Nul ne sait si un nouveau Parsons, Habermas, Luhmann ou Freitag apparaîtra. Le fait est que, en sociologie, nous ne disposons plus d’une théorie générale de la société capable d’intégrer les fondements philosophiques (métathéorie), l’élaboration d’un système de concepts fondamentaux (théorie sociale) et une réflexion sur les transformations structurelles de la modernité (théorie sociologique) dans une théorie unique qui serait à la fois générale, systématique et historique. Le temps de la Grand Theory semble bien révolu. En tout cas en sociologie, du moins dans la sociologie française et américaine, la théorie pure n’est guère encouragée. L’obligation d’arrimer la réflexion au terrain empêche la déterritorialisation de la théorie. Celui ou celle qui s’aventure hors-terrain pour s’adonner aux plaisirs de la spéculation, de la systématisation ou de l’axiomatisation sort de la piste et s’exclut du jeu de langage de la sociologie. Par effet disciplinaire, le hors-piste se met « hors-champ ».
Dans cet article, je voudrais suggérer un double déplacement – d’abord, de la discipline de la sociologie vers une nouvelle synthèse des sciences sociales, de la philosophie morale et politique et des nouvelles humanités [Caillé et Vandenberghe, 2021] et, ensuite, du passé glorieux de la sociologie vers l’actualité qui l’est beaucoup moins. Ce qui importe désormais ce n’est plus de savoir ce qu’est ou ce que fait la sociologie mais bien plutôt d’essayer d’interpréter les évènements qui déstructurent les sociétés par-delà le monde et les poussent vers l’abîme, la catastrophe, la mort…