Revue du Mauss, et ce pour plusieurs raisons.
Mon premier désaccord porte sur l’idée que l’éclatement – réel, certes, et sans aucun doute dommageable – de la sociologie « entre de nombreuses Écoles ou chapelles en guerre les unes contre les autres » marquerait son infériorité par rapport à la « science économique ». Or le modèle de la discipline économique est plutôt un anti-modèle car son unité (apparente) s’est faite au prix d’une réduction catastrophique, voire ridicule, de l’expérience humaine, propre au paradigme néo-classique…

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On peut ne pas partager les constats pessimistes sur lesquels s’appuie ce dossier : la domination de l’économie sur les autres sciences sociales ne me semble nullement avérée et je n’adhère ni à la tentation d’un hégémonisme de la sociologie, ni à l’aspiration au monisme en matière d’écoles sociologiques, ni à la nécessité d’unifier la discipline par ses objets ou ses concepts. En revanche, il me semble indispensable de viser une unification par les postures de recherche, de façon à pousser la sociologie vers le maximum de spécificité : l’appui sur l’enquête, la neutralité et l’ouverture à l’approche compréhensive de façon à relativiser l’emprise de l’explication. La prise au sérieux de cette perspective compréhensive va de pair avec plusieurs approches expérimentées dans une partie de la sociologie française de la dernière génération : l’approche pragmatique, l’approche par les épreuves, l’approche grammaticale, l’approche typologique et l’approche par la réflexivité des acteurs. Il y a là un retour à la leçon de Weber, qui offre en même temps les conditions d’une sociologie d’avenir – une sociologie qui nous fasse aimer, de plus en plus, la sociologie.

Nathalie Heinich
Sociologue, directrice de recherches au CNRS.
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Mis en ligne sur Cairn.info le 09/02/2021
https://doi.org/10.3917/rdm.056.0040
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