CAIRN.INFO : Matières à réflexion
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1 Le propos de ce texte s’appuie sur une enquête de plusieurs années qui a donné lieu à la constitution d’un corpus empirique composé d’observations ethnographiques, d’entretiens réalisés auprès de protecteurs des animaux et des documents d’archives offrant un recul historique sur plus d’un siècle  [1]. Pour un spécialiste des engagements militants et des mobilisations collectives, ce terrain d’enquête s’est avéré d’autant plus heuristique que son caractère composite permet de nombreuses comparaisons entre des modes d’action et des revendications très variés : refuges et soins aux chiens et chats abandonnés ; assistance aux bêtes d’abattoir ou aux animaux de ferme ; protections des espèces sauvages menacées ; protestations contre la chasse, la corrida, le cirque ou le foie gras ; critiques des expériences scientifiques et des tests sur les animaux ; promotion d’une « éthique animale » ou bien encore de l’alimentation végétalienne…  [2]. Multiplicité de ses formes, mais encore ancienneté historique et hétérogénéité sociale des bases militantes, font de la protection animale un poste d’observation privilégié des procédures et processus qui sous-tendent les mobilisations collectives. L’enquête menée au plus près des militants  [3] permet de relever les similitudes et contrastes qui résultent de la diversité des expériences sociales, des ressources propres à certaines trajectoires professionnelles, ou bien encore des registres émotionnels et modes d’action différemment privilégiés au sein de telle ou telle autre organisation. Cette pluralité s’avère des plus éclairantes dès lors qu’il s’agit d’examiner les modalités selon lesquelles le droit peut étayer un activisme voué à la défense d’animaux que les militants perçoivent comme les êtres parmi les plus vulnérables et sans défense qui soient. Cet article s’appliquera à montrer dans quelle mesure l’étude de la protection animale peut contribuer à éclairer certains questionnements cruciaux aussi bien de la sociologie du droit que de la sociologie des engagements militants. Ce faisant, il prolongera les travaux qui ont interrogé les modes d’insertion du droit dans le répertoire de l’action collective  [4]. Dans le même temps, les processus d’engagements observés auprès des militants de la protection animale offriront également l’occasion d’expli­citer certains principes de la sociologie de Norbert Elias.

I. La juridicisation des griefs ou la formalisation des émotions

2 Les travaux de Norbert Elias nous invitent à bien prendre la mesure de l’inter­dépendance de phénomènes longtemps pensés comme relevant de deux ordres de réalités distinctes. D’une part, dans le prolongement de l’œuvre de Max Weber, Norbert Elias examine les effets de la centralisation croissante du pouvoir et de la monopolisation de la violence légitime par des administrations étatiques fortement spécialisées  [5]. À ce propos, il est évident que les institutions juridiques et judiciaires ont rempli une fonction déterminante dans ce processus pluriséculaire de subordination des affrontements guerriers à des modes de règlement légal-rationnel des conflits. D’autre part, Norbert Elias interroge la « civilisation des mœurs », autrement dit l’évolution historique des conduites que l’on pourrait indûment réduire à une dimension exclusivement psychologique : rapport à soi et à autrui, sensibilités aux contacts des corps et à la violence, normes relatives à l’expression des émotions, modes spontanés ou réflexifs des conduites… Par ses constants va-et-vient entre les niveaux macro et microsociologique, Norbert Elias s’applique à analyser simultanément l’institutionnalisation des contraintes externes étatiques et l’incorpo­ration des contrôles mués en autocontraintes individuelles. Certes, de nombreux malentendus peuvent résulter de cette thèse dès lors que l’on persiste à s’en remettre aux visions dichotomiques que le sociologue allemand a dénoncées dans plusieurs de ses textes. Un lecteur pressé pourrait aisément imaginer que deux éléments distincts s’articulent d’une manière toute mécanique. D’une part, les institutions de l’État – notamment policières et judiciaires – développeraient leur capacité à discipliner les corps et à faire plier les volontés individuelles afin qu’elles s’ajustent sans résistance à l’ordre légal-rationnel. D’autre part, les individus tendraient à refouler leurs pulsions, leurs désirs, leurs états affectifs les plus spontanés afin de s’adapter aux exigences d’une société civilisée sans cesse plus bureaucratisée ; d’un côté, les contraintes externes imposées par les institutions étatiques, le règne des obligations, des procédures rationnalisées et froides et plus particulièrement pour la suite de notre propos, le droit ; de l’autre, l’affectivité bridée des individus, le refoulement des pulsions, et plus généralement de tout ce qui pourrait être vécu sur le mode de la passion, de l’inclination et du désir individuel. Il ne peut être question d’indiquer ici à quel point les textes de Norbert Elias s’inscrivent en faux contre une lecture aussi stéréotypée. De La civilisation des mœurs à Sport et civilisation, le sociologue allemand n’a eu de cesse de nous inviter à penser l’évolution de l’économie psychique des individus en termes, non de simple refoulement des pulsions, mais bien plutôt de formalisation et même de quest for excitement trouvant de puissants points d’appui dans la sophistication croissante des contraintes  [6]. Par formalisation, il faut entendre plus précisément ici que l’expression des émotions et les caractéristiques des conduites sont soumises au respect de règles qui dessinent, au sein de collectifs plus ou moins élargis, un consensus sur ce qui apparaît convenable ou non.

3 Nous verrons ici dans quelle mesure cette perspective d’inspiration éliasienne s’avère la plus appropriée pour interroger les processus qui conduisent certains individus à combiner leur souci d’œuvrer à l’amélioration du sort des animaux et l’investissement de formes juridiques. Nous verrons que loin d’apparaître dénué de tout ressort affectif, le recours au droit implique plutôt une retranscription des sensibilités à l’origine de l’engagement dans les formes reconnues par les institutions du droit. Toutefois, les forts contrastes qui caractérisent notre échantillon de militants nous invitent à relever d’abord la diversité des conduites observées. Il serait, en effet, bien peu suffisant d’affirmer que les protecteurs des animaux s’efforcent parfois de mettre le droit au service de leur détermination à défendre les animaux maltraités par les hommes. Et ce d’autant moins que la question des rapports entre le droit et l’action politique a souvent suscité des notions multiples et équivoques  [7]. De fait, la définition précise de catégories permettant de distinguer des phénomènes qui, ici ou là, s’opposent ou s’entremêlent plus ou moins étroitement s’impose.

4 D’une part, les militants observés peuvent œuvrer à la juridicisation des griefs qui justifient leur engagement. Par-là, il faut entendre qu’ils s’appliquent à faire valoir que leurs revendications sont d’autant plus légitimes qu’elles apparaissent indissociablement liées à un problème de nature juridique : violation d’un principe édicté par une tradition juridique, un traité international, une législation en vigueur ; contradictions entre divers textes ; manquement à la bonne hiérarchie des normes, etc. Ce travail implique, par conséquent, de savoir retranscrire dans le langage du droit des motifs d’engagement qui, le plus souvent, sont préalablement vécus sur un mode bien plus infra-argumentatif. L’indignation centrée sur la souffrance animale doit être réorientée – sous une forme nouvelle bien plus réflexive et intellectualisée – vers des textes de droit afin d’y déceler les manquements dignes d’être relevés. Ainsi, ce qui pourrait être simplement perçu comme un traitement scandaleux infligé à des animaux est décrit comme une atteinte à des normes juridiques auxquelles les contrevenants se doivent d’être rappelés. Un savoir-faire tout particulier consiste « à aboutir à cette “qualification juridique des faits” qui permet à ces derniers de faire enfin sens, libérés de leur factualité insignifiante ; travail qui s’opère en mobilisant la technique même de l’exposition juridique savante avec sa stratification de références ou sa recherche du précédent »  [8]. Par exemple, l’im­portation de 5 000 poils d’éléphants par un bijoutier de luxe parisien sera décrite comme une violation de la convention de Washington qui reconnaît le pachyderme comme une espèce protégée. Certes, précise l’avocate des cinq associations de défense des animaux qui se sont portées parties civiles, le commerce incriminé n’était pas encore, à l’époque des faits, totalement interdit. Cependant, des certificats d’importation étaient déjà obligatoires afin d’indiquer l’origine des produits. Attaqué sur ce point, le bijoutier de luxe sera condamné par le tribunal correctionnel de Paris à une amende de 2 000 euros avec sursis pour défaut de justificatifs prouvant la légalité de l’importation. En l’occurrence, la juridicisation des griefs se confond ici presque simultanément avec la judiciarisation des conflits qui opposent les protecteurs des animaux à ceux qui les maltraitent. Par-là, il faut entendre que les militants et les juristes professionnels ralliés à leur cause travaillent à ce que des institutions judiciaires – tribunaux, cours internationales, etc. – apparaissent en mesure d’apporter des réponses aux problèmes qu’ils dénoncent. L’invocation du droit participe donc ici d’un travail d’enrôlement de ces institutions étatiques par excellence que constituent les tribunaux chargés de faire appliquer la législation en vigueur. Nous observerons que les militants de la protection animale combinent de manière très variable juridicisation des griefs et judiciarisation des conflits. Ce faisant, il s’agira de relever non seulement la diversité des usages et des effets du droit dans le cadre des mobilisations, mais encore les rapports très différenciés que les militants peuvent entretenir à l’égard de la matière juridique.

II. Processus d’engagement et rapports différentiels au droit

5 Au cours de mon enquête, il m’est apparu essentiel de collecter pas moins de soixante-huit entretiens auprès de militants appartenant à trente-quatre organisations différentes  [9]. Le principal intérêt de cet échantillon est de pouvoir saisir à quel point la protection animale se distingue par la grande diversité de ses militants. Un grand nombre d’entre eux, parmi lesquels une majorité de femmes, se focalisent sur le sort des chiens et des chats abandonnés et se rallient aux organisations qui leur offrent refuge et soin. D’autres militants se préoccupent plutôt du devenir des espèces sauvages, parfois à l’autre bout du monde, et entretiennent des rapports étroits avec les spécialistes des sciences de la nature : ornithologues, zoologues, primatologues, etc. D’autres, enfin, adhèrent à des organisations vouées à protester contre des pratiques jugées scandaleuses et immorales : élevage industriel, corrida, cirque, production du foie gras ou de la fourrure, expérimentation scientifique et tests sur des cobayes… On imagine sans mal à quel point les militants qui investissent ces différentes formes de protection animale peuvent se distinguer par de multiples traits attenants à leur origine et à leur trajectoire sociale, à leur capital scolaire, ou bien encore à leur genre. En ce qui concerne le recours au droit, un premier constat s’impose inéluctablement. La minorité des militants experts en droit présentent des capitaux scolaires et universitaires, mais encore des statuts professionnels, qui tendent à les faire apparaître comme appartenant à des catégories socioprofessionnelles tendanciellement supérieures à celles des autres protecteurs des animaux. Cependant, un tel constat ne peut être suffisant sauf à se contenter de ce truisme selon lequel les pratiques du droit nécessitent des apprentissages, des investissements coûteux, bref des moyens inégalement distribués dans l’espace social. À l’encontre d’une lecture qui tendrait à rabattre l’explication sur des effets d’inégalité sociale, l’analyse processuelle adoptée ici s’efforce de dégager des éléments utiles à une compréhension plus fine de la manière dont des rapports différentiels aux droits peuvent se nouer au cours des divers cheminements d’adhé­sion à la cause. Pourquoi et comment, en d’autres termes, certains militants en sont effectivement venus à investir des pratiques juridiques ?

6 Ainsi, l’analyse des données de l’enquête a consisté à interroger les dimensions affectives aussi bien des processus d’adhésion individuelle à la cause que des procédures de mobilisation des soutiens. Afin de rendre compte du rôle des émotions dans le développement des mobilisations en faveur de la protection des animaux, il paraissait indispensable d’expliciter pourquoi, comment et avec quelles conséquences, les militants tendent à recourir à des dispositifs de sensibilisation. Par cette expression, il s’agit de désigner les multiples supports matériels, les agencements d’objets, les mises en scènes que les entrepreneurs de mobilisation déploient afin de susciter des réactions affectives qui prédisposent ceux qui les éprouvent à s’engager ou à soutenir la cause défendue. Pour autant, il convenait de bien relever le fait que les entrepreneurs de la cause animale peuvent également recourir, de manière conjointe ou alternative, à des dispositifs experts. L’expression « experts » désigne ici tous ceux qui font valoir un point de vue déterminé en s’appuyant sur la maîtrise d’un savoir échappant au profane : disciplines scientifiques, techniques professionnelles et, plus encore pour le propos qui va suivre, connaissances juridiques. D’une manière générale, l’expertise implique la maîtrise de compétences reconnues comme spécifiques, souvent, mais pas obligatoirement, sanctionnées par des diplômes et des titres professionnels. Loin de se réduire exclusivement à des formulations discursives et terminologies spécifiques, l’expertise implique des savoir-faire en matière de mise en œuvre d’agencements d’objets – graphiques, courbes, diagrammes, sceaux, blouses ou toges, etc. – ainsi que d’adoption de postures, protocoles et procédures obéissant à certaines conventions. Les dispositifs experts se déploient plus particulièrement dans des lieux socialement tenus pour appropriés, tels les laboratoires ou les tribunaux et se réclament le plus souvent d’une neutralisation des affects permettant la maîtrise de connaissances « froides ». Ici, c’est plus particulièrement les connaissances techniques et savoir-faire juridiques dont s’emparent les protecteurs des animaux qui retiendront notre attention. Si, d’un point de vue analytique, cette focalisation se justifie ici pleinement, il importe toutefois de noter que le recours au droit ne constitue qu’une des formes de déclinaisons de ce registre d’action plus général que constitue la mobilisation de dispositifs experts.

7 À partir des entretiens réalisés au cours de l’enquête, il est possible d’examiner dans quelle mesure l’engagement des protecteurs des animaux prolonge des sensibilités forgées au cours d’expériences sociales qui ont marqué les toutes premières phases de leur socialisation  [10]. Bien plus encore, les contrastes qui distinguent les divers cheminements d’adhésion permettent d’expliciter à quel titre certaines expériences affectives peuvent prédisposer les militants à privilégier le recours à tel type de dispositif plutôt qu’à tel autre  [11]. S’agissant, plus précisément, de la propension à s’emparer des dispositifs experts du droit, plusieurs constats s’imposent. En tout premier lieu, on l’a dit, seule une infime minorité de militants – le plus souvent parmi les mieux dotés en capital social et scolaire – envisagent les compétences juridiques comme une dimension essentielle de leur engagement. En second lieu, ce trait relativement singulier ne signifie pas que lesdits militants se distinguent en tout point de la majorité des protecteurs des animaux. Bien au contraire, ils partagent avec eux le fait d’avoir été précocement dotés de sensibilités qui les prédisposaient à s’engager, un jour ou l’autre, au profit de la protection animale. En fait, l’expérience la plus communément répandue parmi l’ensemble des militants a trait aux tendres sentiments que leur cercle familial préconisait à l’endroit des bêtes  [12]. Cette expérience affective ayant marqué l’enfance des futurs militants résulte bien de facteurs sociologiques. D’une part, elle n’a été possible qu’à l’issue des lentes évolutions sociales qui permirent à des animaux d’affection, tel le chien ou le chat, d’être considérés comme des membres à part entière de la famille, et jouant un rôle déterminant au cours de la socialisation enfantine. Elle doit, en outre, beaucoup aux représentations induites par le développement de ce que nous avons proposé d’appeler le bestiaire imaginaire de l’enfance  [13]. Autant dire qu’elle ne peut être dissociée de la très grande distance sociale qui sépare les familles des futurs militants des milieux ruraux et agricoles au sein desquelles un rapport bien plus fonctionnel aux animaux prévaut encore.

8 Si la grande majorité des militants doivent aux conditions de leur socialisation un rapport d’affection privilégié aux bêtes, seule une minorité d’entre eux seront conduits à y adjoindre des compétences expertes empruntées au droit. Autant dire qu’il convient alors de préciser les évènements et processus qui ont incité ces individus soucieux d’améliorer le sort des animaux à se rapprocher des institutions du droit. Dans cette optique, deux manières d’investir le droit à partir d’une sensibilité favorable à la protection animale méritent d’être distinguées.

III. Sensibilité pour les animaux et appétence pour le droit

9 Une première modalité renvoie à des cas dont l’analyse recoupe la question des logiques de professionnalisation qui portent certains individus à investir les métiers du droit afin d’en vivre durablement. Comment – dès lors que l’on est déjà engagé dans le droit – s’accommoder de la technicité froide qui pourrait sembler le caractériser ? Telle est la question à laquelle semblent avoir été confrontés certains juristes experts œuvrant pour la protection des animaux. Lors de phases décisives de leur cursus universitaire ou professionnel, les futurs militants semblent avoir été soucieux de concilier la technicité aride du droit et leur passion de jeunesse pour les animaux. C’est le cas, par exemple, de Julien Freund, 37 ans, directeur de l’œuvre d’assistance aux bêtes d’abattoirs (OABA), au sein de laquelle il fut embauché en tant que juriste en 2005. Longtemps responsable juridique à la Fondation Brigitte Bardot, puis à la Société protectrice des animaux (SPA), celui-ci se définit comme un « vachophile », au point d’ailleurs de remplir son bureau de figurines à l’effigie de ce sympathique ruminant. C’est au cours de son enfance, à proximité de la ferme de ses grands-parents, que le petit Julien se découvre une affection toute particulière pour cette espèce animale. D’ailleurs, vers l’âge de dix-sept ans, il s’imposera de devenir végétarien au nom de la cohérence dictée par cette tendresse particulière qu’il porte aux bovins. À l’âge adulte, alors qu’il est engagé dans sa cinquième année d’étude de droit, Julien Freund dit avoir éprouvé : « le déclic qui fait qu’aujourd’hui je suis là où je suis, ce qui explique également les huit dernières années de ma vie » :

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On avait créé une petite association avec mes camarades, l’Association des étudiants privatistes, pour mater le pion aux publicistes. Son but c’était d’être le lien entre les nouveaux et les anciens, et on avait également une petite activité de recherche… On se préparait déjà à notre bac plus 6, 7, 8 ! […] Moi, j’ai fait des chroniques sur la reconduction du bail, sur le refus de vente… Et puis un coup, j’ai dit : « Tiens ! Je vais regarder le droit de la protection animale. » J’ai fait une petite chronique, une recherche de jurisprudence sur les mauvais traitements et les actes de cruauté. Et là, je suis tombé « le cul par terre… » En lisant les horreurs que l’on faisait subir à ces pauvres bêtes. Et je me suis dit : « Là, il y a quand même quelque chose qui ne va pas ! » En cherchant un peu la réglementation, je me suis rendu compte qu’elle était très mal fichue, c’est un peu du saupoudrage... Il y a un évènement, on réagit plus qu’on agit au niveau politique… Je me suis dit qu’il faudrait vraiment faire changer les choses. Quelque temps après, j’ai commencé à me documenter sur les associations de protection animale, j’ai trouvé que ce qu’elles faisaient c’était bien… Mais moi, ce qui m’intéressait, d’un point de vue purement juridique, réglementaire… Il n’y avait rien, ce n’était pas organisé, c’était le foutoir  [14]!

11 D’une manière significative, c’est au moment où il s’interroge sur les débouchés professionnels vers lesquels orienter ses compétences juridiques que l’étudiant en droit trouve dans la protection animale l’opportunité de concilier, d’une part, une sympathie précoce pour les bêtes et, d’autre part, ce souci – propre au juriste – concernant le bon ordonnancement des normes et textes censés réguler un domaine d’activités. Comme c’est souvent le cas en matière d’engagement, cet amalgame subtil entre sensibilités primordiales et compétences juridiques institue une logique d’engrenage à laquelle les experts du droit de l’animal peinent évidemment à résister. Ainsi, lorsque des déconvenues au sein de la Fondation Brigitte Bardot conduisirent Julien Freund à se dédier à un autre domaine du droit, un irrésistible appel ne tarde pas à se faire entendre

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J’ai voulu tourner la page complètement, et je me suis retrouvé chez un courtier en assurances qui travaille avec les Mutuelles du Mans, où nous étions spécialisés dans le droit de la protection routière… C’est très intéressant, j’ai découvert plein de trucs […]. C’est très intéressant, sauf qu’au bout de deux mois on en a fait le tour ! C’est très routinier et ça ne me plaisait pas trop… En faisant mes veilles juridiques, je ne pouvais pas m’empêcher d’envoyer mes emails à mes anciens collègues en leur disant : « Tiens ? J’ai vu la circulaire qui concerne l’Aïd ! J’ai vu un décret qui passe pour modifier le Code pénal qui protège les animaux », etc. Et je me suis rendu compte qu’il me manquait un truc, c’était le contact avec les animaux[15] ! Et c’est vrai que je voulais quand même retourner dans la protection animale… J’avais gardé de bons contacts, je suis retourné à la Société protectrice des animaux pendant un peu plus de six mois. J’y ai rédigé ce qu’ils ont appelé « le manuel de gendarmerie », qui est une sorte de code de la protection animale.

13 La carrière professionnelle et militante d’Eva Díaz, 40 ans, magistrate à Barcelone, et membre du comité exécutif de l’Asociación Defensa Derechos Animal (ADDA) paraît également riche d’enseignements  [16]. Ici, les sentiments enfantins ont incontestablement pesé dans l’engagement dans des études puis dans une carrière de juriste : « Quand j’étais petite et que je jouais avec mes poupées, je leur prononçais des sentences… Être juge a toujours été le rêve de ma vie. J’ai toujours aimé les films d’avocats, de procès, de juges… Je suis passionnée par le monde du droit ! » Élevée dans une famille modeste, d’origine ouvrière, et politiquement orientée à gauche, Eva suit des études de droit qui la conduisent à diriger, en tant qu’avocate spécialiste en droit du travail, le service des ressources humaines d’une entreprise. Ce poste ne semble pas totalement lui convenir puisqu’elle convoite et obtient un poste de juge. Son engagement parallèle dans la protection animale est clairement décrit comme ayant été dicté par une fidélité aux tendres sentiments que sa famille portait aux animaux : « Mon père aimait beaucoup les animaux. Quand j’étais petite, il amenait toujours des chatons abandonnés à la maison… Peut-être que c’est aussi quelque chose que j’ai hérité de ma grand-mère paternelle. » Le père d’Eva décède alors qu’elle n’a pas encore terminé ses études de droit. Très affectée, celle qui se destine à une carrière juridique se promet alors d’entretenir une sensibilité que son père lui a inculquée dès son plus jeune âge : « J’ai juré, juré et juré que j’allais mettre mes connaissances légales au service de la défense des animaux. La sensibilité auprès des animaux a toujours été présente dans la famille… Peut-être pas de cette manière extrême que j’ai développée… Mais le respect a toujours été là. Je me souviens, quand j’étais petite, à la maison on voyait TV1 et, à chaque fois qu’on passait les taureaux, mon père changeait rapidement de chaîne. » Ainsi, au regard d’Eva, l’engagement militant au sein d’ADDA et la contribution à la création en 2003 d’une commission de protection des droits des animaux auprès de l’Ordre des avocats de Barcelone constituent le moyen de concilier, là encore, les sensibilités à l’égard des animaux acquises durant l’enfance, et les compétences spécifiquement juridiques accumulées au cours de son cursus universitaire et professionnel. L’histoire de Julien Freund et d’Eva Díaz ne constituent certainement pas des cas isolés parmi ces juristes qui œuvrent avec d’autant plus de constance au sein des organisations dédiées à la protection animale que leur attachement aux animaux est manifeste depuis l’enfance  [17].

14 Ainsi, l’engagement des militants les plus enclins à endosser la figure de l’expert en droit doit beaucoup à des ressorts affectifs dont on pourrait aisément négliger l’importance. À l’instar de l’ensemble des protecteurs des animaux, les juristes de la cause s’efforcent, à travers leurs pratiques militantes et professionnelles, d’alimenter l’affection pour les animaux forgée au cours de leur enfance. Ils se distinguent, en revanche, par une inclination qui est loin d’être aussi bien partagée par l’ensemble des militants de la cause. Leur apprentissage du droit, en effet, ne semble jamais s’être limité à l’acquisition des compétences cognitives et techniques qui caractérisent cette pratique sociale spécifique. Comme l’attestent les témoignages cités ci-dessus, leur rencontre avec le droit s’est accompagnée d’une découverte, plus ou moins progressive, d’une appétence, d’un goût, qui les porte à vivre les pratiques juridiques sur le mode de la passion, du désir ou de l’envie  [18]. De fait, leur engagement en faveur de la cause leur permet de concilier des dispositions aussi bien affectives que cognitives auxquelles ils se sont attachés au cours de leur histoire sociale. Nous allons voir, cependant, que ce rapport au droit n’est ni le seul ni le plus fréquent parmi les militants de la cause animale.

IV. Sensibilité pour les animaux et rapport instrumental au droit

15 Des études dans les facultés de droit ne constituent pas le seul type d’expériences susceptibles de conduire des individus – se distinguant par une forte sensibilité concernant le sort des bêtes – à se doter de compétences juridiques envisagées comme un levier indispensable à la protection animale. Une seconde modalité implique un rapport à la matière juridique bien moins approfondi que celui que nous venons d’observer auprès des professionnels du droit. Certains militants, en effet, se caractérisent par une formation juridique d’autodidacte, par des connaissances parfois très pointues en ce qui concerne la législation et les procédures sanctionnant la cruauté envers les animaux. Ces connaissances ont été acquises, pour ainsi dire sur le tard et sur le tas, dès lors qu’il s’agissait de secourir des animaux, en prise à des propriétaires indélicats. Tant et si bien que c’est un rapport au droit bien plus limité et instrumental dont font preuve ici lesdits militants. À cet égard, le témoignage de Stéphane Lamart illustre remarquablement ce type de cheminement. À l’âge de seulement dix ans, celui-ci assiste au calvaire d’un petit rat pourchassé par des hommes et qui éveille en lui tant de compassion et d’indignation qu’il se promet de consacrer sa vie à la défense des animaux. À dix-neuf ans, en 2000, il fondera l’asso­ciation Stéphane Lamart après avoir préalablement milité à la Société protectrice des oiseaux des villes (SPOV) et à la Société nationale de défense des animaux (SNDA). Sorti précocement du système scolaire, il a occupé temporairement des emplois qui lui ont permis de gagner sa vie – assistant vétérinaire, caissier, employé municipal affecté à la voirie – avant que son savoir-faire militant décide finalement de sa vocation professionnelle :

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Je commençais à m’impliquer davantage pour les animaux et je me suis interrogé sur la profession de policier. Je me suis dit : « En fait, à l’association Stéphane Lamart qu’est-ce qu’on fait ? Les dépôts de plaintes, le commissariat de police, les procureurs, c’est eux qui appuient notre démarche. » Et ce métier me plaisait. […] Un jour, en allant déposer plainte contre quelqu’un, je suis reçu par un capitaine de police. Je lui parle de plein de choses, je connaissais plein d’articles de loi sur la protection animale. Et puis, on commence à se prendre d’amitié, nous nous sommes revus quelques fois pour d’autres procédures, et il me fait « Pourquoi vous ne postulez pas dans la police ? » C’est une idée qui auparavant m’avait traversé l’esprit. J’ai pris des renseignements, je me suis fait un dossier, j’ai été reçu.

17 D’une manière bien plus générale, il n’est pas rare que l’engagement dans la protection animale conduise ainsi les militants à acquérir les rudiments de droit nécessaires pour pouvoir mobiliser des forces de police et institutions judiciaires utiles à leur cause. Certaines organisations, à l’instar de la Société protectrice des animaux, la Fondation Brigitte Bardot ou l’association Stéphane Lamart, proposent d’ailleurs à leurs membres les plus motivés de devenir « inspecteur » ou « délégué-enquêteur bénévole ». L’une des missions qui leur sont alors confiées consiste à vérifier le bien-fondé des dénonciations relatives à des mauvais traitements, à des actes de cruauté ou de sévices graves, ou à des atteintes volontaires à la vie d’un animal  [19]. Ici, l’empressement et la volonté de bien faire des militants ne peuvent suffire, car de nombreuses dénonciations adressées aux associations s’avèrent exagérées ou infondées au regard des experts du droit. De fait, les enquêteurs bénévoles, avant de s’engager, sont invités à prendre connaissance d’un document précisant les « Missions des délégués et enquêteurs bénévoles », auquel sont annexés les principaux textes législatifs et réglementaires relatifs à la protection animale ainsi que la charte définissant les droits et obligations des délégués ou enquêteurs  [20].

18 Ce travail de veille, pour ne pas dire de police privée, assuré par les bénévoles, alimente les sièges nationaux de ces organisations qui, dans les cas d’actes de cruauté avérés, saisissent les tribunaux afin que les coupables soient punis conformément à la législation en vigueur. Ainsi, dans de nombreuses affaires, des associations telles la Société protectrice des animaux, la Société nationale de défense des animaux, la Fondation 30 millions d’amis se constituent partie civile dans des procès présentés comme autant de victoires pour la cause des bêtes : des hommes sont condamnés par la Justice pour s’être acharnés à coups de sabre sur un chien, pour avoir laissé mourir de faim deux poneys, pour avoir importé cinq mille poils d’éléphant, etc. À titre d’exemple, en 2010, la Fondation Brigitte Bardot déclare avoir mené plus de 3 000 enquêtes et s’être constituée partie civile dans près de 200 affaires tant et si bien que 11 % des fonds collectés auraient été affectés à des démarches visant à faire condamner les auteurs de maltraitance. Ainsi, certaines organisations de la protection animale sont dotées de services juridiques où cohabitent – parfois avec difficulté comme nous le verrons bientôt –, d’une part, des juristes professionnels spécialisés dans la protection animale et, d’autre part, des militants pour qui le droit n’est rien d’autre que le bras vengeur des indignations à l’origine de leur engagement. Quoi qu’il en soit, en portant plainte et en se saisissant des tribunaux, certaines organisations de la protection animale ne cessent de s’efforcer de peser sur l’application de la législation relative aux traitements des animaux  [21].

19 Certains militants de la protection animale se rapprochent donc des institutions juridiques et judiciaires selon une logique bien distincte de celle observée précédemment. Si nous ne craignions pas un mauvais jeu de mot, nous pourrions dire que ces militants en viennent ici au droit comme d’autres en viennent aux mains. Loin de toute appétence pour les logiques procédurales propres aux raisonnements juridiques, il s’agit ici de se saisir d’un moyen permettant de dévoiler et punir ceux qui, en maltraitant les bêtes, soulèvent l’indignation de leurs protecteurs. Certes, cette manière d’envisager le recours au droit alimente un registre émotionnel du dévoilement qui étaye très efficacement les processus d’enrôlement et de consolidation des soutiens (notamment auprès des publics les moins bien dotés en capital scolaire)  [22]. Cependant, et dans le même temps, elle induit un rapport superficiel au droit qui peut aisément indisposer ceux qui investissent la cause afin d’y trouver un débouché satisfaisant pour leurs compétences et savoir-faire juridiques. Ceci est d’autant plus vrai que les profanes en matière de droit tendent à survaloriser la judiciarisation des conflits là où les experts l’envisagent comme une alternative à laquelle il convient de recourir seulement si certaines conditions s’avèrent réunies. Parfaitement au fait des probabilités d’être déboutés par la justice, les juristes savent que le recours aux arènes judiciaires ne peut prétendre s’imposer à chaque fois que les militants éprouvent le besoin d’user d’une arme vengeresse  [23]. De fait, comme nous le verrons plus loin, les rapports différenciés au droit ne font que refléter les divergences qui opposent des types de militants qui peinent parfois à cohabiter au sein des mêmes associations. Si leurs compétences juridiques offrent aux experts l’opportunité de trouver des débouchés professionnels au sein d’asso­ciations de protection animale plutôt bien dotées en ressources financières, elles les conduisent également à se différencier de militants, et parfois même d’em­ployeurs, qui manifestent des émotions qu’ils jugent inconvenantes.

V. Juridicisation des griefs et légitimation des acteurs

20 Alors même que leur engagement en faveur de la protection animale résulte des sensibilités acquises au cours de leur histoire sociale, les juristes œuvrant pour la cause se distinguent de la plupart des militants par leur habileté à s’écarter des formes d’expression des émotions généralement jugées excessives et déplacées. La juridicisation des griefs, en effet, ne se résume pas seulement à retranscrire la sympathie et la compassion pour les animaux maltraités par les hommes dans le langage formel et procédural du droit. Elle permet également aux préoccupations affectives à l’origine de l’engagement de s’exprimer sous des formes, non seulement bien plus intellectualisées, contrôlées et circonstanciées, mais encore socialement légitimes. Ce travail de retranscription apparaît d’autant plus nécessaire que, depuis la fin du XIXe siècle, l’évolution sociologique des bases militantes de la protection animale s’est accompagnée d’une forte délégitimation aux yeux des élites intellectuelles. De fait, de nos jours, les protecteurs des animaux les mieux dotés en capital social et scolaire travaillent souvent à se présenter comme des hommes et des femmes responsables, modérés, déjouant cette « sensiblerie » excessive qui condamnerait à l’inefficacité un trop grand nombre d’amis des bêtes. Dans cette optique, se subordonner aux formes juridiques revient à s’arracher aux intempérances affectives qui entraveraient le progrès aussi bien de la cause que de ses promoteurs. « J’ai vécu une époque, quand j’étais jeune, se rappelle Eva Díaz, où je me suis battue contre tout le monde, contre tout. Mais j’ai grandi. Je suis dans la cause animale, mais depuis une autre perspective… La meilleure des perspectives, parce que c’est celle qui m’a donné les meilleurs résultats. Parce qu’une perspective trop émotionnelle, trop radicale, ça ne mène nulle part ! » La judiciarisation des conflits, plus particulièrement, exige des militants qu’ils connaissent les procédures propres aux tribunaux, mais encore qu’ils se soumettent à un intense travail réflexif et tactique ayant pour préalable la qualification juridique des souffrances animales dénoncées. Autant dire que le recours aux tribunaux requiert une capacité peu commune à dépasser les réactions affectives les plus immédiates afin d’accéder à des moyens d’action apparaissant plus efficaces :

21

Quand on fait un procès, remarque la présidente de la Société nationale pour la défense des animaux, on sauve des animaux. La plupart du temps, on a un récit à faire pleurer dans les chaumières. Je n’ai rien contre, c’est vrai que c’est dramatique. Mais si on veut faire avancer le schmilblick, il faut dire qui est-ce qui a dénoncé le truc ; comment est-ce qu’on a eu l’information ; comment a réagi la gendarmerie ; comment a réagi la police… Vous voyez ? Il faut décomposer tout le système. Parce qu’à ce moment-là, une fois qu’on en a une vingtaine de cas réunis, on est capable d’énoncer clairement là où le bât blesse  [24].

22 Ce qui est affirmé ici c’est la supériorité de l’expertise juridique sur des dispositifs de sensibilisation pourtant bien plus aptes à mobiliser un large public de profanes. On comprend mieux alors que la faible ou forte valorisation du droit au sein des organisations de la protection animale puisse présider aux processus de sélection et de façonnement des militants ajustés au style émotionnel et modes d’action privilégiés par leurs leaders  [25]. Là où le secours immédiat aux bêtes souffrantes prévaut, là où les registres émotionnels de l’attendrissement ou du dévoilement l’emportent, la technicité et le langage formel du juriste peuvent vite apparaître inappropriés. Ainsi, au sein même des organisations qui – bien plus par pragmatisme que pour une haute estime prêtée au droit – font place aux juristes, des désajustements et désaccords peuvent aisément s’insinuer entre lesdits juristes, les responsables et/ou la base militante. À ce propos, les raisons qui incitèrent Julien Freund à quitter le tout premier poste qui lui avait permis de concilier, d’une part, sa sympathie précoce pour les bêtes, d’autre part, la vocation de juriste découverte à l’université, apparaissent des plus éloquentes :

23

La Fondation Bardot, c’est très connoté « chien et chat », c’est très passionnel… Il y a un moment où on en a marre… Et franchement, au moment du livre de Brigitte, je recevais en tant que responsable juridique, plus d’un appel qui disait : « Elle a raison Brigitte… Il y a trop de pédés, il y a trop d’arabes en France ! » Je considère que ce n’est pas le lieu. Je disais aux gens : « Vous vous êtes trompés, on n’est pas l’annexe du Front national. » Les gens me répondaient : « Comment ça ! Je ne suis pas à la Fondation Bardot ? Et vous ne pensez pas comme Brigitte Bardot ? » Il y a des milliers de gens qui ont téléphoné... Je m’en suis ouvert à Brigitte et je lui ai dit que son livre, ce n’était pas la meilleure chose qu’elle ait fait, et elle m’a dit qu’elle ne me retenait pas. J’en ai pris acte et quelques mois après je suis parti.

24 Tout aussi significative est la manière dont le professeur de médecine Jean-Claude Nouët – l’un des fondateurs de la Ligue française des droits de l’animal (LFDA) – relate les efforts nécessaires à la rédaction de la Déclaration universelle des droits de l’animal proclamée, en 1978, à la Maison de l’UNESCO à Paris  [26]. Cohérence logique, rationalité froide, dénonciation de la focalisation excessive sur les chiens et chats qui résulterait d’affects insuffisamment contrôlés, constituent autant de leitmotivs valorisés depuis par les membres de cette organisation :

25

On décide d’affiner les choses et de se diriger vraiment vers une déclaration universelle des droits de l’animal… Celle de 1972 ne me plaisait pas. On a eu des réunions, on a réécrit une autre déclaration. On décide d’adopter un texte en 1977. On se réunit alors à Londres, le rédacteur initial me passe le texte. Je le redécoupe complètement parce que ça ne me plaisait pas du tout, il était surtout : « On doit aimer les animaux. » Je m’en fiche qu’on les aime, ce n’est pas ça le problème ! C’était surtout « chien, chat » ! Et dans la nuit qui a précédé la réunion, dans notre chambre d’hôtel à Londres, je l’ai complètement redécoupé, simplement avec une paire de ciseaux, simplement pour réécrire les articles, pour replacer ça un peu dans un ordre naturaliste  [27].

26 Ainsi, le recours aux formulations discursives reconnues du droit équivaut souvent à conjurer « l’excès de sensiblerie ». Certes, on l’a vu, l’engagement des juristes de la protection animale doit également beaucoup aux sensibilités primordiales acquises au cours de leur histoire sociale. Cependant, à la différence de bien d’autres militants de base, leur maîtrise des formulations juridiques leur a appris à circonscrire les indignations trop immédiates, voire à les retranscrire en requêtes argumentées, précises et circonstanciées au regard de ce corpus de textes auquel se référent les institutions légale-rationnelles. Les réactions mêlant des sentiments frustes et brusques, ambigües et embrouillés – s’agit-il effectivement de faire progresser la protection des animaux, ou d’aduler son chien d’appartement, voire d’haïr les « pédés et les arabes » ? – s’effacent devant la nécessité de formuler des griefs dans les formes précises, explicites et légitimes, reconnues par le droit. Le savoir-faire juridique, loin d’exiger seulement ces compétences cognitives nécessaires à l’intertextualité et à la cohérence des plaidoyers, implique donc tout autant la modération et le contrôle de ces réactions affectives fondamentales sans lesquelles le désir de réclamer que Justice soit faite ne pourrait simplement être ébauché. La juridicisation des griefs apparaît bien, en définitive, comme une manière d’exprimer des émotions selon des conventions qui assurent leur légitimité sociale et donc leur chance d’être prises en compte par les institutions judiciaires de l’État.

27 Dans de telles conditions, on ne s’étonnera pas de constater que les organisations les plus enclines à la juridicisation de la cause animale soient également les plus proches des institutions judiciaires, administratives et politiques. « Le recours au droit est un mode d’accès privilégié à l’État principalement parce que le droit reste encore le langage dans lequel se dit et se pense l’État et ses agents […]. Ainsi ce qui se joue dans le recours au droit est de pouvoir à la fois se ménager un accès aux autorités politiques et faire valoir une relation privilégiée avec elles. Il s’agit par conséquent de se positionner comme un interlocuteur inévitable et valable auprès de l’État  [28]. » Ainsi, alors que la LFDA est loin de pouvoir revendiquer un nombre de sympathisants supérieur à d’autres organisations dédiées à la cause, la technicité et l’honorabilité de son langage juridique lui ouvre un accès privilégié à plusieurs commissions ou comités consultatifs dont dépend l’évolution des politiques publiques relatives au traitement des animaux. La LFDA revendique ainsi « plusieurs avancées importantes sur les plans juridiques » telle la modification du Code civil en vue de la distinction entre l’animal et la chose en 1999 ; ou bien encore du Code pénal afin d’ajouter les sévices sexuels sur les animaux aux actes de cruauté en 2004  [29]. Par ailleurs, la LFDA est représentée au sein d’instances consultatives relevant du ministère de la Recherche et de l’Enseignement supérieur tels la Commission nationale de l’expérimentation animale, le Comité national de réflexion éthique sur l’expérimentation animale, la Plateforme nationale pour le développement de méthodes alternatives à l’expérimentation animale. Le ministère de l’Agriculture et de la Pêche a également consulté la LFDA au sein du Comité consultatif de la santé et de la protection animale ou de la Commission nationale de suivi des rencontres « Animal et société ». Le langage du droit semble ainsi fortement favoriser la possibilité d’être considéré, par le législateur et les administrations, comme un interlocuteur digne d’écoute. Ici, on notera d’ailleurs que si la LFDA se distingue par une juridicisation étayant son travail de lobbying auprès des autorités, elle est loin d’être parmi les organisations de protection animale les plus portées à la judiciarisation. Tandis qu’elle accorde une place de choix aux discours sur les droits, et alors même que son site web présente des pages « Connaître les textes juridiques », ou bien encore « Conseils juridiques », la LFDA recourt bien moins souvent à la saisine des tribunaux que les organisations manifestant ce rapport instrumental au droit que nous avons relevé plus haut.

Conclusion

28 L’analyse de la diversité des rapports au droit qui caractérisent les protecteurs des animaux permet ainsi de mettre en exergue des processus dont on pourrait négliger l’importance. En tout premier lieu, elle confirme que l’engagement pour une cause doit être envisagé, non pas comme l’effet mécanique de variables sociologiques, mais comme un travail continu mis en œuvre par les militants. Loin de se limiter à la mobilisation de ressources et à l’élaboration de tactiques visant à rallier le public et le pouvoir, ce travail militant implique avant tout un incessant travail sur soi. À travers les pratiques qu’ils dédient à la cause, les militants s’emploient à actualiser et amender certaines des dispositions qu’ils ont acquises au cours de leurs expériences sociales successives. Le point important ici est de souligner que ces dispositions peuvent tout aussi bien s’apparenter à des compétences – impliquant un important contrôle réflexif – que des appétences, des (dé)goûts, qui orientent ce que Norbert Elias appelait la quest for excitment[30]. Dans une telle perspective, le droit ne peut être systématiquement réduit au statut de simple expédient, de ressource neutre, de logique procédurale sans rapport avec les efforts que les militants déploient afin de trouver « le bonheur à “se réaliser” en agissant »  [31]. On l’a vu, les rapports différentiels au droit ne peuvent être dissociés des formes de satisfactions que les différents types de militants tirent de leur engagement en faveur de la protection animale. La difficulté analytique réside précisément ici dans la manière dont la formalisation des émotions s’impose aujourd’hui au sein de l’espace public. Alors même qu’elle ne peut être totalement abstraite des sensibilités des acteurs, la juridicisation des griefs se donne à lire comme une mise à distance des états affectifs bien trop singuliers et immédiats pour pouvoir étayer une cause générale  [32]. Ce faisant, elle contribue au jeu de la sélection des acteurs les plus aptes à exprimer leurs préoccupations selon des formes tenues pour légitimes. Si les experts du droit savent mieux se faire entendre au sein des institutions étatiques, ce n’est certes pas parce qu’ils seraient moins attachés que d’autres aux sensibilités qui résultent de leur histoire sociale. Les techniques du droit leur ont plutôt appris à retranscrire leurs élans affectifs dans des formes juridiques qui en modifient la signification et la portée. Loin d’exiger des cœurs sourds et froids, la pratique du droit implique plutôt une combinaison maîtrisée d’implication émotionnelle et de mise à distance des états affectifs susceptibles d’entraver l’épreuve spécifique du droit  [33]. C’est par ce double mouvement que les juristes militants assurent l’autonomie relative du droit tout en évitant une techni cité autoréférentielle sans prise sur les débats qui divisent leurs contemporains.

Notes

  • [1]
    Voir Christophe TRAÏNI, La cause animale (1820-1980). Essai de sociologie historique, Paris : PUF, 2011.
  • [2]
    Le végétalien refuse la consommation de tout produit issu de l’exploitation animale, non seulement la viande, mais aussi les œufs, le lait, le fromage et le miel.
  • [3]
    Pour des raisons de facilité de lecture, dans l’article, pour toute référence aux acteurs concernés, il est fait usage du masculin, bien qu’il puisse s’agir aussi bien de personnes féminines que masculines.
  • [4]
    Voir notamment Éric AGRIKOLIANSKY, « Les usages protestataires du droit », in Olivier FILLEULE, Éric AGRIKOLIANSKY et Isabelle SOMMIER (dir.), Penser les mouvements sociaux. Conflits sociaux et contestations dans les sociétés contemporaines, Paris : La Découverte, 2010, p. 225-243 ; Liora ISRAËL, L’arme du droit, Paris : Presses de Sciences Po, 2009 ; Brigitte GAÏTI et Liora ISRAËL, « Sur l’engagement du droit dans la construction des causes », Politix, 62, 2003. En ligne
  • [5]
    Norbert ELIAS, La dynamique de l’Occident, Paris : Calmann-Lévy, 1975.
  • [6]
    Norbert ELIAS et Eric DUNNING, Sport et civilisation. La violence maîtrisée, Paris : Fayard, 1994.
  • [7]
    Jacques COMMAILLE et Laurence DUMOULIN, « Heurs et malheurs de la légalité dans les sociétés contemporaines. Une sociologie politique de la “judiciarisation” », L’Année sociologique, 59 (1), 2009.
  • [8]
    Bastien FRANÇOIS, « Du juridictionnel au juridique. Travail juridique, construction jurisprudentielle du droit et montée en généralité », in Jacques CHEVALLIER (dir.), Droit et politique, Paris : PUF, 1993, p. 207. Voir également, Bruno LATOUR, La fabrique du droit. Une ethnographie du Conseil d’État, Paris : La Découverte, 2002.
  • [9]
    Nous avons personnellement conduit trente-cinq entretiens, le reste étant réalisé par une équipe de quatre doctorants et un docteur en science politique que nous remercions ici encore pour leur participation à l’enquête (Romain Blancaneaux, Montserrat Emperador Badimon, Gael Franquemagne, Maryna Kumeda, Caroline Lejeune, Gildas Renou).
  • [10]
    Christophe TRAÏNI, « L’enfance et les sensibilités primordiales de la lutte pour la protection animale », in Anne MUXEL (dir.), La politique au fil de l’âge, Paris : Presses de Science Po, 2011. Par sensibilité, il faut entendre une inclination durable à réagir affectivement d’une manière bien déterminée face à des objets et des situations perçues comme similaires.
  • [11]
    ID., « Les émotions de la cause animale. Histoires affectives et travail militant », Politix, 93, 2011.
  • [12]
    À l’échelle de l’ensemble de l’échantillon, il apparaît que d’autres types d’expériences affectives ont doté les militants d’autres sensibilités plus ou moins bien partagées. Ce n’est cependant pas le lieu de les inventorier car elles concernent rarement les militants juristes sur lesquels l’analyse se focalisera ici.
  • [13]
    Par bestiaire imaginaire, nous entendons désigner les multiples personnages animaliers dotés de parole et censés directement s’adresser à des enfants qui les comprennent bien mieux que les adultes. Entamé au XIXe siècle, à travers la littérature enfantine et l’apparition des premières peluches, le phénomène s’amplifie considérablement, dans la seconde moitié du XXe siècle, grâce notamment à l’invention du dessin animé et la diffusion télévisuelle.
  • [14]
    Entretien avec Julien Freund, Paris, décembre 2008.
  • [15]
    Soulignons que l’expérience évoquée ici – « le contact avec les animaux » – se distingue clairement de ce contact physique direct avec les bêtes que, par exemple, les refuges tenus par bon nombre d’organi­sations de la protection animale permettent. Il est plutôt question ici d’une opération intellectuelle consistant à appliquer les raisonnements logiques du droit à cet objet de préoccupation affective que constitue le traitement des animaux.
  • [16]
    Avant de l’élargir à d’autres thématiques, nous avons entamé notre enquête auprès des opposants à la corrida en France. Compte tenu des nombreuses mobilisations anti-corrida en Catalogne, il nous est apparu pertinent d’inclure des militants barcelonais à notre échantillon. L’entretien avec Eva Díaz a été réalisé le 3 juillet 2010, à Barcelone, puis retranscrit et traduit en français, par Montserrat Emperador Badimon.
  • [17]
    À l’instar de maître Patrice Grillon, avocat de l’association Stéphane Lamart qui, à la page « espace juridique » du site web de l’association, pose en présence de son chat Blue-Moon, <http://www.associationstephanelamart.com/index.php?page=juridique&n=1> (consulté le 20 avril 2012).
  • [18]
    Sur la nécessité de distinguer compétences et appétences dans le cadre d’une sociologie dispositionnelle, voir Bernard LAHIRE, « De la théorie de l’habitus à une sociologie psychologique », in ID. (dir.), Le travail sociologique de Pierre Bourdieu, Paris : La Découverte, 2001, p. 121-152.
  • [19]
    Sur le rôle déterminant, dès le XIXe siècle, des associations de protection animale dans la production et mise en application d’une législation punissant les cruautés à l’égard des animaux, voir les premiers chapitres de Christophe TRAÏNI, La cause animale (1820-1980). Essai de sociologie historique, op. cit.
  • [20]
  • [21]
    On trouvera un parallèle très éclairant dans l’article d’Éric AGRIKOLIANSKY, « Usages choisis du droit : le service juridique de la ligue des droits de l’homme (1970-1990). Entre politique et raison humanitaire », Sociétés contemporaines, 52, 2003, p. 61-84.
  • [22]
    Sur ce qui permet de distinguer les trois registres émotionnels qui caractérisent la protection animale depuis le XIXe siècle jusqu’à nos jours (registre démopédique, attendrissement, dévoilement), voir Christophe TRAÏNI, La cause animale (1820-1980). Essai de sociologie historique, op. cit.
  • [23]
    Sur la méfiance des juristes militants à l’égard des stratégies judiciaires, voir Éric AGRIKOLIANSKY, « Usages choisis du droit : le service juridique de la ligue des droits de l’homme (1970-1990). Entre politique et raison humanitaire », art. cité, p. 67-69.
  • [24]
    Entretien n° 31, femme, 69 ans, Société nationale pour la défense des animaux, Paris, avril 2009.
  • [25]
    Sur le façonnage organisationnel du militantisme, voir Frédéric SAWICKI et Johanna SIMÉANT, « Décloisonner la sociologie de l’engagement militant. Note critique sur quelques tendances récentes des travaux français », Sociologie du travail, 51 (1), 2009, p. 97-125.En ligne
  • [26]
    Créée en 1977, déclarée d’utilité publique en 1985, la LFDA devient, en 1999, la fondation « Droit animal, éthique et sciences ».
  • [27]
    Entretien avec Jean-Claude Nouët, professeur, médecin biologiste, Paris, septembre 2008. À bien y regarder, la Déclaration universelle des droits de l’animal se présente comme un dispositif expert composite. Loin de se limiter à une reconduction du modèle de la proclamation solennelle des droits, ce texte est présenté comme dicté par une « base scientifique » mobilisant les connaissances d’un grand nombre de disciplines : « Les concepts éthiques de la Déclaration universelle des droits de l’animal s’appuient sur trois données essentielles fournies par les progrès les plus récents des sciences biologiques modernes : la génétique moléculaire, la génétique des populations, l’écologie, la neurophysiologie, et l’éthologie », <http://www.fondation-droit-animal.org/rubriques/connaitr_fond/connaitr_declar_univ_base.htm> (consulté le 20 mai 2012).
  • [28]
    Hélène MICHEL, « Pour une sociologie des pratiques de défense : le recours au droit par les groupes d’intérêt », Sociétés contemporaines, 52, 2003, p. 10.
  • [29]
  • [30]
    Norbert ELIAS et Eric DUNNING, Sport et civilisation. La violence maîtrisée, op. cit.
  • [31]
    Jacques LAGROYE et Johanna SIMÉANT, « Gouvernement des humains et légitimation des institutions », in Pierre FAVRE, Jack HAYWARD et Yves SCHEMEIL (dir.), Être gouverné. Mélanges en l’honneur de Jean Leca, Paris : Presses de Sciences Po, 2003, p. 71.
  • [32]
    Luc BOLTANSKI, L’Amour et la Justice comme compétences. Trois essais de sociologie de l’action, Paris : Métailié, 1990, troisième partie « La dénonciation publique ».
  • [33]
    Janine BARBOT et Nicolas DODIER, « De la douleur au droit. Ethnographie des plaidoiries lors de l’audience pénale du procès de l’hormone de croissance contaminée », in Mathieu BERGER, Daniel CEFAÏ et Carole GAYET-VIAUD (dir.), Du civil au politique. Ethnographies du vivre ensemble, Bruxelles : Peter Lang, 2011, p. 289-322.
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Français

Cet article interroge la diversité des rapports au droit qui se nouent au cours des processus d’engagement en faveur de la protection animale. Ce faisant, il relève les diverses manières dont le droit se combine aussi bien aux modes d’action que les protecteurs des animaux privilégient afin de défendre leur cause qu’aux sensibilités préalables à leur engagement. Loin d’apparaître dénué de tout ressort affectif, le recours au droit implique une formalisation des émotions grâce à laquelle les griefs des militants apparaissent plus aisément légitimes au sein de l’espace public. Ainsi, la juridicisation des griefs favorise grandement l’accès des protecteurs des animaux aux sphères politico-administratives.

Mots-clés

  • Droit
  • Droit des animaux
  • Émotions
  • Militantisme
Christophe Traïni
Institut d’Études Politiques, 25 rue Gaston de Saporta, F-13625 Aix-en-Provence cedex 1.
Christophe Traïni est professeur de science politique à l’Institut d’Études Politiques d’Aix-en-Provence (CHERPA) et membre junior de l’Institut Universitaire de France. Ses recherches portent sur la sociologie du militantisme et des mobilisations collectives et il a consacré plusieurs articles à l’analyse des dimensions émotionnelles des mobilisations collectives en faveur de la protection animale.
Parmi ses publications :
— « Entre dégoût et indignation morale. Sociogenèse d’une pratique militante », Revue française de science politique, 62 (4), 2012 ;
— La cause animale (1820-1980). Essai de sociologie historique, Paris : PUF, 2011 ;
— « Les émotions de la cause animale. Histoires affectives et travail militant », Politix, 93, 2011 ;
— Émotions… mobilisation !, Paris : Presses de Sciences Po, 2009.
christophe.traini@wanadoo.fr
Mis en ligne sur Cairn.info le 15/09/2014
https://doi.org/10.3917/drs.087.0465
Pour citer cet article
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