1L’hospitalité est une affaire sérieuse. Si on insiste beaucoup aujourd’hui sur le devoir d’accueillir l’étranger, on oublie trop souvent que ce devoir n’a jamais été univoque. Dans les sociétés traditionnelles, l’hospitalité était un don qui s’insérait, comme tout don, dans un cadre de réciprocité. « En grec ancien, rappelle l’ethnologue Arthur M. Hocart, le même terme servait à désigner à la fois l’hôte, l’invité, et l’étranger. » C’est que « les Grecs ne faisaient effectivement entre eux aucune différence. L’équipement hôtelier laissant beaucoup à désirer aux temps homériques, le visiteur devait s’en remettre entièrement à l’hospitalité des gens du pays » [Hocart, 1973, p. 85]. Et les gens du pays savaient, eux, qu’ils auraient besoin de compter sur l’hospitalité d’autrui le jour où ils voyageraient à leur tour. Ainsi l’hospitalité traditionnelle se fondait-elle sur un principe de réciprocité généralisée. En même temps, le fait d’accueillir quelqu’un chez soi créait un lien de réciprocité tout à fait direct et personnel entre les deux individus et, partant, entre leurs deux lignées. « Une tradition d’assistance et d’amitié s’établissait donc entre deux familles, dit Hocart, née du geste secourable d’un homme envers son semblable » [ibid., p. 86].
2Mais les gens pouvaient également se battre si le don de l’hospitalité était mal récompensé. Le devoir d’accueillir l’étranger présuppose l’obligation pour l’invité de respecter celui qui le reçoit. Dans le cas contraire, la réciprocité positive du don risque de céder la place à la réciprocité négative de la vengeance. C’est le revers de la médaille. À l’origine de la guerre de Troie, il y a le geste peu amène de Pâris qui, reçu au palais de Ménélas, en profite pour voler son épouse. Pour venger cette offense faite à l’hôte, les Grecs brûlent Troie et la mettent à sac, tuent ses hommes et réduisent ses femmes en esclavage. Nous l’avons dit, l’hospitalité est une affaire sérieuse.
3De nos jours, le tourisme de masse en a surtout fait un domaine lucratif pour les affaires. Mais l’industrie de l’hospitalité se voit bousculée par un nouveau modèle qui prétend valoriser l’esprit d’accueil à l’ancienne. La pratique de home sharing (partage de maison) est censée faciliter les voyages tout en favorisant les relations humaines. Vous vous rendez dans une ville lointaine, vous n’aurez pas besoin de réserver une chambre d’hôtel si un habitant au cœur d’or vous invite à dormir chez lui… Voyons mieux de quoi il s’agit.
« Voyager comme un humain »
4Amol, né en Inde, est venu aux États-Unis pour étudier le design. Fraîchement diplômé d’une université d’Arizona, il souhaite aller à San Francisco pour un congrès international de design tenu à l’hôtel Fairmont. Hélas, tous les hôtels économiques sont déjà complets, et Amol ne peut se payer une chambre de luxe. Il cherche désespérément une solution [Julka, 2016]. Au même moment, à San Francisco, un jeune designer qui a la chance d’habiter sur place apprend que des chambres manquent pour les visiteurs. Joe se dit : « Quelle tristesse, quelqu’un qui désire assister [au congrès] ne va pas pouvoir le faire. » Regardant autour de lui dans l’appartement qu’il partage avec Brian, un autre jeune designer, Joe voit un « tas d’espace au sol ». Il se souvient du matelas gonflable qui dort dans le placard et met une annonce sur Internet. Bientôt, Joe et Brian reçoivent Amol chez eux. Ils l’accompagnent au congrès, lui présentent leurs copains, l’amènent dans leurs cafés et restos favoris [Hoh, 2017]. Grâce à ces quelques jours passés ensemble en octobre 2007, un lien durable naît entre l’invité et ses hôtes. Des années après, Amol parle encore de l’accueil chaleureux que Joe et Brian lui ont réservé : « Je les considère maintenant comme des amis pour la vie » [Julka, 2016].
5Voilà une histoire où tout le monde gagne. Mais Joe et Brian ont sans doute gagné davantage, car ils ont pris soin de monnayer leur geste secourable envers un étranger. Certes, grands seigneurs, ils n’ont exigé du collègue impécunieux que 80 dollars pour le privilège de dormir par terre chez eux pendant le congrès. Quatre-vingts dollars par nuit, cela va sans dire. « Une vraie bonne affaire », commente Joe [Hoh, 2017]. Joe Gebbia et Brian Chesky sont les fondateurs de la plate-forme touristique à succès Airbnb. Le nom signifie « Air Bed (matelas gonflable) & Breakfast », mais, selon Amol Surva, le premier à répondre à l’annonce, le « breakfast » n’était pas prévu. Quand on a déniché une place par terre, il ne faut pas demander la lune. Philosophe, Amol observe qu’il vient de l’Inde : « Nous mangeons peu le matin de toute façon » [Julka, 2016]. Depuis ses débuts, Airbnb sait construire des ponts entre les cultures.
6Amol en était réduit à dormir sur un matelas gonflable parce qu’il avait épuisé son budget en payant les frais d’inscription au congrès. Un billet coûtait très cher : presque 1 000 dollars. Joe et Brian, eux, n’avaient aucune envie de payer le prix d’entrée comme des gogos. À l’instar des Grecs à la porte de Troie, les deux amis ont pénétré l’enceinte de l’hôtel Fairmont par une ruse. En se déguisant en blogueurs venus pour un reportage – Brian a suspendu un appareil photo à son cou pour faire illusion –, nos futurs milliardaires ont réussi à accéder au congrès gratuitement [Gallagher, 2017a, p. 10]. Pourquoi être honnête et respecter les règles quand il est tellement plus commode de tricher ?
7C’est là la leçon de ce qu’on nomme pompeusement « économie du partage » ou « économie collaborative » et qui n’est rien d’autre que la bonne vieille économie informelle organisée à une échelle industrielle. Joe Gebbia et Brian Chesky ont profité de l’existence d’une pénurie – le manque de chambres d’hôtel pendant le congrès – pour proposer en dehors de tout cadre légal une marchandise de qualité inférieure à un prix exagéré. C’est ce que font depuis toujours les trafiquants au marché noir. Mais ces derniers ont la pudeur de ne pas se présenter comme des idéalistes qui veulent réinstaurer des rapports plus chaleureux et conviviaux entre les êtres humains.
8 Naguère, dit Brian Chesky, « les voyageurs logeaient dans des pensions de famille, les voisins partageaient ce qu’ils possédaient, et les gens ordinaires étaient la force motrice de l’économie. Ces activités réémergent à travers un nouveau mouvement appelé l’économie du partage ». À en croire Chesky, les utilisateurs d’Airbnb forment une vaste « communauté » qui est en train de construire une « porte sur un monde ouvert » où tout le monde peut se sentir « chez soi » partout [Chesky, 2013]. « Voyager comme un humain » a été l’un des premiers slogans de la plate-forme. La journaliste financière Leigh Gallagher [2017a, p. XIII] souligne que séjourner « dans l’espace privé de quelqu’un » est un « échange hautement intime » – comme l’illustre le week-end historique où les fondateurs d’Airbnb ont ouvert les portes de leur propre appartement.
9Deux autres designers, Kat et Michael, ont rejoint Amol chez Joe et Brian. Les cinq personnes qui partageaient les lieux se sentaient vite à l’aise entre elles, nous assure Gallagher : « Chesky se souvient d’avoir parlé avec Michael quand celui-ci était allongé en culotte sur son matelas gonflable dans la cuisine » [ibid., p. 10]. Michael était un père de famille dans la quarantaine avec cinq enfants [ibid., p. 8]. On l’imagine tout à fait ravi de pouvoir dormir par terre dans la cuisine de ses jeunes hôtes. Et toujours au tarif généreux de 80 dollars la nuit ! Au bout des quelques jours du congrès, Chesky et Gebbia ont gagné 1 000 dollars [ibid., p. 10]. D’après Gebbia, ils se sont demandés, incrédules : « Est-ce vraiment possible d’être payé pour se faire des amis ? » [Hoh, 2017].
Mon ami… « mon produit »
10Retournons la question. Est-il vraiment possible d’appeler « ami » celui que vous invitez chez vous pour lui soutirer son argent ? On ne voudrait pas mettre en doute la sincérité des sentiments amicaux de Brian et Joe envers Amol. Mais quand ils amènent leur nouvel ami au congrès, ils s’empressent de l’exhiber comme une preuve ambulante des mérites de leur projet entrepreneurial, le poussant devant leurs interlocuteurs en lui demandant de dire combien il adore son séjour Airbnb. Bref, ils utilisent leur invité comme un « accessoire de théâtre », d’après le mot de Gallagher. Un accessoire doté de la parole et prêt à décrire l’expérience Airbnb en termes dithyrambiques. « Mon produit nous a soutenus ! » s’émerveille Chesky au souvenir de cet épisode [Gallagher, 2017a, p. 10].
11Le mot « produit » est doublement révélateur. On est frappé d’abord par le cynisme désinvolte du propos. En réduisant son prétendu ami au statut d’une marchandise, le PDG d’Airbnb dévoile le caractère véritable du projet qui se cache derrière sa rhétorique humaniste. L’économie du partage est devenue la nouvelle frontière d’un capitalisme sauvage qui, sous couvert de favoriser la solidarité entre les gens ordinaires, pousse toujours plus loin la marchandisation des relations humaines. Mais il faut encore s’interroger sur un autre aspect de l’usage que fait Chesky du mot « produit ». En l’appliquant au premier voyageur à séjourner chez Gebbia et lui, Chesky assimile à un produit la personne hébergée. On dirait que le chef d’Airbnb s’emmêle les pinceaux en confondant deux concepts économiques de base : le voyageur n’est-il pas le client de l’entreprise, et le logement fourni, le produit ?
12Erreur ! À la différence de l’industrie hôtelière, Airbnb ne construit rien et n’a aucun logement à fournir. Ses vrais clients ne sont pas les voyageurs. La plate-forme est conçue pour servir les intérêts des annonceurs. Cela transparaît des remarques de Gallagher [2017b] sur les efforts exceptionnels déployés pour séduire ceux qu’elle appelle sans commentaire les « utilisateurs » du site. À ses débuts, raconte-t-elle, ces derniers sont peu nombreux. Un tournant arrive lorsqu’un investisseur donne aux dirigeants de la start-up ce sage conseil : « Vous devez aller voir vos utilisateurs. » Entend-il par « utilisateurs » les voyageurs qui utilisent le site pour trouver une chambre d’hôtes sympa et bon marché ? Pas du tout. Pour cet investisseur avisé, comme pour les fondateurs d’Airbnb et la journaliste financière qui rapporte l’histoire, le terme « utilisateurs » désigne avant tout les annonceurs. Chesky et Gebbia vont donc à New York, où ces derniers se trouvent concentrés à l’époque, pour les rencontrer individuellement et les aider à présenter leurs propriétés sous un jour plus favorable, assurant ainsi selon Gallagher l’essor de l’entreprise.
Des recensions (très) généreuses
13Mais ce ne sont pas seulement les annonces qui décrivent les propriétés en termes flatteurs sur Airbnb. Même les recensions publiées sur le site par les voyageurs le font. Si vous cherchez un logement hors pair, vous aurez apparemment l’embarras du choix. Dans la pratique, pourtant, des recensions uniformément élogieuses n’aident guère à choisir. Selon des chercheurs de la Boston University qui ont étudié plus de 600 000 listings sur Airbnb à travers le monde, quasiment aucun n’affiche une notation de moins de 3,5 étoiles. La notation moyenne est de 4,7 étoiles, les voyageurs gratifiant leurs hôtes de 4,5 ou 5 étoiles dans 94 % des cas. Par contraste, la note moyenne des hôtels sur la plate-forme de voyage TripAdvisor est de seulement 3,8 étoiles [Zervas, Proseprio et Byers, 2015]. Les voyageurs qui se paient un séjour dans un vrai hôtel auraient-ils donc un confort et une qualité du service inférieurs à ce qu’ils auraient pu trouver à moindres frais dans l’économie informelle ?
14Cela semble peu probable. Il y a un autre facteur qui joue ici. Quand vous payez une chambre d’hôtel, le caractère purement commercial de la transaction vous autorise à le faire savoir si vous remarquez une forte odeur de moisi et des cheveux dans la douche. Mais il en va autrement si vous rencontrez les mêmes désagréments en visitant la maison de quelqu’un. Dans le cadre des relations entre particuliers qui caractérisent l’économie du partage, chacun est en général trop courtois pour dénigrer l’autre publiquement [Slee, 2017, p. 100-101]. L’invité qui se répand en éloges sur son séjour Airbnb se comporte comme Amol qui, sommé de témoigner pour ses hôtes devant les participants au congrès, mettait l’accent sur le côté positif et omettait de parler du petit-déjeuner défaillant. Amol savait bien qu’il n’était pas à l’hôtel. Brian et Joe étaient juste des types qui avaient besoin d’un revenu d’appoint pour payer leur loyer, alors autant être gentils avec eux. Les auteurs des recensions publiées sur Airbnb passent volontiers sous silence des problèmes autrement plus graves, comme ce voyageur qui a obtenu un remboursement de son hôte tout en acceptant – par « sympathie », dit-il – de ne pas mentionner sur le site les vers qui tombaient d’un animal mort logé dans le plafond de la cuisine [Mann, 2017].
15Les chercheurs de la Boston University ont confirmé que la générosité des recensions varie selon la catégorie d’hébergement. Si la majorité des listings sur TripAdvisor sont des hôtels, il y a aussi des Bed & Breakfast et des locations de vacances. En limitant la comparaison à cette catégorie plus restreinte, on constate que la distribution des notations données par les voyageurs se rapproche de celle qu’on trouve sur Airbnb. Et pourtant, il existe encore une différence entre les deux sites. Le plus étonnant, c’est que cette différence persiste même si on limite l’échantillon aux propriétés qui sont affichées sur les deux sites simultanément. Le nombre de ces propriétés qui ont une notation moyenne d’au moins 4,5 étoiles est 14 % plus grand sur Airbnb que sur TripAdvisor [Zervas, Proseprio et Byers, 2015]. Comme les propriétés en question sont les mêmes, l’explication ne peut tenir qu’à une différence dans le comportement des utilisateurs des deux sites. Qu’est-ce qui pousse les voyageurs à publier des avis plus favorables sur Airbnb ?
Un « vilain petit secret » : la réciprocité négative
16Normalement, les clients donnent unilatéralement des notes aux marchandises. Mais chez Airbnb, le client lui-même est noté comme une marchandise. En effet, le système de recensions employé par Airbnb est bilatéral. La personne hébergée donne son avis sur le logement, et le propriétaire du logement donne son avis sur la personne hébergée. Sur TripAdvisor, seule la personne hébergée a le droit d’émettre un avis. C’est logique parce que ce sont les clients qui choisissent les hôtels et non l’inverse. Mais le particulier qui met une annonce sur Airbnb ne veut pas forcément recevoir n’importe qui chez lui. Et si l’invité volait l’argenterie ou, pire, organisait une rave-party dans le salon ? Le système de recensions bilatéral est censé rassurer ceux qui ont peur de donner la clé de leur maison à un inconnu.
17Lors d’une conférence publique, Joe Gebbia a voulu faire comprendre l’hésitation que les hôtes Airbnb doivent surmonter. Il a suscité une petite sensation de panique dans la salle en demandant que chacun déverrouille son téléphone portable et le passe à son voisin. Puis Gebbia a dit : « Imaginez qu’il ait 150 commentaires de personnes qui témoignent qu’il est la personne parfaite à qui confier son téléphone » [Shapiro, 2017]. On fera plus facilement confiance à quelqu’un qui jouit d’une si bonne réputation. Ainsi, Airbnb se vante d’avoir créé une communauté de millions de personnes qui se font confiance les unes les autres, sans besoin de recourir à la moindre réglementation étatique. Selon Brian Chesky, les entreprises ont la capacité de protéger les consommateurs beaucoup plus efficacement que les gouvernements grâce à « ces choses magiques qui s’appellent systèmes de réputation » [Slee, 2017, p. 90].
18Le système de réputation d’Airbnb jouit d’une bonne réputation non méritée. Nous venons de voir qu’il a un défaut sérieux : les logements ne reçoivent presque jamais de recensions négatives. La première raison, c’est ce penchant spontané des gens à se montrer généreux qui sous-tend l’esprit du don. Mais il y a aussi une raison moins avouable : la peur des représailles qui règne dans toute communauté sans État, où celui qui sort de la réciprocité du don risque d’entrer dans la réciprocité négative de la vengeance [Anspach, 2002 ; 2017]. Comment le voyageur peut-il s’exprimer librement s’il sait que son hôte va le noter à son tour ? Pour neutraliser ce genre de considération, Airbnb a décidé en 2014 d’attendre que chacun soumette son commentaire sur l’autre avant de publier tous les deux simultanément [Zervas, Proseprio et Byers, 2015].
19Mais ce procédé en double aveugle ne suffit pas à immuniser le voyageur contre toute rétorsion, car il doit tenir compte de ce que d’autres hôtes prospectifs pourront penser de lui la prochaine fois qu’il cherchera un logement [Mulshine, 2015]. Ne pas donner une bonne note à son hôte aujourd’hui, c’est se montrer ingrat et risquer de devenir demain persona non grata pour tous les propriétaires. Ceux-ci sont très sensibles au risque de recevoir une mauvaise recension. Pour parer au danger, ils lisent les recensions qu’un voyageur a écrites dans le passé avant de lui confier les clés de leur logement. « Certes, reconnaît un Super Hôte Airbnb, les commentaires rédigés sur les voyageurs par les hôtes passés sont importants, mais le vilain petit secret c’est qu’ils sont beaucoup moins importants que les commentaires que vous avez rédigés vous-mêmes sur les hôtes chez qui vous avez logé » [Mann, 2017]. Bref, un voyageur aura mauvaise réputation s’il se permet de nuire à la réputation d’un hôte.
20Ainsi, le moindre mot critique écrit par un voyageur peut se retourner contre lui. Il risque d’être ostracisé par les propriétaires Airbnb du monde entier. Par conséquent, les voyageurs qui écrivent des recensions s’astreignent à l’autocensure typique des régimes totalitaires. Business Insider estime que l’absence de recensions négatives est un problème pour le site [Mulshine, 2015]. En réalité, Airbnb n’a pas intérêt à régler ce problème. Les recensions généreuses arrangent les annonceurs en attirant les voyageurs. La vocation du site n’a jamais été de servir ces derniers. Sous prétexte de promouvoir l’hospitalité traditionnelle, Airbnb livre les voyageurs aux annonceurs comme autant de marchandises. Comme autant de « produits », pour reprendre le terme employé par Chesky quand il a dit d’Amol : « Mon produit nous a soutenus. » Les voyageurs continuent à « soutenir » l’entreprise en chantant obligeamment les louanges de leur séjour.
21« Le développement de l’économie dite collaborative, ou du partage, n’a plus grand-chose à voir avec la solidarité entre backpackers des débuts, celle qui donna par exemple Airbnb », écrit Les Échos. Aujourd’hui, « Airbnb est valorisé 30 milliards de dollars et propose 3 millions de logements ». Pour le quotidien financier, cette « grosse machine » se serait éloignée de son esprit originel de « “couch surfing” baba : Viens chez moi, j’ai un canapé et plus si affinités » [Delanglade, 2018]. En réalité, les fondateurs d’Airbnb n’étaient pas des « babas », mais des « bobos ». Malgré la légende qu’ils entretiennent soigneusement – allant jusqu’à installer dans le siège de l’entreprise une reproduction du salon de leur appartement à San Francisco [Slee, 2017, p. 29] –, leur projet avait bien peu à voir avec la solidarité entre backpackers. L’économie du partage façon Airbnb est restée ce qu’elle a toujours été : le cheval de Troie d’un capitalisme sauvage.