Il y a de très nombreuses manières de s’engager en sociologie. C’est probablement ce qui a fait longtemps le charme discret de la discipline. Bourdieu parlait d’elle comme d’un refuge, d’une manière plutôt négative, au sens où celles et ceux qui y trouvaient abri étaient loin de présenter toutes les qualités requises pour aspirer à la qualification scientifique. On peut voir cet abri de fortune d’une manière plus positive : des gens aux trajectoires opposées s’y arrêtent un moment, s’en éloignent et y reviennent dans une cacophonie productive. En France, la sociologie fut longtemps faiblement institutionnalisée et demeura ouverte à des définitions et des pratiques très diverses conservant, au-delà des conjonctures, une sorte de mauvaise réputation que maintes tentatives de scientifisation et d’établissement ne parvinrent pas à effacer complètement. Mai 68, qui fut une occasion pour la sociologie de se faire connaître auprès du grand public, manifesta son ambivalence constitutive : l’une de ses composantes parlait au nom de la science, ou à tout le moins d’une science comme les autres, quoiqu’encore à venir (c’était le manifeste du Métier de sociologue, dont la première publication eut lieu cette année-là, ouvrage conjoncturel mais destiné à jouer un rôle fondateur pour une partie de la corporation [Bourdieu, Chamboredon, Passeron, 1968]). L’autre part revendiquait plutôt une critique généralisée des ambitions de la science et plus largement de l’Université, surtout du côté de Nanterre…